RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES AUX ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

John Kincaid*

es relations intergouvernementales aux États-Unis (c’est-à-dire les relations entre le gouvernement fédéral, les États et les administrations locales) peuvent être décrites comme simultanément coopératives, conflictuelles, compétitives, collusoires et coercitives. Dans le domaine de l’administration publique et du fonctionnement quotidien d’un gouvernement, elles sont en général coopératives, comme depuis les premiers jours de la république. Dans le domaine de l’élaboration des politiques de haut niveau, à laquelle prennent part les représentants élus, en particulier les membres du Congrès, les relations intergouvernementales ont été plutôt coercitives depuis la fin des années 1960 : c’est-à-dire que le Congrès a promulgué plus de lois, de lois prépondérantes, de conditions liées à l’aide et d’autres règlements affectant les États et les gouvernements locaux que jamais auparavant. De la même manière, les gouvernements des États ont exercé une plus grande autorité réglementaire sur les administrations locales qu’auparavant. Dans le domaine de l’élaboration des politiques de moyenne envergure qui engagent des représentants élus de niveau supérieur et de hauts fonctionnaires nommés, les relations intergouvernementales sont alternativement coopératives, coercitives, collusoires et compétitives, selon la question débattue et les forces politiques en présence. Il est dès lors difficile de généraliser à propos des relations intergouvernementales aux États-Unis.

Les relations interjuridictionnelles (c’est-à-dire les relations d’État à État ou entre gouvernements locaux) sont coopératives, compétitives, ou simplement inexistantes. Au cours des dernières décennies, les États ont reconnu la nécessité de coopérer de façon bilatérale, régionale et nationale sur les questions interétatiques. Les gouvernements locaux ont aussi reconnu la nécessité de coopérer sur divers fronts, surtout pour se porter mutuellement assistance et pour faire des économies d’échelle sur les services, tout en préservant leur autonomie. Les relations interjuridictionnelles sont compétitives dans divers domaines, notamment le développement économique et la taxation. De façon générale, toutefois, elles ne préoccupent les représentants des gouvernements locaux et des États que de façon accessoire. Les relations intergouvernementales sont beaucoup plus importantes.

* Note de l’auteur : L’information relative au Bureau des affaires intergouvernementales de la Maison-Blanche durant la présidence de Georges Bush (1989-1993) nous a été fournie par Mme Debra Anderson, ancienne directrice de ce bureau. Il est clair que Mme Anderson ne peut en aucun cas être tenue responsable pour toute erreur ou omission pouvant être survenues dans le présent article.

PARTIE 1 : DISPOSITIONS CONSTITUTIONNELLES

L’article IV de la Constitution des États-Unis occasionne deux formes de coopération interjuridictionnelle. Il est déclaré dans la section 1 : « Pleine foi et crédit seront accordés, dans chaque État, aux actes publics, minutes et procès-verbaux judiciaires de tous les autres États. » La section 2 stipule : « Les citoyens de chaque État auront droit à tous les privilèges et immunités des citoyens dans les divers États. » Il est aussi interdit aux États de lever des impôts ou d’imposer des droits à l’importation ou à l’exportation à moins d’avoir obtenu le consentement du Congrès. De façon similaire, il est interdit aux États, de façon implicite et en vertu de la loi, de promulguer des taxes et des règlements discriminatoires envers les résidents et les entreprises de l’extérieur de l’État. En bref, la Constitution cherche explicitement à garantir la coopération interjuridictionnelle et à empêcher les formes les plus dévastatrices de compétition entre juridictions.

La Constitution ne contient aucune disposition générale ou explicite sur la coopération et les relations intergouvernementales. Cela dit, les États sont mentionnés 50 fois dans les 42 sections du document et la coopération entre le gouvernement fédéral et les États est une condition implicite de la Constitution. À titre d’exemple, il n’existe aucun mécanisme constitutionnel permettant de forcer les États à élire des membres au Congrès ou à choisir de grands électeurs. L’entièreté du système constitutionnel repose donc, en dernier ressort, sur la volonté des États de coopérer. Aucune référence n’est faite à des concepts tels que le bundestreue ou la loyauté fédérale*, et il n’existe aucune obligation pour le gouvernement fédéral de souscrire à des règles de péréquation entre les États. Il existe cependant quelques dispositions visant à empêcher le gouvernement fédéral de discriminer entre les États. Ainsi, l’article I, section 9, stipule : « Aucune préférence ne sera accordée dans un règlement commercial ou fiscal aux ports d’un État par rapport à ceux d’un autre ». Enfin, la Constitution ne traite pas des relations directes entre les niveaux fédéral et local. Les gouvernements locaux ne sont mentionnés nulle part dans la Constitution des États-Unis, car ils sont des créations constitutionnelles des États.

Les constitutions des 50 États contiennent de nombreuses dispositions relatives aux relations intergouvernementales (c’est-à-dire entre un État et une administration locale) et interjuridictionnelles (c’est-à-dire entre deux administrations locales). Les États possèdent divers degrés de centralisation interne, allant d’un État extrêmement centralisé comme Hawaï,jusqu’à un État relativement décentralisé comme le New Hampshire. En outre, les États-Unis comptent plus de 87 000 gouvernements locaux répartis en cinq types fondamentaux : comtés, municipalités, villes et cantons, districts scolaires indépendants, et districts spéciaux. De façon générale, nous pouvons sans risque affirmer que les relations entre les États et les administrations locales ou entre les administrations locales sont habituellement coopératives. Toutefois, il existe une trop grande diversité pour nous prononcer de façon plus précise.

* En français dans le texte.

PARTIE 2 : COOPÉRATION INTERGOUVERNEMENTALE

Dès le début de la République en 1789, les représentants des niveaux fédéral, étatique et local ont reconnu la nécessité de coopérer pour atteindre leurs objectifs publics, qu’ils soient mutuels ou distincts. En outre, jusqu’au milieu du XXe siècle, le gouvernement fédéral ne possédait pas les ressources fiscales et administratives nécessaires pour fonctionner de façon autonome sur le plan domestique ; il dépendait en grande partie de la coopération des États et des représentants locaux.

