Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 7E) Table ronde sur le FÉF : Face aux gouvernements à multi-paliers : la perspective du secteur privé QUELQUES OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES Amaresh Bagchi Membre de la Commission des finances et ancien directeur de l’Institut national des finances et de la politique publique, Inde

Le concept du « fédéralisme » ou d’un gouvernement à paliers multiples est largement accepté aujourd’hui comme le meilleur principe fondamental des sociétés partout dans le monde. La décentralisation favorise le bien-être social en rapprochant le gouvernement du peuple. Elle permet de mieux modeler le bien public selon les préférences des citoyens, assurant ainsi une répartition plus efficace des ressources dans l’économie. Le fédéralisme favorise aussi la participation politique et aide une population hétérogène à s’unir sous la bannière d’une nation et à acquérir la force de l’unité, même dans la diversité. Mais contribue-t-il également à la promotion des entreprises et au libre jeu des forces du marché, si importants à la croissance du commerce, de l’emploi et des revenus? Le fédéralisme, dans quelque forme que ce soit, est-il favorable aux affaires? Si ce n’est pas le cas, à quelles conditions préalables doit-il satisfaire pour appuyer l’entreprise privée? Ces questions revêtent un caractère urgent dans un environnement international de plus en plus mondialisé. Il en est ainsi parce que les tensions sont inhérentes aux régimes fédéraux par suite de la division des pouvoirs et des attributions entre les différents paliers de gouvernement et des possibilités de conflit et de chevauchement. Ces facteurs tendent à susciter l’incertitude et l’instabilité, qui ne peuvent que nuire aux affaires. Les régimes fédéraux subissent en outre d’autres contraintes à mesure que la technologie estompe les frontières et réduit les pouvoirs de l’État-nation, amenant ses subdivisions à adopter leurs propres politiques indépendantes. Le fédéralisme peut-il survivre à la mondialisation et à ses impératifs de facilitation du commerce tant intérieur qu’international? Si oui, sous quelle forme? Il n’y a pas de doute qu’il faudra repenser à la base les rôles et responsabilités des différents paliers de gouvernement pour déterminer comment mieux les adapter aux réalités phénoménales du prochain millénaire, sans pour autant sacrifier l’essence même du fédéralisme. Voilà pourquoi le point de vue du secteur privé est si important dans une conférence sur le fédéralisme. L’article de référence que M. Brown a préparé pour cette séance donne un aperçu succinct des attentes et préoccupations du monde des affaires en régime fédéral et des inquiétudes ressenties pour l’avenir face à la complexité d’une économie mondiale qui s’intègre rapidement. Les préoccupations renvoient essentiellement à une question d’environnement. Selon M. Brown, le monde des affaires a besoin d’« un environnement rationnel, stable, sûr et prévisible où règne la primauté de la loi » pour prendre des engagements à long terme à l’appui de la croissance économique et de la prospérité. Le régime fédéral crée-t-il l’environnement dont le monde des affaires a besoin pour prendre des risques, livrer concurrence et croître? Ou bien étouffe-t-il l’entreprise en répartissant le pouvoir politique entre plusieurs paliers de gouvernement et en la soumettant à de multiples régimes de réglementation et de fiscalité qui augmentent considérablement ses coûts de transaction? Comme le fait remarquer M. Brown, les États reconnaissent ces préoccupations en acceptant une certaine discipline en matière de commerce et de fiscalité lorsqu’ils adhèrent à des organisations internationales telles que l’OMC et ratifient des conventions fiscales. Cette discipline est-elle suffisante et adéquate? Si ce n’est pas le cas, de quelle façon faut-il la renforcer? Quelle en sera l’incidence sur la souveraineté des nations? Et que dire de la diversité des lois et des règlements qui se répercutent de bien des façons sur les entreprises en régime fédéral? Encore une fois, la tendance dans ce cas est à l’harmonisation et à la limitation des pouvoirs des gouvernements infranationaux dans les secteurs touchant la nation ou plus d’une de ses subdivisions. Cette limitation des