Les fluctuations du fédéralisme fiscal aux États-Unis

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Dans la pratique, le système fédéral américain se présente comme un exercice d’équilibre entre trois niveaux de gouvernement relativement indépendants, fédéral, régional et local, qui disposent tous de responsabilités en matière de prestation de services publics, mais également des compétences à prélever des impôts et à faire des emprunts. Mais seuls deux de ces trois ordres de gouvernement sont mentionnés dans la Constitution : les États et la fédération. Le troisième, les collectivités locales, voient leur rôle largement déterminé par les États. À l’intérieur de ce cadre général, les rôles et les responsabilités concrètes des gouvernements fédéral et régionaux en matière de programmes publics ne cessent de fluctuer. Cette situation entraîne des désaccords récurrents entre les différents ordres de gouvernement ; les tribunaux jouent un rôle important dans la résolution de ces conflits. Au bout du compte, ce système souple a fait preuve de sa stabilité et de sa facilité d’adaptation aux changements des conditions sociales, politiques et économiques.

Il existe cependant d’autres problèmes que même une constitution fédérale soigneusement équilibrée ne s’est pas révélée capable de résoudre : les contraintes pesant sur les revenus de la fédération et des États, le coût

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sans cesse croissant des programmes publics, la demande toujours grandissante de la population en services publics, sans oublier les tendances économiques et démographiques à long terme. Tous ces problèmes font les gros titres de la presse lors des débats et des décisions relatives aux budgets de la fédération et des États, mais ils demeurent largement ignorés le reste du temps. Et pour peu que le gouvernement fédéral tente de s’en débarrasser en transférant la responsabilité du financement des programmes aux États, le problème resurgit devant les parlements régionaux. Dans la plupart des cas, les États ont adopté des stratégies de financement provisoire et des initiatives visant à combler ces lacunes par des programmes conjoints États/fédération. Mais ces « stratégies précaires », menées par les États seuls, ont fait gonfler nombre de budgets régionaux jusqu’aux limites de l’explosion. Ils procèdent alors souvent à des réajustements de leurs politiques économiques, de manière à équilibrer leurs budgets comme l’exigent les lois ou leurs constitutions.

Le rôle du gouvernement fédéral aux États-Unis consiste souvent à fournir, de manière très générale, des lignes directrices et des ressources, alors que les États et les collectivités locales se retrouvent eux en première ligne en tant que véritables prestataires des services publics. Le maintien d’un partenariat intergouvernemental étroit représente un véritable cassetête pour les États, dans la mesure où ils doivent répondre uniquement à leurs besoins spécifiques tout en partageant les coûts et en assurant la prestation des services publics avec leurs partenaires fédéraux. La tendance croissante à nationaliser certains domaines politiques, comme les récentes initiatives politiques fédérales « Sécurité intérieure » (Homeland Security) et « Pas d’enfants abandonnés » (No Child Left Behind), a encore augmenté l’interdépendance entre les gouvernements. Le niveau fédéral dépend de plus en plus des États pour l’application des programmes fédéraux et la réalisation des objectifs nationaux. Résultat : alors que de nombreux domaines politiques ont été nationalisés et bénéficient de financements fédéraux, de plus en plus de responsabilités ont été transférées aux États et aux collectivités locales pour qu’ils prennent en charge la pleine application de programmes visant des objectifs nationaux. Tout changement apporté à un programme conjoint par l’un des niveaux de gouvernement – par exemple une réduction des subventions – peut entraîner des conséquences considérables sur la capacité d’un autre niveau de gouvernement à remplir sa part d’obligations fiscales et de développement dudit programme. La Constitution des États-Unis confie au gouvernement fédéral des compétences fiscales considérables, comme la capacité de prélever des impôts, d’emprunter des capitaux, de réglementer le marché intérieur et le commerce extérieur, de rembourser ses dettes et de veiller au bien-être général. Mais elle y fixe également des limites, parmi lesquelles une restriction quant à la possibilité de frapper de taxes ou d’impôts les articles exportés depuis un État de la fédération. L’autorité

États-Unis d’Amérique

de la fédération a limité la capacité des États à interférer dans le marché intérieur et le commerce extérieur, mais elle a également restreint de manière draconienne les compétences fiscales des États pour ce qui concerne les transactions du commerce interétatique ou international. De telles limitations ont réduit la capacité des États à assumer le coût des programmes relevant de leurs responsabilités, dans une économie de plus en plus globalisée.

