Comment les pays fédéraux choisissent-ils leur gouvernement ?

Les façons de faire sont presque infinies, mais certaines tendances émergent

PAR LOUIS MASSICOTTE

Les gouvernements des pays fédéraux ne pourraient être plus différents. Voici, par exemple, le déroulement de deux journéesdans quatre capitales fédérales différentes. À Washington, DC, le 2 février 2005, le présidentdes États-Unis, George W. Bush, prononçait son discours annuel sur l’état de la nation lors d’une session commune des deux chambres du Congrès. Le même jour à Ottawa, le premier ministre canadien Paul Martin et les ministres du Cabinet répondaient aux questions acerbes de députés de l’oppositionpendant la période des questions. À Delhi, le 25 février 2005, le Parlement indien faisait face à des pressions afin que soit adoptée une loi garantissant 33 pour cent de représentation féminine à la Chambre basse, appelée Lok Sabha. Le même jour au Bundestag à Berlin, la ministre fédérale de la Justice, Brigitte Zypries, défendait les services Internet offerts aux citoyens par son ministère face aux critiques des membres de l’opposition qui prétendaient que les citoyens de l’Autriche — gouvernée par une coalition conservatrice — avaient accès à davantage de services en ligne de leur ministère de la Justice.

Le fait qu’un pays adopte un système de gouvernement fédéral ne permet pas de prédire plus facilement le type de régime politique en place ou les modifications qui auront été apportés à un régime mais certaines tendances émergent. Parmi les fédérations, on trouve des régimes présidentiels comme celui desÉtats-Unis, des systèmes parlementaires de type Westminster comme ceux du Canada, de l’Australie et de l’Inde, ainsi que des régimes parlementaires qui produisent généralement des gouvernements de coalition, comme ceux de l’Allemagne et de l’Autriche. La Suisse est un des rares exemples de régime selon lequel l’Assemblée législative élit le Cabinet fédéral.

Tandis que certaines fédérations sont des démocraties anciennes et stables, d’autres oscillent entre la démocratie et l’autoritarisme. La famille fédérale compte aussi bien des républiques (Allemagne), que des monarchies parlementaires (Belgique), des monarchies où le souverain est représenté par un gouverneur général (Australie) et même des monarchies plus ou moinsabsolues (les Émirats arabes unis). Aucun système électoral ne s’est non plus imposé dans les fédérations: on trouve dans cellesci des exemples de pratiquement tous les modes de scrutin. De plus, tandis que l’existence d’une deuxième chambre au Parlement est souvent citée comme un élément essentiel des fédérations, la Micronésie, le Venezuela, et les Îles de SaintChristophe-et-Niévès n’en ont pas.

Louis Massicotte est professeur associé de sciences politiques à l’Université de Montréal. Il est l’auteur, avec André Blais et Antoine Yoshinaka, de Establishing the Rules of the Game. Election Laws in Democracies (2003), et corédacteur de Le point sur 150 ans de gouvernement responsable au Canada (1999).

La première décision d’importance à laquelle est confronté tout pays fédéral est le choix d’un régime. Il peut soit se doter d’un régime présidentiel — fondé sur la séparation des pouvoirs législatif et exécutif — soit d’un régime parlementaire — où le premier ministre et les membres de son Cabinet doivent d’abord remporter des sièges au Parlement.

Le bureau du président

Le régime présidentiel en place dans certains pays fédéraux repose sur la séparation des pouvoirs législatif et exécutif. Le pouvoir exécutif est entre les mains d’une seule personne, le président, élu par l’ensemble de la population. LesÉtats-Unis ont veillé à ce que le mode de désignation du président reflète bien le caractère fédéral du pays. En théorie, le président est élu par un collège électoral, lui-même composé dedélégués élus par la population de chaque État. Chaque État dispose d’un nombre de voix égal au nombre de sièges qu’il a au sein de la Chambre des représentants (variant en fonction de lapopulation de l’État), auquel s’ajoutent pour chaque État deux voix, représentant le nombre de ses sénateurs. En conséquence, lepoids relatif des plus petits États représentés au collège électoral excède leur poids démographique.

Actuellement, les 33 États les moins peuplés des États-Unis, plus le district fédéral de Columbia, disposent ensemble de 198 voix,alors que les quatre plus grands États (soit la Californie, le Texas, New York et la Floride), avec une population totale relativementéquivalente aux 34 plus petits États, n’en ont que 147. Un candidat qui est à la traîne au suffrage populaire national peut néanmoins remporter l’élection s’il obtient systématiquement levote des plus petits États : c’est ce qui explique l’élection de George Bush en 2000, quoique son concurrent, Al Gore, ait remporté le vote populaire. Autre indice de la volonté des pèresfondateurs de favoriser les petits États : si aucun candidat présidentiel n’obtient la majorité absolue des voix au collège électoral, c’est la Chambre des représentants qui élira leprésident parmi les trois meilleurs candidats. Chaque État disposera alors d’une seule voix, indépendamment de sa population.

