Institut des sciences sociales, New Delhi Table ronde sur les mécanismes des relations intergouvernementales en Inde Le 22 avril 2002

Questions d’actualité sur le fédéralisme indien

Document préparé par l’Équipe de recherche de l’Institute of Social Sciences Table ronde convoquée par le Dr Ash Narain Roy

Le régime fédéral indien, que l’on a qualifié de « quasi-fédéralisme », de « fédération sans fédéralisme » et « d’Union d’États inégaux », n’a jamais manqué de provoquer des débats animés dans les cercles universitaires, et ces débats ont souvent été axés sur la façon dont le fédéralisme indien a évolué au fil des ans. Certains estiment que l’Inde est une fédération en évolution et qu’elle s’est définitivement affranchie de la camisole de force unitaire que lui avait léguée le régime colonial. Cette école de pensée croit en outre qu’un « centre fort » n’implique pas nécessairement des États faibles et que seule une forme de quasi-fédéralisme peut assurer l’unité et l’intégrité d’une société émiettée comme l’Inde. D’autres sont d’avis que la Constitution indienne comporte des éléments non-fédéraux ou anti-fédéraux incompatibles avec un véritable constitutionnalisme fédéral. Une Constitution centralisée ou quasi-fédérale, ou même une tendance vers un régime unitaire, affirme-t-on, sont des éléments dangereux et peuvent nuire à la survie du pays. Les arguments mis de l’avant par ces deux écoles de pensée sont convaincants. Le fédéralisme indien est aux prises avec de nombreux paradoxes. Et le fait de bien connaître ces paradoxes ne les rend pas moins sombres. Le fédéralisme indien demeure bien imparfait. Il a parfois semblé éminemment fragile, au point qu’on a craint pour sa survie. Et pourtant, après avoir subi une profonde transformation, le régime fédéral de l’Inde paraît plus stable que jamais auparavant.

Le plus grand succès de l’Inde depuis son accession à l’indépendance est d’avoir permis à la démocratie de prendre racine. Et c’est là son plus grand succès. Selon Bernard Levin, un éminent chroniqueur britannique, la réussite la plus spectaculaire de l’Inde a été de « préserver la flamme de la démocratie malgré les ténèbres du monde avoisinant ». Il va jusqu’à déclarer que « si la démocratie indienne venait à s’écrouler, il faudrait conclure que la fin de la démocratie est proche. » Bien entendu, on ne saurait tenir pareils propos au sujet du fédéralisme indien. Et pourtant, le fédéralisme est la pierre angulaire de l’édifice démocratique indien. Si, contrairement à ce qu’avaient annoncé plusieurs prophètes de malheur, la démocratie indienne a survécu, c’est grâce au régime fédéral et à l’esprit dans lequel l’État indien a cherché à satisfaire les aspirations de ses divers peuples. Si l’Inde a pu échapper au destin des États comme l’ancienne Union soviétique et la Yougoslavie, c’est grâce au fédéralisme.

Politicologues et idéologues de partis n’ont jamais cessé de débattre la question de savoir si l’Inde est un État multinational ou un État comportant plusieurs nationalités. On n’arrive pas non plus à déterminer si l’Inde est un pays nouveau ou en voie de formation ou si elle est déjà un État-nation. Le professeur Alfred Stepan, de l’université Centre-Europe de Budapest, soutient que l’Inde est un « État-nation ». Dans certaines analyses rigoureuses, on reconnaît l’existence d’une double appartenance où coexistent identité pan-indienne et nationalismes linguistiques et régionaux. On donne à entendre que le mouvement national indien a favorisé et encouragé les deux types d’identité et que le régime fédéral indien a renforcé cette tendance.

