LE SYSTÈME FÉDÉRAL DE LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE

Klaus-Dieter Schnapauff

PARTIE 1 : ÉTAT FÉDÉRAL ET FÉDÉRALISME

La disposition clé de la Loi fondamentale, c’est-à-dire la Constitution allemande, où sont définis les principes régissant la structure d’État de la République fédérale d’Allemagne se retrouve à l’article 20, paragraphe 1. Il y est stipulé :

La République fédérale d’Allemagne est un État fédéral démocratique et social.

Cet article confère un statut fédéral au système politique de la République fédérale d’Allemagne. Cette décision fondamentale repose sur la conviction que le progrès politique – qui concrétise les croyances de la population, la prospérité économique et le développement social et culturel

— peut mieux se réaliser dans un système fédéral que dans un système centralisé.

a) Renforcer la légitimité démocratique

Le fédéralisme renforce la démocratie. Ainsi, les citoyens ont davantage de possibilités de participer à la vie politique et de défendre leurs intérêts. Ils ont droit de vote à plusieurs niveaux de gouvernement : État fédéral, Lander (États fédérés) et communautés locales. La légitimité d’un pouvoir d’État qui représente les citoyens repose sur le principe que ces derniers s’identifient avant tout au système politique et désirent participer à l’élaboration d’une volonté politique. À la différence d’un système centralisé, un système fédéral ouvre des perspectives institutionnelles et procédurales supplémentaires de participation, de recherche de consensus et d’identification, ce qui favorise le bon fonctionnement, les bons résultats et la stabilité du système politique.

b) Favoriser la séparation des pouvoirs, renforcer la primauté du droit

Un système fédéral fait obstacle à la concentration du pouvoir. La séparation horizontale des pouvoirs où l’autorité de l’État est répartie entre les organes exécutif, législatif et judiciaire, est complétée par la séparation verticale des pouvoirs et des tâches entre l’État central et les États constituants : par exemple, entre la Fédération et les Länder dans le cas de la République fédérale d’Allemagne. Dans un État fédéral, les décisions et les réalisations politiques sont en principe plus transparentes et équilibrées : elles impliquent la nécessité de trouver un consensus, ce qui permet d’éliminer les situations extrêmes. Les compétences de la Fédération et des Länder étant limitées, il en résulte un système équilibré de freins et contrepoids ainsi qu’une interdépendance de ces entités. Celles-ci doivent donc coopérer pour remplir leurs tâches de façon efficace. Cela renforce par ailleurs « l’équilibre des pouvoirs » et le « système équilibré de contrôle mutuel ». En même temps, cette structure politique maintient la primauté du droit qui, grâce à la division, à la limitation et à l’équilibre des pouvoirs, protège la dignité humaine, la liberté des citoyens et la justice.

c) Favoriser la concurrence politique

Le fédéralisme favorise la concurrence politique entre les partis et les titulaires de fonctions politiques. Les élections qui ont lieu régulièrement aux différents niveaux (parlements de la Fédération, des États constituants et des communautés locales) les obligent à rechercher constamment des électeurs. Au niveau de la fédération, le parti politique d’opposition est en général celui qui est au pouvoir dans plusieurs Länder : il participe ainsi aux politiques fédérales par l’intermédiaire de la chambre des Länder, le Bundesrat (Conseil fédéral). Il a donc l’occasion d’assumer une responsabilité concrète reflétant ses idées politiques. En tant qu’entité fédérale, l’État met davantage en valeur le potentiel de gestion politique, car il a le besoin de plus de personnes possédant des qualités de chef politique qu’un dans un État centralisé. Les gouvernements et les parlements des Land servent en outre de lieux pour la prise de responsabilités et l’expérience de pratiques administratives et démocratiques parlementaires.