Les relations intergouvernementales aux États-Unis ont toujours été souples et informelles. Il n’existe rien dans le système américain qui soit comparable au fédéralisme exécutif en vigueur dans certains systèmes comme au Canada ; non plus que de cohortes d’organes décisionnels conjoints comme il s’en trouve dans certaines fédérations, en Allemagne par exemple. Étant donné la nature dualiste du fédéralisme américain, où le gouvernement des États-Unis et les États sont cosouverains, les représentants des États et du gouvernement fédéral ont toujours été réticents à créer des institutions intergouvernementales en bonne et due forme. À une exception près, la Commission consultative sur les relations intergouvernementales (Advisory Commission on Intergovernmental Relations). Elle se composait ainsi : trois membres du cabinet présidentiel ; trois membres de la Chambre des représentants ; trois sénateurs ; quatre gouverneurs ; trois législateurs d’État ; trois commissaires de comté ; quatre maires et trois simples citoyens. La Commission n’aura toutefois duré que 37 ans, de 1959 à 1996. Parmi les autres facteurs qui empêchent la création d’institutions intergouvernementales formelles, mentionnons l’étendue et la diversité des États-Unis, et la quasi-impossibilité d’amener démocrates et républicains aux niveaux fédéral, étatique ou local à s’entendre sur des questions précises. Concernant les questions intergouvernementales, les 50 États et plus de 87 000 gouvernements locaux parviennent rarement à s’entendre sur quoi que ce soit au-delà des principes généraux. Au surplus, le système fédéral américain ne se trouve pas enraciné dans le parlementarisme mais dans le principe de la séparation des pouvoirs entre gouvernements à l’intérieur d’un système fondé sur la double constitutionnalité.

Les bureaux et les fonctionnaires qui s’occupent de relations intergouvernementales se trouvent répartis entre les divers gouvernements, fédéral, étatiques et locaux, principalement au niveau de l’exécutif ; le Congrès et les législatures d’État possèdent toutefois leurs propres comités de relations intergouvernementales. Cette forme d’institutionnalisation permet aux agences fédérales et étatiques, et aux administrations locales de vaquer à leurs propres intérêts dans le système intergouvernemental. Les fonctionnaires des gouvernements locaux des États coopèrent pour faire pression ensemble sur le gouvernement fédéral par l’intermédiaire de leurs associations nationales bénévoles et sans but lucratif, principalement le National Governors’Association, les Council of State Governments, la National Conference of State Legislatures, l’American Legislative Exchange Council, la National Association of Counties, la National League of Cities, la U.S. Conference of Mayors, la National Association of Towns and Townships, et l’International City/County Management Association. Ainsi, les entités intergouvernementales sont généralement des comités, des commissions d’étude et des groupes de travail, ponctuels et de courte durée, constitués aux fins de consultation et de négociation intergouvernementales sur des questions spécifiques. Les relations intergouvernementales ont également tendance à relever d’un « fédéralisme de cloisonnement » où chaque domaine politique possède ses propres relations intergouvernementales. Les autorités fédérales et étatiques de réglementation bancaire, par exemple, se connaissent et collaborent. Il en va de même dans le domaine de la protection de l’environnement où les fonctionnaires des gouvernements fédéral, étatiques et locaux responsables de la qualité de l’eau et de l’air se connaissent et collaborent. Cette façon de faire a l’avantage de scinder l’énorme système intergouvernemental en un ensemble d’unités relationnelles plus humaines et plus facilement gérables. Le désavantage toutefois est la difficulté de coordonner les politiques intergouvernementales d’un domaine à l’autre.

Un autre aspect des relations intergouvernementales est le rôle important joué par le secteur privé.D’abord, la moitié environ des subsides fédéraux accordés aux États et aux administrations locales vont à des organismes privés à but non lucratif (les ONGs) chargés de dispenser un service public dans des domaines tels que la santé et les services sociaux. Ensuite, la plupart des fonctionnaires de rang supérieur et intermédiaire aux niveaux fédéral, étatiques ou locaux qui œuvrent dans un champ donné de politique, de responsabilité ou d’expertise appartiennent aux mêmes associations professionnelles et scientifiques nationales. Ils s’y côtoient, partagent des renseignements et collaborent avec des universitaires et des collègues du secteur privé et d’organismes sans but lucratif. Ces associations contribuent largement à la coopération et à la formulation de politiques intergouvernementales du fait qu’elles travaillent sur des lois pouvant être adoptées par le Congrès ou les législatures d’État, qu’elles établissent des normes professionnelles et scientifiques auxquelles agréeront leurs membres, et qu’elles agissent de façon informelle pour régler des différends intergouvernementaux. Enfin, tous les groupes d’intérêt présents sur la scène politique interagissent avec les fonctionnaires fédéraux, étatiques et locaux, ce qui stimule ou nuit, selon le cas, à la dynamique de coopération intergouvernementale.

PARTIE 3 : LE POUVOIR EXÉCUTIF

Depuis le déclin du patronage sur la scène politique, qui a vu le ministre des Postes être le principal agent de relations intergouvernementales du président, tous les présidents de récente date ont eu un bureau d’affaires intergouvernementales à la Maison Blanche. Ainsi, durant la présidence de George Bush (1989-1993), le Bureau comprenait un adjoint suppléant au président, qui en était le directeur, trois auxiliaires spéciaux à la présidence et sept membres du personnel. Un des auxiliaires spéciaux travaillait avec les représentants élus (gouverneurs, lieutenantsgouverneurs, procureurs généraux, secrétaires d’État et trésoriers) dans l’ensemble du pays. Un autre travaillait avec les législateurs d’État et les présidents ou chefs de gouvernements autochtones. Et le troisième s’occupait des relations avec les représentants élus des gouvernements locaux (maires, commissaires de comté, administrateurs de villes et de cantons). Le directeur et deux des auxiliaires spéciaux du Bureau du président Bush avaient déjà été eux-mêmes des représentants élus de leur État ou de leur localité. Il est de tradition, à cet égard, que les présidents attribuent ces fonctions, en partie ou de façon substantielle, à d’anciens représentants élus des États ou des gouvernements locaux.

