III. PROCESSUS VISANT À AJUSTER LES RELATIONS FINANCIÈRES FÉDÉRALES :

L’EXPÉRIENCE DU CANADA ET DE L’AUSTRALIE

R. L. Watts

[ Un extrait du livre, Relations fiscales dans les pays fédéraux, Paul Boothe, rédacteur. Ottawa : Forum of Federations, 2003 ]

PREMIÈRE PARTIE : CONTEXTE ET QUESTIONS SOULEVÉES

a) Importance des processus visant à ajuster les relations financières fédérales

L’attribution des ressources financières à chacun des ordres de gouvernement d’une fédération constitue une des clés de son bon fonctionnement. C’est cette attribution qui détermine la capacité des gouvernements d’exercer les pouvoirs législatifs et exécutifs que leur confère la constitution. De plus, les pouvoirs fiscaux et les dépenses constituent des outils essentiels pour influer sur l’économie et réguler son fonctionnement.

Cependant, la question qui se pose ne consiste pas simplement à définir par le biais de la constitution les pouvoirs fiscaux, les dépenses et les transferts intergouvernementaux. Puisque l’importance des diverses sources de recettes et l’ampleur des coûts afférents aux diverses responsabilités de dépenses changent au fil du temps, on ne peut pas s’attendre à ce que la répartition des ressources financières prescrite par la constitution reste immuable. Aussi toutes les fédérations ont-elles reconnu le besoin de mettre en œuvre des processus et des institutions ayant pour objet d’ajuster les relations financières intergouvernementales. Parmi les questions qui exigent une attention constante et des ajustements réguliers, il y a les déséquilibres verticaux résultant des variations des capacités fiscales et des besoins de dépenser de chaque ordre de gouvernement, les déséquilibres horizontaux résultant des écarts entre les capacités de recettes et les besoins de dépenser des diverses unités constituantes, écarts qui sont eux-même imputables aux différents rythmes de croissance, le besoin de remédier à ces déséquilibres instables par le biais de transferts intergouvernementaux, et enfin la nécessité d’adapter les accords de coordination fiscale à l’évolution de la conjoncture.

C’est pourquoi, dans toutes les fédérations, une des principales caractéristiques des accords financiers intergouvernementaux est le processus régulier de négociation et de marchandage entre gouvernements. Dans le cadre de ce processus continu, il faut trouver des solutions aux conflits entre les provinces (états) et l’autorité fédérale, à ceux entre provinces (états) pauvres et riches, à ceux opposant divers intérêts dans diverses provinces (états) et à ceux entre partis politiques.

b) Importance du contexte

Il va sans dire que toutes les fédérations éprouvent le besoin de mettre en œuvre des processus portant sur les ajustements réguliers visant à corriger les déséquilibres verticaux de recettes et de dépenses et les déséquilibres horizontaux, les accords de transferts et la coordination fiscale. Cependant, la forme des processus d’ajustement est fonction du contexte propre à chaque fédération et peut donc varier de l’une à l’autre.

L’ajustement des relations financières fédérales ne peut donc être considéré comme étant complètement dissocié –sur le plan tant analytique que technique – du contexte social, politique et constitutionnel au sein duquel il est effectué. Les processus et la dynamique de l’ajustement des relations financières fédérales dépendent, dans une large mesure, du degré et de la nature de la diversité ou de la fragmentation sociales, et de la forme particulière des institutions politiques; par exemple, le degré et la nature de la diversité sociale (linguistique, ethnique, religieuse, culturelle et historique), la répartition territoriale de cette diversité et la mesure dans laquelle cette diversité se présente de façon cumulative ou contrastée sont autant de facteurs qui influeront sur le fonctionnement de la fédération.

La nature des mécanismes politiques et constitutionnels fédéraux varie considérablement d’une fédération à l’autre. Les principales variables sont le degré de centralisation ou de décentralisation des fonctions législatives et administratives, les dispositions constitutionnelles concernant la répartition des pouvoirs fiscaux, les responsabilités de dépenses et les transferts financiers, l’importance des domaines de compétence concurrente ou des exigences concernant la mise en œuvre de lois fédérales par les gouvernements étatiques, la mesure dans laquelle les accords financiers visant les administrations locales sont intégrés à la constitution ou laissés à l’appréciation des gouvernements provinciaux (étatiques), le degré de collaboration intergouvernementale, d’interaction et d’autonomie, et la mesure dans laquelle les gouvernements des unités constituantes peuvent influer sur ou participer à l’élaboration des politiques du gouvernement fédéral. Ces facteurs influencent les accords financiers intergouvernementaux ainsi que les processus visant à les ajuster.

La dynamique du marchandage intergouvernemental visant l’ajustement des relations financières fait également intervenir un autre facteur : la mesure dans laquelle le fonctionnement des différents ordres de gouvernement est influencé par une séparation des pouvoirs exécutif et législatif, comme celle qui existe dans les systèmes congressionnels et présidentiels des États-Unis et de l’Amérique latine, et les systèmes exécutifs collégiaux de la Suisse, ou par une fusion des pouvoirs exécutifs et parlementaires, comme celle qu’on observe dans la plupart des pays du Commonwealth et les fédérations européennes. Dans les fédérations de type parlementaire, le rôle prépondérant des membres du pouvoir exécutif dans les législatures a pour conséquence que les ajustements des accords financiers sont négociés dans le cadre du « fédéralisme exécutif ». Bref, ce sont les représentants des pouvoirs exécutifs des gouvernements fédéraux et provinciaux (étatiques) qui sont les principaux intervenants.