d) Favoriser la compétition et le développement économiques

Un État fédéral offre les structures nécessaires pour que les décisions politiques et administratives se prennent au niveau approprié.Un État centralisé tend à regrouper au niveau central les décisions importantes et fondamentales ne laissant que les décisions secondaires aux instances régionales ou locales. En revanche, dans un État fédéral, le choix de l’instance décisionnelle dépend surtout du sujet. Ainsi, le niveau où se prend la décision doit être le plus proche possible de l’objet même de la décision et du lieu où cette décision aura des impacts. Dans la même optique, la prise de décisions doit se faire au plus haut niveau lorsqu’il faut des critères uniformes et de grande portée. L’État fédéral est mieux structuré pour réagir à des situations locales diverses par des conditions générales adaptées et des mesures d’assistance avisées que l’État unitaire qui, de par sa nature, intervient sans vraiment faire de distinction sous la forme de règlements uniformes. Ainsi, l’État fédéral est plus apte à favoriser le développement économique d’une façon réfléchie et efficace. Un avantage de la rivalité résultante est l’amélioration des résultats économiques dans leur ensemble.

e) Favoriser le progrès social

Un État unitaire a pour préceptes d’établir des niveaux de vie uniformes, d’équilibrer les différences de rendement et de réaliser la solidarité et la justice sociale. Indépendamment de ce qui précède, des institutions transparentes de sécurité sociale qui encouragent les personnes à se prendre en main et qui misent sur le principe d’autonomie peuvent améliorer de façon décisive le rendement des programmes sociaux et empêcher l’affaiblissement des normes.

f) Favoriser l’épanouissement des cultures et la diversité culturelle

L’État fédéral tient compte de la diversité dans l’unité. Il est ainsi en meilleure position pour régler les problèmes régionaux et s’acquitter de ses tâches régionales, par exemple l’aménagement du territoire et les politiques relatives aux minorités. Un système fédéral tient compte des particularités régionales, et c’est là un des arguments les plus solides en sa faveur. Il peut ainsi favoriser et maintenir la diversité culturelle, ce qui permet aux citoyens de s’identifier à leur communauté.

g) édéralisme coopératif contre lourdeur et obstruction mutuelle

Parmi les graves inconvénients indissociables d’un État fédéral, on peut compter la lourdeur du processus de prise de décisions politiques et la division des responsabilités entre divers ordres et unités constituantes, ce qui risque de donner lieu à des obstructions mutuelles et à une bureaucratisation. Le bon sens politique et la coopération de toutes les parties concernées, compte tenu de toutes les conditions pratiques, peuvent néanmoins transformer ces faiblesses inhérentes potentielles en une force spécifique de l’État fédéral ; ceci peut affermir la stabilité et les résultats de ce système politique. Le fédéralisme coopératif aide à éviter les situations extrêmes ; il favorise la pertinence, l’équilibre et la pertinence d’un tel système.

PARTIE 2 : LE FÉDÉRALISME DANS LA RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D’ALLEMAGNE

En vertu de la Loi constitutionnelle, la République fédérale d’Allemagne est un État fédéral qui compte 16 États constituants ou Länder. La nation et les États constituants possèdent tous deux leur propre autorité souveraine. Ces derniers ne sont ni des provinces ni des départements, mais bien des États avec leur Constitution de Land, leurs parlements et leurs structures administratives.

D’après la Loi fondamentale, l’exercice du droit souverain est divisé entre la Fédération et les Länder. Dans ce processus, la Loi fondamentale pose comme principe que les Länder détiennent une compétence générale (articles 30, 70 et 83). Dans les domaines de la législation, de l’administration et de la juridiction, la fédération possède seulement les compétences que la Loi fondamentale lui attribue explicitement ou celles non écrites qui peuvent être déduites par voie d’interprétation de la Constitution.

a) La responsabilité du processus législatif incombe surtout à la fédération

Dans la réalité constitutionnelle, la Fédération contrôle la législation, tandis que les Länder contrôlent l’administration, ce qui convient aux exigences pratiques. Dans le domaine administratif, la décentralisation des prises de décisions permet de mieux prendre en compte les circonstances variables des diverses couches sociales. Parce que de nombreuses situations courantes sont impossibles à régler adéquatement par les seules instances locales ou régionales, on assiste à l’émergence d’une tendance à l’harmonisation des lois autant au niveau national qu’au niveau supranational, en particulier dans le cadre de la Communauté européenne. Ainsi, la fédération a pleinement utilisé ses pouvoirs législatifs facultatifs (compétences concomittantes selon les articles 72, 74 et 74a de la Loi fondamentale, et lois-cadres, selon l’article 75 de la Loi fondamentale). Cela a abouti à une restriction du champ législatif des États constituants.