En Suisse, tous les quatre ans, les deux chambres de l’Assemblée fédérale élisent les sept membres du Conseil fédéral, le conseil des ministres du pays, au cours d’une session commune. Ici encore, un léger ajustement favorise les plus petites entités constitutives que sont les cantons suisses. Tandis que les 200 sièges du Conseil national sont répartis en fonction de lapopulation de chaque canton, les 46 sièges du conseil des États le sont à raison de deux par canton (un seul pour chacun des six demi-cantons). Cependant, les députés suisses votent selon le parti auquel ils adhèrent, et non en fonction de leur canton.

Les États-Unis constituent à l’heure actuelle la seule fédération qui recourt à un collège électoral pour élire le président. En Argentine, au Brésil, au Mexique, au Venezuela et au Nigeria,

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005

tout comme en Russie (régime semi-présidentiel) et en Autriche (régime parlementaire), le président est élu au suffrage universel direct et seul le nombre de votes obtenus à l’échelle du pays, sans égard à sa répartition géographique, détermine le vainqueur.

La règle des deux tours

de scrutin pour l’électiondu président existe partout sauf au Mexique et aux États-Unis. Au Mexique, le système de la pluralité des voix existe toujourset, aux États-Unis, le scrutin à la pluralité des voix permet à un candidat de remporter les élections en obtenant la pluralité desvotes de chaque État, mais la majorité absolue est exigée au collège électoral.

Dans les régimes parlementaires, le pouvoir exécutif est attribué au Cabinet, ou Conseil des ministres, dont les membres sont choisis parmi les députés élus.

Le règne du Parlement

La deuxième décision d’importance à laquelle est confronté tout pays fédéral concerne sa façon d’élire l’Assemblée législative. Les fédérations qui ont un passé colonial britannique ou américain optent souvent pour des circonscriptions uninominales au sein desquelles prévaut la règle de la pluralité des votes (Canada, Inde, Malaisie, Saint-Christophe-et-Niévès) ou pour le système du vote alternatif (Australie). La représentation proportionnelle par listes de parti prévaut en Afrique du Sud, en Belgique et en Autriche. L’Allemagne offre un système mixte de type correctif (des circonscriptions uninominales et une représentation proportionnelle par listes de parti) que le Venezuela et le Mexique ont choisi d’imiter. Jusqu’à tout récemment, un système mixte à peu près semblable prévalait dans la Fédération de Russie, mais les circonscriptions uninominales seront abolies en 2007. Tous les députés seront alors élus selon un système de représentation proportionnelle dans le cadre d’une circonscription nationale unique, à la condition que leur parti remporte au moins 7 pour cent des voix.

En choisissant une circonscription nationale unique, la Russie se démarque des autres fédérations où les députés sont élus selon des entités territoriales plus petites, qu’il s’agisse de circonscriptions uninominales respectant les frontières provinciales ou étatiques (Canada, Australie) ou de circonscriptions plurinominales plus vastes recoupant lesfrontières des États membres (Brésil, Argentine). On a tendance à protéger les petites entités. Au Canada, par exemple, une province ne peut compter moins de députés à la Chambre des communes qu’elle n’a de sénateurs. C’est ce qui permet à laminuscule province de l’Île-du-Prince-Édouard – laquelle compte 187 000 habitants – de disposer de quatre sièges sur 308 à la Chambre des communes plutôt que d’un seul.

Aucun système n’est parfait

Aucun système électoral n’est à l’abri de la controverse. Au Canada, plusieurs observateurs soutiennent que le scrutin majoritaire a eu pour effet d’approfondir artificiellement les écarts entre les régions parce que les partis minoritaires dans chacune des régions sont sous-représentés à la Chambre des communes. En 1980, par exemple, le parti libéral avait l’appui de quelque 20 pour cent des électeurs de l’Ouest, mais seulement 2 des 78 sièges de la région, alors que les conservateurs n’avaient qu’un seul des 75 sièges au Québec, où ils avaient pourtant recueilli 12 pour cent des voix. La tradition canadienne, qui consiste à inclure au sein du Cabinet fédéral au moins un représentant de chaque province, devient difficilement applicable lorsque le parti gouvernemental n’a obtenu aucun siège dans plusieurs provinces. Pour pallier ce problème, plusieurs sénateurs de ces provinces ont été nommés au Cabinet. Cependant, puisque les sénateurs canadiens sont nommés par le gouvernement, et non élus, leur poids politique est faible. Les diverses façons qu’ont différents pays, dotés soit d’un régime parlementaire ou d’un régime présidentiel, de choisir leur organe exécutif seront exposées dans le livre et le livret à paraître sur le thème « Gouvernance législative et exécutive dans les pays fédéraux » de la série du Dialogue mondial sur le fédéralisme du Forum.

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005 www.forumfed.org