Aux États-Unis, certains états poursuivent l’agence fédérale pour la protection de l’environnement

En assouplissant la réglementation antipollution, l’administration Bush s’attire la colère des états et des environnementalistes.

PAR SCOTT RICHARDS ET YVETTE HURT

L’an passé, un conflit important a éclaté aux États-Unis entre l’Agence pour la protection de l’environnement (U.S. Environmental Protection Agency ou EPA) et certains états. Le conflit porte sur les changements proposés à la section intitulée «New Source Review » (NSR) de la loi sur la qualité de l’air (Clean Air Act), qui détermine l’émission de permis aux centrales électriques pour limiter leur pollution atmosphérique.

À la fin de 2002, fortement appuyée par la Maison-Blanche, l’EPA a promulgué une nouvelle réglementation s’appliquant à la NSR qui prévoit une réduction importante des

exigences relativement à l’installation de

C’est en février 2002 que

nouvelles technologies antipollution dans les

La nouvelle réglementation l’administration Bush a officiellement

centrales électriques vieillissantes, les raffineries

proposé des modifications à la NSR

et autres installations industrielles. Un exempterait les travaux

dans le cadre de son projet « Clear

regroupement d’états, sous la conduite d’Eliot

de construction, y compris Skies », qui comprend aussi la

Spitzer, secrétaire à la Justice de l’état de New

ceux qui servent à proposition d’un système de permis

York, a réagi par une série d’actions en justice

d’émissions négociables (« cap-and

visant à forcer la main à l’EPA afin qu’elle remette modifier ou à agrandir une

trade ») concernant les polluants

en cause la nouvelle réglementation. Ces poursuites visaient aussi à retarder sa mise en oeuvre et à en obtenir la révision par la Cour d’appel fédérale pour le District de Columbia.

La loi fédérale donne la pleine mesure du contrôle exercé par les états

Depuis les années 1970, le programme fédéral de la Clean Air Act exige que les sources polluantes, telles les centrales électriques, installent l’équipement antipollution le plus récent lorsque les propriétaires font des modifications qui entraînent une augmentation d’émissions de polluants. Lors de sa promulgation en 1977, cette disposition de la NSR intégrait un compromis : on imposait des normes antipollution strictes lors de la construction de nouvelles centrales électriques, mais les centrales existantes pouvaient retarder l’ajout d’équipement antipollution plus récent et coûteux jusqu’à ce qu’on y entreprenne des rénovations ou qu’elles soient agrandies. La loi permettait aux exploitants de ces installations de continuer à n’effectuer que l’entretien courant.

Cette réglementation assurait aux centrales plus anciennes le temps requis pour amortir les frais relatifs aux travaux nécessaires pour se conformer aux nouvelles normes. Elle permettait également aux organismes de réglementation des états de s’assurer que les normes du programme étaient respectées puisque toute centrale souhaitant entreprendre des rénovations devait leur demander un permis et permettre aux représentants

Scott Richards est analyste principal des politiques sur l’environnement au Conseil des gouvernements des états (Council of State Governments ou CSG). Yvette Hurt est une ancienne analyste de l’environnement pour le CSG; elle s’occupe actuellement de questions de politiques publiques locales et étatiques. Fondé en 1933, le CSG est au service des branches exécutive, juridique et législative des gouvernements des états, et offre des services de qualité dans les domaines de l’éducation, de la recherche et de l’information.

de l’état d’examiner les plans, les spécifications et les documents d’exploitation.

La nouvelle réglementation de l’administration Bush annule ce mécanisme. Les installations industrielles peuvent dorénavant décider à l’interne qu’elles ne sont pas soumises à la loi et n’ont donc pas à demander de permis ni à présenter des plans ou des documents d’exploitation aux organismes de réglementation de leur état pour en faire la preuve.

Un retour en arrière

produits par les centrales électriques, derniers n’atteignent que tels l’anhydride sulfureux et le mercure. Les environnementalistes ont

20 pour cent ou moins du

immédiatement manifesté leurcoût de remplacement de inquiétude : ces changements, qui

s’appliquent à la plupart des industries

importantes du pays, représentent un

net recul de la Clean Air Act.