Les compétences législatives les plus importantes, qui sont restées en pratique sous le contrôle des Länder, comprennent les questions culturelles, la loi sur l’éducation scolaire et universitaire, la loi sur la radiodiffusion, les règlements de la construction et la loi générale sur la police et la réglementation.

b) La responsabilité du processus administratif incombe surtout aux Länder

Dans le domaine de l’administration, la situation est tout autre. En plus de leurs propres lois, les Länder appliquent également la plupart des lois fédérales. La responsabilité administrative directe de la Fédération ne se retrouve que dans de très rares domaines spécifiques. Ces domaines comprennent notamment le ministère des Affaires étrangères, l’administration de l’armée fédérale, la police fédérale des frontières, ainsi que des administrations centrales fédérales spécialisées telles que le Bureau de la police criminelle fédérale ou le Bureau fédéral de protection de la Constitution.

c) Comment les Länder participent au processus législatif fédéral par l’intermédiaire du Bundesrat

Même si l’autorité législative relève surtout de la fédération et les Länder ont un champ restreint pour promulguer des lois, ces derniers peuvent, grâce au Bundesrat, avoir une forte influence sur la législation fédérale. Ils sont en effet habilités à y déposer des projets de loi. Le processus législatif de la fédération stipule que le Bundesrat doit être entendu en ce qui concerne toutes les lois fédérales envisagées par le Bundestag (Assemblée fédérale). Pareillement, les Länder ont le droit d’influencer le contenu même de ces lois en exerçant leur droit de veto absolu ou suspensif. Le choix du type de veto dépend du genre de législation examinée. La Loi fondamentale prévoit un mécanisme de règlement des différends entre le Bundestag et le Bundesrat par l’intermédiaire de la Commission de médiation.

d) Le fédéralisme fiscal au sein de la République fédérale d’Allemagne

Les structures fédérales de la République fédérale d’Allemagne se caractérisent non seulement par une division des pouvoirs entre la fédération et les Länder, mais aussi par des dispositions constitutionnelles régissant le financement de l’État. Au sens politique, la Fédération et les Länder ne peuvent agir de façon indépendante et efficace que si leurs finances le leur permettent. En vertu des dispositions constitutionnelles de la Loi fondamentale régissant les finances de l’État, la fédération et les Länder assument chacun les coûts subis dans l’exercice de leurs fonctions respectives. Du fait que les Länder doivent en principe appliquer au même titre les lois fédérales et les lois du Land, ils doivent aussi en supporter les coûts. Par la division des pouvoirs en matière de lois fiscales entre la fédération et les Länder, par le droit du Bundesrat à participer à l’élaboration de ces lois et par les critères de répartition des recettes fiscales, la Loi fondamentale garantit à la Fédération et aux Länder les fonds nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Ce principe est assuré par un système équilibré de lois fiscales, des modifications à l’autorité fiscale en cas de nouvelles conditions, et le droit de la fédération et des Länder aux recettes fiscales.

Aux compétences de la fédération et des Länder en matière de lois fiscales et à leur droit aux recettes fiscales s’ajoutent des règlements sur la péréquation des recettes fiscales. Cette péréquation s’applique :

  • verticalement, entre la Fédération et les Länder,

  • horizontalement, entre les Länder,

de façon à atténuer les disparités économiques et financières sur l’ensemble du territoire fédéral.

