Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 2B) Plénière thématique sur le FÉF : Le nouveau fédéralisme économique et fiscal NOUVEAU FÉDÉRALISME ÉCONOMIQUE ET FISCAL : LE CAS DU BRÉSIL José Serra* et José Roberto R. Afonso** octobre 1999 [présenté à la Conférence internationale sur le fédéralisme par Pedro Parente, chef de Cabinet, bureau du président du Brésil]

1. En cette fin de XXe siècle, le Brésil se classe au dixième rang mondial pour le produit national brut (PNB), et au cinquième rang pour sa superficie et sa population. L’économie brésilienne a connu une longue période de stagnation au XIXe siècle, puis une explosion de croissance pratiquement sans égale dans aucune autre nation du monde des années 1870 aux années 1970. Au cours des 20 dernières années, cependant, la vigoureuse courbe de croissance qui avait culminé dans la période suivant la Deuxième Guerre mondiale s’est carrément infléchie vers le bas. Aujourd’hui, notre revenu par habitant se situe au 45e rang mondial, et la répartition des revenus est l’une des plus inégales au monde. Dans ces dernières années du siècle, le Brésil s’efforce avec une certaine impatience de rétablir une courbe de croissance dynamique sans toutefois compromettre la stabilité des prix si chèrement acquise au cours des cinq dernières années. Il souhaite ardemment renouer avec la croissance afin de pouvoir améliorer de façon substantielle les conditions de vie des groupes les plus pauvres de la population en offrant un plus grand nombre d’emplois et des programmes sociaux plus développés. Il est indispensable de tenir compte du fait que, pour les trois quarts de notre longue période de semi-stagnation, notre pays a subi les effets pernicieux d’une inflation rampante qui n’a été enrayée que dans les années 1990 après environ dix tentatives douloureuses mais infructueuses. Depuis lors, l’administration fédérale du président Fernando Henrique Cardoso (à partir de 1995) tente de redéfinir le rôle de l’État dans la vie économique de la nation, le degré de libéralisation commerciale et financière dans l’économie, et les grandes orientations sociales et industrielles, tout en appliquant des mesures destinées à simplifier les systèmes fiscaux et fédératifs. Et c’est précisément cette dernière question qui est à l’ordre du jour aujourd’hui. En fait, les améliorations apportées au fédéralisme fiscal du Brésil sont des facteurs importants tant pour la stabilité économique, grâce à une meilleure emprise sur le déficit et la dette publique en général, que pour la dynamique d’un développement soutenu, grâce à une meilleure répartition des ressources publiques et à une politique économique mieux adaptée qui dépend de l’harmonisation des impôts internes et externes. 2. Contexte : Le Brésil est un pays qui ne souffre pas sérieusement de frictions culturelles provoquées par les différences de langue, de religion ou même de race. À la suite de la proclamation de la république, la fédération brésilienne fut fondée en 1891 pour tenir compte des disparités régionales et des exigences administratives dictées par les dimensions continentales du territoire national. La décision de fonder une fédération n’est pas partie « d’en bas » sous l’effet d’une pression commune de divers secteurs de la société; c’est aux plus hauts niveaux de l’autorité que fut prise la décision de diviser ce qui était un État unitaire. Du point de vue fiscal, le concept de fédération avait le soutien indubitable des provinces les plus développées du centre-ouest, notamment le São Paulo, qui était alors le centre dynamique d’un secteur d’exportations agricoles en pleine expansion. La logique de ce soutien était simple : le système fédéral devait donner à la région la liberté qu’elle désirait de taxer les opérations de vente à l’étranger. En contrepartie, les régions moins développées du pays eurent droit à une représentation plus que proportionnelle à l’assemblée législative. Depuis sa fondation, le système fédéral brésilien est passé par