Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 2A) Plénière thématique sur les CDS : La diversité sociale et le fédéralisme

DÉFIS DE LA DIVERSITÉ ET DU FÉDÉRALISME À L’ÈRE DE LA MONDIALISATION

B.P. Jeevan Reddy Président de la Commission de Droit de l’Inde

L’Inde, le Canada, l’Australie et les États-Unis sont des fédérations parmi plusieurs qui existent dans le monde. Une fédération suggère un État où les pouvoirs législatif et exécutif sont répartis entre une autorité centrale/fédérale et plusieurs autorités régionales/provinciales. Il n’existe pas d’État fédéral modèle ou standard. Chaque pays, qu’il s’agisse des États-Unis, du Canada, de l’Australie ou de l’Inde, est le produit d’un processus historique distinct. Ce n’est pas parce que les États-Unis furent les premiers à créer une fédération qu’on peut les considérer comme un modèle et évaluer toutes les autres constitutions fédérales d’après leur Constitution. Tant que les dispositions d’une constitution prévoient une large division de pouvoirs comme indiqué ci-dessus, on peut considérer qu’il s’agit d’une constitution fédérale. Les expressions fédération, quasi-fédération, confédération, « fédératie », « consociation » ou États associés sont, à mon humble avis, de nature descriptive et qualifient diverses entités résultant de processus historiques distincts et différents. Inde : L’Inde représente un cas classique de « situation fédérale » – une expression inventée par le professeur Sawer (Fédéralisme moderne). Sa taille, sa population, sa diversité régionale, linguistique et culturelle lui donnent les caractéristiques d’un sous-continent. Malgré tout, son insularité a, au cours des années, entraîné la formation d’une unité culturelle composite, le sentiment d’un héritage commun et d’une certaine unicité. Avant l’imposition de la loi britannique au XIXe siècle, l’histoire de l’Inde en était une de brèves périodes d’unité et de stabilité politique suivies de périodes de dissension, de chaos et de fragmentation. Chaque fois qu’un puissant monarque à Delhi a entrepris la conquête d’États isolés au sud, à l’est ou à l’ouest, et cherché à imposer une gouvernance fortement centralisée, cela s’est avéré inefficace, déclenchant une réaction en chaîne de forces centrifuges. Ces régimes ne durèrent jamais longtemps. Si l’on prend la situation au XVIIIe siècle, l’Inde était divisée en plusieurs États indépendants. Le régime des Grands Moghols de Delhi s’était désintégré. La Compagnie de l’Inde de l’Est étendit sa domination par la force des armes et par la diplomatie. En 1858, quand le pouvoir britannique s’établit en Inde, les deux tiers du pays furent placés sous l’autorité directe de la Grande-Bretagne, le reste étant constitué de plus de 500 États princiers. La Grande-Bretagne avait en effet découvert que ces États princiers pouvaient être sources de puissance, et leur avait donc permis de subsister. Les États princiers étaient « autonomes » dans un sens très limité. Ils étaient sous la férule britannique pour toutes les questions importantes. Même si des mesures avaient été prises à partir de 1871 (plan Mayo) pour la dispersion de l’autorité gouvernementale, la première démarche importante vers une structure fédérale pour l’Inde fut l’application du Governement of India Act, en 1935. Il répartissait le pouvoir législatif – et le pouvoir exécutif, qui correspond au pouvoir législatif – entre le Centre et les provinces, avec une « liste concurrente » pour faire bonne mesure. Quand l’Assemblée constituante se réunit en 1946 afin d’ébaucher une constitution pour une Inde libre et avant même qu’elle se mît sérieusement à la tâche, la division du sous-continent avait déjà été décidée et réalisée, et cet événement devait amener un changement qualitatif dans l’approche retenue. Comme l’indique le deuxième rapport du Union Powers Committee (5 juillet 1947), « maintenant que la division est un fait accompli, nous sommes unanimement d’avis qu’il serait néfaste pour les intérêts du pays de lui donner un gouvernement central faible, incapable d’assurer la paix, de coordonner les affaires vitales pour tous… et que le cadre le plus souhaitable est celui d’une fédération dotée d’un Centre fort. » Il faut, pour comprendre cette décision, se rappeler que l’Inde qui commençait son existence à la suite d’une division n’était pas moins multiculturelle, multilingue et multiethnique – bref, pluraliste – que l’Inde britannique. Presque la moitié de la population de l’Inde parlait le hindi, alors que l’autre moitié parlait différentes langues comme le marathi, le bengali, le telugu, le tamoul, le kannada, le malayalam, le gujarati et le pendjabi. Alors que l’hindouisme était la religion dominante du pays, environ 12 p.100 de la population étaient attachés à l’Islam, sans compter un nombre respectable de chrétiens et de sikhs. La Constitution indienne proposée par l’Assemblée constituante et promulguée le 26 janvier 1950 créait donc un État fédéral mais avec un Centre fort. On le constate en lisant l’Annexe Sept à la Constitution, qui traite de la distribution du pouvoir législatif entre le Centre et les États. La liste des pouvoirs de l’Union indienne comprenait la défense, les forces armées, l’énergie atomique, les affaires étrangères, l’autorité de signer des traités, y compris l’autorité de faire la guerre et la paix, la citoyenneté, les chemins de fer, les lignes aériennes, les grandes voies navigables y compris les principaux ports, le commerce avec les pays étrangers, les opérations bancaires, les assurances, la Constitution, l’organisation et la juridiction de la Cour