Les Européens vont-ilsaccepter une Constitutionpour l’Union?

L’Europe confrontée à son plus grand changement et à des électeurs désillusionnés

PAR ARIELLE ROUBY

Maintenant que l’Union européenne s’est élargie à25 États membres (comprenant pratiquement tous les pays d’Europe centrale et de l’Est), l’adoption d’une Constitution représente son plus grand défi (mis à part le déclin du taux de participation aux élections européennes).

Le 10 juillet 2003, Valéry Giscard d’Estaing, président de la Convention sur l’avenir de l’Europe, a présenté un projet de traité constitutionnel pour l’Europe. Ce projet a été élaboré par 207 représentants politiques de divers ordres de gouvernementet issus de 28 pays (les 25 États membres de l’Union depuis le 1er mai 2004, ainsi que trois pays candidats : la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie). Le résultat de plus d’un an de travail acharné est étonnant, car le projet de Constitution propose quelques changements radicaux pour l’Europe élargie. La Constitution remplacerait tous les précédents traités de l’Union, allant du traité établissant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (Paris 1951) jusqu’au Traité de Nice (2001).

On peut dire que le projet de Constitution rendrait lefonctionnement de l’Union plus proche de celui d’un État fédéral. Plus important encore, la Constitution ferait de la Charte des droits fondamentaux, adoptée en 2000 par l’Union, un document légal ayant force exécutoire. La Charte bannit explicitement la peine de mort et garantit le droit au mariage et le droit à l’objection de conscience qui « est reconnu selon les lois nationales qui en régissent l’exercice ». Tout citoyen de l’Unionest libre de chercher un emploi et de travailler dans tout État membre. Enfin, tout citoyen a le droit de vote et d’éligibilité auxélections européennes et municipales dans l’État membre où il ou elle réside.

Dans quelle mesure l’Union va t-elle changer?

La Constitution créerait également le poste de ministre des Affaires étrangères de l’Union, qui combine le travail du commissaire aux relations extérieures (actuellement Chris Patten) et du haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) (actuellement Javier Solana). La Constitution donnerait la possibilité au Conseileuropéen (composé des chefs d’État et de gouvernement desÉtats membres) d’élire un président pour une durée maximale de cinq ans. La présidence de l’Union européenne passe actuellement d’un pays à un autre tous les six mois. La Constitution exigerait également d’autres changements importants :

  • la « coopération structurée » en matière de défense

  • l’institution d’une plus petite Commission européenne, organe chargé de prendre des initiatives pour l’intérêt de l’Union et d’appliquer son droit

Arielle Rouby est rédactrice en chef de New Federalist (le magazine des Jeunes Européens Fédéralistes, JEF-Europe, www.jef-europe.net), et membre du Réseau international jeunesse du Forum. Fédérations présentera régulièrement des articles rédigés par les membres du réseau.

  • une augmentation des domaines dans lesquels le Parlement européen et le Conseil européen légifèreraient conjointement

  • une simplification du système de vote au sein du Conseil des ministres

  • pour la première fois dans l’histoire de l’intégrationeuropéenne, une clause de sortie pour les États membres qui souhaiteraient quitter l’Union

Selon les sondages, plus de 60 pour cent des citoyens européens souhaitent avoir une Constitution pour l’Union. Jusqu’à présent,les chefs d’État et de gouvernement des États membres n’ont toutefois pas encore abouti à un compromis concernant l’adoption de la Constitution. Lors du dernier sommet du Conseil européen, au mois de mars, les dirigeants européens ont remis le débat constitutionnel à l’ordre du jour. Ils se sont engagés à proposer une version définitive de la Constitution pour le prochain sommet de l’Union en Irlande. La ratification de la Constitution européenne pourrait prendre un certain temps, dans la mesure oùdes États membres veulent imposer des modifications.

Même si tous les États membres de l’Union adoptaient la version actuelle de la Constitution en Irlande, rien ne serait gagné. Notons que Tony Blair a récemment annoncé qu’un référendum sur la Constitution aurait lieu en Grande-Bretagne en 2005; de même, l’Irlande, le Danemark, les Pays-Bas, la France, l’Espagne, le Portugal, la République tchèque et le Luxembourg vont fortprobablement tenir des référendums en 2005. À ce jour, personne ne peut mesurer les conséquences politiques pour l’Union sicertains États membres refusent la Constitution. Néanmoins, d’un point de vue légal, la Constitution ne peut remplacer les traitésactuels que si les 25 États membres acceptent cette dernière à l’unanimité. Au sein des institutions européennes cependant, oncraint fort que certains États ne refusent la Constitution. Pour cette raison, la Commission européenne défend l’idée d’un référendum (scrutin de ratification) pan-européen simultané.

Le plus bas taux de participation jamais enregistré

L’autre grand défi pour l’Union européenne est de convaincre ses citoyens d’aller voter lors des prochaines élections européennes. Le dernier sondage publié par la Commission européenne montre que seulement la moitié des Européens interrogés sont susceptibles d’aller voter. En outre, moins de la moitié des citoyens s’expriment favorablement face à leur adhésion à l’Union. Jamais n’a-t-on constaté un tel désintérêt pour la cause européenne.

Mais dans un avenir proche, la Constitution et les élections européennes ne sont pas les seules préoccupations de la nouvelle Union élargie car les dirigeants européens doivent également se mettre d’accord sur la nomination du nouveau président de la Commission européenne. Il en est de même quant à la Turquie et les négociations d’accession à l’Union car jusqu’à la fin de cette année, il faudra qu’une décision soit prise. Si la Turquie fait partie de l’Union, elle en sera le premier pays musulman. Notons tout de même que le défi d’une Constitution fédérale demeure la plus grande tâche inachevée de l’Union européenne.

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

12