des cycles bien définis de compression et d’expansion par rapport au pouvoir central. Ainsi, au cours de la période de la Vieille République, comme on l’appelle, c’est-à-dire de 1891 à 1930, et qui correspond à l’apogée d’une économie basée sur l’exportation du café, l’autorité centrale était relativement faible. Au cours de cette période, la part du gouvernement fédéral dans les dépenses publiques nationales tomba des trois quarts à environ la moitié. Dans le même temps, la part de l’ensemble des revenus concentrés dans l’État de São Paulo passait de un peu plus de 10 p.100 à près de 40 p.100. La période suivante dura de 1930 à 1946, et elle fut marquée par une centralisation de l’autorité, commencée avec la révolution de 1930. Ce cycle accompagnait la dépression mondiale, et il devait culminer avec la dictature de Getúlio Vargas (Estado Novo). La centralisation intense de l’autorité dans les mains du gouvernement fédéral permit de terminer le processus d’unification du marché interne tout en renforçant les assises de l’industrialisation (les dépenses du gouvernement fédéral passèrent de 50 à 55 p.100 du total pour l’ensemble des gouvernements au cours de cette période). À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la restauration d’un système politique démocratique et la nouvelle Constitution de 1946 inaugurèrent une période de décentralisation intense (la part du gouvernement fédéral retomba à la moitié du total des dépenses publiques du pays). L’arrivée du régime militaire en 1964 marqua le début de deux décennies de centralisation. Ce fut une période caractérisée par une réforme fiscale pendant la première décennie – autorité sur les revenus et les dépenses concentrée dans le domaine fédéral du gouvernement – et par la domination politique et sociale exigée par le régime politique autoritaire au cours de la deuxième décennie. La concentration fiscale était si forte qu’en 1980, le gouvernement central avait autorité sur environ les deux tiers des revenus fiscaux disponibles (après transferts constitutionnels) et des dépenses publiques nationales. Dans la première moitié des années 80, l’affaiblissement du régime militaire, combiné à un regain des libertés politiques, provoqua un déclin de l’autorité centrale, la restauration du système démocratique et une nouvelle Constitution (1988). Lors de l’Assemblée constituante, la fragilité du système fiscal devint évidente, la part des revenus fiscaux nationaux étant tombée de 25 p.100 au début des années 70 à seulement 20 p.100, tandis que la part fédérale des revenus fiscaux nationaux avait glissé à un peu plus de 60 p.100, et ce par l’effet d’une certaine redistribution décidée par le Congrès pendant la navrante période du régime militaire dans la première moitié des années 80, ainsi que par le gouvernement fédéral civil de 1985 à 1987. 3. En fait, depuis le début des années 80, la décentralisation fiscale et l’affaiblissement de l’autorité centrale sont directement liés à la redémocratisation. Les années 80 furent marquées par un énorme transfert de revenus fiscaux fédéraux vers les paliers inférieurs de gouvernement. Le pourcentage des deux principaux impôts fédéraux transférés aux fonds de partage des revenus des États et des municipalités (le FPE et le FPM) – l’impôt sur le revenu et la taxe sur les produits industriels, une taxe sur la valeur ajoutée dans la production industrielle) a grimpé de 18 à 44 p.100 de 1980 à 1990. Si l’on ajoute à cela les transferts constitutionnels, le total monte à 47 p.100 de l’impôt sur le revenu, et 57 p.100 de la taxe sur les produits industrialisés (en 1980, les transferts ne représentaient que 20 p.100). La nouvelle Constitution consolidait par ailleurs et renforçait le pouvoir fiscal des États et des administrations locales. En ce qui concerne les États, l’assiette de la taxe sur la circulation des marchandises (V.A.T.) fut étendue à tous les types de marchandises, en remplacement de cinq taxes fédérales, dont les taxes sur l’essence, les communications et les transports. Parallèlement, l’ICMS fut doté de taux plus souples et de systèmes de gestion, puis confié aux États. Ceci eut pour effet d’augmenter de 25 p.100 les transferts aux municipalités de revenus provenant de cette taxe. Figure REVENUS FISCAUX PAR PALIER DE GOUVERNEMENT – ÉVOLUTION ( Comptabilité nationale )