Tous les ministères fédéraux (Département d’État, Justice, Commerce, Agriculture, Maind’œuvre, Logement et Développement urbain, et ministère de l’Intérieur) ainsi que les principales agences fédérales (par exemple l’Agence de protection de l’environnement) possèdent un bureau d’Affaires intergouvernementales. Les postes sont souvent comblés en partie ou de façon substantielle par d’anciens représentants d’État ou d’administrations locales nommés par le président. La Maison Blanche travaille en étroite collaboration avec chacun de ces bureaux. Durant la présidence de George Bush, par exemple, le Bureau de la Maison Blanche tenait des rencontres mensuelles avec les chargés de relations intergouvernementales de chaque département ou agence. C’était une occasion de partager des renseignements, de connaître ces programmes et les problèmes imminents, et d’apprendre du personnel des agences concernées les problèmes auxquels faisaient face les représentants élus des États et des administrations locales.

Le Bureau des affaires intergouvernementales de la Maison Blanche repose sur le principe que les représentants élus des États et des administrations locales peuvent s’adresser à tout moment au Bureau pour faire part d’un problème, d’une demande ou d’une préoccupation. Son personnel aide le représentant à prendre contact avec la bonne personne à la Maison Blanche, au ministère ou à l’agence appropriés, ou avec le bon service de telle ou telle agence fédérale. Le Bureau des affaires intergouvernementales se considère souvent comme un guichet unique de renseignements ; c’est-à-dire que les représentants d’un État ou d’une administration locale n’ont pas le temps de faire des téléphones à la ronde pour trouver la personne ou le service appropriés (ce qui peut s’avérer long et frustrant). De plus, en établissant des liens cordiaux avec ces représentants, la Maison Blanche peut ensuite solliciter leur soutien pour des politiques et des programmes présidentiels.

Le Bureau des affaires intergouvernementales de la Maison Blanche « représente » aussi les représentants élus des États et des administrations locales auprès de la Maison Blanche. Lorsque des propositions et des programmes sont préparés à la Maison Blanche, il s’assure que le point de vue des États et des administrations locales est présenté lors des délibérations et que le président n’adopte aucune position qui aille à l’encontre de leurs intérêts. Lorsque le président est contraint de le faire, le Bureau s’efforce de « limiter les dégâts » en tentant de « convaincre » les représentants locaux ou des États d’accepter la proposition ou le programme, ou du moins de répondre à leurs doléances et d’améliorer un tant soit peu la situation. En règle générale, les représentants locaux et des États haïssent les décrets présidentiels ; aussi, le Bureau de la Maison Blanche fait-il son possible pour éviter que le président ou les agences fédérales aient à passer de tels décrets.

À l’occasion, le Bureau de la Maison Blanche sollicite les représentants locaux et des États pour qu’ils fassent pression sur leurs propres représentants et sénateurs au Congrès sur des questions d’importance pour le président. Comme ils sont normalement des leaders d’opinion dans leur État ou leur communauté, ils peuvent être d’excellents lobbyistes.

Le Bureau des affaires intergouvernementales de la Maison Blanche travaille aussi en étroite collaboration avec les principales associations nationales qui regroupent les représentants locaux et étatiques telles que la National Governors’Association et d’autres, mentionnées précédemment. Toutes possèdent des bureaux et du personnel à temps plein à Washington, D.C. Le Bureau de la Maison Blanche communique régulièrement avec leurs leaders élus, organise des réunions et des événements pour eux à la Maison Blanche, et fait en sorte que le président prononce une allocution lors de leur assemblée générale annuelle. La plupart des associations ont aussi des lobbyistes au Congrès. Dans la mesure où elles sont d’accord avec les visées présidentielles, elles peuvent donc s’avérer très utiles pour obtenir le soutien du Congrès aux priorités législatives du président.

Plusieurs représentants locaux et des États ont aussi des contacts directs avec le président. C’est particulièrement vrai des gouverneurs, des chefs de législature d’État et des maires de grandes villes membres du parti au pouvoir. Ils peuvent être d’importants supporter du président partout au pays et devant le Congrès ; en retour, le président, s’il est populaire, fera campagne pour eux dans leur État ou leur ville. Le système de parti joue dès lors un important rôle dans les relations intergouvernementales. Un président ne manque jamais d’orienter une part des subsides ou d’adapter la réglementation à l’avantage des juridictions contrôlées par des représentants locaux et d’État membres de son parti. Il est toutefois fortement attendu qu’il évitera de se montrer partisan sur toute question essentielle et qu’il invitera des représentants locaux et d’État des deux principaux partis à toute délibération d’importance. Ceci dit, en vertu des règles constitutionnelles et judiciaires régissant la réglementation, la plus grande part de l’aide fédérale accordée aux États et aux gouvernements locaux est distribuée selon un barème établi. Comme le Congrès joue un rôle prééminent dans la politique de l’assiette au beurre en faveur de juridictions spécifiques, la capacité du président de récompenser ou de punir de diverses manières les représentants locaux et d’État demeure somme toute limitée.

Un décret sur le fédéralisme promulgué en octobre 1987 par le président républicain Ronald Reagan a été maintenu par tous les présidents subséquents. Il statuait sur les relations du Département d’État et des agences fédérales avec les gouvernements locaux et des États d’une manière relativement favorable à ces gouvernements et restrictive pour les agences fédérales. Le président Bush père a maintenu le décret. Le démocrate Bill Clinton l’a abrogé et promulgué un nouveau décret sans consulter les représentants locaux et des États. La vigoureuse opposition de ces derniers força Clinton à le retirer pour le remplacer par un décret similaire à celui de Reagan après consultation, cette fois. À l’heure de rédiger ces lignes, le président Bush fils est en train de réécrire le fameux décret sur le fédéralisme. Ceci n’est pas sans inquiéter les représentants locaux et des États, même si la Maison Blanche a entrepris de les consulter.