Les diverses modalités selon lesquelles certains facteurs sont associés créent des processus taillés sur mesure pour l’ajustement des relations financières intergouvernementales. Les solutions financières techniques qui ne tiennent pas compte des effets qu’elles produisent sur le contexte social, économique, politique et constitutionnel tendent à être, en pratique, non productives.

c) Questions relevant des processus de marchandage financier entre les gouvernements

Lors des processus d’ajustement des relations financières intergouvernementales, certaines questions surgissent inévitablement. Une de ces questions a trait à la nécessité de concilier le besoin de souplesse qu’exige l’adaptation à l’évolution de la conjoncture et le besoin de conclure des accords stables permettant aux gouvernements de planifier l’avenir. Une autre question concerne les effets que l’évolution des accords financiers peut avoir sur le degré de centralisation ou de décentralisation au sein d’une fédération. Il y a aussi la question de l’incidence des changements qui augmentent ou réduisent l’autonomie ou la dépendance d’un ordre de gouvernement par rapport à un autre. Une autre question concerne la mesure dans laquelle les ajustements résultent d’une collaboration entre les ordres de gouvernement ou d’actions unilatérales.

Chaque fédération doit également déterminer si le pouvoir de dépenser de chaque ordre de gouvernement se limite aux compétences législatives et exécutives qui lui sont attribuées par la constitution ou s’il est dépourvu de restrictions afin de satisfaire aux exigences de flexibilité. Dans la plupart des fédérations, les gouvernements possèdent habituellement un pouvoir général de dépenser qui leur est octroyé, dans le cas des anciennes fédérations, en vertu d’une révision ou d’une convention judiciaire, dans le cas des jeunes fédérations, en vertu de dispositions constitutionnellement explicites (Watts, 1996b). Ainsi, les gouvernements fédéraux ont pu recourir à ce pouvoir général de dépenser pour poursuivre leurs propres objectifs dans des domaines de compétence provinciale ou locale; ce pouvoir est exercé en offrant des transferts conditionnels en espèces ou des subventions de contrepartie pour inciter les gouvernements étatiques ou locaux à offrir des services ou à respecter des normes qu’ils n’auraient pas les moyens d’acquitter autrement. Cette pratique, largement utilisée dans plusieurs fédérations, facilite la flexibilité et la collaboration intergouvernementale, mais elle a souvent été interprétée comme une tentative visant à altérer les priorités des autorités étatiques ou locales et à affaiblir leur autonomie. C’est pourquoi, dans quelques fédérations, le pouvoir fédéral de dépenser dans certains domaines relevant de la compétence exclusive des provinces (états) ne pouvait être exercé sans le consentement explicite des représentants des unités constituantes. Ce consentement était donné soit par le biais de leurs représentants à la seconde chambre législative fédérale, soit par le biais de négociations intergouvernementales.

De manière générale, il existe deux modèles antagonistes d’ajustement des accords financiers fédéraux. Le premier fait appel à une conception centraliste présupposant une supériorité du gouvernement fédéral en ce qui concerne l’orientation de l’économie nationale et conférant à celui-ci un rôle prédominant, voire unilatéral, dans l’ajustement des accords financiers. Le deuxième repose sur une approche fédéraliste où il est pris pour acquis que les états ou provinces doivent avoir leur mot à dire au sujet des changements qui influent sur leur indépendance fiscale. Cette approche exige donc que les accords d’ajustement financier entre les gouvernements de la fédération soient conclus à la satisfaction de toutes les parties concernées. Dans la pratique, on combine souvent des éléments tirés de ces deux approches.

d) Processus d’ajustement des relations financières

Pour ce qui est des procédures mises en œuvre pour ajuster les relations financières intergouvernementales, on observe quatre grandes tendances (Watts, 1999a : 53-5 et tableau 13). En Australie, en Inde et en Afrique du Sud, bien que de formes différentes, des comités permanents ou ponctuels de spécialistes, mis sur pied par les autorités fédérales, ont été chargés de déterminer les changements devant être apportés à la formule de répartition et de faire des recommandations au parlement fédéral. Le Pakistan et la Malaisie utilisent une autre méthode reposant sur la création, en vertu de la constitution, d’un conseil intergouvernemental composé de représentants des gouvernements fédéral et étatiques et chargé de proposer des modifications aux arrangements financiers. Le troisième modèle est celui de l’Allemagne, de la Suisse, de l’Autriche, des États-Unis et de la Belgique, où les montants des subventions aux états sont fixés par la législature fédérale, mais où les gouvernements étatiques, leurs législatures ou certains groupes d’intérêt au sein des institutions fédérales participent officiellement au processus de décision. Le quatrième modèle est celui adopté par le Canada, où la décision finale touchant les transferts financiers appartient au gouvernement fédéral, bien que sa législature ne comporte aucune représentation officielle des intérêts ou des gouvernements provinciaux. Mais il s’agit là d’une description formelle : dans la pratique, à cause de l’importance des questions financières intergouvernementales, les relations financières fédérales-provinciales sont longuement débattues dans le cadre d’innombrables comités de ministres et de fonctionnaires fédéraux et provinciaux et sont d’ailleurs à l’origine de nombreux différends entre les deux ordres de gouvernement. (Bird, 1994 : 304-305).

e) Expérience des modèles canadien et australien

Pour mieux cerner les processus d’ajustement des accords financiers fédéraux, cet article porte surtout sur les pratiques du Canada et de l’Australie. Ces deux pays ont des caractéristiques communes (Bird, 1994 : 309-310). Ils ont tous deux des antécédents semblables : dans chaque cas, il s’agit d’un rassemblement d’anciennes colonies britanniques. Les deux fédérations disposent d’un système parlementaire de type britannique aux deux paliers de gouvernement, ce qui signifie que les problèmes fédéraux-provinciaux sont en grande partie réglés par le biais du « fédéralisme exécutif ». Chaque fédération compte un petit nombre de provinces (états), mais est dominée par deux provinces ou états regroupant la majorité de la population fédérale. Aussi bien au Canada qu’en Australie, il a été difficile de modifier la Constitution, et, par conséquent, il a fallu faire appel à des processus non constitutionnels pour s’adapter au changement

Il existe toutefois des différences notables entre les deux pays, et les arrangements financiers fédéraux ne font pas exception à la règle. Les pouvoirs fiscaux, tout comme les pouvoirs législatifs et administratifs sont beaucoup plus centralisés en Australie qu’au Canada. Les deux pays ont des transferts de péréquation, mais en Australie, on insiste davantage sur l’équité, alors que c’est l’autonomie provinciale qui est privilégiée au Canada. Les disparités régionales sont plus marquées au Canada, et la particularité linguistique et culturelle que représente le Québec n’a pas d’équivalent australien. Rien d’étonnant donc si les processus d’ajustement des relations financières fédérales dans ces deux fédérations sont très différents.