Par ailleurs, la Fédération peut accorder aux Länder de l’aide financière destinée aux investissements spéciaux des Länder ou des communes, sous réserve que les projets se révèlent indispensables pour éviter une perturbation de l’équilibre économique et global pour égaliser les capacités économiques au sein du territoire fédéral ou encore pour favoriser la croissance économique. Les règlements adoptés pour atteindre cet objectif reflètent un degré particulièrement élevé de coopération, de coordination et de solidarité dans l’État fédéral. Ils s’avèrent également une condition préalable décisive pour garantir le rapprochement des niveaux de vie entre les Länder de l’Est et ceux de l’Ouest, depuis la réunification des deux Allemagnes en 1990.

PARTIE 3 : RÉALITÉS DU FÉDÉRALISME

a) La Fédération et les Länder collaborent à l’élaboration de la législation fédérale

La description des dispositions constitutionnelles régissant les rapports entre la Fédération et les Länder montre que, dans un État fédéral, il faut un degré poussé de coordination et de coopération. Des intérêts et des développements divergents accroissent cette nécessité. La coordination entre la Fédération et les Länder doit être réalisée dans un esprit de « gouvernance coopérative ». Les relations juridiques entre la Fédération et les Länder, et entre les Länder eux-mêmes imposent à la Fédération et à ses États constituants une obligation de « loyauté envers la Fédération ».Il en découle ainsi, entre autres choses, des obligations de coopération pour l’échange d’informations et la coordination des actions.

La Loi fondamentale et les règles de procédure du Bundestag, du Bundesrat et du gouvernement fédéral réglementent en détail la façon dont les Länder interviennent dans la législation fédérale. Dans ce contexte, le Bundesrat joue le rôle de seconde chambre législative des Länder et il doit participer à l’approbation de toute législation. Comme on l’a déjà remarqué, les Länder sont habilités à présenter des lois au Bundesrat et à exercer leur influence sur le contenu des lois fédérales en refusant de donner leur approbation. La procédure de médiation entre le Bundestag et le Bundesrat qu’exerce par la Commission de médiation s’est avérée très efficace et fructueuse.

Par ailleurs, les propositions législatives font l’objet d’analyses minutieuses de la part de la fédération et les Länder avant que le dépôt des avant-projets de loi au Parlement. Les gouvernements de Land interviennent dès le départ dans la rédaction des projets de loi du gouvernement fédéral. Ils sont ainsi en mesure d’exercer une influence décisive sur le contenu avant que ces projets ne soient soumis au Parlement. Parallèlement, la participation des gouvernements de Land dès les premières étapes permet au gouvernement fédéral d’éliminer, s’il y a lieu, les conflits avant que le Cabinet ne se prononce sur un avant-projet de loi.

Après l’examen du Cabinet, le projet de loi du gouvernement fédéral est soumis au Bundesrat, la chambre des Länder, pour ce que l’on qualifie de première lecture. Le Bundesrat est habilité à formuler des observations auxquelles le gouvernement fédéral peut apporter des répliques. L’avant-projet de loi, accompagné des commentaires du Bundesrat et de toute réplique du gouvernement fédéral, est ensuite transmis au Bundestag en tant qu’organe législatif décisionnel.

Une fois que le Bundestag s’est prononcé sur l’avant-projet de loi, celui-ci est transmis au Bundesrat pour deuxième lecture. Si un désaccord surgit entre ces deux organes, il peut y avoir convocation de la Commission de médiation dont les membres proviennent du Bundestag et du Bundesrat.

Lorsque la Loi fondamentale prévoit que le Bundesrat doit approuver les projets de loi, mais ce dernier peut refuser d’approuver lesdits projets ; si cela se produit, le projet de loi est réputé avoir «échoué». Le nombre de projets de loi requérant l’approbation du Bundesrat est considérable, car il comprend toute la législation relative à l’établissement des textes d’application à l’administration des Länder.