Les présidents n’ont pas été tous semblables dans leur philosophie et leur style de relations intergouvernementales. Reagan, par exemple, considérait que ces relations ne concernaient que le gouvernement fédéral et les États ; il refusait par conséquent de se présenter aux assemblées annuelles des associations nationales de représentants locaux. À l’époque du New Deal du président démocrate Franklin D. Roosevelt, dans les années 1930, les gouvernements locaux avaient pourtant obtenu un siège à la table de négociation intergouvernementale en qualité de troisième partenaire du système fédéral. Cela n’empêcha pas Reagan, dans les années 1980, d’ignorer les gouvernements locaux, en partie parce que la plupart des maires des grandes villes et de nombreux représentants locaux étaient alors d’allégeance démocrate. Clinton fut le premier président à inviter les 561 gouvernements tribaux du pays à la table intergouvernementale à titre de quatrième partenaire du système fédéral. Ceci se reflétait dans le libellé « gouvernements étatiques, locaux et tribaux » utilisé dans les discours présidentiels, les décrets et plusieurs documents. Clinton était motivé à agir de la sorte en partie parce que, même si les autochtones ne comptent que pour 2 % de la population totale des États-Unis, ils ont tendance à voter démocrate. La nouvelle richesse accumulée depuis 1988 dans l’industrie du jeu par de nombreuses tribus (grâce à la loi sur la réglementation du jeu chez les Indiens) a fait des Autochtones des partenaires importants sur l’échiquier politique à l’échelle nationale dans les États. Cela a aussi engendré certains conflits intergouvernementaux, les Autochtones affirmant leur droit à s’autogouverner à titre de « nations de souche », alors que certains États, notamment ceux de l’Ouest où se trouvent de vastes réserves indiennes, ont tendance à se montrer récalcitrants à cette affirmation montante d’autonomie tribale.

Il existe quelques organes consultatifs intergouvernementaux plus permanents tels que le Comité consultatif sur les politiques intergouvernementales (Intergovernmental Policy Advisory Committee) qui relève du représentant au commerce des États-Unis. Il fut créé en 1988 à la demande des représentants locaux et des États qui craignaient l’impact des ententes commerciales, par exemple l’ALENA et l’OMC, sur les pouvoirs traditionnels des États et des administrations locales. Le représentant au commerce a aussi demandé à chaque État d’établir un « point d’accès unique », normalement dans les bureaux du gouverneur, aux fins de communication et de notification. Ce point de contact sert également aux agences fédérales et étatiques pour un certain nombre de champs de politique. Ce qui n’est pas sans inquiéter les législateurs des États, ces points de contact étant normalement situés dans les bureaux du gouverneur ou les organes exécutifs. En outre, les représentants locaux et des États ne sont pas assujettis à la loi fédérale sur les comités consultatifs (Advisory Committee Act), laquelle oblige les agences fédérales à faire connaître à l’avance la formation de tout comité consultatif et de son calendrier de réunion, et à fournir des renseignements complets sur les participants. À cet égard, les représentants élus des États et des administrations locales ont soutenu, avec succès, qu’ils étaient des partenaires souverains dans l’élaboration des politiques, et non pas des groupes de pression privés.

À l’intérieur des États, tous les gouverneurs possèdent des bureaux et du personnel affectés aux relations intergouvernementales, tant avec le gouvernement fédéral qu’avec les administrateurs locaux. La philosophie, le style et le fonctionnement de ces services varient considérablement d’un État à l’autre et d’un gouverneur à l’autre d’un même État. En général, l’objectif des services offerts est de défendre et de promouvoir les intérêts de l’État et de son gouverneur dans le système intergouvernemental. La plupart des États possèdent aussi un département des affaires communautaires, à caractère exécutif, qui s’occupe spécifiquement des relations avec les administrations locales. À l’instar du président, le gouverneur communique directement et régulièrement avec les représentants locaux, en particulier ceux de son parti. Mais, bien entendu, on s’attend à ce qu’il ne se montre pas partisan lorsqu’il s’occupe d’affaires cruciales pour l’ensemble des administrations locales de son État. Certains départements et agences étatiques ont également un bureau ou un fonctionnaire attachés aux affaires intergouvernementales. Environ 26 États possèdent une forme ou une autre d’organe consultatif intergouvernemental constitué de représentants locaux et de l’État et chargé des relations avec les administrations locales.

Les universités d’État et les collèges communautaires locaux, qui comptent la majorité des effectifs de professeurs et d’étudiants des États-Unis, ont aussi un rôle à jouer dans les relations intergouvernementales. Ils agissent principalement comme des instituts de recherche et d’assistance technique pour le gouvernement fédéral, lequel injecte des milliards de dollars dans leurs budgets de recherche. En retour, l’on s’attend à ce qu’ils procurent une assistance technique à l’État et à ses administrations locales, et qu’ils fournissent des services à prix raisonnable aux communautés locales et à leurs résidents.

Seules quelques très grandes villes (comme New York, Chicago ou San Francisco) et quelques grands comtés à caractère urbain possèdent un bureau ou un fonctionnaire affectés aux relations intergouvernementales. La plupart des municipalités, des villes et des cantons sont gouvernés par des représentants élus travaillant à temps partiel ; la plupart sont administrés par un ou deux employés à temps plein. C’est pourquoi les représentants locaux mettent en commun leurs ressources en ce qui concerne les relations intergouvernementales. Dans la plupart des 48 États possédant des comtés, ces derniers sont réunis en une association étatique qui fait pression sur le gouverneur et la législature de l’État, négocie avec les agences étatiques. En retour, ces associations collaborent avec l’Association nationale des comtés pour influencer le Congrès et le président. Chaque État possède une ligue municipale, une association des villes et cantons (là où cette forme de gouvernement existe), une association de conseils scolaires locaux, une association de chefs de police locaux et ainsi de suite. Il existe plusieurs centaines d’associations étatiques de ce genre qui vont défendre les intérêts de leurs membres dans la capitale de l’État, ainsi qu’à Washington, D.C., par l’intermédiaire de leur association nationale.

