V. EMPRUNTS À L’ÉCHELON INFRANATIONAL DANS LES RÉGIMES FÉDÉRAUX : L’EXPÉRIENCE DE L’ARGENTINE ET DU MEXIQUE

Stuart Landon

[ Un extrait du livre, Relations fiscales dans les pays fédéraux, Paul Boothe, rédacteur. Ottawa : Forum of Federations, 2003 ]

PREMIÈRE PARTIE : INTRODUCTION

Les emprunts des gouvernements infranationaux occupent peu de place dans l’analyse des régimes fédéraux. On trouvera dans les pages qui suivent un exposé des principales questions afférentes à ces emprunts : les raisons pour lesquelles une fédération devrait se préoccuper du niveau d’endettement de ses gouvernements, les incitations à emprunter qui sont propres aux fédérations et les politiques visant à contrôler les emprunts des autorités infranationales.

DEUXIÈME PARTIE : LES EFFETS D’EXTERNALITÉ DES EMPRUNTS DES GOUVERNEMENTS INFRANATIONAUX

L’accroissement du niveau d’endettement d’un membre d’une fédération a un effet d’externalité s’il impose des frais aux autres membres (par exemple une augmentation des taux d’intérêt). Comme le gouvernement qui provoque les effets d’externalité n’en assume pas les frais, il n’a aucun intérêt à en tenir compte lorsqu’il détermine les montants à emprunter. Du point de vue de l’ensemble de la fédération, tout emprunt contracté par un gouvernement au sein de la fédération est donc excessif.

Il y a diverses raisons qui permettent de comprendre pourquoi la dette d’un membre d’une fédération peut avoir des effets négatifs sur les autres membres.1 Supposons que les prêteurs s’attendent à ce que la dette de chaque membre d’une fédération soit garantie, directement ou indirectement, par les autres membres de la fédération. La solvabilité financière de chaque membre dépendra alors de la capacité des autres membres de respecter cette garantie, capacité qui, à son tour, dépend de la valeur totale de la dette de la fédération. Par conséquent, toute augmentation de la dette d’un membre accroît la dette de l’ensemble de la fédération et diminue la solvabilité financière de tous les gouvernements au sein de la fédération.

Un gouvernement central qui se porte garant d’une dette contractée par un gouvernement infranational, ou qui ne souhaite pas qu’un tel gouvernement manque à ses obligations financières, s’efforce sans doute de réduire la valeur réelle de la dette infranationale, ou de satisfaire à ses devoirs de garant en ayant recours à la monétisation (Beetsma et Uhlig, 1999). Les prêteurs estiment sans doute que la probabilité d’une monétisation augmente en proportion du niveau d’endettement infranational. Ainsi, plus la dette infranationale est élevée, plus est élevée la prime de risque que les prêteurs exigent pour se prémunir contre les risques d’inflation. Ainsi, les hausses du niveau d’endettement d’une région augmentent les frais d’intérêt de toutes les régions. En outre, si le gouvernement central monétise la dette d’une région, les coûts réels de l’inflation provoquée par cette monétisation affectent toutes les régions. De même, si le gouvernement central prend à sa charge les obligations financières d’un gouvernement infranational, la dette de la région en défaut de paiement est assumée par le gouvernement central, c’est-à-dire par les contribuables de l’ensemble de la fédération2.

Comme les obligations des gouvernements d’une fédération sont souvent libellées dans une même monnaie et comportent des caractéristiques de risques similaires, les prêteurs ont sans doute tendance à considérer les dettes de ces gouvernements comme très substituables les unes aux autres. C’est pourquoi, chacun des divers gouvernements d’une fédération est confronté à un calendrier de disponibilité de fonds de plus en plus tributaire du niveau d’endettement global de la fédération. Un emprunt contracté par un gouvernement augmente la dette totale de la fédération, et donc les taux d’intérêt devant être acquittés par tous les gouvernements. Cet effet peut être plus important si les emprunts gouvernementaux ne sont pas coordonnés, car on risque alors de se retrouver dans une situation où de nombreuses émissions d’obligations se font en même temps.

