de pétrole et les autres.

Au Nigeria, le secteur pétrolier est une véritable mine d’or –

Port Harcourt,

tout ce qui le touche a des répercussions immédiates sur la

dans une région

fédération nigériane. Le pétrole fournit en effet la plus grande

productrice de

partie des ressources qui permettent le fonctionnement des

pétrole au Nigeria

trois ordres de l’État : le gouvernement fédéral, les gouvernements des 36 états et les 774 conseils locaux reconnus

La réforme du secteur pétrolier met la fédérationdu Nigeria à rude épreuve

Le Nigeria doit faire face aux tensions entre les états producteurs

PAR KINGSLEY KUBEYINJE

par la Constitution. De la sorte, lorsqu’en janvier 2004 le gouvernement fédéral annonça une accélération de la politique de privatisation, associée à une libéralisation de l’économie, ce secteur fut le premier à en ressentir les effets.

Les états producteurs de pétrole dans le Sud du pays commencent à engranger les énormes gains résultant de l’ouverture du secteur à de plus grands investissements privés. Cette situation a incité les gouvernements des états situés dans le Nord du pays – dans des zones qui ne produisent pas de pétrole – à faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il reprenne immédiatement la prospection sur leurs territoires, particulièrement dans le bassin du lac Tchad et le fossé de la Bénoué.

L’ouverture du secteur pétrolier se traduit par un accroissement régulier des offres d’emploi et des occasions d’investissement, de même que par une amélioration des infrastructures et une augmentation des revenus générés à l’interne – autant de développements qui tendent à favoriser les états pétroliers du Sud et leurs habitants. Le gouvernement de Rivers, par exemple, a conclu des partenariats avec trois firmes étrangères dans le seul but d’acquérir une participation majoritaire de 51 pour cent dans les deux raffineries fédérales situées sur le territoire de l’état. Celles-ci figurent sur la liste des entreprises publiques vouées à la privatisation, selon le programme préconisé par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. De son côté, le gouvernement d’Akwa Ibom, autre état producteur de pétrole situé dans le Sud du pays, met en chantier la construction d’une raffinerie, en partenariat avec des investisseurs privés.

Le Nigeria adopte les réformes du FMI et de la Banque mondiale

À la suite d’un accord conclu avec le FMI en 1999, le gouvernement fédéral a accepté des réformes tournées vers l’économie de marché, dans le but d’attirer davantage d’investisseurs privés dans les divers sous-secteurs de l’industrie pétrolière. En janvier 2004, le président Olusegun Obasanjo a même annoncé une « privatisation accélérée » de celle-ci.

Avec une dette qui se montait à 28 milliards de dollars américains lors de son arrivée au pouvoir en mai 1999 et qui

Kingsley Kubeyinje est rédacteur à l’agence de presse nigériane (NAN), qui appartient au gouvernement fédéral du Nigeria.

n’a cessé d’augmenter depuis pour atteindre 32,9 milliards au début de cette année – une véritable « épée de Damoclès » – le gouvernement fédéral a dû accepter le programme de réforme imposé par les institutions de Bretton Woods, qui comprenait l’ouverture de l’économie et la privatisation de toutes les entreprises publiques peu performantes. Le Nigeria a eu besoin du soutien du FMI et de la Banque mondiale pour laisser libres les voies du crédit international, mais aussi pour sortir son économie du marasme. Jusqu’à présent, la vente de certaines de ces entreprises, parmi lesquelles des banques, des compagnies d’assurance et des cimenteries, a rapporté quelque 310 millions de dollars au gouvernement fédéral.

D’un point de vue strictement économique, l’ouverture du secteur pétrolier s’avère donc payante.

La presse nigériane s’est par exemple largement fait l’écho du fonds d’investissement extraterritorial mis sur pied par l’Institut canadien du pétrole, pour inciter les investisseurs potentiels en manque de liquidités à être actifs dans la prospection et la production pétrolières au Nigeria (mais aussidans d’autres États d’Afrique). Jusqu’à présent, la participation au secteur pétrolier s’est déroulée pour l’essentiel « en vase clos », et elle a été largement dominée par les multinationales avec lesquelles le gouvernement avait signé des accords de coentreprise. Dans le domaine de l’exploration et de l’extraction du pétrole, seules les grandes sociétés semblaient disposer des capitaux, de la technologie et de l’expérience nécessaires.

