Le 30 mars 2006, à une majorité de 189 voix contre 154, la Chambre basse du Parlement espagnol a ratifié un projet de loi qui accorde plus de compétences à la Communauté autonome de Catalogne. Ce projet de loi doit maintenant être ratifié par le Sénat espagnol, avant de retourner en Catalogne pour être soumis à un référendum.

Bien que le Parlement catalan se soit prononcé à une écrasante majorité en faveur de la loi proposée, celle-ci a divisé les Catalans. Le référendum qui s’annonce risque bien de relancer la polémique.

Le nouveau projet de loi sur l’autonomie, que l’on appelle le « Statut » (« Estatuto ») en Espagne, avait au préalable été approuvé par 90 pour cent de l’assemblée législative catalane. Ce nouveau statut d’autonomie vise à accroître les fonds transférés à la Catalogne par le gouvernement central et à empêcher certaines causes d’aller en appel devant la plus haute cour espagnole.

Le statut d’autonomie a été discuté tout d’abord devant l’assemblée législative catalane, actuellement dirigée par une coalition de gauche menée par le PSC, le Parti socialiste de Catalogne. Cette coalition a été élue en novembre 2003, mettant fin à 23 années d’un gouvernement mené par Jordi Pujol, ancien leader pragmatique du parti nationaliste catalan modéré Convergència i Unió. Le gouvernement de M. Pujol était devenu expert dans l’art d’arracher un maximum de concessions et de transferts de compétences, en négociant habilement avec le gouvernement central espagnol, que ce soit avec la coalition socialiste dirigée par José Luis Rodríguez Zapatero ou avec la coalition dirigée par le conservateur José María Aznar précédemment au pouvoir. Cependant, les nationalistes purs et durs de gauche voulaient une reconnaissance encore plus grande de leur statut de « nation » — exprimée en termes d’histoire, de langue et d’identité culturelle — ainsi qu’une augmentation de leur récupération fiscale.

La réforme du statut d’autonomie de la Catalogne a été proposée par la coalition au pouvoir, qui réunit des socialistes, des nationalistes purs et durs et des verts sous l’autorité du socialiste Pascual Maragall, le successeur de M. Pujol. Elle est appuyée par les nationalistes de M. Pujol, à présent le principal parti d’opposition au sein de l’assemblée catalane.

Les fonds structurels de l’UE destinés à l’Espagne vont en s’amenuisant, ce qui signifie que la Catalogne recevra 2,5 milliards d’euros en moins, une somme qui avait jusqu’à

John Barrass dirige le service des nouvelles à Radio Free Barcelona et a été pendant six ans rédacteur en chef du journal Barcelona Business. Il rédige la rubrique « Catalonia Confidential » sur le site Barcelonareporter.com et contribue aux publications de l’Institut d’Estudis Catalans.

présent bien aidé l’assemblée catalane à financer ses programmes.

Le controversé nouveau statut d’autonomie a pour but de maintenir les dépenses de la Catalogne à leur niveau actuel et de les financer en réduisant la contribution de la région au gouvernement central espagnol. Le « déficit fiscal » — c’est-à-dire les fonds qui manquent aux communautés autonomes pour la prestation de services au public — est mis de l’avant pour justifier cette réduction.

Cette tendance, avertissent les critiques, pourrait chambouler la taxation progressive. L’impôt sur le revenu et

l’impôt sur les sociétés sont prélevés aux mêmes taux en Catalogne et en Estrémadure. Mais la Catalogne est l’une des régions les plus riches d’Espagne. Certains économistes prétendent que ses revenus fiscaux contribuent pour environhuit pour cent de plus aux caisses de l’État que ce qu’elle reçoiten termes de services de la part de l’État central. Bien que ne satisfaisant pas aux demandes initiales exprimées dans le nouveau statut d’autonomie, les concessions accordées par Madrid — pour autant que le statut soit modifié, de même que la loi pour le financement des communautés autonomes — permettront à la Catalogne de conserver 50 pour cent de tous les impôts sur le revenu et la taxe à valeur ajoutée (TVA) prélevés dans la région et 58 pour cent des revenus taxés sur le mazout, le tabac, l’alcool et autres vices. Ces pourcentages augmenteront au fil du temps pour atteindre leurs nouveaux niveaux plus élevés. Cette entente pourrait également comprendre une somme additionnelle de trois milliards d’euros en promesses de contrats pour des fournitures de travaux publics.

