se rappeler qui est généralement à la tête du gouvernement fédéral au pays, soit le Parti libéral.

Il s’agit du parti politique ayant connu le plus de succès dans le monde occidental puisqu’il s’est maintenu au pouvoir pendant 75 des 105 dernières années.

Le 23 janvier 2006, après quelque douze ans de régime libéral, les Canadiens ont élu un gouvernement conservateur minoritaire. Quand aucune majorité ne se dessine après une élection, le parti disposant du plus grand nombre de sièges au Parlement forme un gouvernement minoritaire. Sa durée de vie dépend alors du moment où les partis d’opposition décident de voter une motion de défiance. Au Canada, les gouvernements minoritaires résistent environ 18 à 24 mois avant d’être renversés.

Les conservateurs se retrouvent plus souvent dans l’opposition que dans le gouvernement. Loin du pouvoir, ils développent certaines attitudes à l’égard du fédéralisme canadien, inspirées de ce vieil adage : l’ennemi d’un ennemi est un ami.

Ils sont témoins des attaques des premiers ministres provinciaux contre le gouvernement fédéral, ceux-ci réclamant tout à la fois plus de fonds et de pouvoirs et un plus grand respect des prérogatives provinciales. Ils en viennent alors à croire que si les conservateurs fédéraux remplaçaient les libéraux, l’harmonie régnerait entre les premiers ministres provinciaux et le fédéralisme canadien fonctionnerait mieux.

Que tous ces espoirs aient été constamment démentis par la réalité n’a jamais empêché les conservateurs de s’y raccrocher. Le monde de l’opposition demeure celui des illusions et de la mémoire défaillante.

C’est sans surprise que les élections du 23 janvier ont mené au pouvoir un gouvernement conservateur avec pour premier ministre Stephen Harper, qui doit composer avec la conviction du parti voulant qu’une plus grande harmonie nationale résulterait de l’octroi aux provinces par le gouvernement fédéral de plus de fonds et de plus de pouvoirs.

Au début mai, le gouvernement de M. Harper a présenté un budget qui propose de faire passer la taxe sur les produits et services (TPS) de sept à six pour cent. Cette initiative, combinée à d’autres réductions d’impôts, réduira l’impôt sur le revenu de 20 milliards au cours des deux prochaines années.

Un premier ministre venu de l’Ouest

M. Harper est un Albertain, ce qui n’est pas sans conséquence. Le gouvernement de l’Alberta est fréquemment en conflit avec le gouvernement central, car il s’oppose à ses « intrusions » dans ses compétences provinciales.

Jeffrey Simpson est chroniqueur parlementaire pour le Globe and Mail, un journal national canadien.

à Ottawa a influencé la manière dont M. Harper conçoit le fédéralisme canadien. Il considère que le gouvernement fédéral s’est immiscé dans les affaires des provinces grâce à un pouvoir de dépenser sans contrainte. Il souhaite bien brider ces dépenses, bien que la manière dont il compte procéder demeure floue.

M. Harper s’est engagé à corriger le « déséquilibre fiscal » du Canada. Cette formule peu attrayante a fini par signifier que les provinces disposent de revenus trop modestes pour venir à bout de responsabilités constitutionnelles de plus en plus coûteuses, surtout en santé et en éducation. En un mot : Ottawa dispose de trop d’argent pour exécuter ses tâches, les provinces de trop peu pour les leurs.

Ces doléances provinciales n’ont rien de nouveau. Depuis des décennies, elles sont constamment remises sur le tapis par les grandes provinces, notamment par le Québec. L’existence d’un « déséquilibre fiscal » est désormais acceptée comme un fait partout au Québec et ce point de vue a fait des adeptes dans les autres provinces ainsi qu’ au sein du nouveau gouvernement fédéral.

Lu dans un document de la campagne électorale de M. Harper : « Le gouvernement conservateur travaillera avec les provinces afin de trouver un accord à long terme permettant de résoudre de manière définitive la question du déséquilibre fiscal ».

M. Harper a déclaré que son gouvernement n’amorcera un nouveau processus de répartition des surplus fédéraux et ne s’attaquera au déséquilibre fiscal que lors du second budget, l’an prochain. Comment et que serait un « accord à long terme », voilà qui reste un mystère. Plusieurs possibilités existent, toutes semées d’embûches.

Le fédéralisme fiscal est incroyablement compliqué. Le changement d’un seul paramètre affecte tous les autres. Toutes les provinces souhaitent recevoir davantage et aucune n’est prête à accepter une réduction de ce qu’elle reçoit. Comment les conservateurs pourraient-ils tenir leur engagement à revoir à l’avantage de chaque province le programme national de péréquation qui transfère des fonds aux provinces les moins favorisées sans défavoriser l’une ou l’autre province ?

Peu après son arrivée au pouvoir, M. Harper est devenu plus évasif concernant sa belle promesse de trouver l’« équilibre fiscal ». Le « déséquilibre fiscal » se fonde sur l’existence de surplus fédéraux importants, mais surestimés, qui suscitent la convoitise de plusieurs capitales provinciales.

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006

De promesses électorales à réalité politique

Les conservateurs ont réalisé qu’un fédéralisme fiscal d’une telle complexité ne pouvait être facilement réformé. Quelques voix au sein du Parti conservateur ont pris conscience que l’octroi de compétences et de fonds supplémentaires ne suscite pas la reconnaissance des provinces et n’étanche pas leur soif de revendications.