En plus d’être durable, le fédéralisme indien est maintenant fort et cohérent. Même la Commission Sarkaria, créé en 1983 par le gouvernement de l’Union afin d’étudier le fonctionnement des arrangements entre l’Union et les États, a conclu que les principales dispositions de la Constitution indienne s’étaient avérées « passablement utiles » dans la poursuite des « objectifs de développement d’une société hétérogène ». Que cela ait été possible malgré la tendance fortement unitaire de la Constitution ne fait que rehausser son mérite. Les diversités multiples, les inégalités socio-économiques manifestes et le caractère hiérarchique de la structure sociale confèrent un caractère unique à l’Inde. C’est ce qui explique que le projet d’une Inde post-coloniale dotée d’un régime démocratique et d’une constitution républicaine ait, à une certaine époque, suscité tant de scepticisme. Le succès de la démocratie indienne et l’évolution du fédéralisme indien vers « un fédéralisme de gestation » s’expliquent en grande partie par les nombreux dualismes de la société indienne. Jeune État, civilisation ancienne : voilà ce qu’est l’Inde. Les institutions ont souffert d’une certaine érosion mais l’Inde a appris à vivre avec le chaos et la dégénérescence. État traditionnel, ses institutions démocratiques se sont bien adaptées aux réalités modernes et post-modernes.

L’évolution du système politique indien au cours des cinq dernières décennies lui a procuré une certaine force et une bonne dose de stabilité. Contrairement à ce qui s’est passé dans la plupart des États post-coloniaux, le cadre politique et constitutionnel de l’Inde a été mis en place peu après l’indépendance et il n’a jamais cessé de fonctionner depuis. Les institutions démocratiques se sont développées progressivement, et un processus fédéral permanent a permis de neutraliser ou de limiter les tendances extra-constitutionnelles et les exigences exagérées qui, dans certains cas, s’apparentaient à des formes de sécessionnisme. Heureusement, l’époque où un seul parti dominait la scène politique est révolue. Mais les séquelles de cette période sont encore perceptibles au sein du système politique fédéral, la plus regrettable étant la tendance du Centre à accaparer le pouvoir. Le fait que l’Inde soit passée d’un système de parti dominant au pluripartisme a eu pour effet de renforcer le fédéralisme. Bien que le Parti du Congrès Congresss Party) demeure un parti important et soit au pouvoir dans 14 des 28 États, l’Inde compte maintenant de nombreux partis, y compris le Bharatiyaa Janataa Party (BJP), qui exerce le pouvoir au Centre, ainsi que d’autres partis disposant d’une assise étatique. Ces partis à vocation régionale contrôlent maintenant d’importants leviers du pouvoir au sein de l’administration centrale. Depuis 1996, plus d’une douzaine de partis étatiques ont joué un rôle important dans la formation de trois gouvernements de coalition à l’échelon central. En s’engageant à accorder une plus grande autonomie aux États et à transférer la plupart des programmes élaborés à l’échelon central aux administrations étatiques, les partis régionaux ont fait progresser la cause du fédéralisme.

Le règne du parti unique est maintenant considéré comme révolu. Les gouvernements de coalition sont aujourd’hui chose courante, et l’Inde s’y est bien adaptée. De taille continentale, le pays est d’ailleurs lui-même une coalition. En un certain sens, les gouvernements de coalition correspondent davantage à la diversité pluridimensionnelle qui caractérise le pays et à la multiplicité des aspirations qui en résulte. Mais tout cela ne doit pas faire oublier un autre phénomène plus important encore : l’influence croissante dans la politique indienne des mouvements paysans, des castes intermédiaires et des Dalits. Il y a eu en Inde une révolution silencieuse ou, à tout le moins, pseudo-silencieuse, et l’ancien premier ministre V.P. Singh estime qu’elle a « modifié les règles fondamentales de la politique indienne ». Aujourd’hui, constatent Susanne Hoeber Rudolf et Lloyd I. Rudolf, « les États se font entendre et exercent une influence économique et politique comme on n’en a jamais vu au cours du demi-siècle qui s’est écoulé depuis que l’Inde a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne. »

