Forum Livret vol 4 2/20/07 5:20 PM

Le fédéralisme fiscal au Nigeria : des questions non résolues

AKP AN H. EKPO

Après avoir été sous administration britannique, c’est en 1960 que le Nigeria obtint son indépendance – et avec elle, un système fiscal fédéral conférant une large autonomie aux régions. Au cours des années suivantes, la structure fédérale du Nigeria a subi d’importants changements. Elle inclut désormais 36 États, 774 collectivités locales, et le territoire distinct (Federal Capital Territory, ou FCT) de la capitale fédérale, Abuja, qui a remplacé en 1991 l’ancienne capitale Lagos. La marche de ce pays riche en hydrocarbures vers le fédéralisme fiscal, tel qu’il le pratique actuellement, s’est déroulée dans un contexte marqué par d’importants développements économiques, politiques, constitutionnels, locaux et culturels.

L’étendue de l’autonomie des régions n’a cessé de s’accroître jusqu’à l’indépendance en 1960, pour aboutir à l’adoption par les régions de leurs propres constitutions, outre la Constitution (fédérale) du Nigeria. Mais le coup d’État de 1966 a complètement ruiné cette organisation et l’a remplacée par un gouvernement militaire, antithèse du fédéralisme. Aujourd’hui encore, malgré des gouvernements démocratiquement élus à tous les niveaux de l’État, certains vestiges du système unitaire plombent encore la politique fiscale du pays et son fonctionnement.

Forum Livret vol 4 2/20/07 5:20 PM

28

Akpan H. Ekpo

Dans certaines structures de type fédéral, les flux financiers suivent un mouvement montant des unités fédérées vers le pouvoir central. La forme de fédéralisme choisie par le Nigeria pourrait laisser imaginer que les États souhaitent conserver le contrôle de leurs ressources. De la sorte, chacun d’eux pourrait les développer au mieux de ses capacités, tout en contribuant de manière appropriée au fonctionnement du gouvernement central. Mais en fait, c’est l’exact opposé qui se produit : le pouvoir central contrôle toutes les ressources, y compris la plus importante : le pétrole. Il existe dès lors un impérieux besoin de restructurer le fédéralisme fiscal du pays, en se basant sur la diversité des forces et des faiblesses des unités fédérées.

L’une des questions controversées dans le fédéralisme fiscal du Nigeria demeure le partage des recettes fiscales entre les trois ordres de gouvernement. Elle touche à une disposition constitutionnelle, le « principe de dérivation », exigeant que le gouvernement fédéral reverse à l’État dans lequel elles ont été prélevées 13 % des revenus provenant des ressources naturelles. Nombre de Nigérians souhaitent voir ce pourcentage augmenter. Avant que le pétrole ne devienne la principale source de devises du pays, au milieu des années 1970, les produits agricoles respectaient cette répartition, et le principe de dérivation se montait alors à 50 %. Paradoxalement,

c’est des trois régions habitées par les ethnies éco

nomiquement dominantes que provenaient les principaux produits agricoles : le cacao à l’Ouest, l’arachide au Nord et l’huile de palme à l’Est.

Les gisements de pétrole, devenu entre-temps la première richesse du pays, se concentrent dans des zones habitées par des minorités ethniques dépourvues de toute capacité d’influence. Le volume de la dérivation est devenu un enjeu, objet de disputes sans fin. Les zones productrices de pétrole sont tellement pauvres et sous-développées que les 13 % de dérivation se révèlent totalement insuffisants. Il en résulte des réclamations contre la négligence des autorités fédérales à l’égard de ces zones et de leurs populations convaincues d’être victimes de cette iniquité parce qu’elles « n’ont pas de muscle politique ». À leurs yeux, il importe que la

formule de répartition des revenus permette aux régions qui fournissent la ressource de base du pays de recevoir une compensation équitable, autrement dit suffisante pour leur assurer une croissance et un développement durables. L’équité et la justice plaident en faveur du contrôle par chaque État d’une partie substantielle de ses richesses. De la sorte, nombreux sont ceux qui souhaitent que la formule de partage des recettes fiscales accorde une plus large place à la dérivation.

Un autre problème marque le fédéralisme fiscal au Nigeria : comment

Forum Livret vol 4 2/20/07 5:20 PM

Nigeria 29

répartir les revenus entre deux ordres de gouvernement, voire plus, de telle sorte que chacun d’eux dispose d’une capacité suffisante pour effectuer les tâches qui lui sont attribuées ? Il existe au Nigeria un courant de pensée affirmant que certaines fonctions actuellement attribuées au gouvernement fédéral devraient retourner aux États. Idéalement, les unités fédérées devraient pouvoir chacune se développer à son propre rythme, en exploitant ses propres ressources, en vue de réaliser son développement planifié. Elles devraient pouvoir développer leurs propres capacités d’extraction et suivre leurs priorités et leurs préférences en matière de développement, en fonction des revenus dont elles disposent. Cela permettrait de faire taire les critiques selon lesquelles les ressources provenant d’une partie du pays sont absorbées pour le développement des autres parties. Mais en même temps toutes les unités fédérées devraient contribuer à la pérennité financière du gouvernement central. Le fédéralisme fiscal du pays ferait de la sorte l’objet d’une refonte, le partage des recettes fiscales visant plutôt une croissance économique divergente et non la poursuite de politiques d’aide sociale.

Plusieurs facteurs permettraient de garantir une formule équitable et stable d’allocation des revenus entre les trois ordres de gouvernement :

La répartition des compétences entre les unités fédérées, pour ce qui concerne les ressources et les dépenses, a suscité l’adoption d’une loi sur la gestion responsable des finances. Cette mesure a pris la forme d’une loi, pour éviter les répercussions négatives des énormes déficits dont le pays avait fait la triste expérience. Ce texte prévoit un contrôle des déficits des ordres inférieurs de gouvernement. De la sorte, la coordination fiscale se révèle déterminante. Cette loi sur la gestion responsable des finances a pour but de contraindre tous les ordres de gouvernement à une planification, une application et un contrôle budgétaires qui soient à la fois efficaces, disciplinés et coordonnés. Mais comme toutes les unités fédérées sont tenues à la stabilité macro-économique, l’effectivité de cette loi quant à son application demeure une source d’interrogations pour les politiciens.

Il est important que les tensions concernant le fédéralisme fiscal au Nigeria soient apaisées par un dialogue mené dans un esprit positif et conduisant à des compromis, pour éviter qu’elles ne dégénèrent en une crise susceptible de mettre en cause la survie même du pays. La récente Conférence nationale sur la réforme politique en apporte une illustration : les États d’ethnies minoritaires ont quitté la salle pour protester contre le refus des autres membres de la Conférence d’augmenter le pourcentage considéré pour le principe de dérivation.