Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 2A) Plénière thématique sur la CDS : La diversité sociale et le fédéralisme LA DÉMOCRATIE ET LE FÉDÉRALISME CANADIEN : UNE RÉALITÉ PROFONDÉMENT IMPARFAITE Ghislain Picard Chef régional (Québec et Labrador) de l’Assemblée des Premières Nations

Le monde a grand besoin de l’exemple que le Canada pourrait donner. En fait, la crédibilité du pays, en tant que fédération et démocratie, est en ce moment très fragile. Au cours de la dernière décennie, il est passé d’une catastrophe constitutionnelle à une autre, ce qui a soulevé des questions fondamentales quant à la légitimité même de sa structure constitutionnelle et du fédéralisme démocratique. En 1990, Elijah Harper, député provincial du Manitoba, a fait échouer l’Accord du Lac Meech, l’un des plus importants événements constitutionnels de l’histoire moderne du Canada, en raison du fait que les Premières Nations avaient été tenues à l’écart de la table des négociations constitutionnelles. Au cours du même été, plusieurs milliers d’hommes de troupes, équipés de chars et d’hélicoptères, ont assiégé la petite réserve de Kanesatake, au Québec, où une poignée de protestataires de Premières Nations remettaient en question la légitimité du pouvoir du Canada sur eux en cherchant à protéger des terres sacrées où on voulait construire un terrain de golf. En 1992, un nouvel effort de réforme constitutionnelle a été rejeté par la majorité des chefs autochtones du Canada. Même si, cette fois, on les avait « laissés » participer aux débats constitutionnelles, la vaste majorité des peuples autochtones qui ont voté ont rejeté l’Accord de Charlottetown. Leur message aux gouvernements fédéral et provinciaux était clair : ils ne faisaient pas confiance au processus de réforme constitutionnelle. Trois ans plus tard, le pays tout entier était au bord du précipice, attendant le résultat final d’un référendum qui déterminerait si le Québec allait demeurer au sein du Canada. Lors de ce vote, les forces du oui et du non chez les non-Autochtones étaient presque égales, tandis que chez les Premières Nations, une majorité écrasante était contre la séparation. Ce scénario souligne le fait que, si les Premières Nations ne faisaient pas confiance au gouvernement fédéral pour protéger leurs intérêts, ils faisaient encore moins confiance au gouvernement du Québec à cet égard. En 1998, le mouvement constitutionnel s’est remis en branle et, de toute évidence, on n’avait rien appris des dernières vagues. La Déclaration de Calgary, rédigée à huis clos par un groupe select de premiers ministres provinciaux, est parvenue à offenser les Premières Nations et à les banaliser, non seulement en les tenant à l’écart des discussions constitutionnelles, mais en les décrivant comme un des « éléments dont est constituée la riche diversité canadienne ». En octobre 1999, au moment où je vous parle, la violence et la menace de violence à l’endroit des peuples des Premières Nations des provinces de l’Atlantique nous ramènent aux conflits racistes. Tout cela parce que la Cour suprême du Canada a décrété le mois dernier que les pêcheurs des Premières Nations avaient un droit constitutionnel issu de traités de pêcher pour assurer leur subsistance, et ce en toute saison. …Rien là qui semble pouvoir servir de modèle de démocratie et de fédéralisme. Ma présentation de ce matin portera sur deux points : Pourquoi le fédéralisme canadien est-il si imparfait ? Que peut-on faire pour le renforcer ? On ne peut répondre à la première question en examinant uniquement le contexte moderne, car les problèmes du fédéralisme canadien ont débuté il y a longtemps. Selon ma propre expérience, acquise au fil des événements constitutionnels décrits précédemment et à partir d’autres expériences, je crois que les déboires de la dernière décennie ont plus à voir avec le fait que le gouvernement et le peuple canadiens n’ont pas su comprendre et assumer l’histoire qu’ils ont eux-mêmes vécue au cours des quelques dernières centaines d’années. C’est un lieu commun de dire que ne pas comprendre l’histoire mène inévitablement à sa répétition, mais c’est pourtant vrai. Une large partie de l’histoire du Canada est l’histoire de sa relation dysfonctionnelle avec les Premières Nations. Ces deux sociétés n’ont jamais partagé de vision commune de leur relation. Cependant, plutôt que de tenter de composer avec ces différences (ce qui était tout à fait possible), le gouvernement canadien a tenté, par la force, de remplacer notre point de vue par les valeurs et la culture de la société occidentale. Les torts considérables