DEUXIÈME PARTIE : EXPÉRIENCE DU CANADA

a) Contexte

En se fédérant en 1867, les provinces canadiennes ont créé la première fédération combinant des institutions fédérales et des institutions parlementaires de type britannique. Il en est résulté une dynamique politique bien distincte de celle des fédérations plus anciennes, telles les États-Unis et la Suisse, où le pouvoir exécutif n’est pas tributaire d’une majorité parlementaire. Le modèle canadien est intéressant car un certain nombre de fédérations qui ont été créées au sein du Commonwealth et en Europe ont combiné des institutions fédérales et parlementaires. Tel est le cas de l’Australie, de l’Inde, du Pakistan (au cours de certaines périodes), de la Malaisie, du Nigeria (pendant une certaine période), de l’Allemagne, de l’Australie, de la Belgique et de l’Espagne.

En ce qui concerne la répartition constitutionnelle des recettes, le gouvernement fédéral et les provinces du Canada possèdent des pouvoirs étendus concernant les impôts sur le revenu des particuliers et ceux des sociétés ainsi que les taxes sur les ventes. Il en est résulté un chevauchement des pouvoirs fiscaux qui rend le système d’imposition et de recettes plutôt complexe. L’accès des gouvernements provinciaux à l’impôt sur le revenu (des particuliers et des entreprises) leur a permis de financer une part importante de leurs dépenses à même leurs propres recettes. Toutefois, comme le gouvernement fédéral a également accès à ces sources de recettes, il y a toujours eu un écart entre la capacité fiscale des provinces et leurs responsabilités de dépenses, lesquelles portent sur des domaines importants et coûteux comme la santé, l’éducation et les services sociaux.

On observe également des variations importantes en ce qui concerne le territoire, la population et la richesse des diverses provinces, variations qui se traduisent par des écarts sensibles de leur capacité fiscale et de leurs besoins de dépenser. Pour parer à ces déséquilibres, on a élaboré un système vaste et complexe de transferts intergouvernementaux. Il convient toutefois de noter que, à une exception près, il n’y a pas de disposition constitutionnelle régissant ces transferts. L’exception concerne l’inclusion dans la Constitution (en 1982) d’un ensemble de principes (mais pas de formules particulières) servant d’assise au système de péréquation. Selon l’article 36(2) de la Loi constitutionnelle de 1982, le gouvernement fédéral est tenu de « faire des paiements de péréquation pour que les gouvernements provinciaux bénéficient de revenus suffisants pour être en mesure d'assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité comparables ». Sous réserve de cette clause, le droit constitutionnel de déterminer les transferts financiers repose en dernier ressort entre les mains du gouvernement fédéral et du Parlement. La portée de ce type de transfert est accrue par le fait que, même si on ne trouve pas dans la Constitution de dispositions traitant spécifiquement du « pouvoir fédéral de dépenser » dans les domaines relevant de la compétence exclusive des provinces, l’interprétation judiciaire de la Constitution accorde au gouvernement fédéral un important pouvoir discrétionnaire sur la façon dont il peut utiliser son pouvoir de dépenser dans des domaines de compétence exclusivement provinciale (Watts, 1999b : 3-6).

Lorsqu’on analyse les processus d’ajustement des relations financières au Canada, il importe de distinguer entre les dispositions constitutionnelles et la pratique réelle. Du strict point de vue de la Constitution, le gouvernement fédéral possède un rôle prédominant tant en regard de son pouvoir législatif et exécutif qu’en regard de la répartition et de l’ajustement des ressources financières. Toutefois, en pratique, à cause de la diversité économique, linguistique et culturelle du pays, les forces politiques ont, au fil des années, considérablement renforcé l’influence politique des gouvernements provinciaux. Dans le cas des processus visant à ajuster les relations financières, même si le pouvoir constitutionnel repose, en bout de ligne, sur le gouvernement fédéral, celui-ci a jugé politiquement nécessaire de négocier avec les gouvernements provinciaux des accords sur les transferts intergouvernementaux, voire sur quelques aspects de la politique budgétaire.

b) Processus de négociations financières intergouvernementales

Comme, au Canada, il s’est révélé très difficile de modifier la Constitution pour tenir compte de l’évolution de la conjoncture économique et sociale, les accords financiers fédéraux-provinciaux ont évolué dans un cadre non constitutionnel de relations intergouvernementales. Le « fédéralisme exécutif », c’est-à-dire les négociations entre les pouvoirs exécutifs des gouvernement fédéral et provinciaux, a permis d’ajuster les arrangements concernant les transferts financiers fédéraux aux provinces. Grâce à ces ajustements, le gouvernement fédéral peut intervenir dans des domaines de compétence exclusivement provinciale tout en accordant aux provinces un rôle important dans la conception et le financement des programmes visant à satisfaire ses objectifs généraux.

Ces processus sont suffisamment flexibles pour tenir compte de la plupart des besoins propres à chaque province. Toutefois, la volonté du Québec d’accéder à une plus grande autonomie budgétaire et politique, ainsi que le désir des provinces riches et importantes, comme l’Ontario et l’Alberta, de mettre en œuvre leurs propres stratégies économiques, ont fini par exercer une certaine pression sur les arrangements financiers.

Généralement, il y a deux catégories de transferts au profit des provinces. La première catégorie, destinée à corriger les déséquilibres verticaux, a évolué au fil des quarante dernières années : conçue à l’origine comme un ensemble de programmes à frais partagés, portant chacun sur la santé, l’enseignement postsecondaire et l’aide sociale, cette catégorie correspond depuis 1996-1997 à un transfert unique et global, le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCSPS). Les transferts constitutionnels à frais partagés, calculés souvent selon une formule de partage à raison de 50 pour cent, ont été abandonnés en 1977, dans le cas de la santé et de l’éducation postsecondaire, et en 1996, dans le cas de l’aide sociale. Les transferts du TCSPS sont aujourd’hui essentiellement des transferts par habitant égaux pour toutes les provinces destinés à aider celles-ci à financer leurs programmes de santé, d’enseignement postsecondaire et d’aide sociale. Les conditions auxquelles sont assujettis les transferts sont à ce point générales qu’on les considère comme inconditionnels (Watts, 1999b : 58).