Les contributions de sécurité sociale sont comprises dans la base de calcul Sources : IBGE, FGV et Ministère des Finances (a) Préliminaire La tendance générale à la décentralisation des deux dernières décennies a bénéficié de l’appui de mouvements bien définis de redistribution des ressources publiques. En termes verticaux, presque tous les gains se sont portés sur le palier municipal, alors la situation des États ne changeait guère – notamment en ce qui concerne les revenus fiscaux disponibles (taxes propres plus ou moins transferts constitutionnels) En termes horizontaux, la majeure partie des fonds supplémentaires a été acheminée vers les États et les municipalités des régions moins développées du pays. Du point de vue de la répartition des revenus fiscaux disponibles et des dépenses, ceci venait plus que compenser la forte concentration de potentiel fiscal et de production interne dans les régions les plus développées. Figure REVENUS FISCAUX DISPONIBLES DES PALIERS INFÉRIEURS DE GOUVERNEMENT : RÉPARTITION RÉGIONALE, 1998 Paliers inférieurs de gouvernement = 27 États et le District fédéral (gouvernement intermédiaire) et plus de 5500 municipalités (administrations locales). Revenus fiscaux disponibles = revenus provenant des États et municipalités plus ou moins les transferts constitutionnels (partage des revenus). Source : Ministère des Finances et IBGE. 5. La situation de la fédération brésilienne peut se résumer en quatre points : (i) Dans un pays de dimensions continentales qui s’emploie encore à repousser ses frontières économiques vers l’intérieur, le système fédéral brésilien n’est toujours pas physiquement complété, indépendamment de toute question ou conflit conceptuel sous-jacents. On n’en voudra pour preuve que la création de deux nouveaux États (Mato Grosso do Sul et Rondônia) dans les années 70, et de trois autres (Amapá, Roraima et Tocantins) à la suite de l’Assemblée constituante, ces cinq États se trouvant situés dans la région centre-nord, l’une des moins développées du Brésil. En conséquence, la nation est maintenant constituée de 27 États plus le District fédéral, qui, en vertu de la Constitution de 1988, bénéficie à toutes fins pratiques du même statut politique que les États, avec représentation totale au Congrès, une Chambre de députés locale, sa propre police et son propre appareil judiciaire. En poursuivant la décentralisation, l’Assemblée constituante de 1988 alla jusqu’à rehausser le statut constitutionnel des municipalités au point d’en faire presque des membres de la fédération brésilienne tout en facilitant la création de nouvelles municipalités. C’est pourquoi le Brésil en compte maintenant plus de 5500. (ii) D’un point de vue fiscal, la décentralisation prend une importance encore plus grande quand on analyse la part des paliers inférieurs de gouvernement dans les dépenses et le financement publics. Ils perçoivent directement 32 p.100 du volume total de taxes prélevé dans le pays, et, quand on ajoute à cela la répartition constitutionnelle, les revenus fiscaux qu’ils reçoivent représentent 43 p.100 du total (contributions à la sécurité sociale comprises dans le calcul de base). Côté dépenses, les paliers inférieurs de gouvernement représentent 62 p.100 de la masse salariale des fonctionnaires actifs, 71 p.100 des autres dépenses courantes, et, le point le plus important, 78 p.100 des immobilisations. Les seuls domaines dans lesquels le gouvernement fédéral vient en première position sont les transferts aux personnes (essentiellement des allocations de sécurité sociale) et l’intérêt sur la dette publique, qui représentent respectivement 80 et 90 p.100 de l’agrégat des dépenses .