Les difficultés de remboursement de dette dans une région entrave les opérations de prêt dans d’autres régions lorsque les prêteurs considèrent les problèmes d’une région comme un signe avant-coureur de problèmes dans d’autres régions. De plus, en compromettant la solvabilité du système financier, la cessation de paiement dans une région peut susciter des coûts réels dans toutes les régions de la fédération.

Comme les régions d’une fédération sont généralement reliées entre elles par le commerce interrégional, une hausse du niveau d’endettement dans une région peut avoir des répercussions sur l’inflation et la production réelle dans d’autres régions, surtout si la région dont le niveau d’endettement augmente est un membre important de la fédération. En outre, l’alourdissement de la dette d’une région, surtout lorsqu’il s’agit d’une région importante, peut influer sur la politique de stabilisation du gouvernement fédéral. Par exemple, les emprunts contractés par un gouvernement régional, en augmentant la demande globale, peuvent exercer des pressions à la hausse sur les prix et inciter le gouvernement central à adopter une politique de contraction de la demande globale. Les coûts de ces politiques se répercutent sur toutes les régions bien que les politiques en question soient le fait d’une seule région.

Encadré 1 : Dépenses infranationales financées par des emprunts

À la fin des années 80 et au début des années 90, les politiques expansionnistes du gouvernement de l’Ontario, fondées sur des emprunts, ont peut-être conduit le gouvernement fédéral canadien à adopter une politique de la demande globale plus restrictive (Shah, 1998). Au Nigeria, étant donné l’absence complète de restrictions concernant le niveau d’endettement des états, il a fallu que la politique de stabilisation du gouvernement central compense l’effet de stimulation des dépenses des gouvernements étatiques financées par des emprunts (Fonds monétaire international, 2001b).

Les débats concernant les niveaux d’endettement dans les régimes fédéraux sont généralement axés sur les emprunts infranationaux. Toutefois, le niveau d’endettement du gouvernement central peut également provoquer des effets négatifs. Un gouvernement central lourdement endetté est moins apte à secourir des gouvernements infranationaux, même s’il s’est engagé à le faire. En outre, à mesure qu’augmente la dette du gouvernement central, le besoin de fonds pour financer le service de la dette peut obliger celui-ci à réduire les transferts aux gouvernements infranationaux. Un gouvernement central lourdement endetté est moins en mesure de stabiliser les économies régionales. De plus, comme le gouvernement central contrôle généralement les autorités monétaires, l’alourdissement de la dette du gouvernement central accroît le risque d’une monétisation de la dette. Enfin, les gouvernements central et infranationaux exploitent les mêmes assiettes fiscales pour obtenir les recettes affectées au service de la dette. Lorsque le gouvernement central augmente son niveau d’endettement, tous ces facteurs sont susceptibles d’inciter les prêteurs à exiger une prime de risque plus élevée lorsqu’ils consentent des prêts aux gouvernements infranationaux.3

TROISIÈME PARTIE : ENCOURAGER LES EMPRUNTS INFRANATIONAUX DANS LES FÉDÉRATIONS

Certaines fédérations ont des caractéristiques qui peuvent fausser les décisions des gouvernements en matière d’emprunt et les inciter à trop emprunter. Par exemple, les politiques de renflouement encouragent les gouvernements infranationaux à emprunter en incitant les prêteurs à demander une prime de risque moins élevée que celle qui serait exigée en l’absence d’une garantie. Les garanties de dette et les opérations périodiques de renflouement peuvent également encourager les prêteurs à financer les déficits insoutenables des gouvernements infranationaux. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé au Brésil (Fonds monétaire international (FMI), 2001a).

Les systèmes financiers de certaines fédérations sont caractérisés par des liens très étroits entre les gouvernements infranationaux et les institutions financières, dont certaines sont sous le contrôle de ces gouvernements. Parfois, ces liens très étroits permettent aux gouvernements infranationaux de contracter des emprunts peu susceptibles d’être remboursés qui compromettent la solvabilité des institutions prêteuses, ce qui oblige la banque centrale à intervenir afin de protéger la stabilité du système financier.