Le ministre espagnol des Finances, Pedro Solbes, a suggéré qu’il serait possible d’étendre à d’autres régions l’accord sur le partage des taxes. Ce mouvement pourrait transférer aux régions encore quelque 20 milliards d’euros supplémentaires par année, amputant ipso facto les finances espagnoles de 15 pour cent.

Un « gouvernement par la minorité » ?

Ces mesures ne plaisent pas à tous. Perçues comme un caprice de la députation au Parlement, elles sont critiquées autant par les leaders socialistes que par l’opposition conservatrice : en effet, comme il manque douze sièges aux socialistes de Zapatero — le Partido Socialista Obrero Español ou PSOE — pour obtenir la majorité, ils ont besoin du soutien des Catalans aux Cortès de Madrid, tandis que, de son côté, M. Maragall (il lui manque 26 sièges) a besoin des nationalistes purs et durs de l’Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) à l’assemblée législative catalane. Par cette cascade de procurations, le gouvernement espagnol devient esclave des sécessionnistes de l’ERC. Luis María Anson, fondateur du journal La Razón, a affirmé que « la Constitution

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006

devrait être récrite pour instaurer un système électoral dans lequel une majorité de n’importe quel bord électoral n’est pas soumise au chantage des nationalistes ». C’est un jugement extrême, mais il souligne le pouvoir indu que s’approprie l’ERC, qui représente à peine 16 pour cent de l’électorat catalan ou 2,5 pour cent de tous les électeurs espagnols. M. Anson représente une figure controversée de la droite espagnole, mais son quotidien La Razón figure malgré tout parmi les six principaux quotidiens nationaux.

Josep Lluis Carod-Rovira, le leader d’Esquerra, a adopté une position beaucoup plus dure que l’ancien président de l’assemblée, M. Pujol. Diabolisé par la presse madrilène de droite pour avoir tenu des réunions secrètes avec les terroristes de l’ETA dans le Pays basque espagnol (certains Espagnols boycottent les biens catalans pour cette raison, et d’autres encore), le combatif Carod-Rovira a déclaré que le nouveau statut d’autonomie de la Catalogne avait été honteusement édulcoré. Alors que les propositions de modifications étaient encore discutées à Madrid, M. Carod-Rovira a pris la tête d’une marche en faveur de l’indépendance le 18 février dernier à Barcelone sous le slogan : « Nous formons une nation et nous avons le droit de décider. » Les organisateurs de la manifestation ont déclaré qu’elle avait été suivie par un million de personnes, mais des spécialistes en comptage ont réduit cette foule à un maximum de 70 000 participants.

Les élus de Catalogne pourraient toutefois bien se retrouver en porte-à-faux avec leurs électeurs. Alors que 89 pour cent des députés catalans à l’assemblée — représentant en théorie 87 pour cent de l’électorat — ont voté le 30 septembre dernier en faveur du nouveau statut d’autonomie, un sondage d’opinion réalisé peu après a révélé que 49,4 pour cent des Catalans interrogés ne considéraient pas la Catalogne comme une nation, contre 46,8 pour cent qui s’en montraient convaincus.

Droits collectifs et individuels

« Le projet de réforme du statut d’autonomie de la Catalogne contient suffisamment d’éléments pour dépouiller les droits individuels de toute signification », écrit le commentateur politique Jorge Vilches. De nombreux juristes partagent cette opinion, comme Francisco José Hernando, président de la Haute Cour espagnole et du Conseil général de la Justice, qui s’est dit « sérieusement préoccupé » par la réforme du statut. Il serait extrêmement difficile de mettre en œuvre certaines de ses implications ; ainsi, comment les compétences de la Catalogne en matière d’immigration pourraient-elles s’appliquer dans le contexte des deux traités européens : l’accord de Schengen et le traité de Rome ?

La Cour constitutionnelle a décidé de retarder l’examen du statut d’autonomie, pendant que ses articles sont élaborés (avec difficulté) par une commission spéciale. S’il est approuvé par la Cour, le nouveau statut sera soumis au référendum en Catalogne. Dans l’intervalle, le parti conservateur à Madrid — le Partido Popular — recueille des signatures (quelque quatre millions jusqu’à présent) pour soutenir l’idée d’un référendum national sur l’acceptabilité du statut régional. Mais cette pétition pourrait bien n’être qu’une opération de relations publiques parce que, pour qu’elle puisse avoir un quelconque impact, il faudrait un changement fondamental dans la loi, sans compter les précédents créés par les référendums sur la dévolution ailleurs.

