Institut des sciences sociales, New Delhi

Table ronde sur les mécanismes des relations intergouvernementales en Inde

22 avril 2002

Akhtar Majeed, directeur, Centre d’études fédérales

Hamdard University, New Delhi

Nous avons tous, de temps à autre, l’heur de découvrir dans notre Constitution des dispositions malheureusement non inscrites, et nous négligeons les aspects de celle-ci qui ne seraient pas à notre goût. Nous avons tendance à oublier que notre système fédéral est, par sa nature, un mécanisme, un outil de partage de gouvernance qui permet l’exercice équitable du pouvoir dans une société pluraliste contrainte de vivre sur le territoire qui lui est imparti. Pour la plupart des États et des sociétés d’aujourd’hui, le fédéralisme peut, à bien des égards, constituer non seulement un outil de bonne gouvernance mais également de résolution de conflits. Il n’y a qu’à penser au partage du pouvoir, à la participation citoyenne, à la cession de pouvoirs et d’autorité ou à la collaboration intergouvernementale pour s’en convaincre. Ceci est particulièrement vrai pour les sociétés pluralistes qui constituent l’essentiel de la communauté internationale. Dans de telles sociétés, les thématiques de l’unité dans la diversité, de l’autogouvernement ou de la résolution pacifique des conflits entre paliers de gouvernement ont attiré l’attention de plus d’un chercheur et praticien du fédéralisme.

La Constitution de l’Inde visait à établir un « équilibre créateur » entre la nécessité d’un pouvoir central confirmé et celle de doter les États membres de pouvoirs réels. Le système fédéral qui a vu le jour est devenu le cadre approprié de fonctionnement de notre Constitution. Malgré certains problèmes d’équilibre du pouvoir, le système a survécu, bien que certaines de ses caractéristiques fédératives se soient dégradées. L’Inde comme nation a survécu, en dépit de l’adversité et de sa profonde complexité, parce qu’elle est une nation unie bénéficiant de l’assentiment naturel et librement consenti de ses constituantes. Une des raisons de cet état de fait est que la Constitution a servi non seulement de mécanisme de résolution de conflits intergouvernementaux mais également d’outil permettant de maintenir un équilibre entre les divers paliers de gouvernement.

Les dispositions existantes concernant notre organisation fédérale doivent être examinées du point de vue évolutif de l’autonomie (des États, des régions et des institutions) et de l’intégration (i.e. unité dans la diversité). Les facteurs favorisant d’une part l’autonomie, et d’autre part le partage de la gouvernance au sein du modèle institutionnel fédéral, doivent être équilibrés. Les notions implicites de distribution du pouvoir et d’ententes relatives au partage du pouvoir sont du ressort des constituantes nationales et régionales de notre fédération. Cette forme de relation entre les sous-structures de l’Union et des États doit être examinée sous l’angle du partage des compétences et de la nécessité de faire front commun sur certaines questions. Les champs fédéraux potentiellement litigieux qui méritent notre attention sont : l’élaboration de plusieurs dispositions constitutionnelles relatives à l’état d’urgence, les mandats du président et du gouverneur, la répartition des ressources financières, les frontières inter-étatiques, les conflits relatifs à l’eau, etc.

La première tentative faite pour établir un mécanisme de coordination inter-étatique fut le Comité conjoint pour la réforme constitutionnelle de l’Inde, mis sur pied par le Parlement britannique en 1933. La Loi sur le Gouvernement de l’Inde, de 1935, comprenait cette proposition de comité conjoint (article 135). L’article 263 de la Constitution de l’Inde est la réplique fidèle, à quelques termes près, de l’article 135 de la Loi sur le Gouvernement de l’Inde de 1935.

