Internationale Föderalismuskonferenz 2002 Conférence Internationale sur le Fédéralisme 2002 International Conference on Federalism 2002 Conferencia Internacional sobre el Federalismo 2002

La pertinence de l’idée fédérale dans le monde contemporain

Professeur Ronald L. Watts Professeur émérite, Queen’s University, Canada, Conseiller scientifique international du comité directeur de la Conférence internationale sur le fédéralisme 2002, en Suisse

Dans le monde d’aujourd’hui, le fédéralisme en tant qu’idée politique revêt de plus en plus d’importance, parce qu'il est perçu comme un moyen de réconcilier pacifiquement l’unité et la diversité à l’intérieur d’un système politique.

Les développements intervenus dans les transports, les communications sociales, la technologie et l’organisation industrielle ont engendré des pressions, dans les grands Etats comme dans les plus petits. Il en est résulté deux puissantes tendances, profondément interdépendantes tout en restant différentes, voire antagonistes: le désir de construire un Etat moderne, efficace et dynamique, et la recherche d’une identité distincte. Le premier est généré par les objectifs et les valeurs que partagent la majorité des sociétés d’aujourd’hui, qu’elles soient occidentales ou non: un désir de progrès, d'élévation du niveau de vie, de justice sociale et d’influence dans l’arène mondiale, joints à une conscience croissante des interdépendances existant à l’échelle du globe, à une époque où les avancées de la technologie rendent possible à la fois la construction de masse et la destruction de masse. La seconde découle de l’aspiration à des unités politiques plus petites, auto-gouvernées, plus proches du citoyen, et à l'expression des rattachements primaires du groupe - liens linguistiques et culturels, connections religieuses, traditions historiques et usages sociaux -des rattachements qui donnent son fondement propre au sentiment commun d’identité et au désir d’autodétermination.

Vu la dualité de ces pressions dans le monde – en faveur d’unités politiques plus grandes d'un côté, capables de favoriser le développement économique et d’augmenter la sécurité, et plus petites de l'autre, réagissant avec plus de sensibilité à leur électorat et capables d’exprimer la spécificité locale –, il n’est guère sur prenant que la solution fédérale exerce autant d’attrait. Le fédéralisme offre une technique d’organisation constitutionnelle qui permet à un gouvernement bicéphale d’agir parallèlement à l’action autonome des unités constituantes, dans des buts communs relatifs au maintien de leurs spécificités, chaque niveau étant directement responsable envers son propre électorat. De fait, quand on songe au Canada, aux Etats-Unis et au Mexique en Amérique du nord; au Brésil, au Venezuela et à l’Argentine en Amérique du sud; à la Suisse, à l’Allemagne, à l’Autriche, à la Belgique et à l’Espagne en Europe; à la Russie qui s'étend de l'Europe à l'Asie; à l’Inde, au Pakistan et à la Malaisie en Asie; au Nigeria, à l’Ethiopie et à l’Afrique du Sud en Afrique - sans oublier l’Australie - on s'aperçoit qu'environ 40 pour cent de la population mondiale vit aujourd’hui dans un pays qui peut être considéré comme fédéraliste ou se réclame du fédéralisme. En outre, nombre de ces fédérations sont clairement multiculturelles, voire multinationales dans leur composition.

Il semble en effet qu’il se soit produit, au cours des dix dernières années, un véritable bourgeonnement international de l’intérêt pour le fédéralisme. Les leaders politiques, les intellectuels et même quelques journalistes en parlent de plus en plus comme d'une forme d’organisation saine, libératrice et positive. Des pays comme la Belgique, l’Espagne, l’Afrique du Sud, l’Italie et le Royaume-Uni paraissent ainsi se diriger vers des formes fédérales que l'on peut qualifier de novatrices. Dans de nombreux autres pays, le regain d’efficacité qu'on est en droit d'attendre de l'incorporation de certains éléments fédéraux, sans forcément adopter toutes les caractéristiques d’une fédération à part entière, suscite une certaine attention. De plus, l’Union européenne, avec l’arrivée de nouveaux Etats membres, semble avoir regagné un peu de l’élan perdu dans l’évolution de ses institutions hybrides, uniques dans la mesure où elles sont à la fois confédérales et fédérales.

