Le fédéralisme fiscal en Malaisie : défis et perspectives

SAIFUL AZHAR ROSL Y

Bien que la Constitution fédérale de Malaisie répartisse clairement les responsabilités entre les niveaux de gouvernement fédéral, régional et local, l’attribution de compétences fiscales exorbitantes au gouvernement fédéral a favorisé la centralisation fiscale. Le gouvernement fédéral dispose du pouvoir de percevoir les impôts sur le revenu des personnes physiques et des personnes morales, la taxe sur les ventes, de même que les taxes provenant des importations et des exportations. Dès lors, non seulement il ne reste presque rien pour que les États puissent percevoir leurs propres revenus, mais en plus ceux-ci se voient bridés dans leurs emprunts par la Constitution, et ils dépendent beaucoup trop des subventions et des prêts fédéraux pour les investissements de plus en plus importants qui résultent d’une croissance économique et d’une urbanisation accélérées. Le produit des impôts comme les redevances, les permis et licences, les taxes d’esti-mation et les taxes sur les ressources naturelles ne sont tout simplement pas suffisants pour couvrir les dépenses actuelles des États et des collectivités locales.

Pour résoudre cette équation, la Constitution confie au gouvernement fédéral le soin de fournir des services publics dans de nombreux domaines :

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administration, défense, sécurité intérieure, éducation, médecine et santé, travail et sécurité sociale. Dans une certaine mesure, ces dépenses ont entraîné le développement économique des États fédérés malais et pourraient dès lors représenter une forme indirecte de péréquation, puisqu’ils ne supportent plus le coût des équipements et des infrastructures publiques de base, comme les routes nationales et les universités publiques. D’une certaine manière, les États doivent moins se préoccuper des déficits budgétaires en cours puisque le gouvernement fédéral ne cesse de leur fournir des prêts pour combler ces déficits.

Avec de pareilles compétences en matière d’impôts et de dépenses, il est loisible au gouvernement fédéral de se lancer dans des mégaprojets, comme le projet national de l’automobile, l’autoroute multimédia, et la construction du centre administratif fédéral de Putrajaya. Le projet national de l’automobile doit faire progresser la Malaisie dans la technologie automobile, la motorisation, la conception de modèles et les composants – bien que les défis posés par la haute compétitivité d’une industrie automobile devenue très mondialisée puissent y faire obstacle. L’autoroute multimédia représente la contribution de la Malaisie à l’industrie des technologies de l’information et de la communication (TIC). Finalement, le centre administratif fédéral de Putrajaya incarne un nouveau centre pivot destiné à regrouper en un même lieu tous les principaux ministères et services du gouvernement. En recourant aux instruments financiers du bail et de l’achat, le gouvernement ne doit pas supporter le coût initial du développement. Les entreprises qui ont obtenu des contrats de construction sont censées fournir leurs propres capitaux. Contrairement aux États, le gouvernement fédéral peut recourir à l’emprunt pour financer les dépenses publiques. Dans un tel cas, le paiement de baux représente également une dépense publique.

Bien qu’il ne soit pas permis à un État de contracter un emprunt pour mener à bien des projets régionaux, la Constitution fédérale n’interdit pas aux entreprises publiques des États de réunir des fonds en recourant aux prêts bancaires et aux titres d’emprunts. En Malaisie, la privatisation donne habituellement naissance à des compagnies contrôlées par le gouvernement, que ce soit au niveau fédéral ou des États, comme elle n’implique pas un transfert complet des biens du gouvernement aux mains des entre-prises privées. La privatisation entend plutôt introduire une certaine culture d’entreprise dans la nouvelle structure, le gouvernement continuant à détenir la plus grosse part d’actions dans la société. La privatisation est censée accroître l’efficacité des compagnies tout en réduisant les dépenses publiques. Si tout se passe bien, une société liée au gouvernement permet de créer des emplois et d’élargir l’assiette fiscale fédérale. Mais si cette société fait faillite, elle peut demander un renflouement du gouvernement fédéral – une tendance qui alourdit encore plus la charge qui pèse sur les contribuables. Les compagnies ainsi privatisées se sont lancées dans les

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soins de santé, la production automobile et la production industrielle, les transports, la propriété et la construction, les institutions financières, la technologie, les médias et les communications.

