Les droits des homosexuels seront-ils décidés état parétat aux États-Unis?

PAR JEREMY D. MAYER

L’élection présidentielle de 2004, au cours de laquelle la question du mariage homosexuel est apparue aux yeux de certains commentateurs comme l’un des facteurs dans le succès du président Bush, indique-t-elle que la bataille autour des droits des homosexuels va définitivement se déplacer vers le niveau fédéral?

Absolument pas! Non seulement il n’est pas du tout prouvé que la question du mariage homosexuel se soit révélée décisive pour la réélection de Bush, mais au surplus cette hypothèse néglige un fait essentiel : le combat entre les partisans des droits des homosexuels et

Quelle est la

les milieux religieux opposés à tout

législation sur les

changement se joue dans les états.

homosexuels dans

Quoique l’engagement marqué de Bush

les autres États

en faveur d’un amendement constitu

fédéraux?

tionnel destiné à prohiber le mariage et

Voir page 22.

les unions civiles entre homosexuels lui a probablement permis de rallier les suffrages de sa base, une telle politique demeure purement symbolique. Il n’y a pratiquement aucune chance qu’un tel amendement puisse être adopté, même si une large majorité des citoyens est opposée au mariage homosexuel. Une des caractéristiques du fédéralisme américain tient à la difficulté avec laquelle la Constitution peut être modifiée. Tout amendement doit d’abord être adopté par les deux chambres du Congrès à la majorité qualifiée des deux tiers, avant d’être approuvé par trois quarts des états. Ce processus extrêmement contraignant n’a pu aboutir que 27 fois en plus de 200 ans. Ainsi en 1912, alors qu’une grande majorité d’Américains blancs était fermement opposée à tout mariage interracial, au point que de nombreux états le considéraient comme illégal, il n’a pas été possible d’adopter un amendement pour l’interdire. Il est peu probable qu’une Amérique nettement plus divisée sur la question du mariage homosexuel puisse y parvenir.

Des actions entreprises au niveau des états

Ce sont des réformes dans les états qui ont incité Bush à soutenir l’interdiction du mariage homosexuel. En 2000, le Vermont est devenu le premier état à légaliser les unions civiles homosexuelles et, en 2003, la Cour suprême du Massachusetts a enflammé le débat en proclamant que le mariage homosexuelrelevait du droit constitutionnel des états. À New York et en Californie, des maires activistes ont même commencé à célébrer des mariages homosexuels, en violation flagrante des lois de leur état.

Onze états ont soumis au vote une interdiction du mariage homosexuel, qui a été acceptée dans la plupart d’entre eux par une majorité de deux contre un. Mais comme aucun de ces états n’était sur le point de légaliser le mariage homosexuel, et qu’une

Jeremy D. Mayer est maître de conférence à l'École de politiquepublique de l'Université George Mason en Virginie, aux États-Unis.

loi fédérale sur la protection du mariage (Federal Defense of Marriage Act, DOMA) évitait déjà aux états l’obligation de reconnaître des mariages homosexuels contractés dans d’autres états, on peut se demander à quoi rimait cette course à l’interdiction absolue du mariage homosexuel?

Une perte sur tous les tableaux

Au sens propre du terme, les mouvements de défense des droits des homosexuels ont perdu sur tous les tableaux lors des élections de 2004. Tandis que des garanties de leurs droits au niveau national demeurent improbables, le Parti républicain a rassemblé sa base aux élections nationales et régionales en se proclamant anti-homosexuel, surtout sur la question du mariage. Les républicains ont distribué des dépliants pendant la campagne, proclamant qu’une victoire démocrate entraînerait à coup sûr la légalisation du mariage homosexuel.

Les droits des homosexuels américains ne se sont pas non plus améliorés après le 11 septembre 2001. Non seulement de nombreuses lois régionales, suivies en cela par les compagnies d’assurance, ont refusé d’accorder la moindre compensation financière aux partenaires survivants des victimes homosexuelles des attentats sur New York et Washington, mais en plus le Fonds fédéral d’aide aux victimes a décidé dans un premier temps de suivre la pratique de ces états. L’importance de cette question a été démontrée une fois de plus lorsque divers états, tels que New York et la Californie, ont brusquement modifié leurs lois en matière de compensation, après que les partenaires des victimes homosexuelles des attentats terroristes eurent fait état de leurs revendications. Si l’intérêt des mouvements de défense des droits des homosexuels s’était concentré sur cette injustice manifeste, les élections se seraient sans doute révélées plus profitables à leur cause.

Bientôt une législation sur les droits des homosexuels?

Dans une vision prospective, où donc se sont situés les droits des homosexuels en 2004 sur l’échelle du fédéralisme américain? Un parallèle avec le mouvement pour les droits civils est instructif à cet égard. Alors qu’en fin de compte la plupart des revendications de 1954 ont été concrétisées en 1994, les réticences qu’elles ont suscitées tout au long de cette période ont permis au Parti républicain d’engranger de nombreux succès électoraux.

Ironie du sort, les homosexuels américains ont perdu du terrain en 2004, alors même que l’acceptation de l’homosexualité dans la culture américaine n’a jamais été aussi flagrante. Le président Bush lui-même a dû reconnaître implicitement que les mouvements anti-homosexuels allaient à contre-courant de l’histoire. Au cours de la dernière semaine de campagne électorale, il a saisi l’occasion d’exprimer sa réserve vis-à-vis d’un amendement constitutionnel en précisant qu’il ne s’opposerait pas aux unions civiles. Si le président le plus religieusement conservateur de l’histoire américaine contemporaine ne s’y oppose pas, alors la messe est dite…

Fédérations vol. 4, no 3 / mars 2005