Le gouvernement fédéral domine toujours les coentreprises

Suivant sa nouvelle politique, le gouvernement fédéral a accordé 24 licences à 31 compagnies locales pour produire du brut dans des zones officiellement désignées comme « champs pétrolifères marginaux ». De taille plutôt réduite, ils se situent dans le delta du Niger, dans le Sud du pays; chacun d’eux dispose de réserves d’environ 17 millions de barils de brut et peut produire jusqu’à 10 000 barils par jour. Ces sites avaient été abandonnés il y a de nombreuses années par les multinationales qui les considéraient comme non rentables.

Le gouvernement fédéral a également octroyé 18 licences provisoires à certaines firmes pour leur permettre de construire des raffineries privées. Plusieurs états du Nigeria méridional, et certains de leurs citoyens les plus fortunés, figurent au

Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

Le pétrole dans la Constitution

Au Nigeria, la Constitution de 1999 réglemente la propriété des ressources naturelles, de même que la répartition des revenus du pétrole entre les états. La première question est régie par l’article 44, au paragraphe 3, qui précise : « L’intégrale propriété de, et le contrôle sur tous les minéraux, huiles minérales et gaz naturel dans, sur ou sous un bien-fonds au Nigeria, mais aussi au-dessus ou au-dessous de ses eaux territoriales et de sa zone économique exclusive, appartient au gouvernement de la fédération. »

La seconde question est traitée par l’article 162, au paragraphe 2 : « Le président […] doit présenter devant l’Assemblée nationale des propositions visant la distribution des revenus du budget fédéral et, lorsqu’elle en détermine la formule, l’Assemblée nationale doit prendre en compte les éléments péréquatifs, en priorité la population, l’égalité entre les états, le revenu intérieur, la superficie, la nature du territoire ainsi que la densité de population. »

premier rang des investisseurs dans quelques-unes de ces compagnies.

Dans le contexte de sa politique de privatisation, le gouvernement fédéral a décidé de dénationaliser la Compagnie nationale de pétrole du Nigeria (Nigerian National Petroleum Corporation, NNPC) elle-même et sa douzaine de succursales. Alors que 51 pour cent de l’entreprise seront vendus aux grands investisseurs, les 49 pour cent restants le seront uniquement aux Nigérians.

À l’heure actuelle, par l’intermédiaire de la Compagnie nationale de pétrole du Nigeria, le gouvernement fédéral dispose en moyenne de 57 pour cent des actions dans tous les accords de coentreprise qu’il a conclus avec des sociétés pétrolières multinationales installées dans le pays. Même après la privatisation, le gouvernement fédéral conservera cette quote-part. En plus de la position que lui garantit la constitution, cela lui permettra de continuer à jouer un rôle prédominant dans l’économie nationale (voir encadré « Le pétrole dans la Constitution »).

Revenus du pétrole au Nigeria : qui reçoit quoi?

Le Nigeria produit quotidiennement quelque 2,3 millions de barils de brut. Les gains réalisés lors de leur vente représentent 40 pour cent du PNB, 80 pour cent de ses revenus totaux et 95 pour cent de ses recettes en devises étrangères. Le tableau ci-dessous présente l’allocation des revenus à certains états spécifiques, qu’ils soient producteurs de pétrole ou pas.

État Attribution fédérale Attribution à chaque (en naira) état (en naira)

  1. Abia 1 037 347 233,58 262 240 525,56

  2. Akwa Ibom 1 062 315 132,97 2 472 435 790,43

  3. Bayelsa 840 263 873,01 3 069 322 769,32

  4. Borno 1 348 852 300,10 néant

  5. Kano 1 711 666 760,40 néant

  6. Lagos 1 575 021 719,80 néant

*** Taux de change en vigueur : 1 $ US = 130 naira Source : Revenue Mobilisation Allocation and Fiscal Commission (RMAFC)

Les états du Nord réclament leur part

Cette situation crée des tensions entre les états producteurs de pétrole et ceux qui ne le sont pas – tensions exacerbées par la pratique qui consiste à attribuer 13 pour cent des revenus du pétrole aux états producteurs. Cette allocation spéciale, prévue par la constitution, et qui se monte à plusieurs centaines de millions de naira pour chacun des états qui produit de l’or noir, représente la cerise sur le gâteau de la subvention mensuelle que les états reçoivent de la caisse fédérale (voir encadré « Revenus du pétrole au Nigeria »).

À cause de la concurrence entre les demandes et les fonds qui ne cessent de baisser, le gouvernement fédéral semble pour l’instant peu pressé de contraindre les multinationales du pétrole installées dans le pays à entamer une nouvelle campagne de prospection dans le Nord. De tels efforts se sont révélés vains dans le passé en dépit d’un coût prohibitif de 374 millions de dollars. Les états du Nord ont ainsi tendance à considérer que le manque d’enthousiasme du gouvernement fédéral à l’égard de leurs demandes témoigne de son « insensibilité » vis-à-vis de leurs aspirations.