Figure DÉPENSES GOUVERNEMENTALES – RÉPARTITION, 1998 ( Comptabilité nationale )

Source : IBGE. Des réductions à ces deux postes dans le calcul de base feraient ressortir davantage encore à quel point le gouvernement central a régressé en termes relatifs en matière de services publics, de dépenses en biens et services, ainsi qu’en dépenses d’immobilisations. La raison en est que les déboursés pour intérêts et la sécurité sociale étaient beaucoup plus bas dans les années 60 et 70 que ces dernières années. Il faut également souligner l’importance grandissante des administrations municipales. Pour l’illustrer, il suffira de noter que, dans toute l’histoire du Brésil, les municipalités n’avaient jamais atteint leur niveau actuel de revenus. À elles seules, les administrations municipales investissent autant que le total de formation brute de capital du gouvernement fédéral et des vingt-huit États. Si l’on mesure la décentralisation par la part des paliers inférieurs de gouvernement dans la masse totale des revenus et des dépenses, ainsi que l’immense liberté dont ils jouissent dans leur pouvoir de taxation et l’élaboration de leurs budgets, le Brésil est très proche des fédérations plus industrialisées. Parmi les pays en voie de développement, c’est indubitablement le Brésil qui a fait les plus grands progrès en matière d’autonomie des paliers inférieurs de gouvernement. SHAH (1994) calcule un indice d’autonomie des paliers inférieurs de gouvernement à partir de la proportion des dépenses qui est financée à l’aide de leurs fonds propres ou de ressources provenant de tierces parties mais non allouées à des applications particulières (p. 42). Dans un groupe de dix nations riches et pauvres, l’indice d’autonomie le plus élevé était celui du Brésil, qui dépassait ceux des États-Unis, de l’Allemagne et du Canada de quelques points. (iii) Parallèlement à la décentralisation verticale dans la répartition des ressources publiques, il s’est produit une décentralisation horizontale des revenus tout aussi importante et intense. La concentration des revenus fiscaux fédéraux dans les régions les plus développées du pays est compensée par un système de répartition des impôts fédéraux conçu pour avantager les régions moins développées – sans parler de la plus grande participation de ces régions dans la répartition des dépenses fédérales directes pour les programmes sociaux de base. Ainsi, grâce aux transferts constitutionnels, les paliers inférieurs de gouvernement des trois macro-régions moins développées reçoivent 33 p.100 des revenus fiscaux disponibles (revenus internes et transferts) pour l’ensemble de ces mêmes paliers de gouvernement, ce qui dépasse de loin leur contribution à l’économie du Brésil, soit 22 p.100 du PNB. Parallèlement, les revenus fiscaux disponibles de la zone la plus développée du Brésil (le sud-est) correspondent à moins de 10 p.100 du PNB de la région; dans la zone la moins développée (le nord-est), le pourcentage est double . Dans certains États moins développés, les revenus fiscaux disponibles s’élèvent à un niveau de 30 à 50 p.100 du PNB local. Figure RÉPARTITION RÉGIONALE DES REVENUS DES PALIERS INFÉRIEURS DE GOUVERNEMENT, 1998 Source : Ministère des Finances Cette redistribution régionale accentuée des revenus fiscaux disponibles s’explique dans une large mesure par les fonds de partage des revenus fédéraux. De chaque dollar perçu dans l’est et le sud-est dans le cadre de l’impôt sur le revenu et de la taxe sur les produits industriels, seulement 18 cents reviennent dans ces régions par le biais des fonds de partage. Dans le cas du Fonds de partage des revenus des États (FPE), une loi approuvée il y a dix ans limite l’indice de participation du sud et du sud-est à seulement 15 p.100. La loi en question se base sur une grille de répartition fixe plutôt que sur la formule précédente, qui est pondérée selon l’inverse du revenu par habitant. (iv) Alors que le chapitre de la Constitution fédérale sur le système de taxation est très précis et détaillé en ce qui a trait aux pouvoirs de taxation et de la répartition des revenus de chacun des trois paliers de gouvernement, celui qui traite des responsabilités des gouvernements est vague et ne définit pas de façon nette et bien structurée la répartition des responsabilités entre les trois paliers. Dans la pratique, il existe des domaines dans lesquels plusieurs paliers de gouvernement ont des responsabilités, alors que dans d’autres domaines personne n’est clairement responsable. Mis à part ce genre de problème, le gouvernement central fait face à toutes sortes de résistance politique et bureaucratique, si bien qu’il est dans l’incapacité de remplir correctement son rôle