Les cantons suisses et la Confédération : qui fait quoi et qui paie?

PAR PASCAL BULLIARD

Les citoyens suisses ont accepté de transférer des fonds aux cantons les plus pauvres et aux cantons montagnards pour assurer les services publics; ils ont aussi accepté de désenchevêtrer les tâches des cantons et de la Confédération. Lors du vote référendaire du 28 novembre 2004, plus de 64 pour cent des votants et 23 des 26 cantons ont opté pour la réforme. Seuls les petits cantons de Nidwald, Schwyz et Zoug ont refusé.

Afin d’améliorer le programme de péréquation financière entre les cantons, le Parlement suisse avait adopté un ensemble de mesures, présentées aux citoyens suisses dans le cadre d’un référendum obligatoire. Ces mesures impliquent 27 amendements à la Constitution qui exigeront la modification de nombreuses lois. Le projet de péréquation financière, qui avait auparavant été accepté par les deux chambres du Parlement suisse, a même remporté le soutien de Zurich et de Genève, deux cantons qui ne bénéficieront pas de la nouvelle loi. La réforme vise le désenchevêtrement des tâches de deux niveaux de gouvernement. Cela représente un développement important du fédéralisme suisse et montre que ce dernier est non seulement vivant, mais capable de s’adapter à de nouveaux défis.

La réforme intervient sur quatre points :

    Elle désenchevêtre les tâches de deux niveaux de gouvernement (Confédération et cantons).

  1. Elle suit le principe de subsidiarité (un service public doit être fourni par le niveau de gouvernement qui l’assurera le mieux).

  2. Elle élimine les faux stimulants contenus dans le système de transferts.

  3. Elle réduit les différences entre les cantons financièrement forts et ceux à capacité financière restreinte.

Le système actuel de péréquation financière est perçu comme favorisant la centralisation, créant des redondances et rendant la prise de décision longue. C’est un instrument complexe et

Pascal Bulliard était chargé de recherche à l’Institut du Fédéralisme de Fribourg (Suisse) lorsqu’il a écrit cet article. Il travaille maintenant à la Formation à la conduite stratégique de la Chancellerie fédérale à Berne. Les opinions exprimées dans cet article sont propres à l’auteur.

difficilement gérable. Quelque 30 lois règlent les flux financiers de 15 milliards de francs suisses entre la Confédération et les cantons.

Dans la Suisse d’aujourd’hui, de grandes différences existent entre les cantons en terme de taille, de PNB et de population – allant de Zurich avec ses 1,2 million d’habitants (un sixième de toute la population résidant en Suisse) à Appenzell Rhodes-Intérieures avec ses 15 000 personnes.

La péréquation financière existe depuis 1959

Le système de péréquation financière entre les cantons n’a été établi qu’en 1959, lorsque le gouvernement fédéral reçut le mandat constitutionnel de le mettre en place. La loi concernant la péréquation financière a pour but de fournir aux cantons lesmoyens pour mener à bien leurs fonctions dans un État fédéral et offrir à leur population les services de base.

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005

La Confédération suisse paie des subventions fédérales aux cantons. La distribution de ces subventions est basée sur ce que la loi appelle la « capacité financière » des cantons. La formule pour calculer ces subventions tient compte des impôts prélevés par chaque canton, qui se voit attribuer un index. Un canton dont l’index est d’au moins 120 est considéré comme ayant une capacité financière élevée et ne recevra donc aucune subvention autre que les subventions fixées. Les cantons ayant un index de 60 ou moins recevront les subventions à un taux maximal. Pour les cantons entre deux, un taux flottant sera appliqué. La capacité financière des cantons n’est pas seulement utilisée pour le calcul des subventions, mais aussi pour celui de la répartition des revenus et pour déterminer les contributions cantonales à la sécurité sociale.

La somme totale des transferts financiers excède les 7,5 milliards de francs suisses par an. Un système parfait aurait 100 pour cent de réussite, soit une péréquation complète. Dans le système actuel, la somme de péréquation atteint à peine les 15-16 pour cent, desquels moins de la moitié provient de subventions fédérales. Deux tiers de ces programmes correspondent à moins de 40 pour cent de la péréquation. Cette inefficacité s’explique en partie par le système byzantin de prise de décision et de financement qui existe entre la Confédération et les cantons. Après des années de compromis politique, la péréquation financière s’est développée en un imbroglio de mesures non coordonnées.

