Le Cap est considéré comme l’une des plus belles villes du monde. Depuis la montagne de la Table, située au nord-est et dominant la cité de ses 1 000 mètres, jusqu’aux quais Victoria et Alfred, le décor est à couper le souffle. Mais cette grande métropole sud-africaine qui, depuis l’an 2000, abrite trois millions d’habitants, a peine à fournir des logements et d’autres ressources de base à tous ses habitants. L’Afrique du Sud s’évertue encore à se défaire des séquelles de 46 ans d’apartheid.

On attend de la ville du Cap — en sa qualité de grande métropole d’Afrique du Sud — qu’elle fournisse des logements sociaux. Elle échoue pourtant largement à relever ce défi. En décembre 2005, la mairesse sortante, Mme Nomaindia Mfeketo du Congrès national africain (ANC), a reconnu que la ville aurait besoin de quelque 750 millions de rands (environ 121 millions USD) par an au cours des cinq prochaines années afin de remédier à la pénurie de logements. La ville du Cap doit construire entre 20 000 et 30 000 logements par an, mais elle n’en a construit que 342 en 2003-2004 et environ 2000 en 2004-2005, et ce, alors que 16 000 déshérités y débarquent chaque année pour y vivre dans des abris de fortune. En 2004-2005, quelque 112 millions de rands (environ 20 millions USD) du budget destiné au logement du gouvernement provincial du Cap-Occidental n’ont pas été utilisés et, en 2005-2006, 94 millions de rands (environ 15,2 millions USD) sont restés inutilisés.

Bien que la Constitution de 1996 ait fait des villes d’Afrique du Sud un nouvel ordre de gouvernement, leurs recettes dépendent tout de même, dans une certaine mesure, du gouvernement national — et ce dernier tient les cordons de la bourse bien serrés. En effet, la rigueur budgétaire de l’Afrique du Sud a surpris même les opposants de l’ANC, le parti au pouvoir. Lorsque ce dernier est arrivé au pouvoir en 1994, à la suite des premières élections non raciales, les critiques prédisaient une frénésie de dépenses. Mais la prudence l’a emporté et les déficits se sont avérés considérablement moins élevés qu’à l’époque de l’apartheid. Les neuf gouvernements provinciaux — presque entièrement financés par le centre — se voient octroyer l’essentiel des recettes nationales, mais les administrations locales reçoivent également une partie de la cagnotte.

Il est vrai que les administrations locales ont connu de nombreuses difficultés de mise au point depuis l’instauration de la démocratie, en grande partie parce que 887 municipalités ont été fusionnées pour en faire seulement 284. La raison majeure de ces fusions tenait à la « déracialisation » de municipalités qui avaient été délimitées selon les frontières raciales héritées de l’apartheid

— soit, les Blancs, les personnes « de couleur » et les Indiens. Ces restructurations ont donné lieu à de véritables casse-tête administratifs. En effet, Le Cap a regroupé sept municipalités locales en une seule mégalopole, tandis que Johannesburg a dû se dépêtrer avec le fusionnement de nombreuses administrations dont les systèmes électriques et de gestion du transport étaient, dans certains cas, incompatibles.

Donwald Pressly est correspondant politique pour I-Net Bridge, une agence de transmission d’informations financières sud-africaine. Il écrit également pour le Mail & Guardian. Il est basé au parlement de la ville du Cap.

De manière générale, le tableau n’est pas rose pour les administrations locales — avec l’explosion de l’encours de la dette et une assiette fiscale apparemment basée sur des systèmes fiscaux en évolution. Sur une telle toile de fond, les listes d’attente pour les logements sociaux s’allongent et les bidonvilles pullulent aux abords des villes du pays.

L’offre de logements en Afrique du Sud est une compétence concurrente des trois ordres de gouvernement (national, provincial et local), les administrations locales ajoutant souvent des fonds aux subventions provinciales. Le ministre du Logement,

M. Lindiwe Sisulu, a récemment admis que le nombre de logements de fortune en Afrique du Sud était passé de 1,45 million en 1996 — deux ans après l’arrivée au pouvoir de l’ANC — à 2,14 millions en 2003. Une grande partie de cet afflux peut être attribué au contrôle du flux migratoire des Africains noirs — empêchés de s’établir à leur guise dans les villes et les municipalités — qui eut lieu pendant plusieurs années sous le régime de l’apartheid.