Les modifications apportées par l’administration Bush à la NSR redéfinissent quelle part de l’entretien et des réparations de routine sera exemptée des mesures antipollution exigeantes du programme. Dans la nouvelle définition, les centrales et autres installations industrielles doivent, pour la première fois, atteindre un seuil déterminé de dépenses en capital avant d’être obligées de se conformer au programme antipollution de la Clean Air Act. La nouvelle réglementation exempterait les travaux de construction, y compris ceux qui servent à modifier ou à agrandir une centrale électrique, si ces derniers n’atteignent que 20 pour cent ou moins du coût de remplacement de la centrale.

La réglementation proposée permettrait aux vieilles centrales électriques, aux raffineries et à toute autre installation industrielle alimentées au charbon non seulement de poursuivre leurs activités, mais aussi de s’agrandir sans avoir à installer une technologie antipollution d’avant-garde.

De plus, les exploitants de ces installations ne seraient pas tenus d’informer les organismes de réglementation des états de projets de rénovations ou de construction à moins que les exploitants aient déterminé à l’interne que leur projet dépasserait 20 pour cent du coût qu’entraînerait le remplacement de l’installation.

Les exploitants de services d’utilité publique font, pour leur part, pression depuis des années pour l’inclusion de ces changements, en faisant valoir que la réglementation actuelle est trop coûteuse et difficile à comprendre. L’administration Bush en remet en affirmant que la réglementation existante nuit à l’environnement; en effet, elle découragerait les entreprises qui souhaitent

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003

moderniser leurs installations plus anciennes. L’administration fédérale ajoute que les exigences de la Clean Air Act encouragent les entreprises à laisser leurs installations se détériorer sans réagir plutôt que de rénover et d’améliorer leur équipement, ce qui ne pourrait se faire qu’à des prix prohibitifs.

Mais certains représentants des différents états et des environnementalistes condamnent la nouvelle réglementation.

Ils font valoir que les changements vont à l’encontre des intentions à la base de la promulgation de la Clean Air Act, en vertu de laquelle les exploitants des centrales plus anciennes devaient moderniser leur technologie antipollution lorsqu’ils rénovaient ou s’agrandissaient, car ces aménagements risquaient probablement d’accroître les émissions polluantes. Ils affirment aussi que la nouvelle réglementation affaiblit le mandat de surveillance exercée par les organismes de réglementation étatiques et locaux sur les activités favorisant les émissions de polluants. Les entreprises seront enclines à limiter leurs dépenses à un maximum de 20 pour cent du coût d’un remplacement complet de leurs installations pour éviter l’ingérence de l’état, mais elles peuvent également être tentées de faire en sorte que leur comptabilité indique toujours que le seuil admissible de dépenses en capital ne soit jamais franchi.

Les représentants des états déclarent qu’en bout de ligne, les émissions polluantes augmenteront probablement chez eux. Par conséquent, ils pourraient éprouver alors de la difficulté à satisfaire les exigences du gouvernement fédéral en matière de réduction de polluants tels le smog et la suie.

Bataille procédurale

La coalition actuelle des états, menée par l’état de New York, qui se bat contre les changements à la NSR comprend le District de Columbia, 6 commissions antipollution californiennes locales et 14 états : New York, la Californie, le Maine, le Maryland, le Massachusetts, le New Hampshire, le New Jersey, le Rhode Island, le Vermont, le Connecticut, le Delaware, l’Illinois, la Pennsylvanie et le Wisconsin.

De plus, lors de sa dernière séance législative (avant le vote dit de rappel (« recall vote ») qui a permis l’élection d’Arnold Schwarzenegger), la Californie est devenue le premier état à promulguer la législation s’opposant aux nouvelles normes fédérales. Le 11 septembre 2003, l’assemblée législative a approuvé un projet de loi qui permettrait à l’état de continuer d’appliquer les anciennes normes de protection de l’environnement. La Clean Air Act permet aux différents états de choisir des normes plus strictes; cependant, l’EPA doit les revoir et les approuver. Les projets de la Californie obligent l’EPA à approuver des normes plus strictes pour la Californie, sinon elle devra s’engager encore une fois dans une bataille juridique contre un état.

En réponse aux états opposés aux réformes de l’administration Bush, huit autres états, soit l’Indiana, le Kansas, le Nebraska, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud, la Caroline du Sud, l’Utah et la Virginie, sont venus appuyer le gouvernement fédéral par une requête. Les dirigeants de ces états déclarent préférer la plus grande souplesse permise dans l’application de la Clean Air Act, et font valoir que les modifications seront bénéfiques à leur région.