Les États se voient garantir une certaine autorité fiscale par la Constitution. Plus précisément, le Xe Amendement leur accorde les « compétences résiduelles » pour ce qui concerne la politique fiscale, et par là même une certaine influence pour négocier avec le gouvernement fédéral en ce qui concerne la responsabilité et le financement des programmes. Mais les États se trouvent également confinés : la Constitution les oblige à respecter toutes les procédures légales dans leurs actions et à fournir une protection légale identique sur l’intégralité de leur territoire. Les collectivités locales, créées par les États, disposent uniquement des compétences et de l’au-torité fiscales qui leur sont confiées par ces derniers.

La tendance manifestée par le gouvernement fédéral à s’immiscer dans un éventail toujours plus large de questions de politique intérieure, y compris celles qui relèvent traditionnellement des États, a fini par embrouiller les rôles et les responsabilités des divers niveaux gouvernementaux. La responsabilisation conjointe pour ces programmes intérieurs a conduit à des disputes intergouvernementales et à des tensions à propos de leurs responsabilités et de leurs obligations à rendre compte.

Aux États-Unis, une question essentielle touchant le fédéralisme fiscal demeure l’absence de processus, officiel ou non, permettant de coordonner efficacement la politique fiscale intergouvernementale. Il en résulte que les initiatives fédérales entrent souvent en conflit avec les politiques régionales. Ces dernières à leur tour sont également souvent en conflit avec celles des collectivités locales. Ces domaines de politique fiscale dépourvus de la plus élémentaire coordination intergouvernementale englobent la politique fiscale et des revenus, de même que des programmes conjoints comme les soins de santé, l’éducation et les infrastructures.

Les efforts visant à réduire le déficit et la dette de la fédération, tous deux colossaux, ont amené le gouvernement fédéral à transférer aux États la charge financière de certains programmes. Les décisions politiques destinées à gérer le budget fédéral comprennent souvent des réductions du soutien aux programmes d’économie intérieure. Nombre d’entre eux ont nécessité une coopération entre les trois niveaux, fédéral, régional et local, pour proposer une offre de services publics. Lorsque de telles coupures fédérales surviennent, les États et les collectivités locales se voient dans l’obligation d’assumer des responsabilités supplémentaires. Il ne leur a pas été facile de mettre au point des stratégies et des politiques permettant tout à la fois de faire face à leurs obligations fiscales et d’as-

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sumer les divers changements des responsabilités financières intergouvernementales.

Dans ce contexte, une seconde problématique touche l’affaiblissement du rôle et de l’autorité des États au sein du régime fédéral américain. Plus précisément, alors que la Constitution des États-Unis réserve aux États l’intégralité de l’autorité et des responsabilités qui n’ont pas été expressé

ment confiées au niveau fédéral, ceux-ci doivent

faire face à une érosion constante de leur autorité. L’apparition des mandats dépourvus de financement, le droit de préemption du gouvernement fédéral sur l’autorité des États et la dévolution de certains programmes du niveau fédéral vers celui des États, voilà seulement quelques exemples de la domination croissante exercée par le pouvoir central.

Les mandats dépourvus de financement sont des créations de la législation fédérale, qui exige des États l’application de programmes décidés par le gouvernement fédéral, mais dépourvus de la moindre assistance financière. La saisie par l’autorité fédérale de celle des États ou des collectivités locales est également avérée, phénomène justifié par la clause de suprématie de la

Constitution américaine, aux termes de laquelle les lois fédérales adoptées conformément à la Constitution des États-Unis représentent la loi suprême du pays. La dévolution, un autre procédé auquel on recourt au niveau fédéral, désigne le transfert du pouvoir central aux États de la responsabilité des programmes. Toutes ces pratiques récentes viennent bouleverser l’équilibre des pouvoirs entre la fédération et les États.