L’ouragan Katrina et les lacunes des relations intergouvernementales aux États-Unis

PAR DEIL S. WRIGHT

Le 29 août 2005, peu après que l’ouragan Katrina se soit abattu police ont tous cessé de sur les côtes de la Louisiane et du Mississippi, Kathleen Blanco, fonctionner. La catastrophe gouverneure de la Louisiane, et Michael Brown, directeur de la causée par l’ouragan Federal Emergency Management Agency (FEMA), tenaient une Katrina était sans conférence de presse conjointe. Ils se félicitaient et se précédent. complimentaient alors mutuellement de la coopération

Quelles ont été les réactionsintergouvernementale en réponse à l’ouragan.

des fonctionnaires locaux,

Vingt-quatre heures plus tard, la plus grande partie de la Nouvelle-Orléans se trouvait sous trois à quatre mètres d’eau et 80 pour cent de la population de la ville avait dû être évacuée. Quelque 100 000 personnes sans moyen de transport se trouvaient encore dans la ville et des milliers de sinistrés — presque tous Afro-Américains — s’entassaient dans le Centre des congrès et le Superdome, pendant que le pillage et la violence faisaient rage dans la ville.

De l’harmonie à la zizanie

Mme Blanco et Ray Nagin, maire de la Nouvelle-Orléans, se sont alors mis à blâmer, non seulement la FEMA, mais aussi le Département de la sécurité intérieure et le président Bush. Ils ont vertement critiqué la lenteur et le manque d’organisation de la FEMA et du Département, entre autres, les tenant responsables du fait que des citoyens pris au piège, ainsi que des employés desmunicipalités et des États qui œuvraient à la Nouvelle-Orléans et sur la côte du golfe du Mexique, attendaient toujours des secours.

Comment expliquer ce soudain revirement dans les relations intergouvernementales ? Pourquoi est-on passé, en l’espace d’une journée, des félicitations aux condamnations ? Les nerfs déjà fragiles des citoyens et des fonctionnaires ont été mis à rude épreuve par l’étendue du désastre, mais une foule d’autres facteurs — politiques, sociaux, raciaux, économiques, administratifs et surtout intergouvernementaux — ont propulsé les relations intergouvernementales sur la côte du golfe du Mexique dans une spirale de récriminations qui a fait d’un désastre, une véritable catastrophe.

L’étendue de la catastrophe

Pour le million de résidants de la côte du golfe du Mexique qui ont été évacués, ainsi que pour les millions d’autres qui ont participé aux efforts de sauvetage, l’ouragan Katrina fut une catastrophe. Les catastrophes révèlent souvent le meilleur comme le pire de la nature humaine et, en effet, pour certains, le désespoir a mené à l’anarchie, alors que d’autres se sont efforcés de trouver des façons créatives de faire face à la situation. Les 15 membres du comité central du maire, par exemple, se sont installés à l’hôtel Hyatt et ont improvisé un système de communication lorsque leurs lignes terrestres, leurs cellulaires et les radios du service de

Deil S. Wright est un professeur émérite de sciences politiques et d’administration publique à l’Université de Caroline du Nord – Chapel Hill. Il est, entre autres, l’auteur de Understanding Intergovernmental Relations (1978, 1982 et 1988) et de Globalization and Decentralization (1996).

étatiques et nationaux ? Le

À la suite d'un malentendu entre le

jeudi 1er septembre 2005,

gouvernement de l'État et la FEMA, ces dans la capitale nationale, autobus n'ont pas été utilisés lors de

M. Brown, directeur du l'évacuation de la Nouvelle-Orléans. FEMA, affirmait ne pas être au courant des émissions télévisées montrant des milliers de personnes entassées dans le Centre des congrès. À Houston, au Texas, on accueillait la moitié de toutes les personnes évacuéestandis que d’autres villes et États, comme l’Iowa, s’offraient pour accueillir des personnes évacuées. Les différents ordres de gouvernements n’ont pas réagi de façon uniforme et leurs actions (ou inactions) ont fait d’un désastre qui aurait pu être maîtrisé, une véritable catastrophe.

Les relations intergouvernementales aux É.-U.