Article 135 : « Si à aucun moment, il appert au gouverneur général que l’intérêt public serait mieux servi par l’établissement d’un conseil interprovincial ayant pour mandat (a) de se renseigner et d’émettre un avis sur les différends pouvant survenir entre les provinces; (b) d’investiguer et de discuter de questions dans lesquelles plusieurs ou toutes les provinces, ou le Dominion et une ou plusieurs des provinces, ont un intérêt commun; ou (c) de faire des recommandations sur ces questions, en particulier des recommandations pour une meilleure coordination des politiques et de l’action relatives auxdites questions, il est reconnu légitime pour le gouverneur général d’établir un tel conseil et de définir la nature des tâches devant être exécutées par son organisation et sa procédure. »

Article 263 : « Si à aucun moment, il appert au président que l’intérêt public serait mieux servi par l’établissement d’un conseil ayant pour mandat (a) de se renseigner et d’émettre un avis sur les différends pouvant survenir entre les États; (b) d’investiguer et de discuter de questions dans lesquelles plusieurs ou tous les États, ou l’Union et une ou plusieurs États, ont un intérêt commun; ou (c) de faire des recommandations sur ces questions, en particulier des recommandations pour une meilleure coordination des politiques et de l’action relatives auxdites questions, il est reconnu légitime pour le président d’établir un tel conseil et de définir la nature des tâches devant être exécutées par son organisation et sa procédure. »

La première proposition d’établissement d’un Conseil inter-étatique a été faite en 1967 par le Groupe d’étude sur les relations entre le Centre et les États de la Commission de la réforme administrative (CRA), lequel a souligné la nécessité, pour souscrire à la tendance émergeante à la coopération au sein du fédéralisme indien, d’un mécanisme permettant la consultation intergouvernementale sur une base régulière. L’année suivante, la CRA a également proposé l’établissement d’un conseil inter-étatique (CIE). Jusqu’alors, un parti unique, au pouvoir à Delhi et dans les États, offrait, du fait de son leadership, une alternative extra-constitutionnelle pour la résolution des différends entre le Centre et les États. Toutefois, le conseil inter-étatique recommandé par la CRA devait être une conférence ad-hoc, temporaire par nature, comprenant le premier ministre, tous les ministres fédéraux, les représentants des Conseils de zone et de l’opposition, et les ministres en chef des États. Il s’agissait d’un organe complémentaire des autres institutions intergouvernementales, dont la fonction devait être essentiellement consultative. Plus tard, en 1971, la Commission Rajamannar du Tamil Nadu recommanda de mettre sur pied un CIE conforme aux propositions du groupe d’étude mentionné plus haut. Elle recommandait la création d’un organe consultatif permanent, sorte de super-cabinet dont le premier ministre serait le président et les ministres en chef des États les membres, et dont les recommandations seraient normalement contraignantes pour le gouvernement central et pour les États. Élargissant la compétence juridique du CIE, la Commission Rajamannar lui fit revoir tous les projets de loi d’importance nationale ou susceptibles d’affecter les intérêts d’un ou de plusieurs États avant qu’ils ne soient présentés à la Chambre basse du Parlement. La Commission avait recommandé un réaménagement des relations fédérales par un transfert de plusieurs éléments de la Liste constitutionnelle de l’Union à celle des États. En particulier, elle recommandait l’abolition des articles 249, 356 et 357 de la Constitution et le transfert du paragraphe 84 de la Liste de l’Union (relative au pouvoir de lever une taxe d’assise) à la Liste des États, et d’attribuer le pouvoir résiduel de légiférer et de taxer aux législatures d’État. La Commission était d’avis qu’un gouvernement central fort dans la Fédération était préjudiciable aux aspirations démocratiques des régions. La Commission Sarkaria sur les relations entre le Centre et les États (1988) fut mise sur pied pour examiner le fonctionnement des aménagements entre le Centre et les États, et pour recommander au besoin d’effectuer des changements auxdits aménagements dans le cadre de la Constitution. Le rapport de la Commission témoignait du fait que le fonctionnement des relations intergouvernementales en Inde était biaisé en faveur du gouvernement central, qu’il y avait « irrigation sanguine dans le centre mais anémie à la périphérie », d’où une situation de morbidité et d’inefficacité patentes.

