Le pouvoir local remis en cause au Nigeria

Obasanjo reproche aux conseils municipaux d’être inefficaces.

PAR KINGSLEY KUBEYINJE

Comment réagit une population quand le prix à la pompe se sont succédé ayant augmente de 54 pour cent et que l’on parle de changer, voire fait montre d’une d’éliminer un des trois ordres de gouvernement, le municipal? inefficacité chronique

dans tous les

Au Nigeria, l’augmentation du prix de l’essence a entraîné une domaines. »

grève de huit jours à l’échelle nationale, une réaction vigoureuse qui a forcé le gouvernement à revenir sur sa décision et à Il a aussi reproché aux accepter un taux de 34 nairas (27 cents US) du litre plutôt que instances étatiques d’imposer les 40 nairas (32 cents US) souhaités. Cela dans un d’avoir été malavisées en contexte d’intense débat autour de la restructuration municipale. créant de nouveaux

conseils locaux, lesquelsLa controverse a été suscitée par des propositions présidentielles se sont rajoutés à la listeapprouvées le 18 juin dernier par le National Council of States du des 774 conseils

On ne sait pas quand

régions géopolitiques du pays, le elles [les élections On ne sait pas quand elles auront lieu, ni même si elles

comité siège depuis le mois d’août auront jamais lieu.

dernier, examinant les mémoires municipales] auront présentés par les divers

lieu, ni même si elles Polarisation du débat municipal

intervenants. De façon prédictible, la tentative de restructuration

s’attire autant de critiques que d’éloges dans un pays au climat politique déjà surchauffé. Parmi les

Le statut précaire des

municipalités

Nigeria, à Abuja, la capitale fédérale. Ce conseil, composé du président, de son député, des 36 gouverneurs des états et des anciens présidents, s’était réuni à la demande expresse du président Olusegun Obasanjo.

Quelques heures après la rencontre, Obasanjo annonçait sur les ondes nationales la création d’un comité technique décisionnel très puissant formé de onze membres ayant pour mandat d’examiner la structure de gouvernance au niveau local. Composé de spécialistes de la

scène locale en provenance des six

Le comité s’attaquera à la question de l’inefficacité et du coût faramineux de la gouvernance dans ce pays, avec pour mandat de réduire le gaspillage aux trois ordres de gouvernement. Il analysera la performance des instances locales au cours des quatre dernières années, afin de déterminer si celles-ci doivent toujours constituer le troisième palier de gouvernement. Le comité doit aussi se pencher sur le coût élevé des campagnes électorales et chercher à voir si le démarchage électorale doit être le fait des partis politiques ou plutôt celui d’individus briguant des investitures.

Selon Obasanjo, loin de servir de catalyseurs et d’agents de développement local, les 774 conseils locaux reconnus par la Constitution auraient fait montre d’une inefficacité et d’une prodigalité peu communes. Ainsi, a-t-il dit, « jamais, dans toute l’histoire de ce pays, les gouvernements locaux ont-ils reçu autant d’argent du fédéral. Malgré cela, tout espoir de développement rapide et durable a dû être abandonné, les différents conseils qui

Kingsley Kubeyinje est rédacteur à la News Agency of Nigeria (NAN), une agence de presse appartenant au gouvernement fédéral du Nigeria. Il a également été correspondant de l’agence dans l’est et le sud de l’Afrique.

reconnus par la Un charpentier à Ameka, au Nigeria.Constitution. Il y voit un Les administrations locales risque de morcellement, réglementent l’emplacement desnotamment dans la magasins et autres commerces.

création de mini-conseils dans les villes et les cités.

