Avant l’indépendance déjà, la violence ethnique régnait à l’état endémique dans le nord-est de l’Inde, mais la création d’un conseil territorial pour un groupe spécifique, les Bodos, apporte l’espoir d’un règlement politique des tensions entre l’Inde et d’autres séparatistes militants.

La région attend une accalmie. Début octobre 2004, la violence séparatiste a recommencé, tuant 37 personnes dans l’état de l’Assam et 28 dans l’état voisin, le Nagaland. Il semble que le Front national démocratique du Bodoland, un groupesécessionniste réclamant un État souverain pour le peuple bodo, soit impliqué dans l’attentat en Assam.

Le nord-est de l’Inde, aux frontières du Népal, de la Chine, du Myanmar et du Bangladesh, est constitué de sept entités fédérales dominées la plupart d’entre elles par des tribus, et abrite de nombreux groupes séparatistes. La soudaine montée de violence en Assam a créé des problèmes pour la formation du Conseil territorial bodo, un conseil intérimaire pour l’autonomie gouvernementale des Bodos qui a été formé il y a plus d’un an.

Une version transitoire du Conseil a été instituée en 2003, en présence de M. L. K. Advani, vice-premier ministre indien. Quelque 2 600 militants bodos endurcis ont rendu les armes comme le demandait l’accord. Hagrama Basumatary a prêté serment en qualité de président des Tigres de libération du Bodoland, principale organisation bodo et fer de lance de la création du Conseil. L’autonomie des peuples aborigènes de l’Inde garantie par la Constitution n’est pas un fait nouveau (voir Fédérations, vol. 3, n° 3, août 2003), mais ce Conseil est un cas à part. Jusque-là, l’autonomie a été concédée à des populations majoritaires sur leur territoire et aux tribus montagnardes. Dans ce cas cependant, avec 1,1 million d’habitants, les Bodos constituent seulement 11,5 pour cent de la population dans la région couverte par le Conseil. Mais les Bengalais, Assamais et d’autres encore ont des sièges réservés au Conseil.

Les racines du mécontentement bodo

Historiquement, le mécontentement des Bodos trouve ses racines dans la négligence et la marginalisation qu’ils subissent au sein même d’un état qu’ils proclament être le leur depuis des siècles. Les Bodos constituent un groupe tribal important et ils sont les plus nombreux dans les plaines de l’Assam, représentant environ 2 millions des 22 millions d’habitants que comptait l’état en 1991. Les Bodos affirment qu’ils sont les premiers et authentiques colonisateurs de l’Assam, et que les Assamais proprement dits viennent d’ailleurs. Au moment de l’indépendance de l’Inde en 1947, les Bodos constituaient

Harihar Bhattacharyya (Ph.D., London School of Economics) est professeur de science politique à l’Université de Burdwan, au Bengale-Occidental, en Inde.

49 pour cent de la population totale, mais les migrations et les colonisations successives de Bengalais, d’Assamais et d’autres communautés dans leur région les ont relégués au rang de minorité. Les migrations successives ont eu pour conséquence la spoliation de leurs terres au profit de colons non tribaux et une perte substantielle de leur force économique et de leur identité.

Résister à l’« assamisation »

Lorsqu’en 1960 l’assamais fut déclaré langue officielle unique de l’Assam, les Bodos, qui n’avaient pas d’écriture indigène de leur propre langue, saisirent cette occasion pour se venger. Ils rejetèrent l’assamais écrit qu’ils utilisaient pour transcrire leur langue au profit des caractères de la graphie romaine. En 1976, après un travail de persuasion de la part du gouvernement central, les Bodos renoncèrent à exiger l’adoption de la graphie romaine et choisirent l’écriture devanagari dans laquelle est écrit le hindi, la langue nationale de l’Inde.

Le rejet de la graphie assamaise a encore accentué le fossé entre les Assamais et les Bodos. Cela fit craindre également aux Assamais de se voir réduits à une minorité dans leur propre état. Les Bodos, pour leur part, redoutèrent que leur langue et leur identité ne se dissolvent dans une certaine « assamisation ».

Dans les années 70, le parti politique Asom Gana Parishad, actuellement au pouvoir dans l’état de l’Assam, lança une campagne dans l’état tout entier pour que les immigrants illégaux soient déportés. Puis, en 1986, l’Union des étudiants bodos présenta de nouvelles demandes :

Une période de violence

Dans les années 80, les Tigres de libération du Bodoland, une organisation militante, s’engagea sur la voie de la violence. Avant les élections à l’assemblée assamaise de 1983, ils massacrèrent un grand nombre d’Assamais, provoquant une réplique. Depuis les années 90, la violence exercée par les Tigres s’est étendue au dynamitage de trains et de ponts, avec pour résultat la perte de vies humaines et de biens. Plusieurs milliers de personnes ont péri au cours des 18 années d’insurrection

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005

bodo. Au cours de cette période, ce que voulaient surtout les Bodos en réclamant une patrie, c’était simplement une entité politique au sein de la fédération indienne. Mais le gouvernement n’a pas accédé à cette demande, dans la mesure où les Bodos ne constituent pas une majorité dans les régions où ils sont actuellement concentrés.

Jusqu’à présent, deux accords de paix ont été signés entre le gouvernement et les Bodos, en 1993 et 2003. Ces accords leur offrent une assez large autonomie au sein du fédéralisme indien.