que cela a causé aux Premières Nations ont été aggravés par l’imposition de systèmes gouvernementaux occidentaux, qui cherchaient à contrôler le mode de vie de nos peuples et à les isoler de la société en général et de leur environnement. Tous les efforts visant à nous détruire ont fini par échouer, mais ces tentatives ont eu des conséquences désastreuses dont nous ressentons encore tous les effets. Ainsi, jusqu’à tout récemment, la politique officielle du gouvernement était de promouvoir activement et consciemment les inégalités raciales entre Autochtones et non-Autochtones. En d’autres termes, il était illégal que nous soyons les égaux des non-Autochtones au Canada. Il était parfaitement légal et acceptable que l’État exerce, de toutes les façons imaginables, de la discrimination à notre égard. D’ailleurs, l’inégalité imposée légalement a été une chose cumulée. Depuis la période du contact colonial, la discrimination s’est accrue – c’était un travail continu en cours. Un déploiement de restrictions légales envers les Premières Nations s’est accru et adapté aux circonstances changeantes au cours des ans pour maintenir notre statut inférieur dans la disposition ou l’accès aux services, logement, emploi, opportunités de développement, ressources naturelles, éducation, soins de santé, retraite, salaires, justice criminelle, la votation, tenir des fonctions publiques, embaucher des avocats. Quoi qu’il vous vienne à l’esprit, vous pouvez être sûrs qu’on n’y avait pas droit, ou si on y avait droit, c’était moins que ce que recevaient les canadiens non-autochtones. Des centaines d’années de lois racistes ont eu des retentissements beaucoup plus profonds que la pauvreté et l’impuissance visibles. Cela a éventuellement affecté notre pensée – la façon dont nous nous voyons et aussi les autres, et notre sens « commun ». Pour les Premières Nations et les autres également, les lois, politiques et pratiques racistes ont non seulement limité les réponses que nous proposons, mais même les questions que nous posons concernant nous-mêmes et la fédération canadienne. Tant et aussi longtemps que la mentalité colonialiste condescendante et paternaliste de l’ « Agent des Indiens » règne, le fédéralisme démocratique véritable, y compris l’autonomie gouvernementale pour nos Nations, continuera de nous échapper. Jusqu’à ce que les Canadiens confrontent sincèrement le racisme intégré dans nos structures, il n’y aura pas urgence de le corriger. De même, les interprétations de l’histoire, qui ignorent le rôle et les contributions des Premières Nations au développement du pays, entraveront la voie que nous suivons, et pourront donner des directions erronées au cours de notre voyage continu vers la société juste que, je le crois, tous les Canadiens veulent avoir. Mais le Canada n’a jamais trouvé facile de confronter les grandes questions de notre existence. Il a développé et pratiqué une culture d’évasion qui a permis aux Canadiens de remettre à plus tard, les questions à savoir qui ils sont, quelle est leur place au Canada, et quelle relation le pays devrait avoir avec ses Premières Nations. Nous avons un État-nation multiculturel, tri-national, formé de trois identités nationales bien définies – autochtone, francophone diversifiée culturellement et anglophone diversifiée culturellement – et il est temps que nous acceptions cette réalité. Il nous est impossible de retourner vers les anciennes formules, mais en tant que pays, nous nous devons d’embarquer dans une sorte de recherche approfondie pour en trouver des nouvelles. Les excuses du gouvernement pour les horreurs subies dans les pensionnats étaient un début, mais seulement un premier pas sur la voie de renforcement de notre fédération. Ce n’est qu’un premier pas puisque les pensionnats n’ont été qu’une partie de la stratégie globale pour exclure nos peuples de la citoyenneté d’égalité au sein de la fédération. Notre exclusion de la citoyenneté voulait aussi dire que même à la base, le Canada était antidémocratique. Notre exclusion voulait aussi dire que le Canada ignorait les principes de base du véritable fédéralisme qui veut que l’autorité soit partagée et les intérêts des communautés plus petites reconnus. Notre lutte pour l’autodétermination au sein de la confédération demandait une reconnaissance de notre valeur et de la valeur de notre culture envers le pays. L’inégalité en fait de citoyenneté a rendu cette recherche à peu près impossible. Alors, en retournant dans le passé, nous apprendrons non seulement ce qui s’est produit, et ce qui encombre notre champ actuel de vision, mais aussi comment c’est