À toute fin utile, « l’empire des permis, licences et quotas » a cessé d’exister. Bien que les dirigeants des États aient besoin de l’autorisation du Centre pour ouvrir leurs portes à l’investissement direct, et même pour effectuer des visites à l’étranger, des dirigeants mondiaux de l’Ouest et de l’Est comme Bill Clinton, Tony Blair, Zhu Rongji, Junichiro Kolzumi se sont fait un point d’honneur de passer une journée ou deux au Bangalore, à Hyderabad ou à Mumbai lors de leur visite en Inde. L’influence croissante que les États peuvent exercer sur le Centre, le rôle réduit des investissements publics et l’affaiblissement progressif de la Commission de planification à l’ère de l’économie de marché ont renforcé les fondements du fédéralisme indien.

La tendance du Centre à ignorer les exigences de l’esprit du fédéralisme a créé beaucoup de tensions entre l’Union et les États. Plus d’une fois, le Centre a tenté d’agir à l’encontre du principe du fédéralisme. Par exemple, le Centre a tenté d’usurper les pouvoirs et les prérogatives des États par le biais de lois parlementaires. Aux termes de l’article 249 de la Constitution indienne, si le Rajya Sabha (la chambre haute du Parlement) déclare, par le biais d’une résolution ayant reçu l’appui des deux tiers des membres présents et exerçant leur droit de vote, que le Parlement doit, pour des raisons pratiques et au nom de l’intérêt national, légiférer sur des questions énumérées dans la Liste des États, il est autorisé à le faire. Une telle résolution demeure en vigueur pendant un an et peut être reconduite pour une deuxième année en vertu d’une autre résolution. De même, selon l’Article 250, lorsqu’un état d’urgence a été proclamé, le Parlement a le pouvoir de légiférer sur toute question figurant dans la Liste des États et les lois qu’il adopte peuvent alors s’appliquer à la totalité ou à une partie d’entre eux. S’appuyant sur ces dispositions, le Parlement a supprimé cinq sujets de la Liste des États, et en a ajouté cinq à la Liste des pouvoirs simultanés et trois à la Liste d’Union.

Le Centre a également enfreint le principe fédéral en invoquant de manière arbitraire les articles 352 et 356. Depuis 1951, le Centre a fréquemment eu recours – parfois sans raison valable - à l’article 356 pour imposer le « pouvoir du Président » (« President's Rule ») (le gouvernement de l’Union exerce alors tous les pouvoirs des gouvernements étatiques). De 1951 à 1998, le « pouvoir du Président » a été imposé à plus de 112 reprises. Le recours de plus en plus fréquent à ce type d’intervention a suscité de nombreuses critiques puisqu’il contrevient au caractère fédéral de l’Inde. En 1994, dans l’arrêt S R Bommai vs Union of India, la Cour suprême a déclaré que le pouvoir que l’article 356 attribue au gouvernement central, de retirer à un gouvernement étatique le droit d’exercer ses fonctions, était assujetti à certaines conditions, et qu’il ne s’agissait pas d’un pouvoir absolu. Le recours à l’article 356 est donc maintenant assujetti au contrôle judiciaire.

Depuis l’arrêt de 1996 de la Cour suprême, le « pouvoir du Président » est rarement imposé dans un État. Il y a quelques années, l’actuel gouvernement de l’Alliance démocratique nationale a tenté par deux fois d’imposer le pouvoir du Président dans l’État de Bihar en misant sur la complicité d’un gouverneur fantoche. Il échoua la première fois en raison de l’intervention du Président. La deuxième fois, le Rajya Sabha (chambre haute) refusa d’avaliser l’intervention.