La deuxième catégorie correspond aux transferts de péréquation, lesquels sont dépourvus de tout caractère conditionnel et ont pour objet d’aider financièrement les provinces à faible revenu. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette catégorie de transferts a également évolué au gré des négociations intergouvernementales. Le système canadien de péréquation a toujours été axé sur l’égalisation des différentes capacités fiscales des provinces; mais ce système n’a jamais tenté d’égaliser les besoins et la capacité de dépenser des provinces. Au fil des années, on a acquis de l’expérience et on a modifié le système fiscal représentatif utilisé pour calculer les transferts de péréquation en fonction de la capacité de chaque province de prélever des recettes sur un ensemble d’assiettes fiscales. Le système fiscal en question tient compte de plus de quarante assiettes fiscales utilisées pour déterminer une assiette d’imposition commune par rapport à laquelle on peut mesurer la capacité fiscale de chaque province. Cette assiette fiscale commune repose sur un échantillon représentatif composé de cinq provinces (l’Alberta et les quatre provinces atlantiques sont exclues en raison de leurs circonstances particulières qui sont susceptibles de fausser le principe de péréquation). Les provinces qui se trouvent au-dessus de la norme de péréquation (l’Alberta, l’Ontario et, pendant la plupart des dernières années, la Colombie-Britannique) ne reçoivent rien, alors que les provinces qui se trouvent au-dessous de la norme ont droit à des transferts.

Quoique le TCSPS et les transferts de péréquation représentent actuellement une part très importante du total des transferts (généralement un peu plus de 85 pour cent), il existe toujours des programmes à frais partagés très spécifiques dans des domaines comme le transport routier, l’immigration et les infrastructures (Vaillancourt, 2000 : 209).

Pour ce qui est des processus qui ont abouti à ces arrangements, il faut insister sur le fait que même si le gouvernement fédéral les a mis en œuvre en vertu de son pouvoir constitutionnel, l’évolution de ces arrangements est le produit d’intenses négociations et de marchandage intergouvernementaux . Quant aux ajustements financiers, ils sont le résultat des délibérations qui ont lieu dans le cadre des rencontres fréquentes des ministres des Finances fédéral et provinciaux, rencontres qui sont préparées par les réunions encore plus nombreuses entre fonctionnaires fédéraux et provinciaux. Il convient de signaler que, même durant les négociations sur les programmes de santé, d’enseignement postsecondaire et d’aide sociale, le processus est largement dominé par les ministres des Finances fédéral et provinciaux et par leurs fonctionnaires. Cela n’empêche pas que des réunions sectorielles au niveau des autres ministres ou fonctionnaires aient lieu de temps en temps. Lorsque les négociations risquent d’aboutir à une impasse, les questions financières sont souvent débattues dans le cadre des rencontres des premiers ministres fédéral et provinciaux. Soucieuses d’adopter une approche concertée vis-à-vis du gouvernement fédéral, les provinces prennent souvent soin d’aborder à l’avance les questions financières épineuses dans le cadre de la Conférence annuelle des premiers ministres provinciaux ou lors de diverses conférences régionales des premiers ministres.

Il convient également de souligner deux autres éléments des relations financières intergouvernementales canadiennes. Le premier concerne la pratique qui permet à une province de « se détacher » d’un régime fédéral-provincial particulier sans subir de pénalités financières. Cela a rendu le système plus flexible, notamment dans le cas du Québec, qui insiste sur son caractère distinct et son autonomie. L’autre élément est l’élaboration d’accords coordonnés de perception d’impôts. Dans le cas de la plupart des provinces, le gouvernement fédéral s’occupe de la collecte des impôts sur le revenu qu’adoptent librement les gouvernements provinciaux à la condition qu’ils utilisent une assiette commune établie par le Parlement fédéral (toutes les provinces à l’exception du Québec ont signé les accords de perception d’impôts sur le revenu des particuliers, et toutes les provinces, sauf l’Alberta, l’Ontario et le Québec, ont conclu des accords sur la perception des impôts frappant les bénéfices des sociétés). Contrairement à ce qu’on observe dans le cas des impôts sur le revenu, l’harmonisation de la taxe sur les ventes est moins bien développée au Canada, bien que trois provinces atlantiques (le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve) aient entièrement harmonisé leur taxe sur les ventes grâce à une incitation financière du gouvernement fédéral. Un accord conclu entre le Québec et le gouvernement fédéral a permis d’harmoniser la TPS dans cette province, la taxe étant perçue par celle-ci pour le compte du gouvernement fédéral.

c) Résumé et évaluations

Bien que les diverses rencontres intergouvernementales aient porté sur de nombreuses questions et aient joué un rôle décisif dans l’évolution du système des transferts financiers et des accords de coordination fiscale, il importe de souligner que ces rencontres n’ont aucun fondement constitutionnel et qu’il n’existe pas de règles officielles régissant, par exemple, les modalités de vote et le nombre de voix exigé pour la prise des décisions. Leur efficacité repose tout simplement, d’une part, sur le poids politique des participants et, d’autre part, sur la capacité d’arriver à un consensus qui sera par la suite mis en œuvre par le biais d’une loi fédérale. Le gouvernement fédéral a joué le rôle de chef de file dans les négociations intergouvernementales. Ce rôle s’explique par l’influence qu’il peut exercer sur les provinces, les incitations qu’il peut offrir en vertu de son pouvoir de dépenser et sa capacité constitutionnelle d’exercer ce pouvoir de manière unilatérale. Toutefois, le pouvoir et l’influence du gouvernement fédéral sont considérablement limités par le fait qu’il ne possède pas la compétence constitutionnelle de mettre en œuvre certaines politiques. C’est la raison pour laquelle le gouvernement fédéral s’est montré particulièrement vigilant et a évité les désaccords avec les provinces qui sont susceptibles de conduire celles-ci à ne pas coopérer à la mise en œuvre de certaines politiques.