Le Conseil inter-étatique, tel que proposé par la Commission Sarkaria, se limitait aux considérations d’ordre politique. La Commission lui avait assigné les responsabilités énumérées à l’article 263 (b) et (c), à savoir « d’investiguer et de discuter de questions dans lesquelles plusieurs ou tous les États, ou l’Union et un ou plusieurs États, ont un intérêt commun; ou de faire des recommandations sur ces questions, notamment des recommandations pour une meilleure coordination des politiques et actions relatives auxdites questions ». La Commission ne recommandait pas que le Conseil se chargeât des fonctions stipulées à l’article 263 (a), à savoir « de se renseigner et d’émettre un avis sur les différends pouvant survenir entre les États ». Le Conseil inter-étatique, tel qu’établi en 1990, a précisément ces fonctions, hormis l’alinéa 4 (c), qui engage à « délibérer sur toute autre question d’intérêt général pour les États pouvant lui être soumise par le président du Conseil ».

Le CIE étant un organe consultatif, il est difficile d’évaluer l’efficacité de son travail de recommandation. Et pour la même raison, sa rentabilité est aussi difficilement évaluable. Une structure institutionnelle en bonne et due forme pour la coopération intergouvernementale n’a pas vu le jour parce que le Conseil inter-gouvernemental / Conseil inter-étatique n’a lui-même jamais eu de secrétariat permanent indépendant. Il a toujours fonctionné comme une adjonction, une annexe du ministère des Affaires intérieures. Même établi, le CIE n’est pas parvenu à attirer suffisamment l’attention des gouvernements d’État. Avec l’affaiblissement du gouvernement central – plusieurs partis se trouvant au pouvoir au Centre et dans certains États, et le gouvernement central bénéficiant de la majorité parlementaire sans que le parti soit majoritaire – conjugué avec la contrainte inhérente aux politiques de coalition, les gouvernements centraux ont dû se résoudre à partager le pouvoir. Le pouvoir de négociation des États s’est accru considérablement et ceux-ci n’ont plus eu besoin d’un organisme comme le CIE pour négocier avec le Centre. C’est ainsi que le CIE doit être intégré dans le processus central de législation relatif aux matières comprises dans la Liste des États. Concernant ces matières, non seulement devrait-il y avoir consultation informelle entre les États et le pouvoir central, mais le gouvernement central devrait soumettre la proposition au CIE avant qu’un projet loi soit déposé.

Tel que recommandé par la Commission Sarkaria, le Conseil national de développement (CND) et les Conseils de zone devaient être appuyés par le Conseil inter-gouvernemental (CIG). Le CND devait être connu sous le nom de Conseil national de l’économie et du développement (CNED) et le CIG remplir les fonctions énumérées à article 263. Ainsi les deux organismes, sous la présidence du premier ministre, allaient remplir des fonctions distinctes, le CNED s’occupant de planification et de développement socio-économiques, et le CIG de fonctions résiduelles associées aux relations inter-étatiques. Alors que les Conseils de zone devaient agir indépendamment du CIG, celui-ci avait pour charge, à titre d’organe consultatif permanent, d’évaluer les mesures parlementaires susceptibles d’affecter les États. Ainsi, les Conseils de zone devaient permettre un premier niveau de discussion sur les affaires inter-étatiques, et le CIG décider de ce qui serait d’importance nationale et d’intérêt commun. Bien que la Commission Sarkaria ait envisagé un rôle consultatif pour le CIG, elle avait cru que celui-ci serait à même de se mériter la confiance des parties, et qu’il émergerait comme un important outil de discussion pour les politiques affectant les relations intergouvernementales. Cet optimisme ne tenait malheureusement pas compte de la réalité des forces politiques en présence. Le gouvernement en place croyait que le CND allait effectuer sa planification en tenant compte des intérêts de toute la nation, et qu’un CIG/CIE ne serait d’aucune utilité.

Une des deux recommandations du rapport Sarkaria à être mises en œuvre (l’autre concernait le CIG) visait la restructuration de mécanismes décentralisés, à savoir la restructuration d’unités locales d’autogouvernement et la création de commissions étatiques des finances pour le transfert des ressources étatiques aux unités locales en question.

Ce fut le coup d’envoi d’une planification centrale au niveau national, qui facilita la création d’institutions telles que la Commission de planification, le Conseil national de développement, la Commission des finances et les Conseils de zone. Alors que la Commission de planification allait puiser dans un bassin national de spécialistes pour établir des devis de développement à l’échelle nationale, le CND (qui comprenait le premier ministre, les ministres en chef des États et des membres de la Commission de planification) allait réviser et finaliser les plans de développement établis par la Commission de planification. Les cinq Conseils de zone agiraient à titre d’organes consultatifs sur les questions relatives à la planification du développement dans les régions.