Le système fédéral prévoit plusieurs formes de coopération intergouvernementale telles que les subsides fédéraux, les prêts à faible taux d’intérêt, le partage des recettes fiscales et les dépenses fiscales au profit des États et des administrations locales. Les États transfèrent des montants substantiels d’aide fédérale à leurs administrations locales, tout en leur procurant des avantages fiscaux similaires en vertu de leur pouvoir de taxation. Il existe diverses formes d’aide mutuelle entre gouvernements et un partage considérable d’informations, d’idées et d’autres formes de communication entre les représentants fédéraux, étatiques et locaux. Le gouvernement fédéral procure une assistance technique aux gouvernements locaux et des États ; les gouvernements d’État en font autant pour leurs administrations locales. Il y a aussi des échanges temporaires de personnel entre gouvernements. La loi fédérale sur le personnel intergouvernemental, par exemple, s’applique aux fonctionnaires fédéraux qui doivent travailler de façon temporaire dans les agences locales et étatiques, et à leurs homologues, administrateurs locaux ou d’État, appelés à travailler dans les agences fédérales.

Pour résumer, les relations intergouvernementales dans l’arène exécutive – laquelle constitue de loin le plus vaste champ de ces relations intergouvernementales et qui veille au fonctionnement quotidien du système fédéral – sont plutôt fluides, informelles et diversifiées. Bien que des conflits ne manquent pas de surgir fréquemment, le mot d’ordre chez les administrateurs demeure la coopération.

PARTIE 4 : LE POUVOIR LÉGISLATIF

Depuis les années 1940, chacune des chambres du Congrès (soit le Sénat et la Chambre des représentants) a un comité voué en tout ou en partie aux relations intergouvernementales. L’influence de ces comités a toutefois connu des hauts et des bas au fil des ans, pour devenir pratiquement nulle à partir de 1986. De façon similaire, le General Accounting Office, la branche investigatrice du Congrès, a déjà compté une unité de relations intergouvernementales, mais celleci fut démantelée au début des années 1990. Comme l’avouait un sénateur en 1988 : « Il n’y a pas de capital politique dans les relations intergouvernementales ». Pour un membre du Congrès, aider un gouverneur, un commissaire de comté ou un maire se traduit rarement par des votes et contribue rarement de façon significative à sa campagne de réélection.

Les comités officiels de relations intergouvernementales et les autres instances intergouvernementales associées au Congrès n’ont jamais été considérés essentiels avant que le New Deal du président Roosevelt ne batte son plein, vers la fin des années 1940, et que les relations intergouvernementales n’aient commencé à se bureaucratiser. Même établies, ces diverses instances n’ont toutefois jamais acquis beaucoup d’importance. Avant la fin des années 1960, les membres du Congrès se montraient plein d’attention envers les gouvernements locaux et des États, et leurs représentants, parce qu’ils devaient compter sur eux pour leur élection ou réélection à cause de la structure territoriale de représentation du Congrès et du système de parti, dont la base se trouvait dans les comtés. Ce système, qui remontait aux origines de la république, fut modifié en profondeur dans les années 1960 à cause de nombreux facteurs : le réapportionnement des districts ordonné par la Cour suprême des États-Unis, selon le principe « une personne, un vote » ; la montée des médias de masse qui avaient tendance à faire de Washington, D.C. et de la politique nationale leur point de mire ; la prolifération des élections primaires dans le régime de partis ; le mouvement pour la défense des droits civiques, et les rapports de force à l’œuvre au cours de cette décennie. Chacune de ces raisons tendait à affranchir les membres du Congrès de leur ancrage électoral traditionnel dans les gouvernements locaux et étatiques, et les organisations de parti. Par voie de conséquence, ils ont appris à tenir compte des intérêts directs des électeurs aptes à et des groupes d’intérêt locaux, régionaux et nationaux susceptibles de contribuer à leur campagne. La satisfaction de ces intérêts exige à l’occasion que le Congrès vote des lois qui dérogent aux pouvoirs locaux des gouvernements et des États ou qui vont à l’encontre de leurs intérêts.

On peut dès lors observer, depuis 1968 environ, la montée d’une ère de fédéralisme coercitif principalement de la part du Congrès. Il se caractérise par diverses mesures : une prolifération sans précédent de conditions (c’est-à-dire des règlements) transsectorielles et croisées qui sont attachées aux subsides fédéraux ; des mandats (non consolidés, insuffisamment consolidés ou consolidés) pris sur les gouvernements locaux ou d’État ; des cas de substitution (c’est-à-dire de déplacement) d’une loi étatique par une loi fédérale en vertu de la clause de suprématie (article VI) de la Constitution des États-Unis ; des cas d’empiètement sur le pouvoir de taxation des États ; et l’édiction de lois au criminel qui ne viennent que calquer les lois des États mais imposent souvent des peines plus sévères. On alléguera que la Constitution ne définissait au départ que quatre infractions criminelles dans la loi fédérale. Il en existe aujourd’hui plus de 3 000, dont 50 environ sont passibles de la peine de mort. En cherchant à se montrer « durs envers les criminels » pour s’attirer la faveur des électeurs, les membres du Congrès ont fini par devenir de plus ardents défenseurs de la peine de mort que n’importe quel législateur des 37 États où le peine capitale est en vigueur.

