Le gouvernement transitoire en Somalie instaure une démocratie fédérale

PAR BURHAAN WARSAME

Plusieurs ministres du nouveau gouvernement fédéral de transition en Somalie ont récemment fait la tournée des régions côtières pour évaluer les dommages causés par le tsunami, qui a laissé quelque 50 000 sans-abri, privés d’eau et de nourriture.

Cette visite dans le pays a été la première du nouveau gouvernement, instauré par un parlement fédéral transitoire constitué de représentants des clans du pays, et qui siège à Nairobi, au Kenya. Le gouvernement veut commencer à transférer les membres du Parlement et les ministres vers la capitale, Mogadiscio, avant la fin janvier. Le déménagement des institutions restantes devrait se poursuivre jusqu’en avril. L’Union africaine s’est engagée à envoyer des forces de maintien de la paix pour assurer la protection du gouvernement.

Le processus qui a conduit à la formation du nouveau gouvernement a été long et difficile. Deux années ont été nécessaires pour se mettre d’accord sur la composition du Parlement transitoire. Début octobre, celui-ci a élu Abdullahi Yusuf président, qui a ensuite proposé Ali Mohamed Ghedi comme premier ministre. Mais quand Ghedi a présenté son Cabinet, il a perdu sa première motion de censure; une démocratie parlementaire avait bien fait ses premiers pas en Somalie, le gouvernement ayant été défait.

Fin décembre, le président présentait à nouveau Ghedi – mais sans cabinet – et le Parlement cette fois donnait son accord. En janvier, le Parlement acceptait une formule visant à répartir les postes du Cabinet entre les clans puis approuvait le deuxième Cabinet de Ghedi, constitué des plus importants seigneurs de guerre, des chefs de factions et de quelques politiciens et technocrates du régime précédent.

Nouvel espoir pour un État démembré

Le gouvernement fédéral transitoire de Somalie est le résultat d’une conférence de réconciliation qui a siégé deux ans au Kenya. Parrainée par l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) – un organisme régional composé del’Éthiopie, de Djibouti, de l’Érythrée, du Soudan, de la Somalie, du Kenya et de l’Ouganda – elle a réuni des représentants des divers clans somaliens, de la société civile et des factions politiques. La conférence a représenté l’effort le plus sérieux et le plus soutenu qui ait été accompli pour reconstituer une autorité nationale en Somalie, pays dont l’effondrement de l’autorité étatique aura été un des plus longs de l’histoire moderne.

Le système national de gouvernement unitaire du pays s’est disloqué en 1991 lorsque des factions armées fondées sur les clans ont renversé le président Mohammed Siyad Barre avant de se dresser les unes contre les autres dans une guerre civile désastreuse qui a morcelé le pays en de multiples fiefs. Depuis lors, de nombreuses tentatives pour restaurer la paix et l’autorité

Burhaan Warsame est spécialiste de la Corne de l’Afrique et directeur fondateur du Centre d’aide au développement basé dans cette région.

nationale, y compris une intervention militaire majeure des Nations Unies dirigée par les Américains au début des années 90 et quelque 13 conférences de réconciliation parrainées au niveau international, ont toutes échoué.

Les sceptiques prédisaient un sort similaire au dernier essai, la conférence parrainée par l’IGAD. Mais après passablement de rancœurs et de désaccords, elle a trouvé un consensus sur des points essentiels, dont le partage du pouvoir selon les critères des clans et l’adoption d’un régime fédéral pour gouverner les régions les plus incontrôlables du pays.

Partage du pouvoir : la formule 4,5

Laissant de côté la rhétorique de « nationalité » post-coloniale qui a caractérisé les première (1960-1969) et deuxième (19691991) républiques, les participants somaliens à la conférence de réconciliation de Nairobi sont revenus au système traditionnel des clans comme mécanisme de partage du pouvoir.