Le résultat immédiat de l’initiative présidentielle a été le report de trois mois des élections municipales. Ces dernières, auxquelles participent quelque 8 000 candidats briguant les postes de président et de conseillers, devaient avoir lieu le samedi 20 juin 2003.

détracteurs se trouvent un syndicat général représentant quelque trois millions de fonctionnaires municipaux, l’opposition regroupée sous l’égide de la Conference of Nigerian Political Parties (CNPP), des organismes non gouvernementaux, des avocats et des universitaires. Certains gouverneurs des états, membres du National Council of States, contestent également la réforme, affirmant avoir été induits en erreur à son sujet. Déjà, un regroupement de onze partis d’opposition a intenté une poursuite à la Haute Cour fédérale, à Abuja, alléguant que les politiques du Parti démocratique populaire (People’s Democratic Party ou PDP) constituent une « ingérence » indue du fédéral dans les affaires municipales et que le report du calendrier électoral est injustifié.

Parmi les critiques les plus virulents de cette politique se trouve Attahiru Bafarawa, gouverneur de l’état nord-occidental du Sokoto, un fief de l’opposition à majorité musulmane. Bafarawa n’a pas été long à interpréter l’exercice comme une manœuvre ethnique, accusant le président – un chrétien du sud-ouest du Nigeria – de se faire le champion de la cause des Yorubas, son ethnie d’origine. Les Yorubas ont en effet demandé une restructuration du système fédéral, avec pour objectif d’obtenir une « vraie » fédération, à l’instar du Canada, de la Suisse et de l’Allemagne.

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003

le parti All Progressives Grand Alliance (APGA), ont décrit la réforme

constitutionnelle, en cela qu’elle doit être suspect de la restructuration qu’il

La pertinence du conseil local comme palier comme étant inconstitutionnelle. Le

de gouvernement à part entière est soulignée ANPP, dont le candidat était le

par le fait que la Constitution prévoit leur principal opposant d’Obasanjo lors des

financement direct. La création de nouveaux élections présidentielles du 19 avril

conseils est également une affaire dernier, a dénoncé le caractère

entérinée par les deux chambres du assimile à un coup d’État contre les

Parlement. Nigérians.

Pour augmenter les subsides Le caractère sacro-saint de

des états l’administration locale

Le Nigeria Union of Local Government Employees (NULGE) avait demandé au gouvernement fédéral de consulter les intervenants avant d’instituer quelque réforme que ce soit, à défaut de quoi il risquait de provoquer une levée de boucliers et la colère de ses membres. Abubakar Salam, secrétaire général du NULGE, affirmait que son syndicat, loin d’être « totalement » opposé à la réforme, souhaitait que celle-ci favorise l’autonomie des conseils locaux, ce qui est très différent de les éliminer. Deux importants partis d’opposition, le parti All Nigeria Peoples (ANPP) et

Le Constitutional Rights Project (CRP), un ONG, soutient que le principe de l’administration locale est garanti par la Constitution, laquelle prévoit que ce pouvoir sera exercé par des conseils locaux démocratiquement élus. « Cette disposition constitutionnelle confirme le caractère sacro-saint de cette institution, laquelle n’est pas sujette aux caprices et lubies du gouvernement fédéral », de déclarer le CRP. « En d’autres termes, le gouvernement fédéral n’est aucunement habilité à remettre en question l’existence des administrations locales. Le faire est nettement anticonstitutionnel. »

Parlant au nom de membres préoccupés du PDP, le parti au pouvoir dans le Ondo, un état du sud-ouest, Leye Akinyosotu a défendu la position gouvernementale en évoquant la nécessité d’une restructuration en profondeur du système de gouvernance locale. Faisant sans doute référence à la corruption et à la mauvaise gestion, endémiques au niveau local, il a parlé d’une « situation où une élite jouit des avantages de la gouvernance locale, alors que le plus grand nombre croupit dans la pauvreté, ce qui est proprement inacceptable ».