Après l’entrée en vigueur en 1956 de la Loi sur la réorganisation des États, cinq Conseils de zone furent mis sur pied, chacun comprenant les ministres en chef des États de la zone visée, les ministres du développement et premiers secrétaires de ces États, un membre de la Commission de planification, le tout sous la présidence du ministre des Affaires intérieures de l’Union. Le mandat des Conseils de zone était de favoriser l’intégration nationale sur le plan affectif en mitigeant les consciences régionales; d’aider les gouvernement central et étatiques à uniformiser leurs politiques sociales et économiques; de contribuer à l’implantation effective de projets de développement; et d’atteindre à un certain équilibre politique entre les régions. Le tout premier ministre de l’Inde avait espéré que, sans pour autant devenir la cinquième roue du coche, ou empêcher que des relations étroites puissent exister entre le Centre et les États, les Conseils de zone aideraient à faire progresser les dossiers courants et à planifier l’activité économique. L’idée était d’intégrer au moyen d’activités décentralisatrices, mais le caractère sporadique des rencontres et le peu de résultats obtenus, combiné avec une réticence à s’attaquer aux questions controversées ou sensibles – sans compter le fait que l’institution fédérale était présidée par un ministre du gouvernement central – eurent tôt fait de reléguer les Conseils de zone à la marginalité.

Les questions fiscales au niveau fédéral se sont avérées difficiles, bien que les juridictions intergouvernementales relatives au pouvoir de taxation soient clairement établies dans les Listes des États et de l’Union dans la VIIe annexe de la Constitution. Le Parlement peut décider d’aider les États au moyen de programmes de subvention, d’octrois discrétionnaires et de prêts. Ces aménagements constitutionnels n’ont toutefois pas été correctement utilisés, les transferts financiers faisant l’objet d’intenses tractations politiques. À cet égard, il serait bon pour le CIE que l’on envisage la possibilité que les transferts fiscaux soient décidés par un organisme indépendant, travaillant sous ses auspices. En effet, ce dernier a la charge de déterminer le montant de l’aide accordée aux États et sa répartition entre ces derniers. Considérant le fait que plus de 60 % des transferts vers les États se font par l’intermédiaire de la Commission de planification ou des ministères fédéraux, plutôt que par la Commission des finances, on ne se surprendra pas du degré d’ingérence du pouvoir central dans les programmes étatiques de développement. La Commission Sarkaria avait aussi envisagé de mettre sur pied un comité de spécialistes pour étudier la possibilité de restructurer le régime de répartition des recettes fiscales et des ressources entre les États. Il avait été proposé qu’un sous-comité consultatif des finances soit créé au sein du CND et que la Commission des finances elle-même soit sous la supervision du membre en charge des ressources financières à la Commission de planification. Il est à remarquer que les questions de planification et de développement économiques ne peuvent être résolues par des institutions mises sur pied par le gouvernement central, comme la Commission de planification ou la Commission des finances. Ces questions exigent des efforts coordonnés et, à cette fin, des aménagements fédéraux coopératifs, lesquels peuvent être réalisés dans le cadre d’initiatives conjointes du Conseil de développement national et du Conseil inter-étatique. La possibilité que le Conseil inter-étatique et le Conseil national de développement fusionnent au sein d’un forum intergouvernemental conjoint mérite considération de la part des constitutionnalistes et des responsables de politiques.

L’article 20 de la Liste concurrente (VIIe annexe) de la Constitution confère au Centre et aux États le pouvoir de légiférer en matière de planification économique et sociale, et il existe de nombreux points sur cette liste susceptibles de planification. Étant donné qu’en cas de litige, la loi fédérale a préséance sur celle des États, le Centre peut faire ce que bon lui semble au nom de la planification.