Encadré 2 : Les banques centrales sont obligées d’assumer les dettes infranationales

Au Brésil, par exemple, les gouvernements étatiques ont contracté des emprunts importants auprès des principales banques commerciales sous leur contrôle. Ces gouvernements se sont par la suite mis en situation de défaut de paiement, ce qui a rendu les banques insolvables et a obligé la banque centrale à prendre à sa charge les obligations des banques afin d’éviter la crise financière qu’aurait engendrée une cessation de paiements par les banques (Wildasin, 1997).

Ter-Minassian et Craig (1997) estiment que la croissance de la dette infranationale est souvent attribuable aux lacunes des accords fiscaux conclus par le gouvernement fédéral. Plus précisément, les gouvernements centraux transfèrent parfois des responsabilités de dépenses incompressibles aux régions sans leur accorder du même coup des recettes suffisantes.4 Dans certains cas, l’écart entre dépenses et recettes a rapidement engendré des déficits structurels et des niveaux d’endettement insoutenables.

Certains aspects des systèmes de transferts intergouvernementaux peuvent également inciter les gouvernements infranationaux à emprunter. Ter-Minassian et Craig (1997) suggèrent que la croissance de la dette infranationale est souvent attribuable à un système de transferts ad hoc conçu pour satisfaire les besoins financiers ex post des gouvernements infranationaux. Ces transferts ont pour effet de récompenser les gouvernements endettés et tendent donc à encourager l’endettement tout en pénalisant les gouvernements prudents. Les coupures imprévues dans les paiements de transfert peuvent également aboutir à des augmentations de la dette infranationale car il est souvent difficile pour les autorités infranationales de réduire les dépenses à la suite d’une baisse des transferts. Les paiements de transfert futurs et les sommes provenant du partage des recettes peuvent également être constitués en gages pour des prêts. Cela peut permettre aux gouvernements infranationaux de mettre en œuvre d’importants programmes d’emprunt. C’est ce qui s’est produit au Mexique et en Argentine.

Encadré 3 : Transferts fédéraux aux gouvernements infranationaux endettés

Par exemple, l’Allemagne a utilisé des subventions fédérales pour réduire le poids de la dette de certains Länder lourdement endettés. En Italie, par contre, vers la fin des années 70, le gouvernement central a assumé la responsabilité des dettes de ses municipalités. Durant les années 80, le gouvernement central argentin, mu surtout par des mobiles politiques, a effectué des transferts discrétionnaires à certaines provinces pour financer des déficits infranationaux (Schwartz et Liuksila, 1997). D’autres fédérations, par exemple la Russie, le Brésil et la Chine, ont également eu recours à des transferts discrétionnaires.

Souvent, les gouvernements centraux ne prennent pas en considération les effets que leurs politiques macroéconomiques exercent sur les finances des gouvernements infranationaux, bien que ces politiques puissent influer profondément sur les budgets infranationaux en modifiant la production et les taux d’intérêt réels. Les hausses des taux d’intérêt réels provoquées par les politiques anti-inflationnistes du gouvernement central ont contribué aux cessations de paiements de certains états de la fédération brésilienne vers le milieu des années 90 (Dillinger et Webb, 1999).

Il y a beaucoup d’autres politiques qui incitent les autorités infranationales à emprunter. Aux États-Unis, le gouvernement fédéral subventionne – et donc encourage – les gouvernements étatiques et municipaux en exemptant de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers les intérêts versés sur les obligations émises par ces gouvernements. En Inde, le gouvernement central a prêté des fonds aux états à un taux d’intérêt inférieur à celui du marché, les incitant ainsi à s’endetter (Wildasin, 1998). En Argentine, les provinces avaient le droit d’emprunter auprès des banques provinciales, lesquelles réescomptaient ensuite leurs prêts auprès de la banque centrale, ce qui a eu pour effet de donner aux états une part des recettes de seigneurage (Dillinger et Webb, 1999). Les gouvernements centraux ont également institué des régimes d’épargne obligatoire auprès desquels les régions peuvent parfois emprunter à des taux réduits.