L’histoire sans fin de la responsabilité partagée

Historiquement, les administrations locales et les différents états étaient responsables de la réglementation antipollution. En fait, ils étaient en avance de plusieurs décennies sur les lois les plus importantes promulguées par le gouvernement fédéral dans ce domaine. Au milieu des années 1950, le fédéral s’est rattrapé en adoptant une loi sur la lutte contre la pollution de l’eau. Pendant les années 1960 et au début des années 1970, on assiste à l’évolution vers un plus grand contrôle de la part du fédéral, qui applique de plus en plus sévèrement les lois pour lutter contre la pollution de l’eau et de l’air.

La promulgation de la Clean Air Act, en 1970, et de la Clean Water Act, en 1972, constitue les deux gestes les plus importants ayant contribué à modifier les rôles respectifs des états et du fédéral en matière de protection de l’environnement. Grâce à ces actions, le fédéral se trouve à l’avant-scène pour ce qui est de l’établissement de normes antipollution et joue un rôle plus important dans l’application des lois afférentes. Les deux lois donnent plus de pouvoir au fédéral, mais l’EPA s’appuie tout de même de plus en plus sur les états pour la mise en œuvre des programmes de lutte antipollution.

Depuis quelques années, on exerce de plus en plus de pressions pour décentraliser la réglementation concernant l’environnement et remettre plus de pouvoir et de contrôle aux états et aux agences locales. Les associations nationales représentant les états et les organismes qui s’occupent de politiques environnementales prônent toutes une plus grande prise en charge de l’établissement de normes et de leur application par les différents états, de façon autonome, dans le cadre de programmes de protection de l’environnement.

Alors que certains états revendiquent plus de pouvoir dans l’application des lois antipollution, un bon nombre d’autres états ont promulgué des lois pour assouplir la rigueur de la réglementation antipollution de leur propre état. Selon l’EPA, la législation d’un tiers des états contraint les organismes de réglementation à adopter une réglementation de protection de l’environnement n’excédant pas la rigueur de la réglementation fédérale. Les programmes de protection de l’environnement auxquelles ces lois internes s’appliquent varient selon l’état, mais en règle générale, elles détruisent l’équilibre des forces entre les états et le fédéral pour ce qui est de leur pouvoir de réglementation en matière d’environnement. Les états qui doivent, en vertu des nouvelles dispositions, restreindre la rigueur de leur réglementation, remettent, en fait, beaucoup de leur pouvoir entre les mains du fédéral pour l’établissement de normes dans leur état en matière d’environnement.

Un conflit qui met en évidence la complexité des relations entre le fédéral et les états

Nombre de conflits ont surgi dans le sillage du partage des compétences depuis les années 1970. Au début, les états appréciaient la présence du fédéral pour leur prêter main forte dans l’application des lois de protection de l’environnement. Au milieu des années 1990, cependant, beaucoup d’états ont manifesté une frustration grandissante envers la domination du fédéral. Les états avaient alors acquis les compétences professionnelles nécessaires à l’administration des programmes antipollution et préconisaient dorénavant la décentralisation afin de trouver des solutions aux problèmes de pollution. Beaucoup d’états ont opposé une résistance aux nouvelles exigences du fédéral, mais que celui-ci ne finançait pas adéquatement.

Une autre facette intéressante du débat est la fracturation d’affiliations à l’intérieur des partis. Six des états participant à la coalition ont à leur tête des gouverneurs républicains : New York, Massachusetts, Connecticut, New Hampshire, Rhode Island et Maryland. Ces gouverneurs semblent d’accord pour rompre les rangs du parti dans leur combat contre ce qu’ils considèrent comme une menace à l’environnement dans leur état respectif, et aussi comme une menace, tout aussi importante à leurs yeux, au pouvoir de l’état sur les activités industrielles qui sont des sources importantes de pollution.

On attend pour la fin de l’année les derniers commentaires de l’EPA sur les changements apportés à la loi. La bataille sur cette question entre les états et le fédéral n’est pas près de se résorber.

Fédérations vol. 3, no 4, novembre 2003