Affaires institutionnelles. Diana Chebenova et David-Alexandre Mac Donald, deux membres de l’équipe du Forum des fédérations, se sont entretenus avec lui à Brasilia.

Fédérations :

Une année après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement Lula, quel bilan peut-on tirer quant à la réforme des relations fédérales au Brésil?

Vicente Trevas :

Tout le monde s’accorde pour dire que cette première année de la présidence Lula a été marquée par de nouveaux rapports entre les maires du Brésil et le gouvernement fédéral. Elle s’est caractérisée par un rapprochement des programmes municipal et fédéral. La semaine dernière, un événement important s’est déroulé à Brasilia, qui fait désormais partie des rendez-vous incontournables de la politique nationale, la septième Marche annuelle des maires sur Brasilia pour la défense des municipalités.

Ce programme commun est organisé autour de trois thèmes principaux. Le premier est la sécurité sociale et la réforme fiscale. Le deuxième, les mécanismes de transfert des finances, en particulier le moyen de doter les municipalités de ressources fédérales. Le troisième, l’effort pour parachever l’aménagement constitutionnel du système fédéral brésilien. Le gouvernement fédéral, les états et les municipalités admettent que celui-ci est encore imparfait, surtout sur certaines questions. Par exemple, les députés de l’Assemblée constituante de 1988 ont défini ce qu’ils ont appelé des compétences communes des membres de la fédération. Et cette notion, qui n’a pas été réglementée au niveau de la loi, a été perçue par les municipalités comme un mécanisme permettant de leur déléguer des responsabilités sans pour autant leur attribuer les moyens correspondants.

Les trois ordres de la fédération partagent les compétences en ce qui concerne l’environnement, l’éducation et la santé. Il en résulte des chevauchements ambigus, la population demandant par exemple au maire une subvention ou une prestation, alors qu’il s’agit en fait d’une responsabilité partagée avec la fédération.

Fédérations :

De quelle manière les relations entre le gouvernement fédéral et les états se sont-elles améliorées?

Le nouveau dialogue qui s’est instauré sous les auspices du gouvernement Lula a été marqué par l’instauration d’un forum permanent de négociations. Cela est dû au fait que jusqu’alors les relations fédérales étaient bilatérales, se déroulant en fonction de chaque cas, de manière sporadique, sans aucune permanence.

En mars de l’année dernière, en plus de l’établissement d’un calendrier pour les négociations, le gouvernement a donc instauré un forum de négociations appelé Commission fédérale.

Nous abordons un processus d’intégration continentale en Amérique du Sud. Cela fait partie intégrante des nouvelles conditions préalables pour notre développement. Nous sommes conscients du fait que son succès, comme celui du Brésil tout entier, dépend du renforcement du Mercosur, la zone de libreéchange latino-américaine. Il dépend aussi de l’intégration de l’Amérique du Sud. Et il dépend enfin du retour de notre pays dans le giron de la communauté internationale. Nous assistons à des développements très novateurs, qui n’ont pas seulement une portée continentale, mais qui incluent l’Afrique du Sud, l’Inde et la Chine.

Pour que le pays soit capable de travailler simultanément aux différents niveaux de son développement, il faut une vision nonjacobine, une dynamique qui n’est pas celle d’un État unitaire qui exécute le droit national. Certes, nous disposons ici au Brésil d’un aménagement constitutionnel de type fédéral et d’une fédération qui remonte au XXe siècle. Mais nous avons également, dans la dynamique de notre nation, la traditionjacobine d’un État unitaire très fort.

Il est dès lors essentiel de reconnaître que nos états et nos municipalités jouent un rôle important pour le développement national. Nous ne pouvons pas jouer un rôle actif dans le Mercosur si les états du Rio Grande do Sul, de Santa Catarina ou du Paraná ne prennent pas la moindre initiative en la matière et ne montrent aucune sensibilité à cette dimension.

Fédérations :

Quelle est la position du gouvernement sur le libre-échange?

Vicente Trevas :

De nombreuses taxes d’entrée dans notre pays ont toujours représenté un obstacle. Nous devons modifier cette conception et considérer nos frontières comme des ponts. De la sorte, nos villes frontalières auront également pour rôle de faciliter

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

l’intégration continentale. Par ailleurs, nous sommes, comme vous au Canada, un pays aux dimensions d’un continent, et aussi un pays très varié et très inégalitaire.

Il est convenu que sans un renforcement de notre réseau urbain, sans un renforcement des liens entre la production qui se fait sur notre territoire et celle qui passe par nos villes, nous n’assurerons pas notre croissance. Nous devons relever le défi hérité du XXe siècle, qui n’a contribué au développement du Brésil que dans une mesure qui est restée socialement et géographiquement très limitée. Et dire que le Brésil offre un cas d’étude pour le XXe siècle, un cas que les manuels d’analyse en économie politique présentent comme un succès du développement au cours du XXe siècle! Pendant des décennies, nous avons maintenu un taux de croissance élevé, plus de sept pour cent. Toutefois, le niveau de développement que nous avons préservé durant tout le XXe siècle a reproduit les faiblesses récurrentes de notre pays, à savoir ses inégalités sociales et régionales.

