États-Unis d’Amérique : un gouvernement fédéral aux pouvoirs limités

ELLIS KATZ

Les développements internationaux revêtent un impact significatif sur la manière dont fonctionnent les gouvernements, et les États-Unis ne font pas exception. Les accords en matière de commerce mondial, les revendications relatives aux droits de la personne et même la lutte contre le terrorisme international incitent à une centralisation des responsabilités gouvernementales. Aux États-Unis, ces contraintes entraînent de nouveaux changements au cœur même de la structure constitutionnelle du pays, le fédéralisme.

Le fédéralisme américain se caractérise par une délégation limitée des pouvoirs et des responsabilités au gouvernement fédéral, toutes les autres compétences demeurant aux mains des états. Ceux-ci formaient déjà des entités constitutionnelles parfaitement fonctionnelles avant même la rédaction et la ratification de la Constitution. Après avoir proclamé en 1776 leur indépendance à l’égard du Royaume-Uni, onze des treize états ont déclaré leurs chartes coloniales caduques et se sont dotés de constitutions qui réglaient la structure et le fonctionnement des institutions, de même que la protection des droits individuels. Les états ont également fondé une confédération sous l’égide des « Articles de la Confédération ». Lorsque cette union restreinte eut fait la preuve de son incapacité à relever les défis touchant aux questions internationales et économiques au lendemain de l’indépendance, les états se sont cependant résolus à envoyer des délégués à un congrès constitutionnel qui devait « former une union plus parfaite » aux termes mêmes de la Constitution.

Cette union plus parfaite établie par la Constitution des États-Unis de 1787 renforce le gouvernement fédéral en le dotant d’un parlement bicaméral, d’un chef de l’exécutif puissant et d’une Cour suprême. Simultanément, la Constitution attribue au gouvernement fédéral des compétences limitées, bien que fort importantes en comparaison de ce qu’il détenait avec les « Articles de la Confédération », notamment le pouvoir de prélever des impôts et d’en utiliser le produit pour le bien public, ainsi que celui de réglementer le commerce entre les états et avec l’étranger. Toutes les compétences qui ne sont pas déléguées au gouvernement fédéral sont réservées aux états, exactement comme cela se passait avant que la Constitution ne soit écrite et ratifiée.

Laissant les états presque entièrement responsables pour tout ce qui touchait aux questions intérieures, ce mode de répartition s’est modifié au fil du temps. Le changement s’est parfois opéré de manière formelle au moyen d’un amendement constitutionnel, mais le plus souvent il s’est agi d’une interprétation extensive des compétences fédérales par la Cour suprême des États-Unis, notamment en vertu des dispositions touchant à la taxation et aux dépenses, ou alors de la clause de commerce. Adopté en 1868, après la guerre de Sécession, le quatorzième amendement a confié au gouvernement fédéral un rôle essentiel dans la protection des droits. Le seizième amendement, adopté en 1913, a renforcé la compétence du gouvernement fédéral en matière d’imposition des revenus, ce qui lui a permis d’instaurer un système de subventions qui représente à l’heure actuelle plus de 600 milliards de dollars et affecte presque tous les domaines de la politique intérieure. La Cour suprême a interprété de manière très large l’étendue de l’autorité fédérale en vertu des dispositions touchant aux impôts et aux dépenses d’une part, et d’autre part, au commerce entre les états et avec l’étranger. Cette interprétation a permis au gouvernement fédéral de réglementer pratiquement toutes les formes d’activités économiques et de soutenir financièrement les projets nationaux les plus variés. Depuis le milieu des années 90 cependant, quelques rares décisions de la Cour suprême sont venues limiter l’autorité fédérale et rappeler que le gouvernement fédéral ne dispose que de pouvoirs restreints. Il reste cependant à vérifier si ces arrêts permettront vraiment de freiner l’élargissement du pouvoir fédéral.

Cette extension de l’activité fédérale dans les questions intérieures a eu notamment pour effet la création d’un réseau très complexe de relations intergouvernementales, au sein duquel les autorités fédérales, régionales et locales discutent tout à la fois de l’élaboration et de l’exécution des politiques publiques. Ce développement est souvent qualifié de fédéralisme coopératif. Certains commentateurs prétendent pourtant que le gouvernement fédéral a fini par acquérir une position si dominante dans sa capacité de négocier que le fédéralisme coopératif s’est transformé en une sorte de fédéralisme coercitif, qui permet au gouvernement fédéral d’empiéter progressivement sur les législations des états et sur les bases de leurs impôts, mais aussi de contraindre les états à se conformer aux politiques fédérales.

Les événements historiques, sociaux et économiques ont façonné le fédéralisme américain depuis plus de 200 ans : l’achat de la Louisiane à la France en 1803, la conquête de l’Ouest, la guerre de Sécession et les amendements constitutionnels adoptés dans son sillage, l’industrialisation, l’immigration et l’urbanisation, la crise économique de 1929 et le « New Deal » du président Franklin D. Roosevelt, sans oublier la Deuxième Guerre mondiale et la guerre froide. Mais alors que tous ces faits historiques ont toujours contribué à renforcer le rôle du gouvernement fédéral dans le système américain, les trois ordres de gouvernement – fédéral, régional et local – sont plus actifs aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a 200 ans. De plus en plus souvent, les décisions politiques ne se trouvent plus exclusivement entre les mains d’un seul niveau de gouvernement, mais elles impliquent une coopération intergouvernementale.

Actuellement la mondialisation, le terrorisme international et les revendications touchant aux droits de la personne pourraient bien influencer le fédéralisme américain de la même manière, provoquant ainsi un accroissement des pouvoirs du gouvernement fédéral et une nouvelle dynamique en faveur du fédéralisme coopératif. À titre d’exemple, les États-Unis ont adhéré tant à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qu’à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). De tels accords commerciaux sont contraignants, et les États-Unis se doivent de les appliquer indépendamment de leur politique intérieure. En conséquence, la Cour suprême peut invalider certaines réglementations des états, non pas parce qu’elles violent la Constitution américaine, mais parce qu’elles contreviennent à des traités internationaux.

La menace du terrorisme international a singulièrement renforcé le rôle de la fédération dans l’application des lois, mais cela ne supplantera pas sa mise en œuvre par les collectivités locales; au contraire, les responsabilités des municipalités vont augmenter elles aussi. Cela signifie que l’exécution des lois va progressivement devenir une compétence partagée comme de nombreuses autres fonctions gouvernementales, ce qui représentera de nouveaux défis pour le modèle américain du fédéralisme coopératif. Notons finalement que les revendications mondiales touchant aux droits de la personne engendrent de nouvelles contraintes sur les pratiques des états, ainsi en va-t-il de la peine de mort, souvent perçue comme une violation des normes internationales quand bien même elle n’entre pas en contradiction avec la Constitution américaine.