Les participants, dont les rangs atteignaient parfois 800 délégués représentant les factions politiques, les groupes de la société civile et les anciens, se sont mis d’accord pour jeter les fondations d’une autorité nationale en formant un parlement au sein duquel tous les clans somaliens seraient représentés. Après de fastidieux marchandages portant sur les gains des uns et des autres, ils acceptèrent la formule 4,5 : les 4 clans principaux (Dir, Darod, Hawiye et Digil-Mirifle) disposeraient de 61 sièges chacun, alors qu’un groupe de clans minoritaires en auraient 31, le Parlement fédéral transitoire comptant dès lors 275 membres.

La répartition des sièges selon la formule 4,5 fut si délicate qu’à plusieurs reprises, les pourparlers de paix faillirent échouer. Chaque clan se divise en douzaines de sous-clans qui possèdent tous une image démesurée de leur importance et de leur impact numérique.

Finalement cependant, le Parlement fédéral transitoire de la Somalie fut inauguré à Nairobi le 29 août 2004, donnant à penser tacitement que les branches restantes du gouvernement fédéral de transition, soit l’exécutif et le judiciaire, seraient partagées selon la même formule 4,5. Ainsi, lorsque, le 15 septembre, le Parlement eut élu à sa tête Sharif Hassan Sheikh Aden, membre du clan Digil-Mirifle, son clan comprit qu’il était de facto exclu des postes de président ou de premier ministre.

Début octobre, à l’issue d’une campagne disputée par 28 candidats, le Parlement élut comme président de la République

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005

des femmes au processus politique –

elles n’en sont pas dépourvues. Les milices des

confrontations politiques, et même militaires, ainsi seulement 16 des 275 membres du

entre ces deux états autonomes. Parlement sont des femmes. Tout de

Le centre et le sud du pays sont dotés même, la plupart des Somaliens d’administrations régionales modestes, quandsemblent avoir accueilli le mécanisme

de partage du pouvoir basé sur le clans rivaux se disputent certaines régions. Ilsystème des clans comme une solution sera extrêmement difficile pour un transitoire adéquate.

gouvernement fédéral transitoire encore précaire de concilier les intérêts des clans en lice, qui sont

Adoption d’une charte fédérale

surtout transrégionaux, avec cet amalgame de De tous les sujets discutés à la

régions qui doivent servir d’éléments étatiques Abdullahi Yusuf, membre du clan Darod et chef de l’état autonome du Puntland au nord-est du pays. Moins d’un mois plus tard, le président Yusuf nomma premier ministre Ali Mohamed Ghedi, membre du clan Hawiye, qui forma un cabinet selon la formule 4,5.

Le système des clans fait naître des détracteurs. Les nationalistes, un groupe qui semble avoir été tenu en marge du processus politique, considèrent la formule 4,5 comme l’institutionnalisation d’un système qui pourrait encore affaiblir la cohésion du peuple somalien, pourtant homogène (une majorité partage en effet une langue, une culture et une religion communes). Quelques groupes de femmes ont également émis des réserves sur ce qu’elles considèrent comme un vieux système patriarcal susceptible d’empêcher la participation

conférence de réconciliation, aucune ne fut plus épineuse que l’adoption d’unecharte fédérale. À l’été 2003, cinq des six commissions mises sur pied pour traiter des questions de fond – du désarmement à la propriété foncière – avaient soumis des rapports collectifs. Mais celle de la charte fédérale s’était perdue dans les discussions.

Parmi de nombreux points de désaccord, un camp voulait immédiatement adopter une forme fédérale de gouvernement, alors que l’autre voulait procéder par étapes, en formant d’abord une commission constitutionnelle nationale qui aurait eu la responsabilité d’élaborer une constitution fédérale et de déterminer les unités constituantes de la fédération. Les deux camps étaient encore en désaccord lorsque, le 15 septembre 2003, une séance plénière un peu bâclée approuva la septième version de la charte fédérale. Cet accord prématuré sur une charte que d’aucuns considéraient comme encore en discussion fit que certains délégués, dont plusieurs importants chefs de factions, quittèrent la salle en proclamant que les pourparlers de Nairobi avaient échoué.