arrivé, les intentions, les tactiques, les limites et les réussites de nos prédécesseurs. C’est dans le comment de l’histoire que nous pourrons commencer à comprendre les problèmes contemporains de l’autonomie gouvernementale, le renouvellement des relations issues de traités, le partage du territoire et des ressources, et la revitalisation de nos identités culturelles. Si nous n’avons toujours pas les réponses, peut-être que c’est partiellement parce que nous ne posons pas les bonnes questions. Prenons par exemple les réponses de la Cour suprême du Canada, il y a seulement quelques semaines, à la cause Donald Marshall. La Cour a décidé que les Premières Nations de la Côte est du Canada ont un droit issu de traités de gagner leur vie de façon modérée avec la pêche. La réponse instantanée des pêcheurs non-autochtones et leurs partisans a été de nier la légitimité du droit. La tactique était de se lancer dans la violence – détruire les cages à homard des pêcheurs des Premières Nations, intimider les pêcheurs individuels et saccager les installations d’emballage afin qu’on ne jouisse pas ou n’exerce pas les droits issus de traités. Une autre tactique a été de demander que les pêcheurs des Premières Nations cessent immédiatement d’exercer leurs droits ou il n’y aurait aucune négociation pour arrêter la violence. Quelle a été la réponse du gouvernement fédéral à ce comportement excessif? On aurait cru qu’à tout le moins, la voyoucratie et l’anarchie auraient été blâmées et que les droits issus de traités des Premières Nations et l’autorité de la loi auraient été confirmés dans les termes les plus vigoureux. Mais non! La réponse du premier ministre a été de simplement demander le calme et de suggérer que la solution au problème pourrait être la suspension des droits issus de traités pour une période d’environ six mois, pour permettre aux deux parties de s’asseoir et de négocier – présumément pour moins que le droit issu de traités exprimé par la Cour suprême du Canada. Le premier ministre n’a pas commenté la menace réelle que le comportement des protestataires non-autochtones hostiles pose à l’autorité de la loi et à l’ensemble du concept des droits sur lesquels notre démocratie et notre fédération sont bâties; cette attitude pourrait vraisemblablement s’expliquer par une mentalité qui attribue moins de poids et d’importance à nos droits issus de la Charte que les droits des autres. Le litige concernant les pêcheries de l’Atlantique est encore un exemple du fédéralisme et de la démocratie canadiens qui s’écroulent comme ils le font depuis plusieurs siècles. Alors, quelles sont certaines des réalités historiques que tous les Canadiens devraient connaître afin de comprendre et d’évaluer convenablement la relation entre les peuples autochtones et le gouvernement au sein de notre système fédéral? Au début, les relations entre les colons français et britanniques et les Premières Nations étaient régies par deux principes fondamentaux, acceptés par toutes les parties. Le premier principe était la reconnaissance que les peuples autochtones étaient des unités politiques autonomes, capables d’avoir des relations de traités avec la Couronne. Le deuxième principe était que les Nations autochtones possédaient le titre aux territoires qu’ils occupaient, à moins et jusqu’à ce qu’ils les cèdent. En 1763, ces principes et d’autres ont été inscrits dans la Proclamation royale de 1763, aussi connue comme la Loi déterminant les droits des Indiens. Le juge Emmett Hall, de la Cour suprême du Canada, a déclaré que la force statutaire de la Proclamation était analogue au statut du Magna Carta. La Proclamation décrivait les Nations Indiennes comme des unités politiques autonomes vivant sous la protection de la Couronne tout en retenant leur autorité inhérente sur leurs affaires internes et le pouvoir de traiter avec la Couronne par voie de traités et d’ententes. Le document affirmait que ces territoires ne devaient pas être octroyés ou appropriés par les Britanniques sans le consentement des peuples autochtones. Bref, la structure constitutionnelle, établie par les proclamations, était une structure de confédération. Les Premières Nations ne se sont jamais écartées de cette position à l’effet que leur relation avec le Canada est une relation de Nation-à-Nation. La Proclamation établissait aussi le cadre constitutionnel des colonies. Cette relation était bien différente de celle qu’entretenait la Couronne avec les Premières Nations, et mettait l’accent sur le concept selon lequel les Nations autochtones sont des entités distinctes ayant des constitutions