QUATRIÈME PARTIE : MÉCANISMES VISANT À CONTRÔLER LES EMPRUNTS INFRANATIONAUX

Ter-Minassian et Craig (1997) regroupent les différentes méthodes utilisées pour contrôler les emprunts des gouvernements infranationaux dans quatre grandes catégories : la discipline imposée par les marchés, la coopération, les contrôles fondés sur des règles et les contrôles administratifs exercés par le gouvernement central.

a) La discipline imposée par les marchés

La discipline imposée par les marchés repose sur le fonctionnement des marchés d’obligations émises par des autorités infranationales. À mesure qu’un gouvernement augmente sa dette, le marché constate que le risque de défaut de paiement augmente et, par conséquent, exige un taux d’intérêt plus élevé que celui des emprunteurs plus prudents. Ce taux d’intérêt accru incite les gouvernements à limiter l’accroissement de leur niveau d’endettement.5 Même si les gouvernements ne limitent pas cet accroissement, les prêteurs en viennent à refuser des prêts supplémentaires car le risque d’une cessation de paiement devient trop élevé. Ainsi, le fonctionnement naturel des marchés prévient les niveaux d’endettement insoutenables.

Pour que la discipline des marchés limite les emprunts, il faut que diverses conditions préalables soient satisfaites (Lane, 1993). Premièrement, les emprunteurs doivent posséder des renseignements sur l’encours de la dette et les capacités de remboursement des gouvernements infranationaux. Dans les pays en développement, il arrive fréquemment que ces renseignements ne soient pas disponibles et, tant dans les pays développés qu’en développement, les gouvernements recourent à divers subterfuges pour cacher leur véritable niveau d’endettement.6 Dans de nombreux pays, en raison du caractère sous-développé du marché des obligations infranationales, les signaux indispensables pour assurer l’efficacité de la discipline de marché – par exemple, les cotes de crédit et les rendements observables sur les dettes négociables – ne sont pas non plus disponibles.

Deuxièmement, si les taux d’intérêt doivent correspondre au risque que comportent les prêts aux gouvernements infranationaux, les marchés financiers devraient fonctionner librement et la réglementation ne devrait pas encourager les prêts à ces gouvernements7. De plus, on devrait généralement interdire aux gouvernements infranationaux d’emprunter auprès de la banque centrale ou des banques sous leur contrôle car les décisions de ces établissements financiers ne reposent pas sur le fonctionnement des marchés. Troisièmement, la concurrence des marchés financiers doit être suffisante pour faire en sorte que les prêteurs prennent des décisions à la fois rationnelles et prudentes. Quatrièmement, le système financier doit être en mesure de survivre au choc que constituerait la faillite d’un grand prêteur ou d’un grand emprunteur (Bayoumi et al., 1995). Enfin, les gouvernements doivent être en mesure de reconnaître et d’interpréter les signaux du marché, ce qui n’est pas toujours le cas, surtout si ces gouvernements n’ont que des objectifs à court terme ou si la responsabilisation politique est faible. Outre les conditions qui viennent d’être énumérées, la discipline imposée par le marché exige, avant tout, une politique crédible de non-renflouement. De cette façon, les prêteurs ont tout intérêt à assujettir les gouvernements infranationaux à la discipline des marchés8. Cependant, la crédibilité est un objectif difficile à atteindre lorsque les prêteurs et les emprunteurs estiment que le gouvernement central ne permettrait pas à un gouvernement infranational de cesser ses paiements, surtout lorsqu’il s’agit du gouvernement d’une région importante.9 Si la règle du non-renflouement n’est pas vraiment crédible, les emprunteurs sont moins prudents et la discipline imposée par les marchés devient moins efficace.