Les Länder peuvent user de leur influence pour exercer des pressions à différentes étapes du processus législatif, ce qui signifie que l’obtention d’un consensus est indispensable pour la fédération. Celle-ci doit s’efforcer de trouver les majorités indispensables au Bundesrat. Il est difficile de faire voter une loi à laquelle s’oppose la majorité des Länder.

b) Consultations politiques et coordination

Les dispositions institutionnelles qui prévoient la coopération de la fédération et des Länder pour l’adoption de lois fédérales, et qui sont stipulées dans la Loi fondamentale et les règles de procédure du Bundestag et du Bundesrat, ne constituent qu’une partie du cadre législatif. Un grand nombre d’organismes et de procédures de consultation et de coordination entre la fédération et les Länder ont vu le jour en réponse aux réalités politiques.

La consultation et la coordination ont lieu principalement à trois niveaux :

(1) Entre la Chancellerie fédérale et le Bundesrat

Un ministre d’État ayant rang de Secrétaire d’État parlementaire est chargé de cette tâche à la Chancellerie fédérale depuis de nombreuses années. Son principal point de contact au Bundesrat est le Conseil consultatif composé de 16 plénipotentiaires qui représentent les intérêts de leur Land auprès de la fédération. En principe, cet organisme et le ministre d’État de la Chancellerie fédérale tiennent une réunion chaque semaine pour préparer les assemblées du Bundesrat. Y sont également débattues, à huis clos, toutes les autres questions exigeant une coordination antre la fédération et les Länder.

(2) Lors de la Conférence des ministres-présidents

La Conférence des ministres-présidents, à laquelle participe le Chancelier fédéral, se réunit au moins deux fois par an. Des conférences de ministres spécialisés de la fédération et des Länder sont également tenues au moins une fois tous les six mois.

La préparation de la conférence des ministres-présidents incombe aux chefs des Chancelleries d’État et des chancelleries des Sénats, ainsi qu’au chef de la chancellerie fédérale, qui se réunissent généralement une semaine avant la Conférence. Une procédure similaire s’applique aux conférences des ministres spécialisés. Dans ce cas, les secrétaires d’État de tous les ministères concernés des Länder et du niveau fédéral se rencontrent également une semaine avant la tenue des conférences. En pratique, la Conférence des ministres-présidents et les conférences des ministres spécialisés ont une grande importance du fait que des décisions politiques y sont prises – d’ordinaire uniquement selon la règle de l’unanimité – et qu’elles ont force obligatoire pour les parties.

(3) Groupes parlementaires des Länder au Bundestag

Les groupes parlementaires des Länder au Bundestag revêtent une importance politique non négligeable. Ils préparent les négociations en vue des rencontres des groupes de travail et des groupes parlementaires. Ceci garantit ainsi que les associations de Land et les gouvernements des Länder peuvent exprimer leurs opinions et exercer une influence dans les négociations et les décisions parlementaires.

c) Fédéralisme coopératif

Les institutions et les procédures de coordination mentionnées constituent la base d’une coopération intensive entre la fédération et les Länder, et entre les Länder eux-mêmes ; cette coopération porte le nom de « fédéralisme coopératif ». Cette appellation reflète le principe selon lequel tous les titulaires d’une charge publique collaborent dans l’intérêt des citoyens.

La coordination et la coopération vont de pair avec la communication entre titulaires de responsabilités dans les divers domaines et aux différents niveaux. Comme cette intercommunication va croissant, l’action politique de la fédération et des Länder devient de plus en plus étroitement mêlée, ce qui n’est pas bien vu en général. Les détracteurs allèguent que cette interdépendance a conduit à un flou inacceptable dans l’attribution des tâches, des fonctions et des responsabilités politiques. Ils prétendent en outre que les titulaires d’une charge publique ont moins tendance à assumer leurs responsabilités et que la distinction entre le parti au pouvoir et les partis d’opposition se trouve gommée, ce qui mène à un « gouvernement de tous les partis ».