À quoi peut-on attribuer ce regain d’intérêt pour le fédéralisme ? Un facteur essentiel a été la reconnaissance du fait que la globalisation de l’économie a déclenché des forces politiques et économiques centrifuges affaiblissant l’Etat-nation traditionnel et renforçant les pressions à la fois internationales et locales. Il en est résulté que les gouvernements nationaux sont de plus en plus souvent confrontés au désir de la population d’être considérée simultanément comme des consommateurs globaux et des citoyens auto-gouvernés locaux. Mais l’Etat-nation devient à la fois trop petit et trop grand pour répondre à ce besoin.

Cette évolution a nourri l’intérêt actuel pour le fédéralisme, non pas en tant qu’idéologie, mais en termes de questionnement pratique sur la façon d’organiser le partage et la distribution des forces politiques, d'une façon qui permette de répondre aux aspirations collectives des gens, tout en respectant la diversité de leurs situations et de leurs préférences.

Cet intérêt pour les systèmes politiques fédéraux diffère toutefois de la prolifération enthousiaste des fédérations dans les anciennes régions coloniales, durant la première décennie qui a suivi la Seconde guerre mondiale. L’expérience accumulée depuis lors a engendré une approche plus prudente et plus réaliste.

On peut en retirer trois importantes leçons. Premièrement, si les systèmes politiques fédéraux fournissent bel et bien un moyen pratique de combiner, par le biais d’institutions représentatives, les avantages de l’unité et de la diversité, quand on considère tous les maux politiques de l’humanité, ils ne sont pas la panacée. Deuxièmement, le degré auquel un système politique fédéral peut être efficace dépend de l’étendue avec laquelle la nécessité de respecter des normes et des structures constitutionnelles est accepté, mais aussi de l’accent mis sur l’esprit de tolérance et de compromis. Troisièmement, son efficacité dépend également de la plus ou moins bonne adéquation avec laquelle les demandes et desiderata de la société concernée sont exprimés, en fonction de la forme ou de la variante particulière de système fédéral adopté ou élaboré.

Il n’y a pas une forme idéale de fédéralisme. La concrétisation de l’idée fédérale peut donner lieu a plusieurs variantes. Preuve en sont les différences existant, à l’intérieur des fédérations, dans les degrés de diversité culturelle ou nationale qu’elles tentent de concilier, le nombre et la taille des unités constituantes, la répartition des responsabilités législatives et administratives et des ressources financières entre les niveaux de gouvernement, le degré de centralisation ou de décentralisation et leur degré d’intégration économique, le caractère et la composition des institutions centrales, les processus des relations intergouvernementales, et dans les rôles réciproques des gouvernements fédéraux et constituants dans la conduite des relations internationales. Le fédéralisme ultime est une technique sage et pragmatique dont l’applicabilité, dans une situation donnée, peut dépendre de la forme spécifique dans laquelle elle est adoptée ou adaptée, voire du développement d'innovations dans son application.

Trois innovations récentes méritent d'ailleurs d’être évoquées ici. La première réside dans le caractère hybride de la structure institutionnelle de l’Union européenne résultant du Traité de Maastricht, qui combine de manière intéressante des caractéristiques confédérales et fédérales.

La deuxième est la tendance croissante des fédérations elles-mêmes à devenir des membres constituants de fédérations plus larges ou d’organisations supranationales. L’Allemagne a été un pionnier en la matière, ajustant ses relations fédérales internes à sa qualité de membre de l’Union européenne, mais il en a été de même en Belgique, en Espagne et en Autriche. Les trois pays membres de l’ALENA – le Canada, les Etats-Unis et le Mexique – sont tous des fédérations, une réalité qui a joué dans les relations intergouvernementales qu’ils entretiennent à l’intérieur de leurs frontières.

La troisième tendance novatrice contemporaine est l’acceptation de l’asymétrie, c'est-à-dire de différences dans la relation entre les unités membres particulières existant à l’intérieur d’une fédération ou d’une organisation supranationale, dans le but de faciliter l’intégration politique. On en trouve des exemples en Espagne, en Belgique, au Canada, en Malaisie et dans l’Union européenne.

À la lumière de ces exemples, l’analyse comparative des variations, des solutions et des innovations possibles à l’intérieur des fédérations, de même que l’échange d’expériences entre les praticiens des différentes fédérations, apparaissent particulièrement intéressants aujourd’hui. L’étude de la pathologie des fédérations, confédérations et autres formes fédérales, afin d’identifier les circonstances susceptibles d’engendrer des difficultés, est tout aussi importante. L’examen de ces exemples, positifs aussi bien que négatifs, devrait contribuer à une compréhension plus réaliste de l’efficacité ou de l’inefficacité, réelle ou potentielle, des différentes sortes d’arrangements et de processus fédéraux.