Outre ses préalables sévères, la discipline imposée par les marchés ne répercute pas sur l’emprunteur le coût de l’externalité associée à l’emprunt. Par conséquent, la discipline de marché ne permet pas d’arriver au niveau optimal d’endettement, mais elle permet d’arriver à un niveau soutenable (Lane, 1993). De surcroît, comme le montre le cas du Canada, la discipline des marchés n’empêche pas les gouvernements d’accumuler des dettes énormes (vers le milieu des années 90, le ratio de la dette provinciale canadienne au PIB était légèrement inférieur à 25 pour cent, ce qui est un niveau élevé par rapport aux pays possédant des contrôles plus directs sur les emprunts).

b) Coopération

Selon la méthode fondée sur la coopération, les divers gouvernements d’une fédération déterminent ensemble le niveau d’endettement autorisé pour chaque membre. Dans certains cas, afin de s’assurer du respect de l’accord passé entre les cosignataires, toutes les opérations d’emprunt sont confiées au gouvernement central et les montants convenus sont transmis aux autorités infranationales10. Cette approche permet de bien coordonner les moments où les émissions d’obligation sont effectuées et de tenir compte des effets d’externalité et des conséquences macroéconomiques des emprunts lorsque les niveaux des emprunts infranationaux sont déterminés.

Le succès de la coopération dépend de la volonté des gouvernements de coopérer. Si on ne parvient pas à une entente, le système s’écroule ou le gouvernement central (ou une région importante) impose une solution (ce qui a pour conséquence de centraliser le processus de décision). Il y a aussi le risque que les gouvernements adoptent une perspective à court terme et conviennent de laisser le niveau d’endettement croître à des niveaux insoutenables. Même si la coopération débouche sur une politique d’endettement prudente, les gouvernements peuvent parfois recourir à des subterfurges, en particulier la comptabilité non budgétaire, pour dépasser les limites convenues. Les états australiens ont si bien réussi à éviter les limites qui leur étaient imposées que bon nombre d’entre eux se sont heurtés à une crise d’endettement au début des années 90.

c) Des contrôles fondés sur des règles

Deux catégories de contrôles fondés sur des règles, enchâssés dans la constitution ou des lois nationales ou infranationales, ont servis à contrôler les emprunts gouvernementaux. La première catégorie de règles limite le ratio de la dette au PIB, ou le ratio du déficit au PIB, ou encore, le ratio du service de la dette au PIB. La deuxième catégorie vise à interdire certains types d’emprunt, par exemple les emprunts infranationaux contractés à l’étranger (Inde et Nigeria) ou en monnaie étrangère (Mexique), les emprunts auprès de la banque centrale (Union monétaire européenne – UME) ou de banques appartenant à un gouvernement (Brésil), ou les emprunts visant à financer des dépenses ordinaires. Bien que certaines règles prévoient des procédures pour les cas d’infraction (on obligera parfois le gouvernement emprunteur à rembourser l’emprunt dans un délai d’un an), seule l’UME semble avoir créer un mécanisme ayant le pouvoir de sanctionner les États-membres s’ils dépassent la limite d’emprunt dans certains circonstances. Les règles qui semblent produire les meilleurs résultats sont transparentes, reposent sur une définition claire et exhaustive de la notion d’endettement, obligent les gouvernements à soumettre des rapports concernant leurs obligations, et imposent des limites strictes sur le recours à l’endettement non budgétaire.

Les contrôles fondés sur des règles comportent un certain nombre d’avantages. Ils permettent d’éviter le marchandage entre les gouvernements et, lorsque bien conçus, d’imposer une discipline budgétaire. Comme l’application des règles exige une comptabilité rigoureuse de la dette, les électeurs et les marchés peuvent se faire une idée juste de l’état des finances publiques des gouvernements. Cela peut limiter les demandes de services supplémentaires et promouvoir la discipline de marchés11.

