Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 3A) Plénière thématique sur les RIG : Les défis posés par les relations intergouvernementales DÉFIS ET ENJEUX DES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES EN SUISSE Arnold Koller Ancien président de la Confédération suisse et ancien con-seiller fédéral

La mondialisation apparaît aujourd'hui, à la plupart des observateurs, comme le principal défi auquel vont se trouver confrontés les États nationaux à l'horizon du XXIe siècle. Face à la mondialisation des marchés, le rôle de l'État national semble souvent faible et limité. C'est pourtant de l'État national qu'on attend encore la mise en place d'un cadre macroéconomique concurrentiel et stable, la prise en compte du développement durable, et surtout, le maintien d'un espace des droits de l'homme, de solidarité et de justice, ou, comme on dit au Canada, de « sécurité humaine ». Les États fédéraux sont-ils mieux ou moins armés que les autres pour relever ces défis? En Suisse, comme dans les autres États fédéraux, la réponse passe par un réexamen des rapports entre l'État central et les États fédérés, soit, chez nous, entre la Confédéra-tion et les 26 cantons ou demi-cantons, et par la mise en place de modes de fonctionne-ment plus performants. Il n'est donc pas étonnant que les relations intergouvernementales soient aujourd'hui, en Suisse, au cœur de deux grands chantiers législatifs : - la réforme de la Constitution fédérale, et - la nouvelle péréquation financière entre Confédération et cantons. La réforme de la Constitution fédérale – dont la première étape, la « mise à jour » de la Constitution de 1874, a été acceptée par le peuple et les cantons le 18 avril 1999 – nous a permis de réactualiser notre fédéralisme. Elle devrait entrer en vigueur le 1er janvier 2000. La réforme de la péréquation financière, qui est en cours, va bien au-delà des seuls aspects financiers. C'est elle qui aura pour mission d'insuffler une nouvelle dyna-mique au fédéralisme suisse. La nouvelle Constitution fédérale La révision de la Constitution fédérale de 1999 – une première étape dans la réforme de notre charte fondamentale – nous a permis de mettre à jour une réalité constitutionnelle qui avait considérablement évolué en 150 ans d'État fédéral, et dont on ne pouvait plus vraiment déceler les contours dans la Constitution actuelle. Le nouveau texte constitu-tionnel exprime la réalité vécue du fédéralisme suisse d'aujourd'hui. Avec la nouvelle Constitution, nous disposons d'une photo toute récente des compétences de la Confédé-ration et de la façon dont s'articulent aujourd'hui nos relations intergouvernementales. Quels en sont les points saillants? Je rappellerai tout d'abord que la mise à jour de la Constitution – et surtout le chapitre consacré aux relations entre la Confédération et les cantons – est le fruit d'une étroite concertation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements cantonaux. Ce dialo-gue illustre bien le nouveau partenariat intergouvernemental que l'on voulait ancrer dans la Constitution à cette occasion. Le principe de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons n'a pas été modifié : la Confédération n'assume que les tâches qui lui sont attribuées par la Constitu-tion. Conformément au principe de subsidiarité, elle n'assume que les tâches qui doi-vent être réglées de manière uniforme. Comme dans la plupart des États fédéraux, les affaires étrangères sont la prérogative de la Confédération. Les cantons n'exercent ici que des compétences résiduelles, dans les domaines qui sont de leur ressort. Mais la partie la plus importante au regard de nos préoccupations est celle qui met en exergue les rapports de collaboration et la solidarité qui doivent présider aux relations intergouvernementales. La Constitution met l'accent sur les relations de partenariat entre le gouvernement central et les gouvernements cantonaux et sur la nécessité pour la Confédération de respecter l'indépendance des cantons. La Confédération et les cantons doivent s'entraider et collaborer entre eux pour mieux accomplir les tâches de l'État. L'action publique, autrefois fondée sur une logique hiérarchique, est progressivement complétée par des modes de gouvernement plus souples. Les cantons disposent aussi de droits de participation étendus au processus de décision sur le plan fédéral. Mais ces droits, et c'est nouveau, sont étendus aux décisions de poli-tique extérieure. On veut ainsi compenser l'érosion des compétences cantonales qui dé-coulent de l'internationalisation croissante des politiques publiques. En outre, la Constitution autorise les cantons (mais c'est aujourd'hui plutôt une invitation!) à conclure entre eux des conventions ou à créer des institutions communes, dans le but notamment de réaliser des tâches d'importance régionale. Dans un pays aussi morcelé que la Suisse (26 cantons ou demi-cantons, 3000 communes), ce chapitre sur la collabo-ration entre les collectivités publiques revêt une importance capitale. Bien qu'il ne s'agisse pas encore d'une réforme en profondeur, cette mise à jour de notre charte fondamentale reflète l'évolution importante de ces dernières décennies dans le domaine des relations intergouvernementales. Elle montre surtout le passage de la sim-ple répartition des tâches à une collaboration toujours plus étroite et consensuelle entre partenaires. La nouvelle péréquation financière Le projet de nouvelle péréquation financière – un projet ambitieux et nécessaire, qui de-vrait aller bien au-delà