Un bon exemple de condition transsectorielle est le fait d’avoir lié, en 1984, l’âge minimum requis pour consommer de l’alcool à l’octroi des subsides fédéraux pour les autoroutes. Puisque le Congrès n’a pas autorité en matière d’achat d’alcool, il a simplement poussé toutes les législatures d’État à hausser cet âge minimum à 21 ans. Pour y parvenir, il a menacé les États qui refuseraient d’obtempérer dans les quelques années suivant l’entrée en vigueur de cette condition, de réduire de 20 % les subsides d’entretien routier. Le président Reagan a signé cette législation, malgré ses discours en faveur des droits des États, parce qu’il lui était politiquement impossible d’agir autrement. Une campagne très émotive orchestrée par un nouveau groupe de pression, le MAAD (Mothers Against Drunk Drivers), avait en effet dramatisé les méfaits de l’alcool chez les jeunes et qualifié de « frontières de la mort » la limite séparant les États qui divergeaient sur l’âge minimum requis pour boire. Le Dakota du Sud a contesté cette condition en déclarant qu’il s’agissait d’une violation du dixième amendement de la Constitution, mais la Cour suprême réaffirma la condition en expliquant qu’aucun État n’est obligé d’accepter l’aide fédérale pour la réfection des routes. En pratique, cependant, aucun État n’a les moyens de perdre les millions ou milliards de dollars que représente une coupure de 20 % sde l’aide.

De leur côté, les groupes d’entreprises ont fait un intense lobby pour que soit validé le principe de suprématie du gouvernement fédéral sur le pouvoir des États en alléguant qu’ils préféraient être réglementés « par un gorille de 500 livres à Washington plutôt que par une cinquantaine de ouistitis sur les stéroïdes ». De façon semblable, plusieurs groupes de défense des droits civils font du lobby pour l’obtention de mandats, de clauses de substitution et de conditions d’aide fédérale favorables à leurs membres qui soient justes et uniformes à la grandeur du pays.

En général, donc, l’élaboration des politiques fédérales s’est déplacée depuis la fin des années 1960 du territoire vers les individus ; c’est-à-dire qu’elle ne vise plus à satisfaire les intérêts des gouvernements locaux ou des États mais ceux d’individus. Ceci est particulièrement manifeste dans les changements apportés aux subsides fédéraux octroyés aux gouvernements locaux et étatiques. En 1978 – année où les subsides ont atteint un sommet historique – à peine 31,8 % était destiné aux individus (santé, aide sociale, etc.) ; en 2001, cette proportion était passée à 63,1 %. Medicaid, le régime d’assurance-santé pour les démunis, absorbe à lui seul quelque 42 % de l’aide fédérale. Ce déplacement des subsides fédéraux vers les personnes plutôt que les administrations a eu trois conséquences importantes sur le plan intergouvernemental. D’abord, en 2001, seulement 36,9 % de l’aide fédérale est allée aux gouvernements locaux et des États pour les investissements de capitaux, les infrastructures, l’éducation, le développement économique, les opérations gouvernementales et autres dépenses du genre. Ensuite, comme les États sont responsables des programmes d’aide aux personnes, ils monopolisent maintenant environ 89 % de toute l’aide fédérale directe. Enfin, parce que la plus grande part des subsides pour l’aide aux personnes est conditionnelle à des dépenses de contrepartie de la part des États, cela a entraîné une majoration des dépenses étatiques à cet égard. À titre d’exemple, à la fin des années 1980, le régime Medicaid (institué en 1965) était devenu, en moyenne, la deuxième catégorie de dépenses étatiques en importance, surclassant les autres catégories de dépenses y compris l’éducation supérieure qui occupait auparavant le deuxième rang.

Un autre aspect coercitif des subsides est que plus de 85 % de l’aide fédérale versée aux États et aux administrations locales prend la forme de 635 catégories distinctes de subsides, lesquels doivent être dépensés de façon spécifique pour des raisons précises. À peine 15 % de l’aide fédérale est accordée sous la forme de subventions globales (par exemple l’octroi global pour le développement communautaire à l’intention des villes), lesquelles visent des objectifs plus généraux et variés, ce qui laisse aux États et aux administrations locales une plus grande marge de manœuvre fiscale et fonctionnelle. Les présidents Reagan, Bush père et Clinton ont tous eu l’intention d’octroyer davantage de subventions globales, y compris des mégasubventions, mais le Congrès n’en a approuvé qu’un nombre très limité.

Il en a résulté un déclin général du caractère coopératif des programmes intergouvernementaux, en particulier les plus importants et les plus anciens, tels que Medicaid et les subsides pour l’entretien routier (les deux étant spécifiques). Les représentants des gouvernements locaux et étatiques ont désormais l’impression d’être traités par le Congrès sur le même pied que les groupes d’intérêt privés. Ils doivent faire la queue avec les autres lobbyistes pour tenter d’influencer le Congrès.

La concurrence féroce que se livrent les groupes d’intérêt privés, dans laquelle les représentants locaux et d’États sont souvent défavorisés, a entraîné une certaine paralysie des politiques intergouvernementales qui empêche souvent le Congrès de faire les ajustements nécessaires aux programmes. Les représentants locaux et des États ont donc fait pression sur le président pour qu’il accorde des exemptions à la loi fédérale permettant aux États de s’engager dans diverses expériences et innovations en matière de programmes. Le Congrès s’était d’abord opposé à de telles exemptions, lorsque Reagan et Bush étaient en poste à la Maison Blanche, mais il en a plus tard accordé plusieurs à l’administration Clinton. C’est ainsi que le président peut maintenant influer sur les relations intergouvernementales en accordant des exemptions spécifiques à certains États pour compenser la paralysie intergouvernementale du Congrès.

Toutes les législatures d’État possèdent un comité ou sous-comité sur le fédéralisme ou les relations intergouvernementales dans chacune des chambres (soit au Sénat et à la Chambre des représentants, à l’exception du Nebraska qui possède une législature à chambre unique). Dans plusieurs États, ces comités sont remarquables, plus importants même que leurs contreparties au Congrès, parce qu’ils traitent des questions relatives aux subsides et aux mandats fédéraux, à la suprématie des lois fédérales et aux ordonnances de la cour fédérale. La dimension restreinte de l’arène politique des États permet des relations plus directes et personnelles entre législateurs d’État et représentants locaux. Toutefois, à l’instar de ce qui se passe au gouvernement fédéral, les relations intergouvernementales au niveau des États sont segmentées en divers champs de politique. Par voie de conséquence, chacun des comités de la législature s’occupe aussi de relations intergouvernementales. Au surplus, étant donné que les comtés, les municipalités, les villes et cantons, les districts scolaires et les districts spéciaux possèdent chacun des statuts constitutionnels et juridiques en propre, la nature et le caractère des relations intergouvernementales varient d’une forme de gouvernement local à l’autre.