Les négociations intergouvernementales ont largement contribué à adapter les relations financières fédérales à l’évolution de la conjoncture économique. Leur nature informelle et la nécessité de tabler sur des consensus intergouvernementaux exigent toutefois une bonne dose de confiance entre gouvernements. Au début des années 90, le gouvernement fédéral a décidé de réduire graduellement l’augmentation des fonds prévus dans le cadre des programmes financés conjointement; cette décision unilatérale, qui visait à réduire le déficit fédéral, a toutefois obligé les provinces à trouver elles-mêmes des moyens de compenser la réduction des transferts. Cela a eu pour conséquence que les provinces ont éprouvé de plus en plus de difficultés à prévoir et à planifier leurs recettes et leurs dépenses budgétaires. En raison de cette réduction unilatérale de l’appui fédéral au titre des programmes en vigueur au début et au milieu des années 90, les provinces se sont montrées réticentes à conclure de nouveaux accords avec le gouvernement fédéral, ce qui a gravement affaibli la capacité des processus intergouvernementaux de s’adapter aux nouvelles conditions économiques et sociales. Cela montre l’importance de la confiance réciproque entre gouvernements pour assurer l’efficacité des processus d’ajustement.

L’Entente-cadre sur l’action sociale (ECAS), signée en 1999, visait à rétablir un climat de confiance. Pour donner suite aux pressions exercées par les provinces, cet accord impose des limites au pouvoir fédéral de dépenser; pour que le financement fédéral soit plus prévisible, il prévoit une consultation avant tout renouvellement ou modification des transferts sociaux; il comporte en outre un mécanisme de règlement des conflits. Cet accord ayant été conclu récemment, il est trop tôt pour juger de l’influence à long terme qu’il aura sur la confiance et les consensus intergouvernementaux (Lazar, 2000 : 29-31).

TROISIÈME PARTIE : EXPÉRIENCE DE L’AUSTRALIE

a) Contexte

À l’instar du Canada, l’Australie a opté pour un modèle combinant institutions fédérales et parlementaires lorsqu’elle est devenue une fédération en 1901. Elle les a aussi adaptées à sa propre réalité en instituant un Sénat, dont les membres sont élus au suffrage universel direct et où tous les états jouissent d’une représentation égale. Une procédure prévoit en outre que, dans certaines circonstances, lorsque les deux chambres du Parlement fédéral ne peuvent parvenir à un consensus, les deux peuvent être dissoutes. Comme au Canada, la juxtaposition des institutions fédérales et parlementaires a eu pour conséquence de soumettre les relations intergouvernementales à des processus privilégiant les pouvoirs exécutifs.

Les grandes questions ayant retenu l’attention au chapitre des finances fédérales sont : (1) la nécessité de corriger les déséquilibres fiscaux relativement importants causés par une centralisation de la capacité fiscale beaucoup plus importante que celle du Canada; (2) la péréquation fiscale entre les états reposant non seulement sur les écarts de capacité fiscale mais aussi, contrairement au Canada, sur les écarts dans les besoins de dépenses; et (3) la coordination de l’endettement public.

b) Processus visant l’ajustement des relations financières fédérales

Comme dans le cas du Canada, les institutions et les processus visant à ajuster les relations financières fédérales australiennes ne sont pas enracinés dans la Constitution mais ont évolué au gré du fonctionnement de la fédération depuis un siècle (Galligan, 2000 : 226). Il y a pourtant des exceptions, à savoir : la constitutionnalisation en 1927 du Conseil des prêts, mis sur pied en 1923 pour coordonner l’endettement public; et l’ajout à la Constitution de l’article 96, qui élargit la portée du pouvoir fédéral de dépenser en vue d’autoriser les paiements effectués au profit des états. Bien que, comme au Canada, bon nombre de processus visant à ajuster les relations financières et les transferts fédéraux-étatiques aient été élaborés suite à des négociations et à des accords intergouvernementaux non constitutionnels, il y a en Australie une tendance beaucoup plus marquée vers l’établissement d’institutions officielles destinées à faciliter les processus intergouvernementaux. Citons, à titre d’exemple, la création d’organismes officiels comme le Conseil des prêts (créé en 1923 et constitutionnalisé en 1927), la Commission des subventions du Commonwealth (1933) et le Conseil des gouvernements australiens (1992).

L’aspect le plus controversé des relations financières fédérales en Australie est l’important déséquilibre vertical (1995 : 226). Ce déséquilibre s’explique tout d’abord par l’interprétation judiciaire de la Constitution, qui donne au gouvernement fédéral un monopole sur le prélèvement des impôts sur le revenu, et une interprétation judiciaire exagérée de la notion de « droits d’accise», qui a empêché les états de percevoir des taxes générales sur les ventes ou la consommation. Il en est résulté une situation où le gouvernement fédéral encaisse la part du lion des recettes alors que, de leur côté, les états dépendent largement de transferts fédéraux pour financer leurs dépenses. Au milieu des années 90, les transferts intergouvernementaux représentaient 40,7 pour cent des recettes des états australiens, alors que le chiffre correspondant pour les provinces canadiennes était de 19,8 pour cent (Watts, 1996a : 48). En Australie, presque la moitié de ces transferts était des transferts d’assistance générale et revêtait un caractère inconditionnel (au Canada, les transferts inconditionnels en bloc représentent environ 90 pour cent du total). Ces transferts inconditionnels ont garanti une certaine autonomie aux états, mais ceux-ci ne disposent pas d’un contrôle sur le montant de ces transferts. Pour corriger ce déséquilibre vertical, le gouvernement fédéral a institué en 2000 une nouvelle taxe, la TPS (taxe sur les produits et services, soit une forme de la TVA), dont le produit est transféré aux états. Bien que les recettes émanant de la TPS aient aidé les états, la responsabilité de sa perception ne leur appartient pas puisque c’est le gouvernement fédéral qui l’administre.