Le gouvernement central a réussi à s’immiscer dans de nombreuses sphères d’activité des États, non pas en vertu de dispositions constitutionnelles mais par le biais de la procédure administrative. Dans les domaines de la réforme agraire, de la foresterie, du développement de l’industrie rurale, de l’irrigation, des fermes coopératives, de l’agriculture, de l’éducation, de la santé et de la production d’unités d’habitation, la Commission de planification insiste pour que les États respectent à la lettre l’application de ses politiques. Bien que la responsabilité première en ces matières incombe aux États, on insiste sur le fait que le Fédéral a la responsabilité de coordonner et de guider les États pour que les politiques nationales soient appliquées à la satisfaction de tous.

Bien que la Constitution ait prévu l’établissement d’un fédéralisme territorial, un fédéralisme de type vertical a fini par émerger du processus et du style de planification. En vertu de l’article 282 de la Constitution, les subsides liés au plan sont accordés aux États sous la forme d’octrois de contrepartie. C’est ainsi que plusieurs ministères du gouvernement indien financent présentement les ministères correspondants des États membres et qu’ils se trouvent en position de diriger et de superviser ces ministères. Il en résulte un fédéralisme vertical où, par le biais des octrois de contrepartie, les ministères fédéraux et d’État se trouvent réunis pour fins de programmes et de dépenses dans leurs sphères communes d’activité. Les organismes étatiques ne sont plus que des exécutants, alors que leur rôle dans l’élaboration des politiques devait être le même au niveau de l’État que celui de la Commission de planification au niveau national. Du fait qu’elles permettent au pouvoir central de contrôler étroitement les États, la méthode et la procédure de planification ont biaisé la relation politique existant entre le Centre et les États. D’autre part, les sommes accordées aux États sur la recommandation de la Commission des finances le sont en vertu de l’article 275 de la Constitution, tandis que celles accordées sur la recommandation de la Commission de planification le sont en vertu de l’article 282. L’octroi de montants en vertu de l’article 275, soit par le biais de la Commission des finances, constitue une obligation constitutionnelle qui n’ajoute rien à l’autorité du Centre. Au contraire, les sommes octroyées par la Commission de planification en vertu de l’article 282 sont de nature discrétionnaires et, par conséquent, extrêmement politiques.

Un élément préjudiciable au bon fonctionnement du système fédéral est la tendance actuelle à accorder des subsides via la Commission de planification plutôt que par l’intermédiaire de la Commission des finances. Non seulement cela accroît-il la dépendance financière des États envers le Centre, mais cela réduit également le rôle de la Commission des finances, un organisme fédéral dûment mandaté, à sa portion congrue. Lors de la dernière rencontre du Conseil inter-étatique, il a été recommandé que le pouvoir de taxation soit transféré à la Liste concurrente. Il est étrange que le Conseil inter-étatique n’ait pas discuté le fait que les subsides de la Commission des finances allaient être conditionnels à la performance des États. L’autonomie de ces derniers ne peut que souffrir du fait de lier les subsides associés au plan et ceux de la Commission des finances à un rendement établi. Bien qu’elle aille à l’encontre des dispositions constitutionnelles, cette attaque en règle du système fédéral ne suscite pas l’attention qu’elle mérite.

Alors qu’il évaluait le fonctionnement et les pouvoirs effectifs de la Commission de planification, M.C. Setalwad, procureur général de l’Inde, avait déjà fait remarquer qu’il était plutôt anormal que « de vastes ressources soient attribuées aux États de l’Union par le truchement d’un organisme purement exécutif ». La nécessité de revoir le rôle et les pouvoirs de la Commission de planification est aussi grande aujourd’hui qu’elle l’était à l’époque. Beaucoup plus tard, le Dr P.V. Rajamannar, président de la Quatrième Commission des finances (1964), prenant note du fait que les politiques et programmes liés au plan avaient été monopolisés par la Commission de planification, faisait remarquer que les octrois fédéraux liés au plan étaient pratiquement subordonnés aux recommandations de la Commission de la planification, et que le rôle de la Commission des finances était devenu à cet égard pratiquement obsolète. Il avait recommandé que la Commission de planification devienne un organisme statutaire, indépendant du gouvernement. Il est étrange, en effet, que cet organisme soit, en pratique, plus puissant que la Commission des finances, laquelle existe en vertu de la Constitution. Par le biais de la Commission de planification, non seulement le pouvoir central a-t-il empiété sur la composante étatique du plan, mais il en a également contrôlé l’application.