pouvoirs est-elle efficace et suffisante? Porte-t-elle atteinte à l’autonomie des gouvernements inférieurs? Est-elle contraire à l’esprit même du fédéralisme? Comment concilier l’efficacité et l’autonomie des pouvoirs nationaux et infranationaux de façon à pouvoir relever le défi de la mondialisation? Voilà les questions qu’à mon avis, nous devons aborder au cours de cette séance. Il conviendrait peut-être de noter dans ce contexte les nouveaux courants de pensée issus de la théorie du fédéralisme de deuxième génération que proposent des chercheurs comme Barry Wiengast (1995). La question à laquelle cette théorie essaie de répondre n’est pas de savoir si le fédéralisme favorise ou non les marchés, elle consiste plutôt à déterminer les conditions nécessaires à l’épanouissement d’un fédéralisme favorable au marché. D’après les tenants de la nouvelle théorie, il ne suffit pas, pour qu’un régime fédéral obtienne des résultats satisfaisants sur le plan de la croissance et du niveau de vie de ses citoyens, qu’il établisse une hiérarchie de gouvernements ayant chacun des attributions et des pouvoirs précis. Ce ne serait là qu’un fédéralisme formel. Plusieurs autres conditions doivent être remplies. Par exemple : &Mac183; Les gouvernements infranationaux devraient être les premiers responsables de l’économie locale. &Mac183; Le gouvernement national doit être habilité à maintenir l’ordre dans le marché commun. &Mac183; Tous les paliers de gouvernement devraient accepter des contraintes budgétaires strictes. &Mac183; La répartition des pouvoirs et des responsabilités parmi les gouvernements doit être institutionnellement durable. [Parikh et Wiengast, 1997] Selon M. Brown, les plus précieuses contributions des gouvernements à la promotion de l’activité commerciale et de la prospérité économique sont les suivantes : &Mac183; Créer un environnement économique rationnel, sûr et prévisible. &Mac183; Établir des politiques monétaires et fiscales rationnelles et stables dans l’économie. De toute évidence, ce sont également là les objectifs sous-jacents des axiomes d’un fédéralisme favorable aux marchés. La question capitale qui se pose alors est de savoir comment un régime fédéral peut s’engager d’une façon crédible à atteindre ces objectifs. La réponse réside probablement dans la création d’« institutions de responsabilisation ». Car, comme l’a dit Anwar Shah, ce sont ces institutions qui, en dernière analyse, détiennent la clé du succès d’un processus décisionnel décentralisé. La question suivante est de savoir quelles institutions sont les plus indiquées pour rendre les gouvernements responsables de leurs décisions. Il y a aussi une autre série de questions portant sur la répartition adéquate des pouvoirs et des attributions parmi les différents paliers de gouvernement. On trouve une riche documentation sur le sujet. De plus, ces thèmes feront sans nul doute l’objet d’autres tables rondes. Toutefois, du point de vue du secteur privé, il y a une question qui revient constamment : dans un environnement technologique qui évolue rapidement, les paradigmes de la division des pouvoirs en régime fédéral que préconise la littérature actuelle ne tombent-ils pas très vite en désuétude? Si, comme le dit si bien M. Brown, certains États-nations se révèlent trop petits pour les grandes questions et trop grands pour les petites, où aboutirons-nous? Aurons-nous des pouvoirs supranationaux qui s’occuperont des grandes questions, reléguant les petites aux gouvernements nationaux et infranationaux? Pouvons-nous envisager des pouvoirs supranationaux qui s’accommoderaient de la liberté des nations sans domination des géants et affaiblissement des petits? Nous espérons que les délibérations de cette conférence sur le fédéralisme vont nous éclairer. Il serait cependant préférable que notre table ronde se concentre sur les institutions de responsabilisation qui, seules, peuvent créer un environnement dans lequel les entreprises ont la possibilité de prospérer. Références bibliographiques Wiengast, Barry (1995), "The economic role of Political Institutions", Journal of Law, Economics and Organisation. Parikh, Sunita, et Barry Wiengast (1997), "A comparative theory of Federalism: India", Virginia Law Review, vol. 83, no 7.

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