Le gouverneur d’un État étant le représentant du Président de l’Inde, il est censé défendre la Constitution. Mais dans tous les cas (peu nombreux) où un gouverneur a tenté d’influer sur les affaires politiques d’un État, ses interventions ont été très mal accueillies dans l’opinion publique. La manière dont les pouvoirs de nommer et de démettre les ministres, de convoquer et de dissoudre les assemblées, et de recommander l’imposition du pouvoir du Président ont été exercés fait l’objet d’un examen attentif de l’opinion publique. Aujourd’hui, dans certains cas, la nomination du gouverneur et la détermination de ses fonctions suscitent des conflits entre le Centre et les États.

Le déploiement des forces armées dans les États a également été une source de tensions. En vertu de la Constitution, il appartient aux gouvernements des États d’assurer l’ordre public et de protéger les biens du gouvernement central sur leur territoire. Lorsque l’ordre public est mis en péril dans un État, les forces armées sont déployées. Il y a eu des cas où le Centre a abusé de cette disposition pour favoriser les intérêts du gouvernement central, et ce au détriment de l’esprit du fédéralisme coopératif.

Compte tenu de la quête identitaire de plus en plus pressante et du développement rapide des gouvernements étatiques, la fréquence des conflits entre États augmente. Il y a aujourd’hui deux grands types de conflits inter-étatiques : ceux portant sur l’utilisation de l’eau et ceux relatifs au tracé des frontières des États. Généralement, un conflit entre deux États augmente le pouvoir de négociation du Centre.

Les pressions pour une plus grande autonomie et une réorganisation du système fédéral occupent une place importante dans le débat sur le fédéralisme indien. Au cours des deux dernières décennies, de nouveaux problèmes obligent à repenser le rôle de l’État indien, qui a lui-même contribué à façonner l’identité indienne. L’émergence à tour de rôle de trois mouvements autonomistes, le premier au Punjab, le deuxième à Assam (Nord-Est) et le troisième au Cachemire, soulève certaines questions où il est difficile de séparer ce qui relève du développement inégal des diverses régions et ce qui correspond à des formes locales de nationalisme. Dans chaque cas, il est facile de blâmer le gouvernement de l’Union pour le désordre ainsi créé. Bien que le pays ait réussi à contenir les pressions sécessionnistes au Punjab et à Assam, la situation du Cachemire demeure très problématique et beaucoup plus complexe et difficile à résoudre que celles du Punjab ou du Nord-Est.

Le Nord-Est du pays a toujours été en proie à des tensions ethniques et à des soulèvements de groupes particuliers. La région est également devenue un symbole des difficultés éprouvées par la société politique indienne. Ces soulèvements trahissent non seulement un écroulement des pouvoirs politiques mais aussi une grande confusion et une profonde incertitude au sujet de la nature de l’État indien. Divers groupes de personnes estiment avoir été écartés du processus de développement et déclarent ne plus avoir confiance dans les arrangements mis en place à la suite de certaines interventions militaires. Tout cela se traduit en une révolte contre les vieilles formes de servitude, une impatience à l’égard de la stagnation économique et un désir de développement accéléré reposant sur ce que l’on appelle un nouveau sens de l’identité.

Les mouvements régionaux et les aspirations identitaires représentent une nouvelle forme d’anathème pour l’État indien. On tente de combler le vide de la société politique en embrassant diverses « causes » comme l’indépendance du Cachemire ou du Haut-Assam, l’autodétermination et la gloire du Panth au Punjab, l’autonomie du Gorkhaland (le Bengal occidental), du Jharkhand (Bihar) et du Uttarkhand (Uttar Pradesh), la justice sociale et la fierté Telugu dans l’Andhra Pradesh et à Swayattata, au Maharashtra. Les jeunes, atteints dans leur dignité en raison du chômage, s’empressent de se mettre au service de ces causes parce que l’appartenance à un mouvement, qu’il soit chauvin ou animé d’un esprit de clocher, leur procure ce que la société n’a pas réussi à leur donner – la conscience de leur dignité et l’estime de soi.

