Le Parti du Congrès en Inde : le retour

Suite à la victoire de la coalition nouvellement élue, les états détiennent l’équilibre du pouvoir.

PAR RUPAK CHATTOPADHYAY

la politique publique.

sein de la coalition, notamment de ce parti Le 13 mai 2004, une improbable victoire a permis au Parti du Congrès de remporter le plus grand nombre de sièges à la Chambre basse du Parlement indien (Lok Sabha). Contre toute évidence, le Congrès a réussi à renverser la coalition conduite par le premier ministre Vajpayee, du parti nationaliste BJP. Mais sans majorité absolue, le Parti du Congrès a dû former la première coalition de son histoire à Delhi et nommer

M. Manmohan Singh premier ministre, en lieu et place du chef du Parti, Mme Sonia Gandhi, Italienne d’origine. La coalition formée par le Congrès ne dispose que de 215 sièges – soit 58 de moins que la majorité à la Lok Sabha. L’opposition conduite par le BJP peut compter de son côté sur 187 sièges. Pour se maintenir au pouvoir, le Parti du Congrès doit s’assurer le soutien de deux partis communistes qui ne font cependant pas partie de la coalition gouvernementale.

Le résultat des élections était inattendu. Le Parti du Congrès a été lui-même tellement surpris qu’il lui a fallu plus d’une semaine pour former un gouvernement. Le verdict des urnes est unique à plus d’un titre. Ainsi, c’est la première fois que le Parti du Congrès s’est présenté devant les électeurs en ayant conclu une alliance préélectorale. Par ailleurs, les partis de gauche ont eux aussi réalisé le meilleur score de leur histoire, raflant quelque 60 sièges au Parlement – ce qui les place de facto en position d’arbitres.

Une coalition précaire

Le Parti du Congrès n’est pas seul maître à bord de sa propre coalition, parce qu’il a nettement moins de sièges que les 186 du BJP dans l’ancien parlement. Cela pourrait bien faire du nouveau gouvernement l’otage des caprices de ses partenaires au

basé au Bihar qui dispose de 21 sièges ou de cet autre du Tamil Nadu avec 16 sièges. Ces partis ont déjà exprimé de violentes objections à propos de la répartition des portefeuilles ministériels. Pendant ce temps, deux partis communistes – le premier d’obédience marxiste avec 43 sièges et le second avec 10 sièges – ont décidé de ne pas rejoindre la coalition. Concrètement, cela signifie qu’ils peuvent exercer le pouvoir sans en prendre la responsabilité, une attitude potentiellement déstabilisatrice. Mais à l’heure actuelle tous les partis soutenant la coalition gouvernementale sont portés par leur opposition à la coalition dirigée par le BJP, à la fois au niveau fédéral et dans les états.

Bien que le fédéralisme ne figure pas explicitement au programme du nouveau gouvernement, la composition de celui-ci est représentative des intérêts des états. La nomination

Rupak Chattopadhyay est gestionnaire de programmes au Forum des fédérations.

de M. Manmohan Singh au poste de premier ministre réaffirme la laïcité de l’Inde. C’est la première fois que le chefde l’État (le président Kalam, un Musulman) et le chef du gouvernement (le premier ministre Singh, un Sikh) sont tous deux issus des minorités indiennes.

Les partis régionaux partagent le pouvoir

Tous les partis qui soutiennent le nouveau gouvernement disposent d’un ancrage régional. Par exemple, le Rashtriya Janata Dal est basé dans le Bihar, le Dravida Munnetra Kazhagam vient du Tamil Nadu, le Parti démocratique du

peuple s’enracine au Cachemire et l’électorat du Parti communiste de l’Inde (marxiste) est basé dans le Bengale-Occidental et le Kerala. La relative faiblesse du Parti du Congrès au sein de la coalition garantit que les questions régionales et les relations entre le centre et les états vont prendre une place prépondérante dans tous les secteurs de

Depuis 1996, les partis régionaux ont

joué un rôle important dans la politique nationale. Le parti qui a dirigé l’Andhra Pradesh jusqu’à cette année, le Telegu Desam, a utilisé sa position d’allié privilégié de la coalition gouvernementale de Vajpayee pour faire bénéficier son état d’une aide au développement à grande échelle. Sur ce genre de problèmes, le nouveau gouvernement dirigé par le Parti du Congrès pourrait bien être le reflet du précédent. Au cours de sa première conférence de presse, le premier ministre Singh a mis l’accent sur l’importance de relations harmonieuses entre le centre et les états.

Le Parti du Congrès affronte les exigences des régions

Pour ce qui est des questions liées au fédéralisme, le nouveau gouvernement devra également affronter un certain nombre de nouveaux défis :

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Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

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Les états gouvernés par les alliés du Congrès font pression pour obtenir un soutien : les fonds pour le développement distribués par la Commission de planification (voir encadré « Deux commissions sous la loupe ») ont souvent été attribués comme une récompense du clientélisme politique plutôt que sur la base de critères objectifs. Avec un nouveau gouvernement central, les états qui sont dirigés par le Parti du Congrès et ses alliés pourraient bien espérer recevoir des subventions à la place de ceux qui sont aux mains de l’ancienne coalition. M. Laloo Prasad Yadav, du Rashtriya Janata Dal, un allié essentiel du nouveau gouvernement, a déjà exprimé son intention d’obtenir un plus grand soutien financier pour le Bihar.