Sur la voie de la démocratie

L’ironie de la chose, c’est que la structure de gouvernance remise ici en question date des importantes réformes de 1976, tandis quece même Obasanjo, alors militaire à la tête de l’État, engageait le pays sur la voie de la démocratie. Obasanjo céda de fait le pouvoir à Shehu Shagari, président démocratiquement élu, le 1er octobre 1979, donnant ainsi le coup d’envoi à la Seconde République du Nigeria. Cette dernière fit toutefois long feu,sapée à l’aube du 31 décembre 1983 par un coup d’État du général Muhammadu Buhari – principal opposant d’Obasanjo lors des dernières élections présidentielles.

La réforme de 1976 visait à dégager les conseils locaux de toute interférence des autres paliers de gouvernement et à mettre en place une administration locale dynamique et efficace. Ces entités allaient donc constituer officiellement le troisième palier de gouvernement, avec des responsabilités et pouvoirs définis, et leur part des revenus nationaux.

La quatrième annexe de la Constitution présente une liste des fonctions des gouvernements locaux, qui comprend notamment : le prélèvement d’impôts (impôt foncier); l’octroi des licences de radio et de télévision; l’établissement de cimetières, de marchés, d’abattoirs, de parcs automobiles et de foyers pour les démunis; l’émission de permis de bicyclette, canot, brouette et chariot; la dénomination des rues et voies publiques, et l’attribution des numéros civiques. Il revient également aux administrations locales d’assurer la fourniture et l’entretien des réseaux d’égouts et des dépotoirs, de déterminer et de collecter l’impôt sur les loyers, de réglementer en matière d’affichage public et en

matière d’entretien des animaux de

compagnie et de location de magasins,

kiosques, restaurants et boulangeries.

Selon la formule de péréquation actuelle, les

conseils locaux se partagent 21 pour cent des

revenus de l’État, le fédéral 55 pour cent et les états 25 pour cent. Selon la nouvelle formule actuellement débattue au Parlement, les conseils obtiendraient 20 pour cent de ces revenus, tandis que le fédéral et les états membres – soit les 36 états et le territoire fédéral d’Abuja – se partageraient respectivement 47 pour cent et 33 pour cent de l’ensemble des revenus.

Les gouvernements locaux ont-ils réellement failli à la tâche? L’on s’entend généralement pour dire qu’ils ne sont pas à la hauteur des attentes. S’ils admettent certains manques, les fonctionnaires en cause parlent de circonstances atténuantes. Dans un mémoire présenté au comité de restructuration, le NULGE admet que les 774 administrations locales ont effectivement eu à gérer quelque 750 milliards de nairas (six milliards $ US) entre mai 1979 et mai 2003. Il insiste toutefois pour dire que les conseils se trouvaient paralysés par l’obligation de mettre en oeuvre des projets qu’ils n’avaient pas initiés et qui se trouvaient souvent hors de leur champ de compétence. Ces responsabilités supplémentaires auraient empêché la fourniture de services à la population.

Ils dénoncent notamment l’importante ponction de 463,2 milliards de nairas (3,7 milliards $ US) faite dans leur budget pour payer le salaire des enseignants au primaire, alors qu’il revenait au fédéral de le faire. Ils évoquent les 37,5 milliards de nairas (300 millions $ US) que les états ont prélevé pour payer les chefs traditionnels, et les 176,9 milliards de nairas (1,4 milliards $ US) qui ont été payés en émoluments aux instances politiques locales. Le paiement de ces gages, insistentils, leur aurait été imposé par la Revenue Mobilisation Allocation and Fiscal Commission, un organe fédéral. Ils parlent aussi de 4,4 milliards de nairas (35,2 millions $ US) déduits par le fédéral pour acheter 1 000 jeeps pour la police (une institution fédérale) ainsi que d’une contribution obligatoire aux élections générales du mois d’avril. Selon le NULGE, chacun des 774 conseils se serait vu imposer une taxe de 10 millions de nairas (80 000 $ US) pour les élections, et obligé de contribuer à diverses institutions et projets relevant normalement des états.

Étant donné cette charge supplémentaire de responsabilités, les conseils locaux ne pouvaient tout simplement pas suffire à la tâche.

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003