Les contrôles fondés sur des règles comportent pourtant de nombreuses lacunes. Il n’y a pas de critères bien définis permettant de déterminer le niveau optimal d’emprunt. Les règles peuvent également inciter les gouvernements à maintenir d’importants comptes de réserve, ce qui peut être moins efficace que des emprunts périodiques destinés à financer des déficits temporaires. Les règles peuvent limiter la capacité des gouvernements de stabiliser la consommation et inciter les gouvernements infranationaux à adopter des mesures pro-cycliques. La rigidité de certains engagements de dépenses de gouvernements infranationaux peut donner lieu à des coupures inspirées par un souci de flexibilité plutôt que par le besoin d’efficacité. En outre, les problèmes de trésorerie à court terme créés par une limitation rigoureuse des emprunts peuvent entraver le fonctionnement de l’appareil gouvernemental. Les règles limitant les emprunts destinés à financer l’investissement doivent reposer sur une définition précise de l’investissement; elles peuvent entraîner un détournement de fonds vers des projets dont le rendement est inférieur à celui des dépenses ordinaires. Lorsque les gouvernements infranationaux effectuent des transferts aux gouvernements municipaux, les règles limitant les emprunts infranationaux peuvent provoquer une réduction de ces transferts, ce qui a pour conséquence de créer un déséquilibre budgétaire à l’échelon municipal. Si les règles ne sont pas exhaustives, elles ne permettent pas de contrôler le niveau d’endettement et peuvent inciter les gouvernements à recourir à des méthodes d’emprunt plus coûteuses. Enfin, les gouvernements se sont montrés très habiles dans la recherche de moyens visant à contourner les règles.

Encadré 4 : Les règles visant à contrôler les emprunts

Parmi les méthodes employées, on trouve les arriérés aux fournisseurs, les prêts obtenus auprès d’intermédiaires financiers appartenant à l’État ou par le biais d’une entreprise publique, les garanties de prêts consenties à des sociétés privées, des prêts bancaires consentis à des organismes pseudo-gouvernementaux qui fournissent des services au gouvernement, des résiliations de contrats portant sur des investissements publics et des accords de ventes et de cession-bail. Il convient de signaler que, durant les années 70, la ville de New York n’a pas pu payer ses dettes bien qu’elle fût assujettie à une règle constitutionnelle l’obligeant à maintenir un budget équilibré (Lane, 1993).

d) Le contrôle administratif exercé par le gouvernement central

Dans certains pays, la constitution donne au gouvernement central le pouvoir de contrôler les emprunts contractés par les gouvernements infranationaux. Les contrôles exercés s’apparentent aux contrôles fondés sur les règles dont il est question ci-dessus. Il y a toutefois des différences importantes : les contrôles administratifs du gouvernement central sont souvent modifiés (soit en raison de pressions politiques, soit pour appuyer la politique macroéconomique du gouvernement central)12, le gouvernement central peut exiger que soit préalablement approuvé tout emprunt d’un gouvernement infranational, ou le gouvernement central peut décider d’effectuer lui-même tous les emprunts et répartir ensuite les fonds empruntés aux gouvernements infranationaux en veillant à ce qu’ils les utilisent à des fins convenues. Plutôt que de constituer une limite objective, les contrôles du gouvernement central peuvent évoluer au gré des besoins, de la capacité de payer ou de facteurs politiques. Les contrôles administratifs efficaces sont rapides, transparents, faciles à comprendre et à exercer, et non arbitraires. Ils facilitent également la planification.

Un contrôle centralisé permet aux effets d’externalité afférents aux emprunts d’être pris en compte, en plus de faciliter la coordination des emprunts et leur intégration à la politique macroéconomique nationale. Comme les prêteurs étrangers exigent souvent que le gouvernement central garantisse clairement la dette des gouvernements infranationaux, les contrôles directs permettent au gouvernement central de déterminer la dette dont il est responsable en bout de ligne.

La plupart des problèmes liés aux contrôles fondés sur des règles se retrouvent dans les contrôles administratifs, bien que ceux-ci comportent d’autres difficultés qui leur sont particulières. Le principal inconvénient des contrôles du gouvernement central est qu’ils limitent le pouvoir de décision des autorités infranationales, ce qui supprime un des principaux avantages de la décentralisation, et peut même retarder l’émergence de gouvernements infranationaux responsables. De plus, l’approbation préalable des emprunts et l’intermédiation du gouvernement central obligent celui-ci à surveiller les moindres décisions prises aux échelons inférieurs. En plus d’être coûteux, cela peut provoquer des retards et dépasser les capacités de bon nombre de pays en développement. Les contrôles administratifs peuvent également être déterminés par des considérations qui sont plus politiques qu’économiques. En outre, les limites d’emprunt qui ne sont pas enchâssées dans une loi peuvent être vues par les autorités infranationales comme étant négociables. D’où la tentation des autorités d’agir si les limites ne sont pas obligatoires.13 Enfin, en obligeant le gouvernement central à intervenir dans les opérations d’emprunt des gouvernements infranationaux, les contrôles administratifs risquent d’être interprétés par les prêteurs comme une garantie implicite de la dette infranationale (Shah, 1998).

