Afrique du Sud : politiques nationales mises en œuvre par les provinces

Christina Murray

En Afrique du Sud, la nécessité de changements fait consensus, tout comme le fait que les progrès en cette matière sont trop lents. Trop peu de Sud-Africains ont accès à un abri, à de l'eau potable et à des soins de santé de base, et trop aussi souffrent de malnutrition, manquent d'éducation et sont sans emploi. La solution à ces problèmes passe nécessairement par les provinces. En effet, bien que le gouvernement national établisse les politiques nationales, fournisse pratiquement tout le financement et définisse les normes auxquelles les provinces doivent se conformer, ce sont les provinces qui doivent mettre en œuvre les changements.

Le système de répartition des responsabilités entre les provinces et le gouvernement national exige une importante coopération entre les deux sphères. Les pratiques émergentes liées à la gouvernance dans le nouveau système à paliers multiples sud-africain seront-elles en mesure d'assurer la collaboration et de faire en sorte que les deux ordres de gouvernement puissent contribuer au renforcement de la démocratie et à l'éradication de la pauvreté ?

Chacune des neuf provinces de l'Afrique du Sud est dotée d'organes législatif et exécutif basés sur le modèle parlementaire. Le gouvernement central est cependant très puissant. Presque toutes les compétences lui sont attribuées, à l'exception d'une courte liste de fonctions réservées aux provinces et aux administrations locales. Les provinces peuvent légiférer dans une foule de domaines essentiels dans un pays en développement (comme l'éducation, la santé et le logement), mais elles partagent ces compétences avec le gouvernement central et leur rôle principal consiste à mettre en œuvre les politiques de ce dernier.

Le pouvoir considérable octroyé au gouvernement central est une conséquence de l'importante transformation qui a dû être opérée afin que l'Afrique du Sud puisse se départir du legs de l'apartheid. Le consensus était que la transformation ne pourrait pas se faire à l'impromptu ou dépendre des ressources et de l'engagement des gouvernements infranationaux. Il était également entendu que les frontières provinciales ne pouvaient constituer de limites à la nouvelle redistribution des richesses et des chances : elle devait s'effectuer à la grandeur du pays.

Une Chambre provinciale a été établie au sein du Parlement national, le Conseil national des provinces (NCOP), afin de s'assurer que les provinces participent à l'adoption des lois nationales qu'elles allaient devoir mettre en œuvre. Au sein de ce Conseil national, chaque province dispose d'une voix et l'appui de cinq provinces est requis pour qu'un projet de loi soit adopté.

De plus, la Constitution fixe le « type de gouvernement coopératif » en tant que principe de gouvernance obligatoire. Le gouvernement national et les gouvernements des provinces doivent donc se consulter et coopérer dans toutes leurs activités. Ceci signifie que les relations intergouvernementales entre les organes exécutifs qui caractérisent aujourd'hui les fédérations de par le monde sont officiellement requises par la Constitution de l'Afrique du Sud. Lorsque le gouvernement national élabore des politiques dans un domaine où il dispose de compétences concurrentes avec les provinces, il consulte continuellement les provinces par le biais de forums intergouvernementaux réunissant des membres des organes exécutifs. De plus, la Constitution ne permet pas à un tribunal de régler un différend entre gouvernements, à moins que des tentatives adéquates pour résoudre ledit différend hors cour aient été entreprises, une disposition par laquelle la constitution s'engage clairement en faveur d'un type de gouvernement coopératif.

En dépit de cet engagement, plusieurs considèrent que le fédéralisme et le système provincial ne fonctionnent pas. Ils prennent en exemple le fait que les organes législatifs des provinces sont relativement inactifs ; la faiblesse des administrations provinciales ; l'incapacité des provinces à influencer la politique nationale à travers le NCOP ; et le fait que les points de vue distincts des provinces ne semblent en aucune façon faire partie des débats sur les politiques.

Bien sûr, des compétences concurrentes et un engagement clair en faveur d'un gouvernement de type coopératif ne suffisent pas à définir le style de gouvernement exécutif et législatif du pays. Trois autres aspects de l'environnement politique de l'Afrique du Sud sont essentiels à la compréhension du style de gouvernement actuel.

Premièrement, l'Afrique du Sud est un système à parti unique qui tient beaucoup de ces origines, c'est-à-dire du modèle de Westminster. Le Congrès national africain (ANC) a obtenu le contrôle du gouvernement national avec une écrasante majorité de 69 pour cent des voix en 2004. Il a en outre le contrôle des neuf provinces. De plus, la discipline de parti et la loyauté sont très présentes. L'individualisation et l'innovation qu'un système à paliers multiples est censé entraîner ne se sont pas encore manifestées.

Deuxièment, le régime d'apartheid a légué à l'Afrique du Sud des infrastructures gouvernementales instables et organisées de façon raciale, ainsi que très peu de gestionnaires qualifiés. Tous les ordres de gouvernement, mais surtout les provinces et les municipalités, doivent composer avec un manque de capacité humaine. Pour plusieurs, assumer des fonctions de base constitue un défi. Leur participation active aux complexes négociations nécessaires au développement d'un système à paliers multiples n'est donc pas concevable.

Enfin, les touts débuts du système de gouvernement à paliers multiples en Afrique du Sud n'étaient pas de bon augure. L'ANC, le parti au pouvoir, s'est opposé au système provincial dès le début. La plupart demeurent d'ailleurs très pessimistes face à ce système, y compris des membres de l'élite politique. Ce système est considéré comme un compromis indésirable adopté afin d'assurer la paix au pays au moment de la transition.

Chacune des caractéristiques mentionnées dénote d'une tendance à la centralisation. Le système est contrôlé par le haut et plusieurs ministres provinciaux considèrent le ministre national responsable de leur domaine comme leur « patron ». Le relatif désœuvrement des organes législatifs provinciaux encourage les ministères provinciaux à se considérer comme des agents du gouvernement central, agents dont le rôle principal consiste à mettre en œuvre les lois nationales. Ceci est amplifié par le fait que les premiers ministres provinciaux sont « mis en poste » par la branche nationale de l'ANC : ils ne doivent pas leur poste à des activités politiques autonomes au niveau provincial. Il existe également beaucoup de confusion en ce qui a trait à la responsabilisation du gouvernement : si les ministres provinciaux sont responsables de la mise en œuvre des politiques nationales, à qui doivent-ils rendre des comptes ? Quel est le rôle des électorats provinciaux et des corps législatifs provinciaux ?

Pour certains, l'échec des gouvernements provinciaux, et surtout des corps législatifs provinciaux, est une faille impardonnable du système, car cela signifie que le gouvernement à paliers multiples n'est pas en mesure d'atteindre un de ses principaux objectifs qui est de renforcer la démocratie et, ce faisant, d'accroître la responsabilisation du gouvernement. Pour d'autres – peut-être plus pragmatiques – cette situation constitue une sorte de compromis en ce sens qu'elle réduit l'obligation de rendre des comptes au niveau régional afin de permettre l'établissement d'un gouvernement plus efficace, ce qui est opportun dans une nouvelle démocratie ayant d'importants besoins en termes de développement.