La Commission de planification attribue des subsides aux États sur une base régulière en vertu de l’article 282 de la Constitution : « L’Union ou un État peuvent consentir un octroi à quelque fin publique que ce soit, nonobstant le fait que cette fin n’en soit pas une à propos de laquelle le Parlement ou la législature de l’État peuvent légiférer ». En vertu du pouvoir discrétionnaire qu’offre cette disposition, les octrois à la planification sont consentis sur une base régulière. Tout serait pour le mieux si la Commission des finances déterminait l’aide liée au plan et si la Commission de planification s’occupait de planification et de cession statutaire de responsabilités. La Commission de la réforme administrative (CRA) avait recommandé plus tôt que la Commission des finances détermine les octrois et l’aide au plan et que, pour une meilleure coordination, un membre de la Commission de planification soit nommé sur cette commission.

Non seulement les recommandations de la Commission des finances ne sont-elles pas exécutoires, mais l’organisme est privé du droit de faire des recommandations sur les subsides (art. 275) ou sur les octrois discrétionnaires (art 282). Ceux-ci sont du ressort de la Commission de planification. Au fil des ans, les montants d’aide au plan se sont accrus. Les États ont demandé que le rôle de la Commission des finances soit majoré, inférant que la Commission de planification est un organe politique susceptible de servir les fins du gouvernement central. Avec la tendance à la libéralisation et la Nouvelle politique économique, il semble que le pouvoir central soit maintenant d’accord avec les États sur ce point. Ayant entrepris de « désinvestir » et de se retirer de nombreux champs d’activité, le gouvernement central va probablement réduire le rôle de la Commission de planification. Dans la sphère fiscale, il pourrait alors engager les États dans une dynamique de rendement concurrentiel, synonyme d’une plus grande disparité inter-étatique.

Il est fait mention dans le premier plan quinquennal que « dans un pays de la taille de l’Inde, où les États ont, en vertu de la Constitution, pleine autonomie dans leurs sphères respectives de responsabilité, il est nécessaire d’avoir un forum comme le Conseil national de développement (CND) où le premier ministre et les ministres en chef des États peuvent revoir le fonctionnement du plan et ses différents aspects ». C’est ainsi qu’en 1952, le gouvernement mettait sur pied le CND, lequel est actuellement composé du premier ministre, des ministres en chef des États et de membres de la Commission de planification. Le CND a pour mandat de superviser l’élaboration du plan national, de recommander des mesures permettant d’atteindre les objectifs du plan, et de réfléchir sur les questions de politiques sociales et économiques susceptibles d’affecter le développement national. Les gouvernements d’État soumettent leurs plans quinquennaux à la Commission de planification, laquelle s’en sert pour élaborer le plan national. Une fois approuvé par le gouvernement central, le plan est passé en revue par le CDN, qui fait ses ultimes recommandations à la Commission de planification avant la touche finale. Le processus respecte le principe du fédéralisme coopératif. Bien qu’il soit dans les attributions du CND de revoir de temps à autre le fonctionnement du plan national, le CND fait plutôt des recommandations relatives à l’importance et à la structure du plan. Le CND assure en outre une mise en œuvre coordonnée de ce plan. Du fait qu’il engage le Centre et les États dans une dynamique coordonnée de concertation, le CND a la capacité de voir à ce que le développement soit équilibré entre les régions. Le CND est un organe d’élaboration de politiques dont les recommandations ne sont pas seulement consultatives mais décisionnelles et exécutoires. Constitué comme un forum national sur la planification, il sanctionne de façon informelle le concept de coopération entre les États et le Centre. C’est également l’occasion pour les États de participer de façon souple et naturelle à la planification nationale. Sa position dans l’organisation de l’Inde fédérale est prépondérante, en cela qu’il est composé des principaux dirigeants des gouvernements central et étatiques, et que ses recommandations ont dès lors le statut officieux de mandats clairs. À plusieurs reprises le CND a pris des décisions qui ont affecté le fonctionnement fédéral, décisions auxquelles les gouvernements d’État n’auraient jamais pu adhérer sans l’approbation expresse des législatures d’État. Mais comme les décisions avaient été prises par le CND, les gouvernements du Centre et des États les ont naturellement approuvées et exécutées (par exemple, le transfert de certaines taxes de la liste des États à la liste de l’Union).