CINQUIÈME PARTIE : LES PRATIQUES EXEMPLAIRES

Les données disponibles indiquent que l’endettement des gouvernements infranationaux peut engendrer des effets d’externalité, que certaines caractéristiques particulières des fédérations peuvent favoriser un endettement excessif, et que les mécanismes généralement utilisés pour limiter les emprunts infranationaux sont défaillants. Toutefois, il y a des politiques qui peuvent réduire les risques d’un endettement excessif.

Comme la discipline du marché ne prend pas en considération les effets d’externalité de la dette et que, dans la plupart des pays, les préalables à une discipline de marché n’existent pas, il faut recourir à des règles pour limiter l’endettement infranational. Comme les méthodes fondées sur la coopération et les contrôles administratifs du gouvernement central comportent des difficultés qui les rendent inapplicables ou inopportuns dans bon nombre de pays, les règles strictes semblent constituer la méthode la plus efficace pour contrôler l’endettement infranational.

Pour donner de bons résultats, une règle doit comporter une définition claire et exhaustive de la dette et préciser les conséquences (et les sanctions) de toute infraction par un gouvernement infranational. Pour éviter les échecs et réduire la probabilité de l’inflation tout en faisant régner la discipline des marchés, la règle devrait interdire aux gouvernements infranationaux d’emprunter auprès de la banque centrale ou de banques d’état14. Dans de nombreux pays en développement, cela exige l’adoption de politiques visant à encourager l’émergence d’un marché des obligations infranationales.

Bien que les gouvernements infranationaux soient moins susceptibles de se retrouver en défaut de paiement si leurs emprunts sont limités par une règle d’endettement, le gouvernement central devrait néanmoins adopter une politique claire de non-renflouement. Il faut sans doute du temps pour qu’une telle politique soit crédible, et il se peut que les gouvernements ne soient pas en mesure d’éviter un renflouement dans certaines circonstances. Toutefois, le gouvernement devrait faire en sorte que toute opération de renflouement impose des coûts élevés au gouvernement régional en cessation de paiement, et devrait, comme préalable à tout renflouement, préciser les politiques qui corrigeront les facteurs ayant engendré la cessation de paiements.

On devrait également modifier le système de transferts intergouvernementaux en limitant les variations dans les montants transférés et en supprimant les transferts discrétionnaires. Le gouvernement central devrait aussi tenir compte des effets de sa politique macroéconomique sur les bilans infranationaux et modifier les politiques ayant pour effet de subventionner ou d’encourager l’endettement infranational15.

Dans plusieurs pays en développement, les gouvernements infranationaux peinent à trouver des employés capables de gérer les recettes et les dépenses publiques. La piètre gestion financière a été l’une des principales causes de l’endettement insoutenable. C’est ce qui s’est produit au Brésil, par exemple (Ter-Minassian, 1997). Améliorer la gestion financière est donc un des éléments-clés de la maîtrise de l’endettement infranational.

Il est impossible de maîtriser l’endettement infranational, que ce soit par le biais des règles ou autrement, lorsqu’on ne dispose pas de renseignements adéquats sur les finances d’un gouvernement infranational. Il faut donc améliorer l’accès à ces renseignements. Des rapports complets sur le passif des gouvernements renforceraient également la discipline des marchés et amélioreraient la responsabilité gouvernementale. Dans de nombreux pays en développement, l’endettement excessif des gouvernements infranationaux s’explique par la faiblesse des institutions politiques et de la responsabilité, et non pas par les caractéristiques du régime fédéral. L’amélioration de la responsabilité dépend surtout de la disponibilité des données sur l’état des finances publiques.

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1. Voir Ter-Minassian et Craig (1997) et Landon et Smith (2000).