L’arrivée au pouvoir en 1967 du parti Dravida Munnetra Kazhagam (DMK), dans l’État méridional de Tamil Nadu, a inauguré une nouvelle phase dans les relations entre le Centre et les États. Le gouvernement DMK, dirigé par M. Karunanidhi, a créé un comité d’experts à qui a été confiée la tâche d’étudier la question des relations intergouvernementales. Le Comité Rajmannar a soumis son rapport en 1971. C’était la première fois qu’un gouvernement étatique procédait à une enquête exhaustive et scientifique de la question. Le rapport est considéré comme un modèle d’analyse du fonctionnement de la constitution fédérale indienne.

Le Comité Rajmannar fit valoir que les articles 256, 257, 339 (2) et 344 (6) autorisant le gouvernement central à donner des directives aux gouvernements étatiques devraient être ignorés. Il recommanda également que soit créé le Conseil inter-étatique, que tous les États y aient une représentation égale, que tous les ministres en chef ou leurs représentants en fassent partie et que le Premier ministre en soit le Président. Le rapport du Comité précisait que le Conseil devrait être consulté sur toute initiative concernant la défense, les affaires étrangères, les communications inter-étatiques et la monnaie dans la mesure où l’initiative en question a une incidence sur les relations entre le Centre et les États, ou sur un ou plusieurs États. Le Comité recommanda en outre que le Conseil ait la possibilité de commenter les mesures économiques, budgétaires, monétaires et financières prises par le gouvernement fédéral.

Le manifeste 1971 du DMK a également eu pour effet de soulever d’importantes questions en matière d’autonomie. Le passage suivant illustre la portée des propositions mises de l’avant : « Bien que la Constitution de l’Inde soit considérée comme étant de nature fédérale, l’équilibre est nettement favorable au Centre et les États ne peuvent agir librement dans les domaines administratifs et financiers. Le Centre ne devrait pas disposer de plus de pouvoirs qu’il n’en faut pour préserver la puissance de l’Inde, et tous les autres pouvoirs devraient être confiés aux États; il conviendrait de modifier la Constitution pour atteindre cet objectif. »

Le Shiromani Akali Dal du Punjab a également soumis une requête en faveur de l’autonomie des États. Bien que le Akali Dal n’ait présenté aucune demande particulière de nature sécessionniste, l’ambiguïté de sa position sur la question du séparatisme Sikh et son empressement à jouer le rôle de deuxième violon dans un contexte de militantisme exacerbé servaient les intérêts des forces subversives. La Résolution de Anadpur Sahib a été un autre point important dans l’évolution des relations entre le Centre et les États.

Le 24 mars 1983, Indira Gandhi, sensible aux pressions de plus en plus fortes en faveur d’une décentralisation des pouvoirs vers les États, fit part au Parlement de son intention de créer une Commission présidée par S. Sarkaria et ayant pour mission « d’effectuer un examen des arrangements existants entre le Centre et les États, sans oublier toutefois les développements économiques et sociaux des dernières années. » Tout en affirmant que l’article 356 devrait « être utilisé avec circonspection, uniquement dans des cas extrêmes et comme mesure de dernier ressort, lorsque toute autre solution ne peut prévenir ou rectifier une défaillance de l’appareil constitutionnel », la Commission Sarkaria n’en estimait pas moins qu’il « n’était ni nécessaire ni souhaitable de procéder à des modifications importantes des principales dispositions de la Constitution. » La Commission rejeta en outre la recommandation de divers États visant l’abolition de la liste des pouvoirs simultanés, mesure qu’elle jugea « rétrograde ». La Commission rejeta en outre la recommandation de certains gouvernements étatiques et partis politiques visant à réduire la portée de la clause de suprématie. À ce sujet, elle fit valoir ce qui suit : « On peut imaginer sans peine les effets délétères qu’entraînerait l’exclusion des principes de la suprématie de l’Union des articles 264 et 254. Notre système politique à deux niveaux s’en trouverait bientôt paralysé par l’agitation, les oppositions de toute sorte, le chaos juridique et la confusion ».