Les conservateurs se sont souvent retrouvés dans l’opposition en raison de leur faiblesse au Québec. Ils y ont gagné 10 sièges aux élections de janvier. Leur objectif est d’en obtenir 20 ou 30 de plus au prochain scrutin et ainsi former un gouvernement majoritaire.

Des élections au Québec sont pressenties pour 2007. Une victoire du Parti québécois pourrait signifier une nouvelle tentative de démembrement du Canada. Une victoire libérale est dans l’intérêt du pays. Voilà pourquoi M. Harper reconnaît le « déséquilibre fiscal » et veut le régler et donner ainsi aux fédéralistes du Québec un trophée à brandir lors des prochaines élections provinciales.

Comme le Québec affirme qu’un « déséquilibre fiscal » existe, et comme l’objectif politique prioritaire des conservateurs est d’y gagner du terrain, il faut agir. Accroître la péréquation pour les provinces bénéficiaires comme le Québec ? Céder des points d’impôt à toutes les provinces ? Augmenter les transferts aux provinces, qui se chiffrent déjà à près de 48 milliards de dollars ? Céder aux provinces deux ou trois points de la taxe sur la valeur ajoutée, la taxe nationale sur les produits et services ?

Toutes ces options (et d’autres encore) seront discutées. Mais au cours des deux prochains exercices financiers la fédération aura peu d’excédents à sa disposition, maintenant que M. Harper a décidé d’aller de l’avant avec sa promesse de réduire la TPS d’un point,ce qui coûtera environ 5 milliards de dollars.

La meilleure solution — et la pire politique

Une meilleure manière de résoudre le « déséquilibre fiscal » implique une acception différente du terme.

D’après cet autre point de vue, différent de celui de M. Harper, Ottawa dispose de trop d’argent mais les contribuables canadiens, de trop peu; le gouvernement conservateur devrait donc réduire considérablement les impôts puis inviter les provinces à jouer le rôle fiscal qu’il leur cède. Après tout, les provinces disposent de presque toutes les mêmes compétences fiscales qu’Ottawa. Mais plusieurs provinces n’oseront pas, surtout le Québec dont les citoyens paient les impôts parmi les plus élevés au pays. Il est bien plus facile pour les gouvernements provinciaux d’exiger des fonds au Trésor fédéral que de taxer directement leurs propres citoyens.

M. Harper a vu juste sur un point : Ottawa a fait un usage abusif de son pouvoir de dépenser dans de nombreux domaines relevant des provinces : les garderies, le transport urbain, les infrastructures municipales et les soins de santé.

M. Harper souhaite lever les ambiguïtés liées aux rôles fédérale et provincial au sein de la fédération pour qu’Ottawa réoriente ses efforts dans les domaines relevant incontestablement de la compétence fédérale, tels la défense et les affaires étrangères.

Mais même dans ce dernier domaine, M. Harper a cherché à satisfaire les revendications du Québec en affirmant, en mai, son futur statut de membre associé à l’UNESCO, un statut similaire à celui dont la province a toujours joui au sein de la Francophonie. Ce n’est qu’une question de temps avant que le Québec ne demande un statut similaire au sein d’autres organisations internationales. Soucieux d’engranger des voix au Québec, l’opportunisme politique de M. Harper a supplanté toutes considérations liées à la cohérence de la politique extérieure du Canada et aux conséquences futures.

Le gouvernement de M. Harper est minoritaire. Apporter des changements majeurs permettant à Ottawa de transférer des fonds aux provinces doit obtenir l’appui d’autres partis au Parlement. Au cours de la première année de son mandat, aucun parti ne souhaite précipiter une élection, mais après, tous les paris sont ouverts.

Marge de manœuvre extraparlementaire

Au Canada, plusieurs aspects des relations entre la fédération et les provinces ne relèvent pas du Parlement, tel que l’arrangement relatif à l’UNESCO. M. Harper utilisera cette compétence fédérale extraparlementaire afin d’améliorer les relations avec les provinces.

Il constatera que même l’Ontario se considère désormais comme négligée par le Canada, et se plaint des 23 milliards de dollars qui lui sont soutirés pour aider d’autres régions alors que la province est en déficit et connaît d’importantes difficultés liées à ses systèmes de santé et d’éducation, ainsi qu’à ses réseaux municipaux.

Il se rendra compte que les provinces de l’Atlantique — laNouvelle-Écosse, Terre-Neuve et Labrador, le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard – exigent plus de fonds afin d’améliorer leurs perspectives économiques. En ce qui concerne l’Ouest, il apprendra que la Saskatchewan souhaite modifier la formule de péréquation qu’elle considère comme injuste et que l’Alberta, dont les ressources énergétiques remplissent les coffres de la province, désire simplement qu’Ottawa se mêle de ses affaires.

Et il réalisera que toutes les concessions qu’il pourrait accorder au Québec seront empochées par le gouvernement provincial sans reconnaissance, mais plutôt avec la satisfaction d’avoir soutiré de l’argent et du pouvoir à Ottawa.

En d’autres termes, M. Harper deviendra plus circonspect quant au fonctionnement de la fédération canadienne. Il réalisera en effet qu’être premier ministre de la fédération la plus décentralisée du monde est beaucoup plus difficile que ce qu’il avait imaginé alors qu’il était chef de l’opposition.

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006 www.forumfed.org