de la refonte d'instruments financiers périmés – mise sur : - un désenchevêtrement des tâches entre la Confédération et les cantons, - une simplification des relations financières entre la Confédération et les cantons, - le développement de nouvelles formes de collaboration intergouvernementale et de financement - une meilleure prise en compte des charges particulières assumées par les centres urbains qui fournissent des prestations au-delà des frontières cantonales. Il me manque de temps pour détailler ici tous ces instruments. Je me limiterai donc aux nou-velles formes de collaboration, qui présentent un intérêt dans le contexte des relations intergouvernementales. Ces nouvelles formes de collaboration s'inspirent, elles aussi, du nouveau partenariat à l'intérieur de l'État fédéral. Partenariat entre la Confédération et les cantons d'une part, mais aussi entre les cantons eux-mêmes, d'autre part. C'est donc l'ensemble de la collaboration verticale et horizontale que l'on envisage de redéfinir. Concrètement : - sur le plan vertical : dans les tâches qui doivent être accomplies conjointe-ment par la Confédération et les cantons, la Confédération renoncera à l'édiction de lois détaillées, au versement de subventions en fonction des dépenses et à des contrôles ta-tillons. Elle se concentrera sur la conduite stratégique et fixera des objectifs aux cantons au moyen de conventions de programmes s'étendant sur plusieurs années. Les cantons assumeront la responsabilité opérationnelle. Ils disposeront de sommes forfaitaires pour réaliser les objectifs convenus. Ce nouvel instrument devrait garantir aux cantons da-vantage d'autonomie et d'efficacité dans l'accomplissement des tâches fédérales. La possibilité pour la Confédération de conclure des conventions avec les cantons – qui n'existe pas aujourd'hui – devra être inscrite dans la Constitution fédérale. - sur le plan horizontal : dans des domaines qui restent très largement de la compétence des cantons, la collaboration intercantonale assortie d'une compensation des charges devrait permettre de rémunérer équitablement les cantons qui offrent des prestations dont bénéficient leurs voisins (par ex. dans le domaine des universités). Deux innovations méritent d'être mentionnées : d'une part, dans un certain de nombre de tâ-ches définies à l'avance, la Confédération pourra, à la demande des cantons intéressés, donner force obligatoire générale aux accords intercantonaux ou obliger les cantons à y adhérer. D'autre part, les cantons pourront habiliter des organes intercantonaux à légiférer, pour autant que l'institution de ces organes soit intervenue dans le cadre d'une procédure démocratique. Ces nouvelles formes de collaboration entre les cantons de-vraient empêcher une centralisation. On assiste ainsi à l'émergence, sur une base contractuelle, de nouveaux espaces de coopération à géométrie variable et de nouveaux modes de gouvernance par réseaux de collaboration et de projets. La brève présentation de ces nouveaux instruments ne saurait nous faire oublier qu'il existe, en Suisse, encore d'autres modes de collaboration institutionnels – dont une des expressions récentes est la création de la Conférence des gouvernements cantonaux et du Dialogue confédéral –, ainsi que de multiples occasions de concertation informelle en-tre les gouvernements, favorisées par l'exiguïté du pays. Tous ces échanges contribuent aussi largement à forger le légendaire « consensus » suisse. Le projet de nouvelle péréquation financière est une grande chance pour le renouveau nécessaire du fédéralisme en Suisse. Mais il suscite aussi les craintes d'organisations qui bénéficient très largement de la manne fédérale, notamment dans le domaine social. Pour les cantons aussi, l'enjeu est d'importance : si le projet se réalise, ils auront davan-tage de compétences, plus d'autonomie dans l'accomplissement des tâches, et des moyens financiers qu'ils pourront affecter librement. Si le projet échoue, il sera difficile d'enrayer la centralisation croissante des tâches publiques et la dégradation du statut des cantons. Si ce projet ambitieux ne se réalise pas, un débat sur des réformes de structures, d'ordre institutionnel ou territorial, deviendrait aussi inévitable. Un tel débat, vu la longue tradition des cantons suisses, serait encore plus difficile. Le Parlement fédéral devrait être saisi du projet de nouvelle péréquation financière en 2001. S'il l'approuve, le peuple et les cantons pourraient être invités à donner leur avis en 2002 ou 2003. Conclusion L'évocation des deux chantiers législatifs dont je viens de parler est une illustration parmi d'autres de la formidable capacité des systèmes fédéraux à s'adapter aux défis du temps et à l'évolution de la société. Face à la mondialisation, les États fédéraux fondés sur les principes démocratiques, la subsidiarité et la coopération ont une grande chance d'être mieux armés que d'autres pour relever les défis de la mondialisation, en absorber les chocs et, en définitive, composer avec elle. À condition toutefois que ces États profitent de leurs avantages propres, comme l'existence de petites entités, proches des citoyens et des problèmes, pour mieux accomplir les tâches publiques. À condition aussi qu'ils se montrent inventifs dans la recherche de nouvelles formes de collaboration et qu'ils se libèrent du seul souci de préserver l'acquis. La complexité qui caractérise les États fédéraux est ici un gage de souplesse et de créativité.

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