La popularité grandissante des partis régionaux et les pressions croissantes en faveur de l’autonomie des États mettent en évidence l’insatisfaction générale concernant la centralisation progressive des pouvoirs. Si le pays apparaît aujourd’hui comme étant faible, divisé et sans direction, ce n’est pas en raison des revendications régionales de nature autonomiste. On a voulu faire croire ces dernières années que des États forts impliquent un Centre faible et vice-versa. Comme l’a expliqué le professeur Rajni Kothari, « cette fiction repose sur une théorie des relations de pouvoir qui, en plus d’être fausse, est frauduleuse. Car elle refuse d’aborder la question centrale dans tout arrangement démocratique - la répartition des pouvoirs. »

L’autonomie budgétaire est une autre dimension importante du fédéralisme. L’autonomie politique ne peut avoir de valeur que si elle s’accompagne d’une véritable autonomie budgétaire. Les États se plaignent souvent de l’insuffisance de leurs ressources financières. Ils dépendent beaucoup du gouvernement central dans ce domaine. Bien qu’il y ait partage clair des compétences entre le Centre et les États, les transferts fiscaux que les États obtiennent grâce à leur influence et à leur pouvoir de négociation tendent à affaiblir l’autonomie budgétaire. Pour que les relations entre le Centre et les États soient saines, ceux-ci doivent disposer d’une certaine marge d’autonomie budgétaire.

La Commission des finances a été conçue comme un balancier du régime fédéral. Toutefois, elle n’a pas réussi à apaiser les revendications des États, ni à les encourager à améliorer leur rendement dans le domaine financier. Mis à part les impôts, seulement 40 pour cent des fonds que reçoivent les États sont imputables à des décisions prises par la Commission des finances, un organe établi en vertu d’une loi, tandis que le reste est le fruit de décisions prises par la Commission de planification, un organe du pouvoir exécutif. Cette Commission, dont le mandat initial portait sur la formulation et l’évaluation de plans quinquennaux, occupe maintenant une position beaucoup plus importante que la Commission des finances. L’influence déterminante de la Commission de planification dans le domaine des relations financières entre le Centre et les États a minoré le rôle de la Commission des finances dans le processus d’ajustement fiscal. Des pressions sont actuellement exercées pour qu’une plus grande part des ressources financières qui sont attribuées par le Centre aux États le soient par le truchement de la Commission des finances plutôt que par celui de la Commission de planification.

Suite à l’entrée en vigueur des 73ème et 74ème Amendements constitutionnels, un troisième échelon de gouvernement disposant d’une importante assise démocratique a été créé. Cette innovation a donné une nouvelle signification au fédéralisme indien. À tous les cinq ans, plus de trois millions de représentants, dont un million de femmes, sont élus. De nombreux groupes et beaucoup de communautés autrefois exclus de la vie publique sont maintenant associés à des organismes de prise de décision. Chaque État a été transformé en une sorte d’unité fédérative comportant trois niveaux subalternes : le district, le « bloc » et le village. Il s’agit là d’un aspect très particulier du fédéralisme indien et la société fédérale indienne s’emploie actuellement de manière incessante à trouver un juste équilibre entre les divers échelons d’autorité, depuis le Gram Sabha (assemblée de village) jusqu’au Lok Sabha (Parlement), et à établir un lien organique entre eux. L’Inde abandonne progressivement le fédéralisme administratif et s’engage définitivement sur la voie d’un fédéralisme à échelons multiples.