2. Ce fut le cas lors du renflouement de l’état de Minas Gerais par le gouvernement brésilien, en 1999 (Giugale et al., 2000).

3. Très peu d’études essaient de prouver l’existence des effets d’externalité de l’endettement dans les fédérations. Alors que Capeci (1991) dit n’avoir trouvé aucun indice d’externalité de l’endettement dans les données municipales des États-Unis, Landon et Smith (2000) disent avoir observé des effets de débordement négatifs mais peu importants entre les provinces canadiennes, la seule exception étant l’endettement de la plus importante province. Landon et Smith (2000) ont également constaté que la croissance de la dette du gouvernement fédéral a eu des effets négatifs importants sur la cote de crédit des provinces.

4. Ce fut un des problèmes dont ont souffert les états de la fédération brésilienne (Fonds monétaire international, 2001a).

5. Quoiqu’il y ait beaucoup de données indiquant que les taux d’intérêt dépendent du niveau de la dette (Bayoumi et al., 1995), Lane (1993) estime que les taux d’intérêt élevés ne réduisent pas les emprunts des gouvernements. Cependant, selon des études du marché américain des obligations municipales et étatiques, les émissions de ces obligations sont très sensibles aux fluctuations des taux d’intérêt (Capeci, 1994; Metcalf, 1993).

6. Les états du Nigeria peuvent emprunter sans aucune limite sur le marché intérieur (tant auprès des banques que des institutions non bancaires), mais il n’y a pas de données fiables sur le niveau d’endettement des gouvernements infranationaux (Fonds monétaire international, 2001b).

7. Cela pourrait comprendre une réglementation exigeant que les intermédiaires financiers détiennent une portion de leur actif sous forme d’obligations gouvernementales, ou des programmes d’épargne obligatoire dont les fonds seraient investis dans des actifs gouvernementaux.

8. En Argentine, en raison de renflouements antérieurs, les prêteurs étaient portés à croire que les provinces ne pouvaient échapper à leurs obligations (Shah, 1998). La même chose s’est produite au Brésil. Au Mexique, tant les états que les banques s’attendaient à une opération de renflouement du gouvernement fédéral en raison des nombreux renflouements antérieurs. Les états concevaient ces renflouements comme un moyen d’obtenir des fonds du gouvernement central (Giugale et al., 2000).

9. En raison de l’énorme dette contractée par la région de São Paulo, le gouvernement brésilien n’était pas disposé à la laisser manquer à ses obligations, une cessation de paiements risquant de compromettre la stabilité de l’ensemble du système bancaire (Dillinger et Webb, 1999). Giugale et al. (2000) jugent que si un état ou une province n’est pas en mesure de payer ses dettes, les effets externes qui en résulteront, les effets sur les cotes de crédit de tous les gouvernements de la fédération et le risque d’instabilité au sein du système financier rendent les opérations de renflouement inévitables dans bien des cas.

10. L’exemple de l’Australie est celui qui est mentionné le plus fréquemment pour illustrer cette approche. Pour de plus amples renseignements, voir Craig (1997).

11. Poterba (1994) présente des données selon lesquelles les états américains possédant des règles juridiques ou constitutionnelles plus strictes que les autres états ajustent leurs dépenses plus rapidement lorsqu’il y a un choc des recettes.

12. Dans le cadre des fédérations, les limites d’emprunt peuvent être un instrument important de gestion macroéconomique (Potter, 1997).

13. En Chine, au début de chaque année civile, la banque centrale impose à toutes les provinces des limites de crédit mais celles-ci sont souvent révisées à la hausse suite à des pressions exercées par les collectivités locales (Shah, 1998).

14. Pour ce faire, le Brésil a passé une loi interdisant aux différents états de la fédération de solliciter des emprunts auprès de leurs propres banques.

15. Plusieurs de ces politiques ont été mises en œuvre au Mexique (Giugale et al., 2000). Le gouvernement mexicain a adopté une règle de non-renflouement, refusé d’effectuer des transferts discrétionnaires et établi un lien entre la cote de crédit des banques, d’une part, et l’importance de leurs créances sur les gouvernements infranationaux et les cotes de crédits de ces derniers, d’autre part.