de coordination, et les paliers inférieurs de gouvernement tendent à se comporter de manière autonome. En outre, si le gouvernement fédéral ou même celui d’un État diminue sa participation aux investissements et programmes de nature permanente, il cesse de transférer aux autres paliers le personnel et les biens correspondants, ce qui crée entre autres conséquences une augmentation imprévue de l’agrégat des dépenses publiques. Il faut également citer un autre facteur constitutionnel qui contribue à ankyloser les relations fiscales à l’intérieur de la fédération : les dispositions qui imposent un régime unique d’emploi pour le personnel des trois paliers de gouvernement tout en garantissant aux fonctionnaires le droit à une retraite fortement anticipée avec allocation de retraite complète. Il existe aussi une redistribution accentuée des revenus au chapitre des dépenses directes du fédéral, particulièrement dans le domaine social. C’est le cas pour le système de sécurité sociale des travailleurs du secteur privé : alors que les retenues sur les salaires sont concentrées dans les États les plus développés, les sommes versées le sont beaucoup moins. (v) On ne peut pas séparer la politique de redistribution des caractéristiques politiques du système fédéral brésilien. Ainsi, au Sénat fédéral, fondé sur le modèle américain de représentation égale pour chacun des États (trois sénateurs par État dans le cas du Brésil), un groupe qui représente 43 p.100 de la population a droit à 74 p.100 des sièges. C’est un fait qui revêt une plus grande importance quand on sait que le Sénat a le pouvoir d’étudier et d’approuver toute loi ou amendement constitutionnel provenant de la Chambre des députés, ce qui lui donne en fait un droit de veto. Il entre aussi dans les attributions du Sénat d’approuver la nomination des ambassadeurs et des directeurs des principales agences gouvernementales, ainsi que de fixer la marge de crédit des États et des municipalités. La Chambre des députés n’a pas ces pouvoirs. Il n’existe qu’un point sur lequel le Sénat ait moins de pouvoirs que la Chambre : les projets de loi envoyés au Congrès par l’exécutif passe par la Chambre, qui a le dernier mot lorsque le Sénat modifie ce projet de loi et le renvoie à la Chambre. On notera aussi que la représentation à la Chambre des députés n’est pas proportionnelle à la population des États, puisqu’il existe un maximum de soixante-dix députés par État et un minimum de huit. Certains des États moins peuplés du nord sont donc sur-représentés, alors que les États fortement peuplés du sud-est sont sous-représentés. Dans les cas extrêmes, un candidat au Congrès du São Paulo peut avoir besoin de plus de 16 fois plus de voix pour se faire élire qu’un du Roraima, l’État le moins peuplé. De l’avis du professeur Alfred Stepan, ces déséquilibres sont un élément important dans les systèmes fédéraux à démocratie restreinte, dont le Brésil est l’exemple le plus flagrant. Ces déséquilibres remontent aux origines de la République, mais ils se sont trouvés accentués à la suite de la Deuxième Guerre mondiale, et aggravés encore par la création de six nouveaux États et la transformation du District fédéral en un quasi-État. Le graphique ci-dessous est important pour qui veut comprendre la Chambre des députés : la déviation moyenne est la différence qui existe entre le nombre théorique de députés (une voix par personne) et leur nombre réel. Dans ce système, les États représentant 43 p.100 de la population se retrouvent avec la moitié des sièges plus un. Figure ÉVOLUTION DES DISTORSIONS DANS LA REPRÉSENTATION DES ÉTATS AU CONGRÈS (CHAMBRE BASSE) Indice de déviation moyenne lors des années d’élections Source : SERRA (1997) 5. En 1995, quand commença le premier mandat du président Fernando Henrique Cardoso, la stabilité venait seulement d’être rétablie, et il fallait la consolider; il fallait aussi projeter immédiatement une image externe favorable de l’économie nationale. La politique économique fut donc axée sur la compression du déficit public et, en conséquence de cette orientation, sur les relations fiscales fédérales. Le fait est que le poids considérable des États et des municipalités dans le secteur public, la répartition asymétrique des droits et des obligations entre les trois paliers de gouvernement, les banques des gouvernements d’État qui ont facilité le financement de déficits, et la possibilité d’émettre des titres d’emprunts à des fins identiques, ont été – et sont toujours – des facteurs qui limitent le pouvoir du gouvernement sur le déficit public. Évidemment, dans un système de partis aussi fragmenté que celui du Brésil, il faut comprendre ce potentiel en fonction de l’influence