Très peu de corps législatifs locaux – s’il y en a – possèdent un comité voué aux relations intergouvernementales. Ces questions sont plutôt traitées au cas par cas ou selon les fonctions. Elles sont également confiées pour la plupart à l’autorité exécutive locale et, dans les municipalités représentées par un conseil, au gestionnaire professionnel de la ville.

PARTIE 5 : LE POUVOIR JUDICIAIRE

Les cours sont souvent négligées dans les discussions au sujet des relations intergouvernementales parce qu’elles ne sont ni des intervenants directs ni des lobbyistes, et qu’elles peuvent seulement juger les cas soumis à leur attention (bien que la Cour suprême puisse interjeter appel à discrétion). Toutefois, comme les cours indépendantes fédérales et étatiques interprètent les constitutions et les lois, elles ont des fonctions importantes : elles définissent le cadre constitutionnel des relations intergouvernementales ; elles déterminent de façon substantielle l’équilibre entre le gouvernement fédéral et les États, et entre l’État et les administrations locales ; elles fixent certaines règles de base pour la conduite des relations intergouvernementales. Le rôle des cours dans les relations intergouvernementales est à l’inverse de leur rôle dans la société américaine en général ; les litiges sont plus fréquents aux États-Unis que dans la plupart des pays et les cours décident en dernier ressort de plusieurs importantes questions de politique publique.

Puisque les administrations locales sont des créations légales des États, et non des entités cosouveraines jouissant du droit implicite de s’autogouverner, et que les citoyens peuvent intenter des poursuites en rapport avec les relations entre l’État et les administrations locales, les Cours suprêmes décident d’un très grand nombre de causes du genre, en particulier des causes type remettant en question l’attribution des pouvoirs. C’est ainsi que plusieurs questions de relations entre l’État et les administrations locales sont réglées de façon permanente ou temporaire par la cour suprême de l’État plutôt que par la législature ou le gouverneur.

La Cour suprême des États-Unis se prononce plus rarement sur de telles questions, mais ses décisions ont un impact profond sur le système fédéral et les relations intergouvernementales. On l’a souvent qualifiée d’«arbitre» du système fédéral. Un phénomène remarqué depuis 1991, parce que «la Bande des Cinq» de la Cour fédérale – laquelle compte neuf juges au total – a rendu une étonnante série de décisions favorables au pouvoir des États mais restrictives pour le pouvoir fédéral.

De 1937 à 1991, la Cour suprême des États-Unis a généralement accepté l’interprétation que le Congrès donnait aux pouvoirs attribués à ce dernier en vertu de dispositions constitutionnelles telles que la clause sur le commerce entre les États, la clause de suprématie, la clause sur le pouvoir de dépenser, le quatorzième amendement, et autres. La Cour a ainsi permis une considérable expansion des pouvoirs fédéraux et la montée du fédéralisme coercitif. Elle a aussi participé à la montée de cette forme de fédéralisme en permettant aux cours fédérales inférieures d’émettre des ordonnances contre les États et les administrations locales, et en élargissant les motifs pour lesquels les citoyens peuvent les poursuivre en cour fédérale. Les États et les administrations locales ont dû dépenser des milliards de dollars pour se plier aux ordonnances des cours fédérales et pour régler les frais associés aux jugements rendus. Le coût de ces procédures a conduit un certain nombre d’États et de grandes villes à établir un budget prévisionnel à cet effet. La menace de procédures coûteuses a également conduit les États et plusieurs administrations locales à élaborer une stratégie de règlement hors cour des litiges.

Depuis 1991, la Cour suprême a toutefois réaffirmé un certain nombre de principes constitutionnels et doctrinaux visant à restreindre l’empiètement du gouvernement fédéral sur le pouvoir des États :

  1. Affirmation de l’autonomie de l’État. Dans Gregory v. Ashcroft (1991), la Cour s’est servi de la clause républicaine de garantie de la Constitution des États-Unis (art. IV sec. 4) pour confirmer une disposition de la Constitution du Missouri exigeant que les juges de l’État prennent leur retraite à 70 ans. Les juges du Missouri soutenaient que cette disposition violait une loi fédérale relative à la discrimination en fonction de l’âge. La clause républicaine de garantie statue que « les États-Unis garantiront à chaque État de l’Union une forme républicaine de gouvernement ».La Cour était d’avis que le gouvernement fédéral ne pouvait pas priver les citoyens du droit essentiellement républicain (c’est-à-dire démocratique) de prendre des décisions politiques aussi élémentaires au niveau de l’État que celle de l’âge auquel leurs juges doivent se retirer.

    1. Prohibition de la conscription fédérale. Dans New York v. États-Unis (1992), la Cour a invalidé une disposition de la loi fédérale sur la gestion des déchets radioactifs de faible activité,au motif que : (a) cela supposait la tenue d’une conscription fédérale anticonstitutionnelle et l’imposition à des fonctionnaires de l’État d’exécuter des fonctions fédérales ; et (b) même si cette disposition avait été négociée par les gouverneurs avec le Congrès, ceux-ci n’avaient pas l’autorité nécessaire en vertu du dixième amendement des États-Unis pour abdiquer la souveraineté de l’État et, par le fait même, aliéner les droits des contribuables de l’État. Cette doctrine anticonscription a été réaffirmée dans Printz v. États-Unis (1997) lorsque la Cour a invalidé une

    2. disposition préparatoire dans la loi sur le contrôle des armes à feu de Brady, laquelle exigeait des agents de la paix qu’ils vérifient les antécédents des acheteurs d’armes de poing. La Cour a peu précisé la doctrine dans Reno v. Condon (2000) en maintenant qu’elle prohiberait spécifiquement les lois fédérales qui « contraignent les États dans leur capacité souveraine de réglementer leurs propres citoyens. »
  2. Limite du droit de commercer. Dans États-Unis v. Lopez (1995), la Cour, pour la première fois depuis 1936, a invalidé une loi fédérale (soit la loi sur les zones scolaires libres de toute arme) au motif qu’il s’agissait d’un exercice inconstitutionnel de l’autorité du Congrès sur le commerce interétatique. Plusieurs décisions subséquentes sont allées dans le même sens, fixant dès lors une limite à l’expansion des pouvoirs fédéraux par des définitions toujours plus larges données au commerce par le Congrès.