Le nouveau statut d’autonomie comporte trois points particulièrement contestés : la protection renforcée de la langue catalane, la révision de la redistribution fiscale et les pouvoirs judiciaires de type « la-responsabilité-commence-ici » pour la Haute Cour de Catalogne (Tribunal Superior de Justicia de Catalunya), qui accroît sensiblement ses compétences. Si le statut pourraient plus être renvoyées en appel devant la Cour suprême d’Espagne.

La justice jette un œil à travers son bandeau

En défendant les propositions de révision du statut d’autonomie, Josep Maria Vallès, ministre de la Justice à l’assemblée législative catalane, a déclaré qu’il serait erroné de penser que « la Catalogne disposera d’un système judiciaire séparé qui remplacera la Cour constitutionnelle de Madrid par la Haute Cour régionale en tant qu’autorité judiciaire suprême. »

Le ministre de la Justice a précisé : « Ce que le nouveau projet prévoit, c’est le droit du gouvernement catalan de disposer d’une compétence pleine et entière sur les fonctionnaires non judiciaires et d’un droit de regard limité sur certaines nominations aux fonctions judiciaires, mais pas des pleins pouvoirs en la matière. » Il a maintenu que « les cours de Catalogne continueront d’être organisées et leurs juges nommés en vertu du droit espagnol, dont ils poursuivront l’application. »

Le ministre a insisté sur le fait que la mesure n’avait rien d’extrémiste. « Il ne s’agit ni d’un système judiciaire séparé, nimême de l’instauration d’un système bipolaire fédération-Étatscomme au Canada, en Allemagne et aux États-Unis. »

Les arguments de M. Vallès pour la défense du statut d’autonomie peuvent néanmoins être contestés sur deux points. En ce qui concerne la nomination des juges, un haut niveau de connaissance de la langue catalane représentera « une compétence déterminante », ce qui pourrait s’avérer un euphémisme pour l’exclusion de juges et de magistrats non catalans. Deuxièmement, le droit de faire appel devant la Cour constitutionnelle espagnole ne sera pas accordé dans la grande majorité des cas, là où les droits constitutionnels ne sont pas touchés. Ainsi, le système judiciaire catalan restera la dernière instance pour les litiges en matière commerciale et les escroqueries — notamment — et les affaires y seront jugées par un juge catalan siégeant en langue catalane (avec si nécessaire une traduction en espagnol).

Un autre adversaire de la loi proposée, le député européen Aleix Vidal Quadras, du parti conservateur espagnol, met en garde contre le risque que la Cour constitutionnelle espagnole ne soit submergée par des requérants invoquant des abus, en particulier dans des affaires linguistiques et industrielles, ces abus existant déjà selon M. Quadras.

Sous les feux de la rampe du monde entier

En ce Nouvel An 2006, l’attention des médias internationaux s’est brièvement focalisée sur la Catalogne, lorsque le lieutenant général José Mena a fait savoir que l’article 8 de la Constitution, qui confère aux militaires le droit de défendre l’intégrité territoriale de l’Espagne, pourrait être utilisé à l’encontre de la Catalogne et de ses manœuvres visant à s’arroger toujours plus de pouvoirs. Ces tentatives d’intimidation ont suscité une certaine sympathie pour la cause catalane, mais elles ont également exposé les politiciens régionaux à un style de commentaires agressifs auxquels la presse locale ne les avait pas habitués.

Ciutadans de Catalunya, un cercle d’intellectuels de centre-gauche, a envisagé de transformer son groupe de pression en véritable parti politique. Il sera intéressant de voir si, lors des prochaines élections, les Ciutadans non nationalistes vont recevoir un soutien déterminant des quelque 500 000 personnes qui, selon les estimations, se sont abstenues lors des dernières élections. C’est là le but de ce parti. S’ils gagnent ne serait-ce que douze sièges, cela créerait l’équilibre des pouvoirs à l’assemblée. Un tel résultat pourrait bien mettre un terme à l’érosion continuelle des droits des non-Catalans en Catalogne.

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006 www.forumfed.org