Bien que le désaccord entre les délégués ne portât pas sur l’adoption proprement dite d’un régime fédéral mais plus prosaïquement sur la manière d’y parvenir, il eut pour effet de réconforter tous ceux qui s’étaient opposés dès le départ à l’option fédérale. Quelques intellectuels nationalistes, qui se sentaient tenus à l’écart des discussions, utilisèrent le quasiéchec des pourparlers de Nairobi comme une bonne raison de suspendre une nouvelle fois tout le processus, en le dénonçant comme une mascarade orchestrée par les ennemis de la Somalie(ils visaient particulièrement l’Éthiopie).

Il a fallu l’intervention du président Mwai Kibaki du Kenya, le pays hôte, et du président ougandais Yoweri Museveni, alors président de l’IGAD, pour ramener les deux parties à la table des négociations. La fin du mois de janvier 2004 a marqué une convergence d’opinion relative à la charte, y compris un accord pour une approche pragmatique et asymétrique du fédéralisme, qui doit permettre de travailler avec des états autonomes existants tout en travaillant à la formation des éléments restants de la fédération.

Faire la paix au sein des clans et des régions

Il est généralement admis que les unités constituantes de la fédération peuvent être représentées par les clans majeurs, ce qui autoriserait cinq ou six états constitués chacun de deux régions ou plus parmi les 18 du dernier régime. Cependant, seule la république autoproclamée de Somaliland (nord-ouest) et l’état du Puntland (nord-est) disposent d’une administration fonctionnelle et de parlements locaux, et peuvent donc être considérés comme des états prêts à fonctionner. Mais le Somaliland n’est pas prêt à devenir membre de la fédération; à Hargaisa, la capitale, l’administration ne reconnaît pas l’issue des pourparlers de Nairobi, bien que des représentants des clans

y aient pris part. Le Somaliland est engagé dans

un dangereux contentieux avec le Puntland au

sujet de deux régions qui étaient à la source de

de base à la fédération.

En plus des défis qu’il doit surmonter pour mettre sur pied un cadre fédéral à partir de la base, le gouvernement doit aussi faire face aux tâches opérationnelles les plus pressantes et aux problèmes hérités de la guerre civile. Il s’agit notamment de rétablir une présence administrative effective dans une capitale explosive, de reprendre le contrôle des secteurs qui génèrent des revenus comme les ports et les aéroports, d’encourager les clans et sous-clans polarisés à se réconcilier tout en démobilisant et en réhabilitant leurs milices toujours en guerre, de rétablir la police, la justice et d’autres aspects de la sécurité publique, et de préparer le pays à des élections nationales libres et équitables. Tout cela doit être réalisé avec des moyens restreints et sous le regard sceptique d’une communauté internationale davantage encline à laisser faire qu’à tendre une main secourable.

Qu’en pensent les Somaliens?

Le site Internet de BBC World a lancé à l’intention des Somaliens du pays et de la diaspora un sondage sur la question : « La Somalie est-elle la preuve que nous avons besoin des gouvernements ? » Parmi les Somaliens qui ont répondu, une large majorité était d’accord; quelquesuns seulement pensaient qu’il valait mieux ne pas avoir de gouvernement; et quelques autres approuvaient la dissidence du gouvernement du Somaliland. Un journaliste de la BBC s’est également entretenu avec huit Somaliens à Mogadiscio pour savoir quelles étaient, selon eux, les priorités du nouveau gouvernement et comment ils avaient survécu pendant 14 ans sans gouvernement. Ils ont mentionné que la sécurité et le transport (sans barrages routiers) constituaient les besoins les plus importants. La plupart ont soutenu le nouveau gouvernement, mais avec un certain scepticisme. On trouvera le portail au : news.bbc.co.uk/1/hi/talking_point/4022009.stm

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