Les états du Nord sont persuadés qu’il est possible de trouver de grandes quantités de pétrole dans le bassin du lac Tchad, et qu’ils peuvent même ouvrir la voie à son exploitation dans la section du bassin qui se trouve sous souveraineté tchadienne.

Pour les gouvernements des états du Nord, le fait de ne pas avoir trouvé de pétrole, ni dans le fossé de la Bénoué ni dans le secteur nigérian du bassin du lac Tchad est, d’une certaine manière, « délibéré et politique », pour maintenir cette zone géopolitique sous la dépendance économique permanente des revenus générés dans le Sud du Nigeria.

«Ce qui est bon pour le Sud du Nigeria doit l’être aussi pour le Nord », déclare Adamu Musa, un activiste politique et une voix influente dans le Nord. « Dans la mesure où le gouvernement fédéral est en train d’investir des ressources considérables pour prospecter de nouveaux gisements pétrolifères dans le Sud, il devrait en faire de même dans le Nord. Dénier au Nord la possibilité de profiter de cette richesse équivaut à voler Pierre pour payer Paul ».

Modu Sheriff, gouverneur de l’état de Borno – le principal bénéficiaire dans l’éventualité de la découverte de pétrole en quantités commerciales dans le bassin du lac Tchad – prévient que les habitants du Nord vont continuer à faire pression pour que la prospection redémarre dans leur zone géopolitique. Il rappelle qu’il a fallu beaucoup d’efforts avant de pouvoir commercialiser le pétrole foré à Oloibiri, dans l’état méridional de Bayelsa, en 1956. C’est pourquoi il a récemment insisté auprès de la direction de la Compagnie nationale de pétrole du Nigeria, sur la nécessité de relancer sans délai la prospection dans le bassin du lac Tchad. Selon lui, ce n’est que justice de donner à toutes les composantes de la fédération le sentiment de participer pleinement à la répartition des ressources.

Tout le monde veut participer à l’entreprise

Même dans le Sud, les états qui ne produisent pas de pétrole souhaitent pouvoir bénéficier de cette prospérité. L’état d’Ogun, dans le Sud-Ouest du Nigeria, qui a vu naître le président Olusegun Obasanjo, n’a pas hésité à prendre le taureau par les cornes. Son gouverneur, Gbenga Daniels, a informé la Compagnie nationale de pétrole du Nigeria qu’il avait cautionné un emprunt de 50 millions de dollars afin

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Fédérations vol. 4, no 2, juillet 2004

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d’entreprendre des études sismiques et découvrir les gisements de pétrole et de gaz que le sous-sol de l’état pourrait receler.

« Nous voulons aussi devenir un état producteur. Nous pensons que du pétrole et du gaz se trouvent en quantités commerciales sur les rives de l’Ogun et l’île de Tongeji. Les relevés géologiques faits il y a 40 ans l’indiquaient. Une exploration détaillée des gisements pourrait commencer après les études », a-t-il précisé.

Peu avant sa disparition l’an passé, le roi de Lagos, Adeyinka Oyekan, évoqua publiquement en des termes éloquents son désir de voir Lagos rejoindre la ligue des producteurs de pétrole. Comme s’il ne faisait pas confiance aux cartes géologiques modernes, le monarque de 85 ans avait recouru à des relevés établis par les colonisateurs britanniques au tournant du XXe siècle et qui, selon lui, prouvaient que Lagos renfermait des gisements de pétrole. Il s’était réjoui d’exposer ces cartes dans son palais et avait invité les autorités fédérales et la Compagnie nationale de pétrole du Nigeria à entreprendre immédiatement la prospection dans son état.

Dans une nation politiquement instable et religieusement fragmentée comme le Nigeria – où la moindre querelle domestique entre blanchisseuses ou écoliers bagarreurs peut dégénérer en grave conflit ethnique – les divers grondements qui se font entendre, surtout dans le Nord, prennent des allures d’autant plus inquiétantes que le président Obasanjo est originaire du Sud, même si ce n’est pas d’un état producteur de pétrole.

Les revenus de l’or noir sont si importants pour la fragile fédération nigériane que les citoyens les mieux informés admettent souvent qu’il s’agit d’une sorte de cordon ombilical qui permet à lui tout seul de réunir les différents groupes ethniques. Certains ont même ajouté : « Enlevezlui la richesse du pétrole et la fédération nigériane

s’écroulera comme un vulgaire château de cartes ».