Comment peut-on éviter de maintenir ces inégalités sociales et régionales? Cela nous place devant un dilemme dans notre travail, ici au bureau exécutif, pour ce qui est des actions fédérales. Nous croyons que l’aménagement de type fédéral de la nation brésilienne a été conçu depuis plus de 100 ans en grande partie par les classes dominantes. Elles ont dirigé le pays en étant confrontées au problème suivant : comment préserver ses dimensions continentales et sa diversité, reproduisant de fait ses inégalités.

Le système fédéral brésilien a toujours été un processus permettant de rendre supportable le maintien des inégalités, sans endommager le tissu territorial, social et politique du pays. Cela a toujours été un mécanisme de compensation.

Nous sommes désormais en train de conduire la fédération dans une autre direction, de manière à voir comment elle peut être une ressource stratégique pour permettre de ne pas reproduire les inégalités, mais au contraire d’y faire face. C’est ainsi que la fédération est conçue au sein du gouvernement Lula.

Fédérations :

Comment le gouvernement Lula a-t-il travaillé avec les maires et les représentants des états?

Vicente Trevas :

Ce qui a caractérisé le gouvernement Lula et la fédération au cours de cette première année a été avant tout une intense mobilisation fédérale. Le président a participé à quatre réunions avec tous les gouverneurs des états. Et les gouverneurs ont tenu deux réunions macro régionales. La région du Nord-Est a organisé quelque cinq réunions régionales l’an passé, et il y a également eu des réunions dans le Nord, le Centre-Ouest et d’autres régions.

Mais il n’en demeure pas moins que cette intense mobilisation fédérale est restée bilatérale; cela n’a pas été une mobilisation globale. Elle a réuni soit le gouvernement fédéral et des états, soit le gouvernement fédéral et des municipalités. Nous admettons que nous devons préparer une transition à la participation générale. La fédération brésilienne en tant que telle a pourtant un programme et des problèmes communs qui réclament la participation de tous. Au cours d’une marche la semaine dernière, il y a eu un important rassemblement, une véritable rencontre fédérale regroupant le gouvernement fédéral, les gouverneurs et les maires, révélatrice de l’effort entrepris pour inaugurer cet idéal fédéral plus global.

L’Assemblée constituante de 1988 a retiré au gouvernement fédéral une compétence qui lui appartenait, la réglementation des politiques publiques pour les régions métropolitaines, pour la confier aux états. Ce transfert de compétence a engendré de grandes inégalités. Ainsi, la plus grande région métropolitaine du pays, celle de São Paulo et ses environs avec ses 17 millions d’habitants, n’a pas été redessinée selon l’esprit de la Constitution de 1988.

Dans les années 70, il y avait une autorité de l’État chargée de la région métropolitaine – un Secrétariat aux affaires métropolitaines. Pourtant, l’aménagement des années 70 n’était pas véritablement fédéral puisqu’il était dominé en sous-main par les militaires. Et bien qu’ils aient maintenu l’apparence d’une fédération, celle-ci était dirigée d’en haut. Les gouverneurs étaient nommés par le président qui, de son côté, désignait directement les maires des capitales des états. Et puis il y avait un conseil consultatif qui n’était rien d’autre qu’une façade.

La crise économique que traverse le pays est bien plus dramatique dans les régions métropolitaines. Le taux de chômage y est nettement plus élevé, et toute une série de problèmes y couvent en raison d’une absence de solutions globales. La région métropolitaine de São Paulo, pour reprendre cet exemple, est presque paralysée. La congestion du trafic atteint un niveau insupportable parce que nous n’avons pas d’accord fédéral sur le transport urbain.

Actuellement, la société prend conscience du fait qu’il est impossible de faire face à la question de la sécurité publique – aujourd’hui une responsabilité que la Constitution attribue aux états – si nous n’avons pas un nouveau pacte fédéral. Le gouvernement Lula, depuis son accession au pouvoir, a proposé que la sécurité publique relève d’un système unifié.

Fédérations :

Comment le Brésil peut-il faire face à la gestion métropolitaine, avec tous les problèmes que connaissent ses villes?

Vicente Trevas :

Nous devons établir un nouveau pacte fédéral, mais aussi de nouveaux accords touchant l’union fédérale, les états fédérés et les municipalités et, à travers eux, créer des institutions et des procédures adéquates.

Il faut résoudre la question des transports, celle du logement, la question sanitaire et celle de la sécurité publique. Ce catalogue comporte un grand nombre de problèmes. Pour en venir à bout, il faudra élaborer un arrangement qui impliquera les trois ordres de gouvernement.

Nous devons redéfinir la structure de gestion publique dans les zones métropolitaines, parce que l’aménagement prévu par certains états s’est révélé insuffisant. On y trouve parfois des conseils de développement délibérants, ou encore un conseil dont l’autorité est répartie à parts égales entre le gouvernement de l’état et les municipalités, ou enfin une agence pour le développement, comme l’ont créée certaines régions.

En ce qui concerne l’agence à Santos, selon mes informations, les résultats ont été maigres. Les municipalités expédient leurs déchets dans les montagnes. C’est un échec qui hypothèque la possibilité d’une administration publique métropolitaine, dès l’instant où une région est incapable d’aboutir à un accord concernant la gestion de ses déchets. Il nous faudra donc conclure de nouveaux accords concernant nos procédures institutionnelles et la question des politiques publiques.

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004