Il est un peu tôt pour porter un jugement définitif sur les actes des dirigeants des agences locales, étatiques et nationales. Chercher à blâmer des fonctionnaires en particulier est en soi une opération très délicate. Les événements, les actions et les communications dans lesquels ont été impliqués — ou non — les fonctionnaires en position d’autorité avant, pendant et après l’ouragan Katrina, ne sont pas tous connus. On comprend cependant mieux la catastrophe de la côte du golfe du Mexique lorsqu’on l’examine à la lumière d’une hypothèse globale sur le fonctionnement desrelations intergouvernementales aux États-Unis. Ces relations tendent vers la complexité et favorisent l’autonomie, ce qui fait pencher le système américain de gouvernance vers la dévolution, les reports et les retards. Les premiers intervenants lors desituations d’urgence sont les fonctionnaires locaux, les États n’intervenant qu’en deuxième lieu et les agences nationales qu’en dernier recours. De plus, les fonctionnaires préfèrent la prudence à l’action, tandis que les politiciens et les gestionnaires de carrière, eux, préfèrent les risques et les conjectures à la recherche de certitudes.

Il existe plus de 87 000 gouvernements locaux aux États-Unis, ainsique 50 gouvernements d’États et un gouvernement national. Presque tous sont dotés de compétences considérables en ce qui concerne l’imposition et les dépenses gouvernementales. De plus,près de 500 000 représentants élus des municipalités et des États sont habilités à défendre les intérêts de « leurs citoyens ». Il n’est donc pas étonnant que la confusion tende à régner dans lesrelations intergouvernementales aux États-Unis. Lors de l’ouragan Katrina, la volonté politique et les habiletés de gestion n’ont pu passer outre la tendance à la confusion des relations intergouvernementales, et c’est là toute la tragédie.

La FEMA a été créée justement pour passer outre cette confusion. Toutefois, pour être en mesure d’agir en cas de catastrophe, une

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005

autorité centrale ou alors une coordination très étroite des opérations — qui permet en effet de réagir de façon dynamique, ciblée et rapide et de mobiliser toutes les ressources disponibles — est nécessaire. La réaction de la FEMA à l’ouragan Katrina a été tout autre. Ce faux pas devrait-il être attribué à des problèmes organisationnels ou à des erreurs commises par des politiciens et des fonctionnaires ?

Plusieurs représentants élus de tous les ordres de gouvernement ont réagi selon leur « nature humaine publique », c’est-à-dire lentement et avec modération. De plus, selon Donald Kettl, le fait que le pays soit doté d’un système fédéral a posé un risque additionnel. En effet, dans un livre sur la sécurité intérieure et la politique américaine, il note que « le fédéralisme est un concept riche qui comprend de puissants incitatifs à la fragmentation, et qu’en l’absence d’une force centrale pour combler les lacunes des relations intergouvernementales, celles-ci. . . [peuvent] saper la capacité d’intervention de la nation en cas d’urgence. » Les brèches dans les barrages de la Nouvelle-Orléans étaient donc le reflet des failles dans les relations intergouvernementales.

Les faux pas qui menèrent à la catastrophe

Pourquoi ne s’est-on pas évertué à combler les lacunes des relations intergouvernementales entre le moment où le passage de l’ouragan a été confirmé — et donc qu’on savait le désastre imminent — et le passage de l’ouragan en tant que tel ? Les caractéristiques principales et les multiples nuances des relationsentre les gouvernements aux États-Unis ont créé les conditions nécessaires pour que s’installe le chaos sur la côte du golfe du Mexique, mais elles n’en sont pas la cause.

La plupart du temps, les gouvernements coopèrent de façon intermittente, mais efficace, afin de fournir des services et des biens publics à près de 300 millions de « clients » américains. Qu’est-ce qui explique que ce système ait failli lors du passage de Katrina ?

Sans un rapport officiel tel que le rapport de la Commission sur le 11 septembre, on ne peut que faire des suppositions et des conjectures quant aux causes exactes. De plus, comme ce fut le cas avec la Commission, la création d’un organisme d’enquête risque de provoquer la controverse. Les analyses de la Commission permettent néanmoins d’identifier les principaux facteurs qui ont contribué à la catastrophe et au chaos qui s’est installé sur la côte du golfe du Mexique. Les facteurs suivants ont été identifiés :

  1. manque d’imagination

  2. hiérarchisation inadéquate des priorités en matière de politiques

  3. capacités inadéquates

  4. gestion inadéquate

L’imagination fait référence à la probabilité et à la gravité de lamenace relative à la sécurité. Les États-Unis avaient déjà connu d’autres ouragans et d’autres inondations importantes, mais en dépit des avertissements concernant Katrina, beaucoup trop de fonctionnaires occupant des postes importants ne se sont pas donné la peine d’essayer d’entrevoir le chaos et la catastrophe qui pourraient en résulter.