Le premier accord bodo

Le premier accord, ratifié en 1993, prévoyait l’élection démocratique du Conseil autonome du Bodoland, dans la vallée nord du Brahmapoutre, où au moins la moitié de la population est tribale. Sous la juridiction de l’état de l’Assam, ses compétences s’étendaient aux domaines suivants : l’industrie artisanale, l’élevage, les forêts, l’agriculture, les travaux publics, la sériciculture, la formation et l’éducation primaire et secondaire, les affaires culturelles, la coopération, les panchayats (conseils de village) et le développement rural, la santé et la protection de la famille, l’irrigation, l’assistance sociale, le commerce, ainsi que la planification urbaine. Un article du budget de l’état prévoyait le financement nécessaire. Le Conseil était tout particulièrement invité à préserver les pratiques sociales et religieuses des Bodos, de même que les lois coutumières, les procédures et l’autorité sur la propriété et le transfert des biens fonciers.

L’échec du Conseil autonome du Bodoland

L’assemblée législative de l’Assam adopta la Loi sur le Conseil autonome du Bodoland de 1993. Mais, suite à la forte opposition de diverses organisations bodos, les élections permettant de le concrétiser n’eurent jamais lieu. La pomme de discorde était constituée par les 515 villages supplémentaires qu’un groupe de Bodos avait revendiqués et que le gouvernement de l’Assam avait refusé d’inclure dans l’accord, sous prétexte que les Bodos ne représentaient pas plus de deux pour cent de la population dans ces villages.

Un certain nombre d’organisations bodos militantes, dont celles de la Force de sécurité bodo (plus tard renommée Front national démocratique du Bodoland) et des Tigres de libération du Bodoland, s’opposèrent fermement à l’accord tout en s’assurant la mainmise de fait sur le Conseil nommé. Le nettoyage ethnique entrepris en 1994 dure encore aujourd’hui. En 1996, les Bodos tuèrent près de 100 Santals, une autre tribu non bodo, dans les régions du Conseil, forçant quelque 100 000 Santals à se réfugier dans des camps dans le bas Assam. Les extrémistes cherchaient à s’approprier des terres qui avaient été retirées aux Bodos 40 ans auparavant.

Le second accord bodo

Après 1993, le mouvement bodo gagna en violence, et les Tigres de libération du Bodoland en prirent le commandement. En 2003, un second accord fut signé par le gouvernement central, l’état de l’Assam et les Tigres, au nom des Bodos, établissant un Conseil territorial autonome bodo qui aurait plus ou moins les mêmes compétences que le précédent, mais avec davantage d’autonomie en vertu de la 6e annexe de la Constitution indienne.

On instaura un conseil de 46 membres, dont 40 devaient être élus et 6 désignés par le gouverneur de l’Assam. Au total 30 sièges furent réservés aux représentants des tribus, 5 à ceux qui ne provenaient pas des tribus et 5 à d’autres encore. Le Conseil avait pour but d’opérer dans les districts du Kokrajhor, d’Udalguri, et de Baska et Chirang (les trois derniers encore en projet), regroupant 3 082 villages. On devait incorporer des mesures pour assurer la protection des droits notamment fonciers des peuples non tribaux dans les régions du Conseil.

À l’avenir

Bien que les Bodos représentent une petite minorité dans les régions du Conseil, ils détiennent 30 sièges sur 46, ce qui ne semble pas très démocratique à première vue. Mais les enjeux vont bien au-delà de la simple démocratie : le souci primordial dans les accords de paix demeure la protection du peuple aborigène contre les menaces à son identité.

Les Bodos disposent désormais de leur unité politique autonome. Le Conseil territorial bodo a été habilité en vertu d’une modification de la 6e annexe de la Constitution. En décembre 2003, le Parlement indien a entrepris de protéger la langue bodo en la plaçant sous la 8e annexe de la Constitution avec l’adoption de la 100e modification. Il s’agit d’une véritable réussite pour les Bodos. Les priorités du nouveau conseil intérimaire – la santé, l’éducation et l’infrastructure – se veulent une solution au sous-développement à long terme des régions bodos. Des élections pour la formation du Conseil devaient avoir lieu dans les six mois suivant mars 2003, et les Tigres de libération du Bodoland devaient se transformer en un parti politique autorisé à participer aux élections. (Les Tigres désarmèrent, et un conseil intérimaire fut formé en décembre 2003.)

Mais des oppositions demeurent de part et d’autre : elles émanent du Front national démocratique du Bodoland d’une part, et d’autre part, du Front des 18 partis non bodos Sanmilito Jangoshtiya Sangram Samity (le front uni des peuples divers). Les non-Bodos se plaignent que leur collectivité n’ait pas le droit de posséder des terres dans les régions du Conseil. L’offre récente du gouvernement central de négocier avec le Front national démocratique du Bodoland pourrait ne pas se révéler plus bénéfique que la solution institutionnelle qui a conduit au Conseil territorial bodo. Le gouvernement de l’état a approuvé la formation du Conseil en principe, et beaucoup d’intellectuels y voient la meilleure solution au problème bodo. Compte tenu que l’on projette d’établir dans le Nord-Est un couloir pour le commerce entre l’Inde et l’Asie du Sud-Est, la paix intérieure dans la région revêt une importance primordiale.

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005