qu’exercent gouverneurs et maires sur les membres du Congrès. Il faut également rappeler que, même si le Sénat a la charge constitutionnelle de réglementer et de limiter l’endettement des États et des municipalités, il a rarement adopté une politique suivie de restriction. Trois autres facteurs ont enfin contribué aux déséquilibres de notre système fédéral : Le premier de ces facteurs est l’ingérence des États dans le commerce extérieur – un élément essentiel de toute politique économique nationale – par la perception d’une taxe à la valeur ajoutée sur les exportations de matières premières et de produits semi-manufacturés. En deuxième lieu, il faut mentionner la guerre fiscale que se livrent divers États qui manipulent leurs propres taux d’imposition dans le but d’attirer des entreprises dans leur région. La conséquence de cette situation, d’un point de vue fiscal, a été de réduire la masse globale de l’impôt perçu, et d’augmenter les pressions fiscales des paliers inférieurs de gouvernement sur le gouvernement fédéral. En troisième lieu, le fait que 47 p.100 de l’impôt sur le revenu et 57 p.100 de la taxe sur les produits industriels soient transférés aux États et aux municipalités a gravement restreint la marge de manœuvre du gouvernement fédéral dans sa recherche de revenus d’appoint. En conséquence, il doit recourir à des augmentations d’impôts ou créer de nouvelles charges sociales, ce qui, même si les revenus correspondants ne sont pas partagés avec les États et les municipalités, exerce un effet négatif sur la compétitivité de l’économie dans son ensemble. 6. Pour évaluer ce diagnostic, il faut garder à l’esprit une caractéristique que la fédération brésilienne partage avec toutes les fédérations : les paliers inférieurs de gouvernement n’ont pas du tout la même conscience des facteurs macro-économiques tels que le déficit fiscal, le commerce extérieur ou la balance des paiements. Conséquemment, la principale question qui se pose à la fédération est de savoir comment réconcilier une décentralisation fiscale plus ou moins grande et les objectifs économiques nationaux (et rationnels). Dans le cas du Brésil, il existe une particularité qui rend la réponse à cette question plus complexe que dans la plupart des autres pays : contrairement à ce qui se produit dans d’autres fédérations comme les États-Unis, le gouvernement fédéral brésilien joue le rôle de prêteur de dernier recours pour les États et les municipalités menacées d’insolvabilité, ce qui ne fait rien pour décourager les comportements fiscaux irresponsables. 7. Les origines de cette situation sont historiques, et remontent aux traditions de l’État centralisé, ainsi qu’à des facteurs culturels et politiques illustrés par le système de partis que nous connaissons, et aussi par le mode de représentation au Congrès. Il faut toutefois souligner ici qu’il n’existe aucune possibilité de recentraliser le pouvoir politique dans les mains du gouvernement central, et de déclencher ainsi un nouveau cycle dans l’évolution historique de la fédération brésilienne; non seulement cela serait-il politiquement irréalisable, ce ne serait pas non plus souhaitable du point de vue de l’efficacité administrative ou du bien-être de la population dans un pays aussi hétérogène que le nôtre, compte tenu de la grandeur du territoire et de l’importance de la population. Pour les mêmes raisons, quand on prend en compte les facteurs politiques, on ne peut pas envisager bien sérieusement l’éventualité de remettre en cause la répartition régionale des ressources. Pour toutes ces raisons, et en fonction du diagnostic exposé ci-dessus, les tentatives du gouvernement fédéral de rationaliser le système fédéral sont caractérisées par un esprit de conciliation. Bien que le gouvernement ait effectivement tenté de résoudre les problèmes existants, il s’y est pris de manière graduelle et patiente, et s’est toujours montré prêt à assumer l’essentiel des charges encourues. Dans cet esprit, le gouvernement du président Fernando Henrique Cardoso a adopté, ces dernières années, la ligne de conduite suivante quant au système fédéral : (i) Bien qu’écartant toute idée de recentraliser les revenus, le gouvernement a présenté au Congrès des projets de loi visant à réformer le régime fiscal national. Pour atteindre cet objectif, on veut uniformiser la législation nationale sur la taxe à la valeur ajoutée, de manière à rendre impossible les guerres fiscales entre États, et l’on veut créer une taxe fédérale identique à celle des États. Une autre mesure prévue consiste à unifier les contributions à la sécurité sociale actuellement perçues par le gouvernement fédéral, et remplacer la base de calcul de la taxe de vente par une