L’émergence de gouvernements de coalition au Centre constitue une nouvelle phase de l’évolution politique de l’Inde. Lorsqu’un gouvernement étatique est dirigé par le même parti que celui qui est au pouvoir au Centre, les deux gouvernements ont les mêmes objectifs et le gouvernement étatique accepte les directives du Centre sans soulever la moindre objection. Depuis l’avènement des gouvernements de coalition au Centre, on observe un phénomène nouveau où les partis au pouvoir dans les États appuient la coalition centrale de manière tacite, sans s’associer au gouvernement de coalition. Dans une telle situation, il peut arriver qu’il y ait des conflits entre le Centre et un État, mais ceux-ci ont une portée limitée et peuvent être facilement résolus. Il y a aussi un troisième cas où les partis régionaux jouant un rôle essentiel dans certains États dirigent les gouvernements de ces États, sans toutefois s’associer à la coalition gouvernementale du Centre. Dans ce cas, les tensions et les conflits sont fréquents.

Aujourd’hui, les partis qui ont exercé les plus fortes pressions en faveur de l’autonomie des États détiennent les leviers du pouvoir. Le Gouvernement du Front uni (« United Front Government ») (1989-90, 1996-98) a accordé beaucoup d’importance à la décentralisation et au renforcement de l’autonomie économique et administrative des États, ce qui a ouvert la voie à une évolution de la société politique fédérale. Toutefois, l’actuelle coalition, dirigée par le parti Bharatiya Janata (« Bharatiya Janata Party » ou BJP), est demeurée très ambivalente sur la question de l’autonomie des États. Le parti a la réputation d’être centralisateur. S’il est vrai que la survie du BJP dépend aujourd’hui des partis à vocation régionale, il n’est pas moins vrai que les partis régionaux ont eux-mêmes subi une profonde transformation. L’Inde est un pays trop grand et trop complexe pour un État unitaire.

Le sens commun et le besoin de survie nationale exigent que le pays adopte des orientations permettant des États forts et un Centre qui ne l’est pas moins. Bref, il faut une Union d’États où les gouvernements étatiques, tout comme le Centre, exercent des fonctions importantes. Les États ne peuvent plus être conçus comme de simples appendices du gouvernement central. Ce qui paraît ironique dans tout cela, c’est que même les partis politiques qui réclament un véritable fédéralisme coopératif ont une organisation et un mode de fonctionnement très unitaires. Les partis régionaux et les organismes politiques favorables à un renforcement de l’autonomie des États sont également partagés. Presque tous les gouvernements étatiques s’acharnent à cultiver des rapports étroits avec le gouvernement fédéral dans l’espoir d’en retirer le maximum de ressources. Et, ironie du sort, les dirigeants à l’échelon des districts et des administrations locales n’ont guère plus de respect pour les chefs des gouvernements étatiques que ceux-ci n’en ont pour les dirigeants du Centre.

Articles de la Constitution dont il est question dans le texte

Article 246.

Matières sur lesquelles peuvent légiférer le Parlement et les législatures des États : - Nonobstant les dispositions des articles (2) et (3), le Parlement a le pouvoir exclusif de légiférer sur les questions énumérées dans la Liste I de l’Annexe 7. (Liste d’Union).

Article 249

Les pouvoirs du Parlement de légiférer sur les sujets énumérés dans la Liste des États lorsque l’intérêt national est en jeu : - Nonobstant les dispositions du présent Chapitre, si , en vertu d’une résolution ayant reçu l’appui d’au moins deux tiers des membres présents et exerçant leur droit de vote, le Conseil des États déclare que l’intérêt national exige que le Parlement légifère sur une question quelconque énumérée dans la Liste des États qui est mentionnée dans la résolution, le Parlement aura le droit d’adopter des lois portant sur ladite question tant que la résolution sera en vigueur, et ces lois s’appliquent à la totalité ou à une partie quelconque du territoire de l’Inde.

Article 250

Le pouvoir du Parlement de légiférer sur toute question énumérée dans la Liste des États si un état d’urgence est proclamé. Nonobstant toute autre disposition du présent chapitre, le Parlement a le pouvoir de légiférer sur toute question énumérée dans la Liste des États tant et aussi longtemps qu’un état d’urgence est proclamé, et les lois qu’il adopte à ce titre s’appliquent à la totalité ou à une partie quelconque du territoire de l’Inde.

