Forum Livret vol 4 2/20/07 5:20 PM

Des finances publiques durablement saines

combinées à l’autonomie financière des

unités fédérées : l’exemple de la Suisse

GEBHARD KIRCHGÄSSNER / PRABHU GUPT ARA

L’exemple suisse montre que, dans un État fédéral disposant du contexte approprié et des institutions adéquates, il est possible de préserver des finances publiques saines tout en maintenant un très large degré d’au-tonomie financière pour les unités fédérées. Une réforme du système de péréquation, qui entrera en vigueur en 2008, mais également des instruments permettant d’encourager la responsabilité financière entre les cantons, voilà quelques-unes des raisons de cette réussite.

Les cantons suisses disposent d’une compétence fiscale plus large que les unités constituantes de n’importe quelle autre fédération dans monde, excepté peut-être certains États américains. En Suisse, l’impôt sur le revenu est largement cantonal, et chaque canton dispose de sa propre palette d’im-pôts, certains plus progressifs que d’autres. Cela n’est pas seulement valable pour les grands cantons, comme Zurich et ses 1,2 millions d’habitants, mais également pour les plus petits, comme les Rhodes Intérieures d’Appenzell où vivent moins de 15 000 habitants. Au surplus, la Suisse pratique la démocratie directe à tous les niveaux. Cela signifie qu’un citoyen helvétique, pour peu

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qu’il réunisse suffisamment de signatures sur une pétition, peut soit soumettre une initiative à l’électorat, soit appeler à un référendum pour approuver ou rejeter une nouvelle loi adoptée par le Parlement. Les modalités varient entre les cantons, mais elles y sont plus larges que n’importe où ailleurs.

La taille modeste du pays conduit à une compétition fiscale intense entre les cantons, ce qui entraîne des différences considérables de charges fiscales. En 2003 à Delémont, la capitale du canton du Jura, une famille avec deux enfants et un revenu imposable de 150 000 CHF (francs suisses) devait payer 23 847 CHF d’impôts cantonaux et communaux, en plus de l’impôt fédéral direct de 3 466 CHF. La même famille n’aurait eu à payer que 10 094 CHF dans le canton de Zoug. Il n’est donc pas surprenant que les personnes fortunées aient tendance à s’installer dans les cantons disposant d’une fiscalité attrayante, chose possible parce que les courtes distances en Suisse permettent, du moins à certains, d’habiter dans un canton fiscalement avantageux tout en travaillant dans un autre canton.

Une grande partie de la redistribution des ressources s’opère par l’entre-mise de la progressivité de l’impôt cantonal sur le revenu. Voilà qui vient contredire la théorie classique selon laquelle la redistribution ne peut pas être réalisée au niveau régional, parce que la compétition entre les unités fédérées risque de conduire à un nivellement par le bas. Quatre facteurs institutionnels rendent néanmoins possible cette apparente contradiction : l’impôt fédéral est bas, mais très progressif ; le premier pilier du système d’assurance vieillesse, qui est extrêmement redistributif, relève du niveau fédéral ; il existe un impôt anticipé au taux de 35 % sur les revenus en dividendes et en intérêts ; et finalement un système de péréquation est en place. Tout cela fait que les contribuables aisés, même s’ils habitent dans un canton à la fiscalité avantageuse, ne peuvent se soustraire complètement à l’effort fiscal global du pays.

Le système suisse de péréquation financière se révèle indispensable pour préserver l’unité du pays tout en y maintenant la concurrence fiscale. Un tel procédé peut cependant entraîner des effets pervers, en incitant certains cantons à recevoir des subventions supplémentaires du gouvernement central et des autres cantons, plutôt qu’à attirer de nouveaux contribuables. L’ancien système de péréquation – toujours en vigueur à l’heure actuelle – engendrait précisément de telles dérives. C’est la raison pour laquelle la population en a approuvé l’an passé la réforme, qui déploiera ses effets en 2008. Il évitera dans toute la mesure du possible ce genre d’incitations. Avec le nouveau système, des subventions seront fournies non seulement pour couvrir les charges excédentaires frappant les zones urbaines et les régions de montagnes, mais également pour soutenir les cantons les plus pauvres ; on estime qu’après l’entrée en vigueur de la réforme, le revenu par habitant de ces derniers ne devrait jamais atteindre moins de 85 % de la moyenne nationale. Cela permettra quand même de préserver une généreuse marge de manœuvre pour la compétition fiscale entre les cantons. L’argent mobilisé pour ces transferts sera fourni à la fois par la Confédération et les cantons les plus riches. Avec

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le système actuel, ces différences considérables de charge fiscale résultent – ce qui est classique – des asymétries ; les petits cantons bien situés peuvent exploiter les plus grands.

La Suisse connaît un autre problème commun à tous les systèmes fédéraux : comment peut-on empêcher un canton pris individuellement, et surtout parmi les plus pauvres, de se lancer dans une politique fiscale irresponsable entraînant des déficits excessifs, alors qu’il peut compter sur un renflouement de la part du gouvernement fédéral ? Dans la pratique, les cantons présentent des bilans très contrastés. En 2003, la dette cantonale moyenne

par habitant s’élevait à 10 522 CHF. Six des 26 can

tons avaient moins de 4 000 CHF de dette, alors que celle du canton de Genève culminait à 46 512 CHF. Étant donné l’autonomie financière des cantons,

et les versements du fonds de péréquation quand

cela est nécessaire, chaque canton devrait théori

quement pouvoir gérer ses finances d’une manière

responsable. Au surplus, deux instruments supplé

mentaires sont à leur disposition, et les aident à

maintenir une politique financière saine. Le réfé

rendum financier d’abord, qui permet à tous les

citoyens d’examiner, de discuter et, le cas échéant,

de bloquer une dépense proposée par le gouver

nement ou le Parlement.

Un second mécanisme est utilisé par certains cantons seulement ; on l’appelle le « frein à l’endette-ment ». Il oblige le canton non seulement à équilibrer son budget de fonctionnement – y compris l’amortissement des projets d’investissement –, mais également à mettre de côté une certaine réserve s’il dégage un bénéfice, par exemple lors des périodes de croissance économique. Ce surplus peut être dépensé si un déficit se présente – ce qui se produit en cas de récession – avant de recourir à l’augmenta-tion des impôts. Cela permet au canton de mener une politique financière anticyclique, tout en s’assurant que son budget demeure équilibré à long terme. À Saint-Gall, qui le pratique depuis plus de 70 ans, ce système s’est montré très efficace : la dette cantonale demeure relativement basse. Fribourg a appliqué un tel mécanisme depuis les années 1960, et lui aussi dispose de finances saines. Au cours des dix dernières années, les cantons de Soleure, Appenzell RhodesExtérieures, Grisons, Lucerne, Berne et Valais ont introduit des mécanismes semblables. Aussi longtemps qu’ils sont respectés, il n’existe aucun risque de surendettement dans le canton et, en conséquence, il n’est pas nécessaire de prévoir un renflouement ou une intervention du gouvernement fédéral. Pour conclure, le système fiscal de la Suisse fonctionne particulièrement bien dans les cantons qui se sont dotés d’institutions responsables en matière financière.