taxe à la valeur ajoutée, dans le but d’éliminer ses effets négatifs sur la compétitivité de l’économie. Je dois rappeler ici que le modèle de taxe à la valeur ajoutée qui serait perçue conjointement par le fédéral et les États avait été originellement proposé par le président en 1995, et qu’il est maintenant soutenu par le rapporteur du projet au Congrès. Il a été conçu de manière à percevoir à la fois deux taux de taxe, ce qui permet d’introduire le principe de la destination dans les transactions interétatiques, d’empêcher la fraude fiscale qui se produit quand le système actuel réduit le taux à zéro, et de mettre fin aux désastreuses guerres fiscales entre les États brésiliens. Il s’agit bien, autrement dit, d’une proposition conforme aux principes de la TVA composée, défendue par les professeurs Richard BIRD et Charles MacLURE Jr. (ii) Tout comme pour les dettes étrangères arrivées à échéance et impayées, les titres internes et les dettes bancaires des États et des principales municipalités ont été consolidées et assumées par le gouvernement fédéral par l’intermédiaire d’une série de programmes successifs de refinancement qui datent de la fin des années 80. Bien que ces programmes ne soient pas encore tout à fait terminés (dans le cas des dettes municipales, ils ne font que commencer), le gouvernement fédéral est déjà créditeur des États pour un montant de 56,3 milliards de dollars américains, le taux d’intérêt étant bien au-dessous des taux commerciaux en vigueur, et les versements étant fixes (un pourcentage des revenus perçus à l’interne par le palier inférieur de gouvernement). En contrepartie de cette entente, le gouvernement fédéral a) est intervenu, a liquidé et vendu la plupart des banques gouvernementales d’État au secteur privé; depuis 1994, toutes les banques appartenant aux grands États ont été privatisées, liquidées ou transférées à la Banque centrale, b) est parvenu à suspendre l’émission de nouveaux titres d’emprunt par les États et les municipalités grâce à certaines clauses restrictives dans les contrats de refinancement, c) a réussi à enclencher un grand programme de privatisation aux niveaux inférieurs de gouvernement, notamment dans les secteurs des transports et de l’électricité : depuis 1996, 29 entreprises d’État ont été privatisées pour un montant total de 29 milliards de dollars américains (23,7 milliards provenant des ventes proprement dites, et 5,3 milliards en dettes transférées). (iii) Des efforts ont aussi été déployés pour exercer des pressions en faveur d’un processus de décentralisation des responsabilités selon un schéma par lequel le gouvernement fédéral assumera l’essentiel des frais encourus : a) Dans le cas de l’enseignement, par exemple, un amendement constitutionnel a été approuvé, qui amène les municipalités à assumer une part plus grande des services d’enseignement de base sous peine de sanctions fiscales. Dans ce cas, le coût des « récompenses » destinées à ceux qui accepteraient une plus grande part du fardeau serait à la charge du gouvernement fédéral. b) Dans le secteur de la santé, le gouvernement a créé un fonds pour les programmes de santé de base des municipalités, et favorisé des transferts directs proportionnels à la population. De la même manière, il subventionne la formation d’équipes de santé familiale, et il a transféré toute responsabilité de gestion aux municipalités considérées comme ayant atteint un niveau suffisant de capacité en matière de santé publique (soins primaires à tertiaires), y compris l’autorité sur leurs ressources financières et leur utilisation. (iv) Après plus d’un siècle de taxation ininterrompue des exportations, le gouvernement fédéral est parvenu en 1996 à faire approuver une loi qui élimine en fait la perception par les États de taxes sur les exportations de produits primaires et de biens industriels semi-manufacturés. Pour compenser le manque à gagner des États, le gouvernement fédéral doit transférer aux gouvernements d’État une somme estimée à plus de 2 milliards de dollars américains par an. (v) Le gouvernement fédéral a envoyé au congrès national une loi de la Responsabilité fiscale, qui impose des maxima aux dettes et dépenses en personnel du gouvernement fédéral, des États et des municipalités. La nouvelle loi exigerait aussi des trois paliers de gouvernement qu’ils formulent des objectifs à trois ans; elle interdirait au gouvernement fédéral d’entreprendre de nouvelles opérations destinées à refinancer les dettes des États et des municipalités, et elle prévoirait des sanctions contre ceux qui se rendraient coupables de détourner les fonds publics de leurs objectifs officiels. 