La révocation des gouvernements d’état : la Constitution de l’Inde permet au gouvernement central de révoquer n’importe quel gouvernement d’état (en principe, un échec dans lesrouages constitutionnels de l’État). Cette procédure a été instaurée dans l’idée de faire face à des situations d’urgence, mais bien souvent, elle a servi de prétexte pour révoquer des gouvernements dirigés par des partis d’opposition. D’ores et déjà, le Dravida Munnetra Kazhagam et ses alliés font pression sur le nouveau gouvernement dirigé par le Congrès pour l’aider à régler ses comptes avec ses opposants au Tamil Nadu en révoquant le gouvernement de l’état. Les partis d’opposition au Gujarat pourraient en faire de même pour que le nouveau gouvernement central révoque le gouvernement BJP de cet état – un exécutif conduit par M. Modi. Dans ce cas,

le motif invoqué serait

le fait de ne pas avoir

su prévenir les émeutes

intercommunautaires

qui ont embrasé l’état

en 2002.

La révocation des

gouvernements d’état

n’est pas toujours

simple; elle requiert

l’approbation des deux

Chambres du

Parlement. Mais si le nouveau gouvernement dispose de la majorité à la Lok Sabha, l’opposition et ses alliés font jeu égal à la Chambre haute du Parlement, la Rajya Sabha. Or, le 21 juin 2004, l’Inde organise des élections partielles pour cette Chambre dans 14 états, afin de repourvoir quelque 60 sièges laissés vacants par la retraitede plusieurs membres. Étant donné les victoires éclatantes du BJP dans trois élections régionales au mois de novembre 2003 et le renforcement de sa position dans le parlement nouvellement élu du Karnataka, on s’attend à ce que le BJP et ses alliés obtiennent la majorité à la Rajya Sabha. Cela pourrait bien réduire à néant les efforts déployés pour révoquer un gouvernement d’état, même s’il est certain que les alliés du Congrès vont maintenir leur pression.

Une revendication pour la création d’un nouvel état : En même temps que les élections nationales pour la Lok Sabha, des élections régionales se sont déroulées dans l’Andhra Pradesh.À cette occasion, un parti allié au Congrès a demandé la création d’un nouvel état appelé Telengana, dont le territoire devrait être détaché de celui de l’Andhra Pradesh. Ce nouveau parti, dénommé Telengana Rashtriya Samiti, représente les intérêts d’une région pauvre et économiquement sousdéveloppée de l’état, qui s’appelle précisément Telengana. La

Deux commissions sous la loupe

La Commission indienne des finances est composée de cinq membres, en majorité des spécialistes économiques et financiers. Elle est nommée tous les cinq ans par le président.

La Commission tire son autorité directement de la Constitution, et non pas du gouvernement « en place », que ce soit au niveau fédéral ou dans les états. Son rôle principal est de répartir les recettes d’un certain nombre de taxes fédérales et de contributions indirectes énumérées par la Constitution, tant entre les deux niveaux de gouvernement qu’entre les états. Elle détermine aussi l’aide extraordinaire qui doit être fournie aux états les moins fortunés pour leur permettre d’augmenter leurs ressources, naturellement à la charge des états les mieux lotis.

Les montants péréquatifs globaux transférés vers les états par la Commission des finances sont parfois moindres que ceux qui le sont par la Commission de planification, une institution du gouvernement fédéral, instaurée en 1950 par voie de résolution parlementaire, et qui est dirigée par le premier ministre.

Ces deux commissions, qui procèdent à des transferts en faveur des états, tirent leurs ressources exclusivement du gouvernement fédéral. Celui-ci est constitutionnellement obligé de répartir les produits de certaines taxes en fonction d’une clé de répartition fixée dans la Constitution, dont les montants sont ensuite fixés sur la base des recommandations de la Commission des finances. Mais la somme additionnelle que le gouvernement fédéral peut allouer aux états reste à la discrétion de celui-ci; elle est canalisée par la Commission de planification et dépend de la manière dont le gouvernement fédéral envisage le « Plan quinquennal ». La distribution de fonds supplémentaires aux différents états suit également certains principes, qui ont évolué au cours du temps.

raison pour laquelle le Parti du Congrès a conclu une alliance préélectorale avec ce parti tenait à l’incertitude dans laquelle il se trouvait de pouvoir défaire seul le gouvernement d’Andhra Pradesh.

Il s’est cependant avéré que le Parti du Congrès a gagné suffisamment de sièges à lui tout seul. Par conséquent, lasituation s’est complètement modifiée. À l’heure actuelle,

Y. S. Rajshekhar Reddy, nouveau ministre en chef du Parti du Congrès d’Andhra Pradesh, essaie de tempérer les exigences de son allié pour un nouvel état. Le Telengana Rashtriya Samiti fait certes partie de la coalition gouvernementale, tant dans l’état qu’au niveau fédéral, mais son influence y demeure relativement limitée. C’est ainsi qu’il a menacé de fomenter des troubles à l’ordre public pour contraindre le gouvernement de l’état et celui du pays de créer ce nouvel état. Une telle agitation pourrait paralyser une grande partie du Nord-Ouest de l’Andhra Pradesh. Le gouvernement dirigé par le Congrès est bien conscient qu’en trahissant le Telengana il fragiliserait sa position dans le reste de l’état. Mais quoi qu’ils fassent, les nouveaux dirigeants, aux niveaux national et régional, pourraient se retrouver devant un choix cornélien : soit accepter un nouvel état, soit endurer des troubles dans la région du Telengana.

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004