  3. Réaffirmation de l’immunité absolue des États. Dans Tribu séminole v. Floride (1996), la Cour a jugé que le Congrès n’avait pas l’autorité nécessaire pour abroger, par des lois adoptées en vertu de l’article I du Congrès, l’immunité d’État prévue dans le onzième amendement. Ce dernier stipule : « Le pouvoir judiciaire des États-Unis ne sera pas interprété comme s’étendant à un procès de droit ou d’équité entamé ou poursuivi contre l’un des États-Unis par des citoyens d’un autre État, ou par des citoyens ou sujets d’un État étranger. » La Cour a renforcé cette doctrine dans Alden v. Maine (1999) en affirmant que l’immunité absolue des États dans tout tribunal constitue un attribut essentiel de leur souveraineté, laquelle est demeurée intacte lors de leur adhésion à l’Union, sans égard à la délégation de pouvoir au Congrès prévue à l’article I de la Constitution fédérale, ni à la délégation de pouvoir aux cours fédérales prévue à l’article III.

  4. Limitation de la section 5 du quatorzième amendement. Dans Ville de Boerne v. Flores (1997), la Cour a invalidé la loi fédérale sur la restauration de la liberté de religion (RFRA). « En cas de controverse, le pouvoir d’interpréter la Constitution demeure du ressort du judiciaire »,at-elle déclaré.Le Congrès ne peut pas étendre la portée de son pouvoir d’application, prévu à la section 5 du quatorzième amendement, au-delà « de la proportionnalité et de la congruence » du problème envisagé par la loi. Le juge Anthony Kennedy a décrit la RFRA comme « une grave ingérence dans les prérogatives traditionnelles des États et dans leur pouvoir général de réglementation pour protéger la santé et le bien-être de leurs citoyens ». La cause en question concernait la contestation par une église, en vertu de la RFRA, du pouvoir de ville de Boerne de lui interdire, par un règlement de zonage, d’agrandir ses structures classées historiques dans une zone également classée historique.

  5. Obligation de déclaration claire. La Cour a aussi exigé d’avoir recours à des «énoncés clairs » ou « formels » dans les textes de loi manifestant l’intention du Congrès de faire valoir la préséance des pouvoirs fédéraux sur ceux des États, d’abroger l’immunité étatique prévue par le onzième amendement, de permettre les poursuites au civil contre les États et les administrations locales, et d’imposer des conditions aux programmes d’aide. En l’absence d’une formulation claire, la Cour rejettera toute interprétation réglementaire large des lois fédérales par les organes exécutifs.

  6. Permettre aux États d’être les laboratoires de la démocratie. En 1932, le juge Louis Brandeis, affirma qu’« un État suffisamment courageaux pouvait, si ses citoyens en faisaient le choix, servir de laboratoire pour des expériences sociales et économiques sans mettre en danger le reste du pays ». Il encourageait ainsi les États à devenir les laboratoires de la démocratie. Dans Vacco

v. Quill (1997) et Washington v. Glucksberg (1997), la Cour a refusé de reconnaître que le suicide médicalement assisté était un droit fondamental garanti par le quatorzième amendement, et elle a confirmé l’interdiction en vigueur dans 49 États. Elle n’a pas nié qu’un tel droit puisse exister, mais a laissé aux 50 États la responsabilité démocratique de décider du bien-fondé de la question et d’expérimenter diverses approches à leur convenance. À ce jour, seul l’Orégon autorise le suicide médicalement assisté.

Bien qu’une jurisprudence favorable aux États ait légèrement altéré l’équilibre du pouvoir entre le gouvernement fédéral et les États, les décisions de la Cour suprême ont été prises à cinq contre quatre. Le remplacement d’un seul juge à la Cour – et il est probable qu’il y en ait deux ou plus durant la présidence de M. Bush suffirait à mettre fin à cette série de décisions favorables aux États. En fait, plusieurs arrêtés relatifs à l’application des droits civils ont suscité la controverse dans la population, et la composition de la Cour a fait partie des enjeux des élections présidentielles de 2000.

CONCLUSION

De façon générale, les relations intergouvernementales aux États-Unis peuvent être décrites comme un « chaos organisé». De nombreux acteurs – sans organisation hiérarchique de leurs fonctions – sont engagés dans des relations fluides et souvent informelles, caractérisées à la fois par la coopération, le compromis, la collusion, la compétition, le conflit et la coercition. Le système fonctionne en grande partie, peut-être parce qu’il n’existe pas aux États-Unis de clivages ethniques, religieux ou linguistiques fondamentaux sur une base territoriale pouvant créer des blocs permanents qui revendiqueraient des aménagements institutionnels spécifiques. Tous les représentants officiels – fédéraux, étatiques et locaux – se trouvent étroitement liés à leur électorat et cherchent à utiliser le système intergouvernemental au profit de ce dernier. Les règles formelles et informelles des relations intergouvernementales constituent un frein au clientélisme et aux comportements les plus dévastateurs. La réglementation relative aux programmes intergouvernementaux minimise la corruption. Une certaine unité sous-tend le système dans la mesure où tous les acteurs en comprennent l’utilité ; et ce système, du fait de son ouverture et de sa porosité, offre à la plupart la possibilité de faire valoir leurs intérêts.