internes et des lois différentes de celles des nouveaux arrivants. La différence fondamentale entre les deux est que, pour les nouveaux arrivants, le pouvoir de se gouverner leur vient de proclamations, d’ordonnances et de lois du Parlement britannique. D’un autre côté, les Nations autochtones tirent leur pouvoir de leurs propres ententes et philosophies internes. En d’autres termes, dès le départ, les constitutions autochtones étaient enracinées dans leurs propres communautés. Au fil des ans, d’autres arrangements juridiques, dont les traités, ont appuyé les principes établis dans la Proclamation. Les traités ne sont pas tous semblables. Ils portent sur différents groupes, à diverses époques, et répondent à divers besoins des deux parties. Cependant, pour les Premières Nations, tous les traités ont des points en commun, dont l’un, et non le moindre, est la vision commune selon laquelle les traités sont signés pour arriver à des arrangements politiques qui permettent de vivre en coexistence pacifique et de partager les terres et les ressources du Canada. Il ne faut pas oublier que l’utilisation de traités était répandue bien avant que les Européens n’arrivent. Les nations indigènes avaient des processus diplomatiques bien établis qui équivalaient à un système de traités couvrant l’ensemble du continent. Ces traités, qui régissaient les questions externes d’échanges, de paix, de neutralité, d’alliance, d’utilisation du territoire, d’exploitation des ressources, et de protection, respectaient l’autonomie interne des parties. En raison des sujets qu’ils abordaient, les traités indigènes, de par leur nature, étaient considérés comme les instruments vitaux et évolutifs des relations, nécessitant une attention constante afin d’être adaptés aux contextes changeants. Pour les Premières Nations, les traités ont aussi une caractéristique spirituelle indissociable de leurs objectifs politiques et commerciaux, en raison de notre relation spirituelle avec la terre. Les traités portaient en partie sur le territoire, mais il était fondamental pour la culture et la spiritualité de nos peuples que ces ententes ne comportent ni titre foncier ni soumission des Premières Nations au monarque britannique. Les traités n’étaient pas non plus quelque chose de nouveau pour les Européens. Ils avaient une compréhension et des idées qui étaient propres à leur histoire et à leur culture. L’expérience des Européens en matière de traités sur leur continent portait en large partie sur l’établissement de frontières et la fusion de petites communautés pour en former de plus grandes. Les traités étaient donc vus comme immuables et, contrairement aux traités autochtones, ne pouvaient pas évoluer ou s’adapter à de nouveaux besoins. La vision britannique, en particulier, voulait que lorsqu’un traité avait été signé, il demeurât en vigueur et immuable jusqu’à ce qu’on ait entrepris des démarches de part ou d’autre pour en modifier le contenu. En plus des visions différentes quant à l’utilité et à la souplesse des traités entre Autochtones et non-Autochtones, il existe aussi des différences marquées quant à l’interprétation de leur contenu réel. Deux importants sujets de désaccords portent sur le respect du concept de possession de la terre et celui d’autorité sur les peuples qui y vivent. Contrairement aux Premières Nations, les Européens croient que les traités ont donné à la Couronne souveraineté sur la terre et sur ceux qui l’habitent. Avec le temps, il est maintenant de l’intérêt de la population non-autochtone de diminuer unilatéralement la validité et l’importance des traités, particulièrement devant les besoins croissants en matière de territoires et de ressources. En conséquence, beaucoup de Canadiens ont aujourd’hui l’impression que les traités sont anciens, désuets, de simples reliques d’un intérêt historique marginal. Cette façon de voir a récemment été avancée par le juge dissident McLaughlin dans l’affaire Marshall, qui a causé toute l’agitation dans les pêches de la Côte atlantique. Les effets de rétrograder l’importance des traités est de rétrograder l’importance de la renommée des peuples autochtones en tant que Nations et leur contribution au Canada. Ceci rétrograde aussi le Canada, son intégrité et sa crédibilité comme pays démocratique, qui a les droits de la personne comme centre de sa Constitution. Pour renforcer l’État fédéral, et prévenir plus de détérioration des relations entre les Premières Nations et le gouvernement du Canada, ce qu’il faut n’est pas de rétrograder les traités mais plutôt d’y retourner afin que leurs contributions uniques et