La péréquation ne couvre pas tout

On en veut pour preuve que la nouvelle péréquation financière confirme bien une caractéristique première du fédéralisme suisse : il n’y a ni obligation légale, ni engagement politique d’assurer partout une égalité parfaite dans la prestation de services publics. La péréquation financière a pour but d’assurer non pas le même niveau de services publics partout, mais seulement un niveau de base. La solidarité, aussi loin qu’elle porte, est basée sur la négociation et le consensus, et prend vie principalement au niveau de la municipalité.

Le système actuel de péréquation fiscale tient compte d’une série de conditions géographiques adverses (cantons isolés avec des hautes montagnes, par exemple). Le système prend aussi en charge des dépenses spéciales liées aux infrastructures d’intérêt national comme les autoroutes ou les casernes militaires, dont la responsabilité fiscale incombe aux cantons. Mais, au cours des années, les problèmes sociaux sont devenus plus importants.

Deux critères : géographie et conditions sociales

Pour toutes ces raisons, le projet de réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches prévoit deux types de paiements compensatoires : une compensation pour la géographie et une compensation pour les conditions sociales. La première donne plus aux cantons de montagne. On tient compte de trois éléments : les régions au-dessus de 1 080 mètres (pondération : 33,3 %), la population vivant au-dessus de 800 mètres (pond. : 33,3 %), et la structure des habitations, celles avec moins de 200 habitants ou celles avec une faible densité de population (pond. : 16,7 % chacune). Le deuxième type de compensation est spécifique aux cantons qui ont des coûts élevés par habitant pour l’aide sociale et les infrastructures résultant de problèmes spécifiques aux centres urbains. On distingue deux types de coûts : les coûts socio-économiques, comme la pauvreté, l’âge élevé de la population, l’intégration des migrants, les dépendants, les sans-emploi (pond. : 66,6 %), et les coûts spécifiques additionnels dus aux problèmes des centres urbains (pond. : 33,3 %).

2. Collaboration intercantonale

Médecine de pointe et cliniques spécialisées Hautes écoles spécialisées Exécution des peines et mesures Gestion des déchets

Source : Département fédéral des finances, 2004

On peut estimer les flux financiers ainsi :

La Confédération paiera 1,4 milliard de francs suisses et les cantons financièrement forts 1 milliard de francs suisses au profit des cantons dont les revenus ne permettent pas d’assurer certains services. Ces 2,4 milliards de francs suisses iront aux cantons financièrement faibles. Parallèlement à ce système, la Confédération seule payera 600 millions de francs suisses au titre de compensation. La moitié de ce montant ira aux cantons de montagne et l’autre aux cantons urbains. Sous ce nouveau système, 3 milliards de francs suisses seront ainsi dépensés, à comparer avec les 7,5 actuels! De plus, le nouveau système représentera une meilleure péréquation que le système actuel, dont on connaît l’inefficacité.

La réforme signifie également un désenchevêtrement des tâches de la Confédération et des cantons. Mais, à cause de quelques résistances des cantons, le résultat de la réforme n’est pas aussi révolutionnaire qu’on aurait pu l’espérer (voir tableau n° 1).

Le projet appelle aussi les cantons à collaborer dans neuf domaines (voir tableau n° 2). Les conséquences de cette invitation sont difficiles à prévoir. Que se passera-t-il si un canton ne coopère pas? Quelle sera la « sanction », s’il y en a une? De longs débats en perspective!

La réforme réduit les disparités entre les cantons en : 1) utilisant les deniers publics de manière plus efficace (la démocratie directe garantit la responsabilité directe des gouvernants face aux citoyens), 2) atténuant les disparités entre cantons en terme de capacité financière, 3) trouvant des solutions adaptées aux particularités cantonales et régionales, 4) déplaçant les décisions politiques vers les citoyens (le principe de subsidiarité), 5) appliquant une équivalence fiscale. Ceux qui décident doivent assumer les conséquences financières de leurs décisions : les cantons disposeront de plus larges compétences en matière de biens et services publics.

Maintenant, ce projet a été accepté. Il concerne 27 modifications de la Constitution suisse. Un travail important reste à faire pour adapter les lois fédérales et cantonales. De plus, un nouvel accord portant sur les principes et les procédures doit être établi pour ce qui concerne la collaboration intercantonale. Le nouveau système entrera en vigueur le 1er janvier 2008. Son succès ne sera connu que bien après cette date.

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005