8. En résumé, la fédération brésilienne est à l’image de l’économie du pays, une réalité marquée par une forte hétérogénéité structurelle. D’une part, les paliers inférieurs de gouvernement participent très fortement à la création directe de ressources, et encore plus à la répartition des revenus fiscaux et aux dépenses en personnel, en biens et en services, tout en gérant leur propre budget avec un minimum d’intervention de la part du gouvernement central. D’autre part, il n’existe aucun programme organisé et soigneusement planifié de décentralisation fiscale capable de concilier la redistribution des revenus et le partage des responsabilités. Il en résulte un système extrêmement complexe de relations fédérales qui freine toute tentative visant à assurer les services publics sur une base d’efficacité économique et de qualité, à quoi viennent s’ajouter d’énormes différences entre les charges fiscales supportées par les États selon leur niveau de développement. Il faut souligner que le gouvernement actuel a choisi de s’attaquer directement aux problèmes les plus graves dans le cadre d’une stratégie caractérisée par le gradualisme et la prudence. Le domaine dans lequel les progrès ont été les plus difficiles est celui de ce que l’on appelle la guerre fiscale entre États, compte tenu du fait que ses conséquences débordent largement le cadre fiscal pour toucher des considérations en rapport avec la politique gouvernementale sur l’industrie et le commerce extérieur, considérations essentielles pour une reprise vigoureuse et soutenue de la croissance économique. Le processus de libéralisation économique et financière qui a marqué l’économie brésilienne au long de la présente décennie, après six décennies au moins d’expansion économique introvertie (fondée sur le protectionnisme et un haut niveau d’intervention étatique), a en fait introduit un élément supplémentaire de complexité dans les relations entre paliers de gouvernement. Dans une économie plus ouverte, les courants de solidarité tendent à s’affaiblir, et les différences d’intérêts et de vision en matière de politique commerciale et industrielle entre les régions plus et moins développées du pays apparaissent d’autant plus flagrantes. En ce qui concerne les aspects politiques des relations entre paliers de gouvernement, au cours de son premier mandat (1995-1998), le gouvernement actuel s’est attaché à s’assurer le soutien d’une majorité au Congrès. Il s’est donc abstenu de prendre des initiatives qui auraient réformé le système électoral et les partis, et affaibli les liens de dépendance qui tendent à subordonner les membres du Congrès à leur gouverneur; il s’est aussi abstenu de tenter de corriger les déséquilibres qui existent dans le système de représentation des États à la Chambre des députés. L’objectif de cette stratégie était d’éviter tout risque de remettre en cause l’appui de la majorité à un moment où le Congrès votait sur une série d’amendements constitutionnels de la plus grande importance pour l’économie. Il n’en demeure pas moins que ces réformes devront être tôt ou tard à l’ordre du jour du Congrès. À la différence de ce qui s’est produit dans d’autres pays, et en dépit du fait que la fédération brésilienne soit encore en formation, elle a atteint un niveau raisonnable de stabilité. Parmi les facteurs qui ont contribué à cette stabilité, il faut mentionner l’héritage de l’État unitaire et l’absence de différences marquées en matière de race, de langue ou de croyances au sein de la population brésilienne. Parallèlement, les cycles de centralisation et de décentralisation, et la tradition de conciliation qui a toujours marqué la politique brésilienne sont des éléments qui facilitent les compromis au cours des années. Dans le cas particulier du système fiscal, les mécanismes de redistribution basés sur des transferts de ressources publiques servent à réconcilier les caractéristiques régionales divergentes et contradictoires entre États plus ou moins développés. Et tout ceci s’effectue à un rythme que très peu de fédérations ont su soutenir sans créer de remous politiques et civils graves. Ce n’est certainement pas par hasard que l’on fait toujours appel aux idéaux du fédéralisme fiscal quand on veut défendre des intérêts locaux ou des programmes publics dont les effets sont pourtant limités à la région. Indépendamment de ces facteurs, la souplesse du fédéralisme brésilien sera éprouvée dans un proche avenir, et il devra montrer qu’il est capable de surmonter les défis du développement et de la réforme politique. Il faudra prévoir les événements et trouver sans délai des solutions si l’on veut que notre nation s’affirme comme une fédération forte, unie et démocratique. 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