Les compétences et les ressources budgétaires attribuées aux États sont soigneusement équilibrées dans la Constitution fédérale. Une dotation par habitant est versée à chaque État en fonction de sa population (bien que plusieurs variables supplémentaires viennent compléter la formule de répartition), de même qu’une subvention destinée à la construction des routes, proportionnellement à la surface de l’État. Il existe également des subventions de partage des recettes fiscales, comme les subventions sur la croissance des revenus, qui reflètent les rentrées de l’impôt provenant de la croissance économique de chaque État. Le versement de ces fonds peut être suspendu ou retardé, mais le flux des subventions n’est jamais complètement interrompu. Les prêts fédéraux à la plupart des États sont habituellement passés par pertes et profits lorsque ceux-ci se trouvent en cessation de paiement, sans espoir imminent du rétablissement de leur autonomie financière.

La décentralisation fiscale pourrait bien ne pas être la réponse appropriée aux problèmes budgétaires des États de la Malaisie. En raison de la taille modeste de la plupart d’entre eux, l’absence d’économies d’échelle risque de faire de la décentralisation fiscale une option désavantageuse. En lieu et place, les subventions gouvernementales pourraient être revues tous les cinq ans, de telle sorte que les États puissent être capables de remplir les promesses faites à leur électorat, particulièrement en ce qui concerne des programmes comme la lutte contre les squatteurs et la fourniture de logements subventionnés pour les personnes défavorisées. Un avenir moins sombre attend les collectivités

locales, qui disposent de plus d’autonomie que les États. Une collectivité locale peut obtenir des prêts bancaires et utiliser des titres adossés à des créances pour financer des projets considérés comme profitables à la municipalité. Certaines collectivités locales disposent de biens-fonds considérables qui peuvent être mobilisés de manière à

attirer des fonds pour la formation de capital.

Il est véritablement urgent de replacer le fédéralisme de la Malaisie dans le contexte contemporain, dans la mesure où de nouvelles questions ont fait leur apparition au cours de ces vingt dernières années. De la même façon que la Constitution fédérale avait octroyé des subventions spéciales aux États de Sabah et du Sarawak en 1967, elle pourrait procéder à de nouvelles subventions basées sur les besoins actuels, notamment la dégradation de l’environnement dans les États, et les différends sur l’approvision-nement en eau là où des cours d’eau traversent deux ou plusieurs États. Le manque de ressources dans les États pour mener à bien des opérations

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de contrôle a conduit à l’incapacité de mettre un terme à la surexploitation forestière et au déversement de déchets toxiques dans les cours d’eau, même si la corruption de certains officiels puisse également avoir contribué à l’aggravation de ces problèmes.

Une autre question qui se pose est la centralisation fiscale entreprise par le gouvernement, dans son récent exercice financier où il poursuit ses coupes dans les subsides tirés du pétrole, soulevant ainsi l’agitation et le mécontentement du public. Les subventions ainsi économisées – soit 1,2 milliards USD ou 4.4 milliards MYR (ringgit, monnaie nationale) – doivent être utilisées pour améliorer le réseau actuel de transport et d’infrastructures routières. Mais la manière dont l’argent est réparti entre les États et les agences fédérales nécessiterait une plus étroite consultation des officiels à tous les niveaux gouvernementaux, même si le gouvernement fédéral garde la haute main pour la décision finale. En plus des augmentations des prix du pétrole provoquées par cette volonté de réduire les dépenses du gouvernement, l’augmentation des tarifs d’électricité qui est à présager au cours des prochains mois rappelle, si besoin est, la mainmise absolue du gouvernement fédéral sur les compagnies de services publics, et dès lors la centralisation du fédéralisme fiscal en Malaisie.

Dans une certaine mesure, le fédéralisme en Malaisie s’est montré capable de promouvoir un gouvernement fédéral stable, bien qu’au niveau des États ses performances ne soient pas aussi brillantes. Le pouvoir de taxation exorbitant accordé au gouvernement fédéral fournit à tout parti politique élu au gouvernement un instrument puissant lui garantissant un long règne politique. Un contrepoids à ce pouvoir consisterait en un processus permanent de dialogue et de consultation entre les partis politiques, au Parlement et dans les Conseils exécutifs des États, pourvu qu’il soit conduit avec force et sincérité.