Pendant longtemps, toutes ces questions ont été abordées régulièrement lors des rencontres tenues dans le cadre de la Conférence des premiers ministres (réunion des premiers ministres des états et du premier ministre de la fédération) et se traduisaient par des ajustements tant aux importantes subventions d’aide générale qu’aux subventions destinées à des fins particulières. À cet égard, le processus de délibérations entre les pouvoirs exécutifs pour modifier les ajustements fédéraux ne différait pas sensiblement de celui du Canada. Cependant, depuis les années 70, l’octroi de ces subventions générales a été combiné à l’octroi de transferts de péréquation, et la Commission des subventions du Commonwealth (voir ci-dessous) s’est vue confier la tâche de faire des recommandations sur la façon dont les subventions d’aide générale aux états devraient être réparties, bien que la Conférence des premiers ministres demeure toujours largement associée au processus des négociations visant à déterminer leur valeur totale.

Le système de péréquation financière en Australie a subi une longue évolution. Le besoin de prêter secours aux états les plus pauvres a été reconnu dans la disposition constitutionnelle initiale prévoyant l’octroi d’une aide financière fédérale à tout état selon des modalités que le gouvernement fédéral estimait appropriées (Galligan, 1995 : 221). De 1910 à 1993, une assistance fédérale ad hoc a été accordée à certains états dans le besoin. En 1933, cette pratique est devenue plus systématique suite à la création de la Commission des subventions du Commonwealth (CSC), dont le mandat était de présenter au gouvernement des recommandations impartiales au sujet des demandes de financement présentées par les différents états de la fédération. De 1933 à 1973, la CSC a élaboré une méthodologie complexe en matière de péréquation fiscale et ses rapports annuels au cours de cette période contenaient beaucoup de renseignements sur les questions, les concepts et la méthodologie employée en vue de s’attaquer aux problèmes de péréquation. Le prestige et l’indépendance de la CSC ont été renforcés par la constance avec laquelle le gouvernement fédéral a accepté et exécuté ses recommandations.

Cependant, en 1973, le rôle de la CSC a été sensiblement modifié. Au lieu de recommander des subventions de péréquation supplémentaire aux « états demandeurs », elle a été chargée de définir le coefficient de « relativité par habitant » de chaque état de la fédération en vue de déterminer la répartition des subventions de recettes générales versées aux états (y compris les transferts destinés à remédier aux grands déséquilibres verticaux de recettes et de dépenses). Dans le cadre de ce nouveau processus, la CSC a eu recours, depuis 1981, à une méthodologie exhaustive en matière de péréquation de recettes et de dépenses. Depuis 1989, ses recommandations visent également les Territoires australiens. Lorsque, en 1999, la nouvelle TPS a remplacé les subventions de recettes générales, la CSC a en outre assumé la responsabilité de faire des recommandations concernant le taux et l’assiette de la taxe en question, ainsi que les coefficients de relativité utilisés pour répartir le produit de la taxe entre les différents états. Ces recommandations sont présentées au conseil ministériel fédéral-étatique.

La définition actuelle du programme de péréquation, telle que formulée par la CSC en 1999, précise que « les gouvernements d’état devraient recevoir des fonds du Commonwealth, et les fonds octroyés à un état devraient être tels que, si tous les états déployaient le même effort pour prélever des recettes de leurs sources propres et fonctionnaient avec le même degré d’efficacité, chaque état aurait la même capacité d’offrir des services de même qualité. »

La méthodologie de la CSC comporte cinq étapes : (1) préparation d’un budget- type portant sur les recettes et les dépenses d’un état (on postule que le budget est équilibré); (2) détermination des facteurs de défaillance inhérents à chaque état; (3) conversion des défaillances en un ratio de la moyenne nationale s’appliquant aux recettes et aux dépenses normales de chaque état; (4) addition des coefficients de relativité pour chaque état; et (5) application des coefficients de relativité de chaque état au total des recettes disponibles. En 1998-1999, cette méthodologie a donné des coefficients de relativité de 0,90032, 0,86273 et 0,94035 pour la Nouvelle Galles du Sud, Victoria et l’Australie occidentale respectivement, et de 1,00775, 1,20764, 1,61001, 1,10358 et 4,84095 pour Queensland, l’Australie méridionale, la Tasmanie, le Territoire de la capitale australienne et le Territoire du Nord respectivement. La valeur par habitant des transferts variait donc de 1 010 $ (Victoria) à 1 886 $ (Tasmanie) et 5 670 $ (Territoire du Nord).

Il convient de noter que, contrairement à ce qui se passe au Canada, le processus australien repose sur un système représentatif des impôts et des dépenses. Les facteurs de défaillance correspondent à des déviations positives ou négatives par rapport à la moyenne des pratiques étatiques, et tiennent compte de différences de besoin et de coût qui sont mesurables, importantes et indépendantes des préférences politiques (c’est-à-dire qui échappent au contrôle d’un gouvernement étatique). Cette méthode d’évaluation laisse à la CSC une importante marge d’appréciation. Il n’est pas surprenant qu’une des questions ayant le plus retenu l’attention a été l’éventail des recettes et des dépenses à prendre en considération lors des calculs.