Article 254

Incompatibilité entre les lois adoptées par le Parlement et les lois adoptées par les législatures des États – Si une disposition quelconque d’une loi adoptée par la législature d’un État est incompatible avec une disposition d’une loi adoptée par le Parlement et que le Parlement a le pouvoir d’adopter, ou avec une disposition d’une loi existante portant sur une des questions énumérées dans la Liste des pouvoirs simultanés, alors, sous réserve des dispositions de l’article (2), la loi adoptée par le Parlement, que celle-ci ait été adoptée avant ou après la loi adoptée par la législature de l’État ou, selon le cas, la loi en vigueur, prévaudra et la loi adoptée par la législature de l’État sera déclarée nulle et non avenue dans la mesure de son incompatibilité avec la loi adoptée par le Parlement.

Article 256

Obligation des États et de l’Union: - Le pouvoir exécutif d’un État est exercé en respectant les lois adoptées par le Parlement et les lois en vigueur dans ledit État, et le pouvoir exécutif de l’Union pourra donner des directives à un État si le gouvernement de l’Inde le juge nécessaire.

Article 257

Contrôle de l’Union sur les États dans certains cas particuliers : - Le pouvoir exécutif de chaque État est exercé de manière à ne pas nuire ou à ne pas empêcher l’exercice du pouvoir exécutif de l’Union, et le pouvoir exécutif de l’Union donne des directives à un État lorsque le gouvernement de l’Inde estime que cela est nécessaire pour garantir qu’il en soit ainsi.

Article 339 (2)

Contrôle exercé par l’Union sur l’administration des territoires énumérés dans les Annexes et sur le bien-être des Tribus énumérées dans les Annexes : S’il y a lieu, l’Union pourra donner des directives à un État concernant l’élaboration et la mise en œuvre de programmes mentionnés dans la directive et considérés comme essentiels pour le bien-être des Tribus de l’État énumérées dans les Annexes.

Article 344

La Commission et le Comité du Parlement sur les langues officielles : À l’expiration de la période de cinq ans suivant l’entrée en vigueur de la présente Constitution et, par la suite, à l’expiration de chaque période de dix ans qui suivra, le Président créera, en vertu d’un arrêté, une Commission composée d’un Président et de représentants des diverses langues énumérées dans l’Annexe 8, et l’arrêté déterminera la procédure que la Commission devra suivre.

Article 352

Proclamation d’un état d’urgence : Si le Président estime qu’il y a état d’urgence grave et que la sécurité de l’Inde ou d’une partie quelconque du territoire est compromise, soit en raison d’une guerre soit en raison d’une agression venant de l’extérieur ou d’une rébellion, il a le pouvoir de proclamer un état d’urgence (s’appliquant à la totalité de l’Inde ou à une partie du territoire devant être déterminée dans la proclamation de l’état d’urgence).

Article 356

Dispositions s’appliquant dans l’hypothèse d’une paralysie de l’appareil constitutionnel dans les États : Si le Président, après avoir pris connaissance d’un rapport provenant du gouverneur d’un État ou autrement, en vient à conclure que le gouvernement dudit État ne peut exercer ses fonctions conformément aux dispositions de la présente Constitution, le Président peut, par proclammation :

(a) assumer personnellement certaines ou toutes les fonctions du gouvernement de l’État et tout pouvoir dévolu au gouverneur ou susceptible d’être exercé par le gouverneur ou toute autre instance ou autorité de l’État, hormis la législature de l’État;

(b) déclarer que les pouvoirs de la législature de l’État seront susceptibles d’être exercés par le Parlement ou avec son autorisation;

(c) prendre toutes les dispositions accessoires et corrélatives que le Président jugera nécessaires ou désirables pour donner effet à la Proclamation, y compris des dispositions pour suspendre, entièrement ou partiellement, l’application de toute disposition de cette Constitution se rapportant à un organisme ou une compétence quelconque de l’État.