Manque de capacité

Certaines municipalités ne sont ni en mesure de fournir des logements, ni de mandater des entrepreneurs immobiliers, et c’est dans ces municipalités que les défavorisés ont tendance à construire leurs propres masures.

L’Afrique du Sud a pour objectif de supprimer les zones d’habitats précaires d’ici 2014 et de faire de la pénurie de logements une chose du passé. Mais le manque de capacité demeure le principal obstacle à la réalisation de cet objectif.

Le logement n’est qu’un des nombreux défis que doit relever la jeune démocratie sud-africaine dans ses efforts pour instaurer l’harmonie raciale et le développement économique.

2006 : les villes votent

Pour la troisième fois depuis l’arrivée au pouvoir de l’ANC il y a douze ans, les Sud-africains ont pris le chemin des bureaux de vote pour des élections locales le 1er mars dernier. L’ANC a recueilli 66 pour cent des suffrages.

Mais une surprise s’est produite au Cap : un parti d’opposition, l’Alliance démocratique, a remporté suffisamment de voix pour installer, avec le soutien de partis minoritaires, sa propre candidate à la mairie, Mme Helen Ziller.

Fin mars, l’ANC a également dû affronter ce que le journal Mail & Guardian a baptisé « la révolte des maires », et ce, dans plus d’une douzaine de municipalités : les conseillers municipaux — y compris ceux de l’ANC — ont voté pour les candidats à la mairie de leur choix, désavouant les candidats officiels du parti.

L’ANC a cependant été reconduit dans les cinq autres grands conseils métropolitains (là où se trouve la majeure partie de la population) – comprenant le pôle économique de Johannesburg et le pôle industriel de la zone métropolitaine Nelson Mandela, laquelle inclut la ville coloniale de Port Elizabeth.

Forum des fédérations

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006

Le système fédéral de l’Afrique du Sud pourrait être défini comme un système rudimentaire qui octroie de nombreuses compétences aux administrations locales, mais on ne peut nier qu’il existe également un penchant institutionnel et constitutionnel en faveur du centre — un penchant encouragé par le président Thabo Mbeki.

Au niveau politique, la gestion des administrations locales est de plus en plus centralisée, et ce, parce que le comité exécutif national de l’ANC a le dernier mot sur le choix des candidats à la mairie dans les municipalités métropolitaines. Quelques semaines à peine avant les élections municipales, l’ANC a fait savoir qu’il ne désignerait les candidats à la mairie qu’après le scrutin sous prétexte que les électeurs votent pour un parti et non pour un candidat.

Les administrations locales disposent de toute une série de moyens pour assurer leur financement. Les dépenses consolidées de l’Afrique du Sud, nation, provinces et municipalités comprises, ont atteint 435 milliards de rands en 2005-2006. Les administrations locales ont reçu quelque 20 milliards (environ

3,2 milliards USD) de cette somme et ont généré elles-mêmes environ 86 pour cent de leurs recettes, soit 114 milliards de rands supplémentaires (ou 18,5 milliards USD). Les neuf provinces — qui ont reçu environ 210 milliards de rands (soit 34 milliards USD) en 2005-2006 — n’ont généré elles-mêmes que 5,7 milliards de rands (soit 923 millions USD) grâce aux frais d’immatriculation des véhicules à moteur et aux taxes sur les hôpitaux et les jeux, ce qui les rend largement dépendantes des impératifs fiscaux du gouvernement national.

Les provinces se retrouvent donc financièrement étranglées. Une « quote-part équitable » — subvention inconditionnelle qu’elles ont toute liberté de répartir à leur guise entre les tâches qu’elles doivent accomplir — leur est octroyée. La quote-part provinciale se base sur une formule tenant compte de considérations relatives au développement économique et aux politiques liées à la pauvreté. Les dépenses relatives à la santé, à l’éducation et à l’assistance sociale engloutissent toutefois la plus grande partie de ces subsides et les subventions conditionnelles exigent que les fonds soient affectés à des domaines tels que le logement intégré et les subventions globales en matière de VIH et de sida.