La CSC est composée de quatre membres nommés par le gouvernement fédéral. Depuis 1993, toutefois, la CSC est réputée pour son indépendance. Elle compte une cinquantaine d’employés, et son siège se trouve à Canberra. Elle tient des audiences, effectue des visites sur place, consulte fréquemment les ministères du Trésor des états et du Territoire du Nord, et formule ensuite ses recommandations en utilisant la marge d’appréciation qui lui est reconnue. Le contexte politique indispensable au fonctionnement de la Commission lui est fournie par la Conférence des ministres des Finances, à qui incombe la tâche de s’entendre sur le mandat des examens effectués par la CSC, de proposer un cadre général concernant les transferts intergouvernementaux et de débattre des conséquences et de l’avenir de la péréquation. En dernière analyse, c’est au trésorier fédéral qu’il appartient de prendre les décisions définitives concernant le montant des ressources à affecter aux subventions de recettes générales et des autres fonds auxquels s’applique la péréquation. L’accord de 1999, en faisant reposer les fonds à répartir, y compris la péréquation, sur le rendement de la taxe des produits et services, a donné aux états une plus grande certitude fiscale. En pratique, les gouvernements fédéraux australiens ont apporté peu de modifications aux coefficients de relativité recommandés par la CSC. Les débats auxquels ces recommandations ont donné lieu ont porté sur la grosseur du gâteau à partager et sur la nature des fonds devant être inclus dans la formule au point de départ.

L’Australie a également créé une institution financière intergouvernementale officielle visant le secteur des emprunts gouvernementaux. Créé en 1923, le Conseil des prêts s’est vu conférer un pouvoir constitutionnel aux termes de l’amendement constitutionnel de 1927. Il était autrefois composé de représentants des gouvernement fédéral et provinciaux, assujetti à une procédure officielle de vote et autorisé à prendre des décisions que les deux ordres de gouvernement étaient tenus de respecter. Conformément à la règle de prise de décision, chaque état comptait une voix alors que le gouvernement en possédait deux, en plus de la voix prépondérante (bref, le gouvernement fédéral devait, pour avoir gain de cause, jouir de l’appui d’au moins deux des six états). Pendant les années 90, toutefois, suite à l’essor de la privatisation et de l’impartition, le recours aux emprunts publics a diminué et le rôle du Conseil des prêts a perdu de son importance. Son rôle a été modifié et se limite maintenant à une surveillance collective (Galligan, 1995 : 232-234).

La création en 1992 du Conseil des gouvernements australiens est un autre exemple d’institutionnalisation des relations intergouvernementales en Australie. Cet organisme a pour mandat de surveiller les processus de collaboration intergouvernementale, et plus particulièrement d’accroître l’efficacité de l’union économique australienne. Le Conseil réunit non seulement les chefs des gouvernements fédéral et étatiques mais aussi un représentant des administrations locales; on lui doit d’avoir systématisé l’organisation, les mandats et les règles de prise de décision des conseils ministériels intergouvernementaux à vocation sectorielle qui sont sous sa tutelle.

c) Résumé et évaluations

Plusieurs auteurs ont insisté sur la singularité du système australien d’ajustements financiers intergouvernementaux et de péréquation (Gramlich, 1984; Matthews, 1994; Galligan, 1995 : 254). Comme au Canada, le processus d’ajustement des relations fédérales-étatiques en Australie fonctionne surtout dans un contexte de négociations et de marchandage entre les pouvoirs exécutifs des divers gouvernements. Ce qui, toutefois, distingue l’approche australienne de l’approche canadienne, c’est que ce processus est beaucoup plus encadré par des institutions officielles. Même si les organismes comme la Conférence des ministres des Finances, la Commission des subventions du Commonwealth, le Conseil des prêts et le Conseil des gouvernements australiens ne font pas partie intégrante de la Constitution, ils sont autant d’exemples caractéristiques d’une approche institutionnalisée.

Une autre différence entre le Canada et l’Australie concerne l’effort déployé dans le cadre du programme de péréquation et de réduction des déséquilibres horizontaux pour tenir compte non seulement des écarts de capacité fiscale mais aussi des écarts des besoins de dépenses de chaque état (c’est-à-dire la capacité d’offrir des services).

L’exemple australien est d’une importance capitale car, en plus d’être un modèle dont se sont inspirés de nombreuses fédérations d’Asie et d’Afrique, la fédération australienne a été une des premières à élaborer des procédures et des institutions officielles axées sur les ajustements financiers intergouvernementaux.

QUATRIÈME PARTIE : CONCLUSIONS

Quelques leçons peuvent être tirées des processus d’ajustement des relations financières fédérales au Canada et en Australie, notamment celles-ci :

(1) Au sein d’une fédération, l’interdépendance intergouvernementale est inévitable et la collaboration entre les gouvernements essentielle. Comme la répartition des responsabilités de dépenses et des sources de recettes ne peut jamais être parfaitement équilibrée, les ajustements intergouvernementaux sous forme de transferts se sont avérés indispensables non seulement au Canada et en Australie, mais dans toutes les fédérations.
(2) Pour ajuster les accords financiers fédéraux, les fédérations doivent créer, par le biais de moyens constitutionnels ou autres, des processus et des institutions à caractère officiel ou informel afin de corriger les déséquilibres verticaux et horizontaux de recettes et de dépenses, et tenir compte de l’évolution des recettes provenant de diverses sources et des coûts afférents à diverses responsabilités de dépenses.
(3) Pour sauvegarder le principe selon lequel, au sein d’une fédération, aucun des deux ordres de gouvernement ne devrait être subordonné à l’autre, les processus d’ajustement des relations financières ne devraient pas être déterminés unilatéralement par un des deux ordres de gouvernement. Dans les cas où la constitution donne au gouvernement fédéral le pouvoir définitif de déterminer la niveau et la portée des transferts, comme au Canada et en Australie, la réalité politique a généralement obligé le gouvernement fédéral à s’engager dans divers processus de négociation et de marchandage avec les gouvernements provinciaux et étatiques avant d’ajuster les accords financiers.
(4) Au sein des fédérations parlementaires, comme le Canada et l’Australie, les négociations financières et le marchandage entre gouvernements ont généralement suscité une forme de « fédéralisme exécutif », c’est-à-dire un régime de négociations faisant intervenir des représentants des pouvoirs exécutifs - premiers ministres, ministres des Finances et fonctionnaires. Cela est dû au fait que, dans les systèmes parlementaires, bien que le pouvoir exécutif doive officiellement rendre compte de ses décisions à la législature, il contrôle les rapports avec le pouvoir législatif grâce à la discipline de parti.