Cela dit, même le CND, dans les faits, demeure largement un organe de fonction. Ses rencontres sporadiques ont miné ses prétentions à promouvoir une politique du consensus et à refléter la réalité d’un pays vaste et diversifié. L’organisme se réunissait lorsque la Commission de planification avait besoin qu’on endosse ses plans. Il était certes difficile pour un organisme si peu disponible de coordonner efficacement les politiques et les programmes fiscaux du Centre et des États. Il fut demandé à plusieurs reprises, en particulier par les États gouvernés par des partis autres que le parti au pouvoir à la fédération, que le CND soit séparé de la Commission de planification et qu’il se concentre sur la formulation et la mise en œuvre de plans de développement de façon véritablement fédérale. Le CND était perçu comme pouvant faire le pont entre les deux niveaux de gouvernement, rôle qu’il aurait pu jouer admirablement s’il avait été fort et opérationnel.

Les gouvernements de nombreux États considèrent que les plans du CND et de la Commission de planification ne reflètent pas leurs aspirations légitimes. La cause en est que le CND ne consulte pas suffisamment et qu’il y a trop d’ingérence de la part de la Commission de planification dans les programmes de juridiction étatique. Les Conseils de zone n’ont par ailleurs été d’aucune efficacité, autant pour la résolution de conflits que pour la coordination des politiques des États. Les gouvernements de plusieurs États croient qu’une institutionnalisation de la consultation et de la recherche de consensus se traduirait par des relations plus harmonieuses. Mais le caractère centralisé du fédéralisme indien fait en sorte que les institutions fédérales de coopération n’ont jamais pris leur essor. La centralisation à outrance du processus décisionnel allait de paire avec la désinstitutionnalisation des relations intergouvernementales. On perçoit maintenant un manque de confiance manifeste des États envers les mécanismes de coopération fédérale dominés par le Centre. Ce qui est compréhensible quand on sait que, plus souvent qu’autrement, l’innovation en matière de relations intergouvernementales s’est bornée à imiter les institutions qu’elle était censée améliorer. En outre, on a l’impression, apparemment fondée, que des mécanismes tels que le CND et le CIE n’existent plus que pour la forme.

En CONCLUSION, on retiendra que les instruments de coopération intergouvernementale se sont avérés inefficaces du fait de l’impossibilité d’opérer une décentralisation, les structures initiales de planification et le caractère centralisateur de l’administration indienne empêchant qu’on y parvienne. Le fédéralisme coopératif envisagé par la Constitution est toujours possible à condition que les institutions intergouvernementales soient opérationnelles. Ainsi, un mécanisme de coopération intergouvernemental fonctionnera si ces décisions n’ont pas à être approuvées par divers organismes exécutifs avant leur mise en œuvre. Dans le débat sur le fédéralisme, il faut porter une attention spéciale – qui manque actuellement – au fait que les relations et mécanismes intergouvernementaux sont des éléments-clés de la résolution des contentieux entre les paliers de gouvernement. Une telle attention de la part des académiciens est cruciale dans le contexte d’une société pluraliste où des intérêts socio-économiques distincts le disputent pour le contrôle de la scène nationale. Les agences intergouvernementales ont souvent opéré en dehors du cadre de la Constitution et, pour ne parler que de l’Inde, elles n’ont pas atteint le niveau de fonctionnalité envisagé par la Constitution. Les recommandations de nos agences manquaient d’autorité, celles-ci se trouvant dans l’impossibilité de surmonter les tensions de juridiction propres à l’organisation fédérale indienne. Leur caractère ad hoc n’a pas manqué non plus de miner leur crédibilité. Le fédéralisme coopératif est possible à la seule condition de maintenir un juste équilibre entre une demande diversifiée et la nécessité de maintenir l’unité. En l’absence d’un tel équilibre, quelque mécanisme de relation intergouvernemental que ce soit demeurera non fonctionnel et inefficace.