incomparables, leur profondeur historique et leur signification pratique puissent informer la fédération canadienne de ses origines, et renforcer les relations entre les Premiers Peuples et le reste de la population. Après la Confédération de 1867, une rétrogradation encore plus aggressive a eu lieu avec l’imposition de la Loi sur les Indiens, dont le but était d’éteindre les droits autochtones et d’assimiler les citoyens autochtones dans la population générale. Une législation de contrainte a enlevé les droits de danser, de participer à des Potlatch ou de se montrer en costume traditionnel dans des festivals. Le ministère des Affaires indiennes réglementait toute activité économique sur les réserves par le biais du système de laissez-passer qui ne permettait aucun troc ou vente de biens sans la permission de l’Agent des Indiens. Les sources normales de financement étant coupées, les Premières Nations étaient complètement dépendantes des caprices du gouvernement pour le financement. Nos communautés se voyaient refuser l’utilisation des ressources naturelles lorsque la juridiction fut transférée par le gouvernement fédéral aux provinces, qui n’avaient aucune responsabilité envers les Premières Nations. Des tonnes de règlementations furent créées, conçues de sorte que les Premières Nations ne puissent pas les utiliser. La décision Marshall est l’exemple actuel le plus dramatique de tout ceci jusqu’à maintenant, puisque les innombrables règlements et les coûts qui leur sont associés ont fait que les Premières Nations se sont vues à l’extérieur des pêcheries, contrairement à leurs droits issus de traités. Cependant, la pièce maîtresse de la politique d’assimilation a été le programme des pensionnats qui a éventuellement touché des enfants de presque toutes les communautés autochtones à travers le pays. Entreprise en 1849, la politique énoncée des écoles était de « modifier leurs vues et leurs habitudes de vie » afin que les enfants puissent « prendre leur place partout au sein des citoyens du Canada ». Les enfants ont été séparés de leurs parents; on leur interdisait formellement de parler leurs langues et ils étaient punis s’ils pratiquaient leurs croyances spirituelles. Les écoles n’étaient jamais suffisamment financées, et une mauvaise gestion, des conditions non hygiéniques, et des abus sexuels et physiques sur les enfants étaient notables. Ces abus étaient aggravés par un manque de soins de base – alimentation adéquate, services médicaux et un environnement sain et sécuritaire. Les problèmes actuels des Premières Nations – de pauvreté, de chômage, de troubles de santé, de dysfonction familiale et de développement communautaire médiocre – sont des vestiges reliés directement à la politique des pensionnats, l’expropriation de notre territoire, les violations délibérées et la rétrogradation des droits issus de traités. Les conditions subies par les citoyens autochtones dans toutes les catégories des normes de l’indice du coût de la vie – logement, santé, emploi, et éducation – ont fait de nous socialement ce que nous étions déjà constitutionnellement – des citoyens de seconde classe. Malgré un demi-siècle de programmes et de politiques bien intentionnées, l’inégalité raciale continue d’être une faille bien enracinée dans la structure de la démocratie et du fédéralisme canadiens. L’inégalité raciale, pour la population autochtone du Canada, est la plus grosse faille de toutes. Le « principe de citoyenneté égale », adopté en 1944 avec le Racial Discrimination Act de l’Ontario, a été le précurseur d’une variété de politiques et de législation qui, réunies, définissent le Canada aux yeux de plusieurs, comme étant une Nation prônant la justice sociale. Les politiques et les pratiques canadiennes de multiculturalisme, de lois d’immigration humanitaires, de codes de commissions sur les droits de la personne, des droits et libertés affirmés constitutionnellement, des codes du travail, le salaire minimum, les exigences d’équité pour les sexes, l’action affirmative et les lois contre les actions haineuses qui ont suivi, sont des modèles que le reste de l’univers tentent d’imiter; cependant, peu de ces protections s’adressent aux citoyens des Premières Nations, dont la plupart vivent dans des conditions de vie du tiers-monde. La raison pour laquelle ils ne font pas grand’chose pour corriger les problèmes systémiques des Premières Nations, c’est que ce sont les mauvaises réponses aux mauvaises questions. Alors, comment le Canada peut-il devenir une fédération démocratique plus forte et plus crédible? Je continuerai à soutenir que les failles profondes