Bien que ces éléments soient communs aux modèles canadien et australien d’ajustement des relations fédérales financières, on peut tout de même constater qu’ils se distinguent nettement sur d’autres points :

(1) Le Conseil des prêts, la Conférence des ministres des Finances, la Commission des subventions du Commonwealth et le Conseil des gouvernements australiens sont autant d’exemples qui montrent que le système australien repose plus sur la création et la mise en œuvre de processus et d’institutions à caractère officiel pour faciliter les ajustements et la coordination des accords financiers. En revanche, le Canada compte presque uniquement sur des processus informels. L’Entente-cadre sur l’action sociale (ECAS) conclue en 1999 correspond à une démarche vers des arrangements à caractère plus officiel, mais il est trop tôt pour se prononcer sur son efficacité. Les différences entre les deux systèmes semblent s’expliquer, d’une part, par le caractère très prononcé des déséquilibres verticaux de recettes et de dépenses en Australie, lesquels exigent des ajustements importants, et, d’autre part, par les efforts considérables que déploie le Canada pour éviter des accords susceptibles de compromettre l’autonomie de l’un ou l’autre des deux ordres de gouvernement. Ces différences peuvent être illustrées par un fait important qui ne manque pas d’ironie. En 1991, dans le cadre des propositions du gouvernement canadien relatives à la réforme constitutionnelle, on a envisagé la création d’un Conseil de la fédération en vue d’améliorer la collaboration intergouvernementale et renforcer ainsi l’union économique. Durant les négociations intergouvernementales qui ont suivi, le projet fut abandonné car certaines provinces craignaient que le gouvernement fédéral occupe une place dominante au sein du Conseil. D’autres provinces estimaient en outre qu’il valait mieux renforcer le rôle des provinces dans le processus d’élaboration des politiques en créant un Sénat dit Sénat Triple-E (élu, égal et efficace). Un an plus tard, en Australie (où un tel Sénat existait depuis 1901), le gouvernement fédéral et les états sont convenus de s’approprier l’idée canadienne et de créer leur propre Conseil intergouvernemental des gouvernements australiens, un organisme dont le principal objectif est de renforcer l’union économique de la fédération.
(2) Les différences entre les processus canadien et australien d’ajustement financier font ressortir l’importance des conditions économiques, sociales et politiques qui influent sur ces ajustements. Par exemple, le Canada se distingue des autres fédérations en accordant beaucoup d’importance à l’autonomie provinciale. L’insistance du Québec sur l’autonomie provinciale ainsi que l’ampleur des différences économiques et sociales entre les différentes provinces ont été des facteurs importants dans l’évolution de la fédération canadienne. En outre, l’importance que la Constitution canadienne accorde aux pouvoirs législatifs exclusifs de chaque ordre de gouvernement, et le fait qu’elle comporte moins de domaines de compétence concurrente que toute autre fédération contemporaine ont eu pour effet de renforcer cette tendance. Il convient de signaler aussi que les dispositions concernant la représentation des gouvernements ou des intérêts provinciaux au sein des organismes canadiens chargés de l’élaboration des politiques fédérales étaient moins nombreuses que dans les autres fédérations. Cela s’explique par le fait que les membres du Sénat sont nommés par le gouvernement fédéral. Par conséquent, au Canada, les négociations entre les gouvernements fédéral et provinciaux au sujet des questions financières ont dû, plus que dans toute autre fédération, reposer sur des processus informels non parlementaires. En Australie, où les différences sociales et politiques entre les états, bien qu’importantes, ne soient pas aussi marquées, où les domaines de compétence concurrente prévus par la Constitution sont beaucoup plus importants, et où les membres du Sénat sont élus, on s’est moins opposé à la mise en place de processus et d’institutions à caractère officiel pour faciliter la collaboration intergouvernementale.
(3) On doit également souligner que les différences entre les modèles de relations financières intergouvernementales reflètent non seulement les caractères particuliers de l’économie, la diversité sociale et les institutions politiques de chaque société, mais aussi ses valeurs et sa culture politique. En Australie, par exemple, l’importance accordée à l’équité a eu pour conséquence la mise en place d’un système de péréquation plus complet fondé sur les capacités de recettes et de dépenses, ce qui a influé sur le caractère même des relations financières entre gouvernements. En revanche, les relations financières fédérales canadiennes expriment le caractère particulier de la fédération canadienne, où l’importance de l’équité a été limitée par le souci de préserver l’autonomie de chaque ordre de gouvernement.

Les deux modèles de fédération que nous venons d’étudier font ressortir l’importance des processus d’ajustement financier et de l’efficacité des mécanismes de collaboration au sein de chaque fédération. Ces processus et mécanismes permettent d’établir un juste équilibre entre les gouvernements au sein d’un régime fédéral. De plus, la diversité de leurs expériences met en relief le besoin d’adapter ces processus au contexte particulier de chaque fédération.

Références

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Galligan, Brian (1995) A Federal Republic: Australia’s Constitutional System of Government (Oakleigh, Melbourne : Cambridge University Press), chap. 9.

Lazar, Harvey (Ed.) (2000) Canada: The State of the Federation 1999-2000: Toward a Mission Statement for Canadian Fiscal Federalism (Kingston, ON : Institute of Intergovernmental Relations, Queen’s University).

Matthews, Russell (1994) Fiscal Equalization: Political, Social and Economic Linchpin of Federation (Canberra : ANU: Inaugural Russell Matthews Lecture).

Pramlich, N. (1984) “Fair; Fiscal Federalism Arrangements”, in R. E. Caves et L. B. Krause (Eds.) (1984) The Australian Economy: A View from the North (Sydney : Allen, Unwin), pp. 231-274.

Vaillancourt, François (2000) “Federal-Provincial Small Transfer Programs in Canada, 1957-1998: Importance, Composition and Evaluation” in H. Lazar (Ed.), Canada: The State of the Federation: Toward a New Mission Statement for Canadian Fiscal Federalism (Kingston, ON : Institute of Intergovernmental Relations), pp. 189-212.

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——— (1999b) The Spending Power in Federal Systems: A Comparative Study

(Kingston, ON : Institute of Intergovernmental Relations, Queen’s University).