Une épée de Damoclès sur la tête des provinces

Politiquement, les neuf provinces, ou à tout le moins certaines d’entre elles, vivent sous une épée de Damoclès depuis que le gouvernement central a indiqué qu’il était prêt à ouvrir un débat concernant la pertinence de l’existence de neuf provinces en Afrique du Sud. Une diminution du nombre de gouvernements provinciaux entraînerait une baisse des coûts.

En ce qui a trait aux administrations locales, le développement le plus remarquable a été l’annonce qu’à partir du mois de juin prochain les taxes sur les services du conseil régional seront supprimées — probablement en faveur d’un système plus efficace de taxe professionnelle. Cela centralisera le processus de perception des taxes, ce qui pourrait s’avérer efficace si les revenus de la taxe professionnelle sont ensuite distribués aux conseils de districts et aux conseils métropolitains. Le budget du gouvernement central présenté le 15 février 2006 annonçait que, à moyen terme, les conseils recevraient des transferts visant à compenser les manques à gagner budgétaires.

Nouvelles infrastructures ou restrictions budgétaires ?

Des pressions sont exercées sur les administrations locales afin qu’elles fournissent des services aux collectivités de façon efficace, et le président Mbeki les considère comme des agents clés de la prestation de services. Mais un problème demeure : certains frais liés aux services des administrations locales ne sont pas recouvrés. Heureusement, la loi sur la gestion des finances municipales exige la divulgation des créances irrécupérables, mais cela peut malheureusement avoir une influence directe sur la cote de solvabilité des municipalités. La pluspart des municipalités fournissent gratuitement les services de base à tous les citoyens — l’eau et l’électricité mais en quantité limitée — ; elles facturent la consommation qui dépasse le minimum de base autorisé.

Néanmoins, le vérificateur général, M. Shauket Fakie, a qualifié les 19,2 milliards de rands (environ 3,1 milliards USD) de dettes cumulées par 23 des plus grandes municipalités du pays de « somme colossale ». Cette somme équivaut presque au montant que le gouvernement central verse aux administrations locales. Cela signifie que ces dernières n’ont pas accès « à un vaste réservoir de fonds pour la prestation de services et les investissements en infrastructures ».

Le 16 février dernier, le ministre des Finances, M. Trevor Manuel, a expliqué aux députés que de nombreux directeurs municipaux possédaient des « compétences de base déficientes » et qu’ « on ne peut disposer d’une administration locale responsable dans de telles circonstances ». Ainsi la plus importante municipalité d’Afrique du Sud, Johannesburg, devait-elle, en 2004, 7,3 milliards de rands (environ 1,2 milliard USD) en raison de taxes et de frais d’utilisation des services publics impayés par ses habitants. Elle a aussi dû affronter la colère des usagers face à la confusion entourant la facturation de l’eau et de l’électricité. Il semble que l’intervention du gouvernement central ait eu un certain impact, du moins à Johannesburg, mais ces problèmes affectent plus de 132 municipalités. Des dirigeants des secteurs public et privé ont été appelés à conseiller ces municipalités afin de les aider à résoudre leurs problèmes. Cette initiative a porté fruit dans au moins un cas : à la fin de 2005, Johannesburg a annoncé qu’elle avait dépassé son objectif de perception de recettes de 164 millions de rands (environ 26,5 millions USD) et les priorités de la ville sont désormais de répondre aux questions concernant les comptes, de solder les comptes, ainsi que de contrôler le crédit. Elle a également lancé un programme de remboursement qui permet l’annulation de certaines des dettes d’un ménage si des paiements réguliers sont effectués.

Comment l’Afrique du Sud résoudra-t-elle son problème de logement ? Politiquement, il demeure peu probable que l’ANC se détourne de son mode de pensée centralisateur. La réponse pourrait bien résider dans la création d’une agence nationale pour le logement chargée de coordonner, avec les administrations locales, la fourniture de logements. Cette solution emboîterait le pas à la centralisation du système fiscal qui est proposée. En fait, cela pourrait bien être la seule solution à moyen terme, en attendant que les administrations locales et les gouvernements provinciaux soient en mesure de fournir les unités de logement requises de façon efficace.

Fédérations vol. 5, no 2 mars/avril 2006 www.forumfed.org