Les politiques peuvent être illustrées par un exemple : la FEMA. L’agence a fusionné avec le Département de la sécurité intérieure et, à ce titre, a vu son statut et ses ressources diminuer. Elle a dès lors dû opérer dans un cadre où les politiques antiterroristes étaient prioritaires. De plus, son directeur — qui a récemment démissionné — n’avait vraisemblablement aucune expérience de gestion d’opérations d’urgence. Des facteurs raciaux et économiques ont-ils joué un rôle dans la hiérarchisation inadéquate des priorités en matière de politiques, comme la plupart des Afro-Américains et beaucoup de critiques le croient ? Est-ce que le fait que la plupart des résidants pris au piège dans la ville étaient des afro-américains pauvres a contribué à la lenteur des efforts d’évacuation et de sauvetage ?

Les capacités font référence à l’habileté à remplir une mission. La déclaration de la Commission sur le 11 septembre concernant les capacités est également pertinente en ce qui concerne Katrina et ses conséquences. « Les agences gouvernementales (...) sont souvent trop passives ; elles acceptent des affirmations comme des faits établis, y compris l’affirmation qui prétend que déceler et corriger les lacunes évidentes et les menaces importantes serait trop dispendieux, trop controversé et trop déstabilisant. » Les capacités organisationnelles de presque toutes, sinon toutes, les 75 à 100 agences locales, étatiques et nationales chargées de faire face à l’ouragan Katrina dans le golfe du Mexique étaient terriblement inadéquates.

La gestion est un concept large qui inclut la communication efficace à l’intérieur des juridictions et entre celles-ci, mais n’y est pas limité. Les agences qui évoluent dans le systèmeintergouvernemental des États-Unis s’apparentent à des médecins spécialistes, chacun établissant son propre diagnostic, demandant ses propres analyses et donnant ses propres consignes. L’absence de médecins traitants se fait cruellement sentir parmi cette panoplie de spécialistes, car leur tâche consiste principalement à s’assurer que les spécialistes travaillent ensemble à l’amélioration de la santé du patient. L’efficacité des relations intergouvernementales aux États-Unis dépend de la présence de plusieurs de ces « médecins traitants ». Dans le cas de l’ouragan Katrina, il y en avait peu, ou alors pas du tout.

Rétrospective et prévisions

Les coûts économiques associés à l’ouragan Katrina se chiffrent à plusieurs milliards de dollars. La contribution nationale pour la reconstruction a déjà été estimée à 200 milliards, somme à laquelle s’ajoutera d’autres milliards de fonds locaux et étatiques. Pour comptabiliser les coûts réels, on doit aussi tenir compte de la perte de 1 000 à 2 000 vies, de la croissance des prix de l’essence et du mazout, ainsi que de la baisse de 0,5 à 1 pour cent de la croissance économique. Même une étude exhaustive effectuée par une commission nationale n’arriverait probablement pas à mesurer avec exactitude tous les coûts et toutes les conséquences de la visite de Katrina sur la côte du golfe du Mexique.

Un fait semble cependant clair : le drame lié à l’ouragan Katrina s’est joué sur une scène délimitée par la confusion et la complexité des relations intergouvernementales. Pour éviter que se reproduise une catastrophe telle que Katrina ou encore une catastrophe liée à des actes terroristes, la présence de dirigeants ayant la volonté politique nécessaire et de gestionnaires expérimentés possédant des habiletés de gestion sera essentielle. Une agence et des infrastructures capables de transformer cette volonté et ces habiletés en mesures concrètes devront aussi être en place. Les fonctionnaires qui travaillent dans le domaine des relationsintergouvernementales aux États-Unis auront besoin de ces éléments pour passer outre les barrières juridictionnelles auxquelles ils sont confrontés. Enfin, pour que soient évitées de futures urgences nationales, ou pour en minimiser les conséquences, un leadership créateur et participatif sera indispensable.

Fédérations vol. 5, no 1 / novembre 2005 www.forumfed.org