Jusqu’à un certain point, cette critique est justifiée. Il faut reconnaître qu’il y a eu des tentatives pour venir à bout des barrières institutionnelles, lesquelles peuvent être surmontée dans une certaine mesure par des dispositions juridiques. Cependant, ces tentatives ne devraient pas être exagérées. Une garantie essentielle et efficace contre la perte de valeur des barrières institutionnelles dans la vie politique vient du dualisme entre gouvernement et opposition au niveau de la Fédération, entre la Fédération et les Länder, et entre les Länder eux-mêmes ; ce dualisme se traduit par une synergie de coopération et de concurrence. Somme toute, le fédéralisme coopératif favorise ainsi le fonctionnement, les résultats et la stabilité du régime politique de la République fédérale d’Allemagne.

d) La Cour constitutionnelle fédérale, gardienne du fédéralisme

En dernier lieu, la Cour constitutionnelle fédérale revêt une importance toute particulière pour la préservation de la structure fédérale de l’État. Les Länder peuvent s’adresser à cette Cour chaque fois qu’ils estiment que leurs droits ou leurs compétences sont affaiblis en violation de la Constitution. La Fédération peut, elle aussi, s’adresser à la Cour lorsqu’elle estime qu’une loi de Land est inconstitutionnelle. Dans les deux cas, la Cour constitutionnelle fédérale rend des décisions définitives liant toutes les parties concernées.

PARTIE 4 : L’ÉTAT FÉDÉRAL ET L’UNION EUROPÉENNE

Avec l’Acte unique européen de 1986, le Traité de Maastricht de 1992 et le Traité dAmsterdam de 1997, s’est amorcée une évolution qui a transformé l’union commerciale et économique d’origine de la Communauté européenne en une union politique. Avec le temps, cette évolution a progressé au point que l’on peut discerner l’apparition d’un État fédéral européen. La question se pose de plus en plus souvent de savoir comment l’Europe va se former sur le plan constitutionnel parlant. Elle se reflète dans le débat – au niveau public et dans la littérature spécialisée – où sont engagés plusieurs politiciens éminents, experts européens et experts en droit constitutionnel. L’adoption de la Charte des droits fondamentaux par le Conseil européen, à Nice en décembre 2000, a fait progresser ce débat. Depuis que la Communauté a commencé à évoluer vers une union politique, il est devenu évident qu’elle aurait à jouer un rôle par rapport non seulement aux politiques commerciales et économiques, mais aussi à des domaines traditionnels tels que politique étrangère, la sécurité, la politique intérieure et les politiques financière et monétaire.

Cette évolution a déjà fait son chemin et se traduit plus particulièrement par :

  • des politiques étrangères et de sécurité communes,

  • l’établissement progressif d’une politique de défense commune,

  • la création d’une zone de liberté,de sécurité et de justice, y compris notamment la coopération judiciaire en matière civile et la coopération policière et judiciaire en matière criminelle,

  • l’union économique et monétaire, avec comme atout central la monnaie commune qu’est l’euro,

  • l’élaboration d’une politique sociale commune.

On pourrait donc affirmer sans se tromper que la coopération européenne comprend d’ores et déjà les domaines clés d’une identité nationale.

Du point de vue de l’Allemagne, la seule évolution logique et envisageable sur le plan constitutionnel mène à un État fédéral européen. C’est là le seul moyen d’accommoder les particularités nationales culturelles, économiques et sociales, ainsi que la diversité des nations. En revanche, il n’est pas concevable de transformer la Communauté européenne en une Europe centralisatrice, idée qui n’est en fait soutenue par personne. Par conséquent, ceux qui s’opposent (encore) à la formation d’une Europe fédérale ne débattent pas de la question de savoir si l’Europe devrait être un État centralisateur ou fédéral, mais, de manière compréhensible, si l’évolution vers une union politique devrait également progresser de façon constitutionnelle. Dans un avenir prévisible, il est probablement toujours raisonnable de préconiser un développement européen étape par étape, comme le soutenait Jean Monnet, sans en connaître le schéma ultime. Par contre, nous ne devons pas oublier que les questions relatives à l’Union européenne deviennent sans cesse plus urgentes, comme l’ont montré les délibérations au sujet du statut institutionnel de la Communauté lors des Conseils européens d’Amsterdam et de Nice.