dans la fédération canadienne ne peuvent pas être corrigées par des mesures anti-discriminatoires ou autres initiatives en droits de la personne qui n’abordent pas la cause sous-jacente du mal dont nous souffrons. Tout d’abord, la fédération canadienne devra reconnaître la relation de Nation-à-Nation énoncée dans la Proclamation de 1763 et dans les traités avec les Premières Nations. La reconnaissance et le respect des peuples autochtones devront être rétablis par le biais de la reconnaissance de nos cultures distinctes, de nos traditions historiques et de nos propres systèmes de gouvernement. Il est instructif d’étudier les formes indigènes de démocratie qui existaient longtemps avant Benjamin Franklin et les autres qui ont formulé le projet de loi déterminant les droits des citoyens américains, ou les « Pères de la Confédération » canadiens qui ont formulé la Loi BNA. Les historiens sont d’avis, de plus en plus, que la démocratie représentative et la forme de gouvernement confédéral développées par les populations indigènes étaient beaucoup plus progressives que celles que les Européens ont tenté sans succès d’établir. Par exemple, les historiens conviennent maintenant que les formes iroquoïennes de gouvernement démocratique ont précédé la Constitution des Etats-Unis de milliers d’années et ont grandement influencé les idées qui l’ont façonnée. La Confédération des cinq Nations des Mohawk, Oneida, Onondaga et Cayuga a également établi des systèmes fédéraux de gouvernement par lesquels chacune des Nations retenait son autonomie dans les affaires internes et avait un Conseil central pour décider des affaires externes de commerce, d’alliances et de traités. Des décisions unanimes étaient prises par un processus de consultation et ce que nous appelons aujourd’hui « transparence ». Les femmes jouaient un rôle majeur dans la gouvernance, et des politiques de restrictions et d’équilibre étaient en place pour maintenir la qualité du leadership et de la responsabilité. Le pouvoir s’appuyait uniquement sur le respect de la communauté et sur la compétence de tisser un consensus provenant de plusieurs positions différentes.3 Le point ici consiste en ce que les Premières Nations ne sont pas des nouveaux venus en ce qui concerne la démocratie et le fédéralisme. Nous avons une histoire riche et diversifiée en autonomie gouvernementale que nous aimerions beaucoup rétablir. Il est temps qu’Ottawa mette ses ressources globales au profit de la réconciliation et de la reconstruction de la fédération sur une base durable. Le gouvernement national devrait poursuivre des négociations véritables et sincères avec toutes les provinces et les Premières Nations afin d’améliorer la condition économique et sociale de nos peuples : la création d’emploi, une nouvelle compréhension des affaires et de la main-d’oeuvre. Toutes les provinces devraient songer à des façons pratiques de s’engager dans un dialogue sérieux avec les communautés des Premières Nations : davantage d’échanges de personne-à-personne et de communauté-à-communauté, et davantage d’efforts pour briser l’isolation qui donne prise à la crainte, à la haine et à l’incompréhension sur ce que l’autre pense et ressent. Le premier ministre de ce pays devra être plus limpide concernant la bonne volonté de son gouvernement d’accepter les changements qui accommoderont évidemment une fierté saine au sein des communautés des Premières Nations. Il devra être plus audacieux dans son affirmation de partenariat avec les Premières Nations, et plus proactif à bâtir l’esprit derrière les excuses aux citoyens des Premières Nations concernant les abus dans les pensionnats. Il ne devra pas trahir ces excuses par un manque d’imagination ou d’insécurité de leadership. Et il devra indiquer au gouvernement fédéral que, sur cette question, la partisannerie ne compte aucunement. Nous avons actuellement une occasion sans précédent d’apprendre des erreurs du passé et de se mettre à la poursuite d’une nouvelle direction, en tant que gouvernements et citoyens. Si le Canada a un rôle significatif à jouer sur la scène mondiale, alors il devra d’abord régler ses affaires nationales. Une politique nationale de réconciliation et de régénération, avec la pleine participation des gouvernements fédéral, provinciaux et des Premiers Peuples, nous mènerait là où nous serions tous très fiers d’être un modèle pour le monde entier. Meegwetch 3 Donald Grinde, Bruce Johansen, Exemplar of Liberty Native America and the Evolution of Democracy, American Indian Studies Center, UCLA, 1991.

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