suprême et des cours supérieures, l’impôt sur le revenu, les droits de régie et de douane. (Bien entendu, une bonne partie des taxes et des droits de douanes perçus par le gouvernement fédéral doit être rendue aux États, soit en partie soit au complet, en vertu des articles 268 à 272.) La liste des États comporte des responsabilités non moins importantes, comme le maintien de l’ordre public, la police, l’administration locale, la santé publique, les boissons alcooliques, les communications, l’agriculture, la terre, les industries et les mines, l’impôt sur les revenus agricoles, les taxes sur la terre et les bâtiments, les droits de régie sur les substances alcooliques, les taxes de vente, les taxes sur les véhicules à moteur, les taxes sur les objets de luxe et les divertissements, ainsi que les timbres fiscaux. Certaines responsabilités de l’État sont toutefois sujettes à des responsabilités spécifiques de l’Union. Ainsi, dans le cas des industries, l’article 24 de la liste d’État fait référence aux points 7 et 52 de la liste de l’Union, ce qui signifie que le Parlement peut, après avoir déclaré qu’il est dans l’intérêt public d’assumer le contrôle d’une industrie particulière, assumer le contrôle de cette industrie, qui se trouve alors à être transférée du domaine des États à celui du Centre. La liste concurrente comprend les lois de procédure (civile et criminelle), les lois sur les personnes qui gouvernent les Hindous, Musulmans et autres ainsi que la planification sociale et économique, les forêts, le contrôle des prix des produits de base, et ainsi de suite. En ce concerne la liste concurrente, le Parlement jouit encore d’une position prédominante. Toute loi votée par le Parlement en rapport avec tout article de la liste concurrente a préséance sur toute loi d’État sur le même sujet, que la loi d’État ait été votée avant ou après la loi par le Parlement sauf, bien entendu, si la loi d’État reçoit le consentement du président de l’Inde, qui prévaut alors sur la loi du Parlement dans l’État en question. Le pouvoir universel est dévolu au Centre par l’article 248. De plus, les articles 249 à 253 accordent au Parlement le pouvoir de légiférer, même dans les domaines relevant de la liste des États, dans certaines situations spécifiées, par exemple, quand l’état d’urgence a été déclaré en vertu de l’article 352, ou lorsque deux ou plusieurs États demandent au Parlement de légiférer, ou pour donner effet aux ententes internationales. L’article 356 donne au Président (gouvernement central) le pouvoir de révoquer le gouvernement et de dissoudre la législature d’un État, s’il est convaincu qu’il fait face à une situation où le gouvernement de cet État ne peut assumer ses responsabilités conformément à la Constitution. Par-dessus tout, l’article 3 donne au Parlement le pouvoir de former un nouvel État en séparant un territoire d’un ou de plusieurs États, d’augmenter ou de diminuer le territoire d’un État existant et de changer les frontières ou le nom d’un État existant. La seule limite à ce pouvoir consiste à obtenir l’opinion de l’État en question. Tout ceci ne signifie pas pour autant que la Constitution indienne ne revêt pas un caractère fédéral. Tel que résolu par la Cour Suprême de l’Inde dans la cause S.R. Bommai contre l’Union indienne, 1994 (3) SCC page 1 (à la page 216), « le fait que la structure de notre Constitution confère de plus grands pouvoirs au Centre qu’aux États ne signifie pas que les États soient de simples dépendances du Centre. Dans les domaines qui leur sont alloués, les États sont suprêmes. Le Centre ne peut intervenir dans ces pouvoirs.» On pourra aussi noter que le pouvoir judiciaire de l’État n’est pas réparti entre le Centre et les États. Nous avons un seul système judiciaire, chapeauté par la Cour suprême. Et plus important encore, notre Constitution ne reconnaît qu’une citoyenneté – ce qui est logique, puisque l’objectif était de former une nation à partir d’une effarante diversité de castes, de communautés, de tribus, et de groupes religieux ou linguistiques – bref, de former une société multiculturelle, multireligieuse et multiethnique. Cette volonté d’accorder des pouvoirs dominants au gouvernement fédéral tout en adoptant une constitution fédérale traduit bien le désir de protéger et de préserver l’unité dans la diversité et non de faire des États de simples dépendances du Centre. Il est faux de dire que l’Inde est une quasi-fédération ou que l’Inde, fédération dans les conditions normales, devient un État unitaire lorsque l’état d’urgence est proclamé en vertu de l’article 352. C’est peut-être tout aussi vrai dans le cas des fédérations canadienne et australienne. Dans le but de préserver la diversité linguistique, religieuse, régionale et ethnique, les fondateurs de la Constitution ont eu la sagesse d’y incorporer une Charte des droits dans la troisième partie. Les articles 14 à 16 garantissent à tous les citoyens indiens l’égalité devant la loi et une égale protection juridique quels que soit leur religion, leur race, leur caste, leur sexe, leurs antécédants ou leur lieu de naissance. L’article 19 garantit à tous les citoyens indiens la liberté de parole et d’expression, la liberté d’assemblée pacifique, la liberté d’association, la liberté de mouvement dans toute l’Inde, la liberté de résider n’importe où dans le pays ainsi que la liberté de pratiquer toute profession, occupation ou activité économique. L’article 21 stipule qu’aucune personne, et pas seulement les citoyens, ne sera privée de la vie ou de sa liberté individuelle sauf dans les conditions prévues par la loi. Les articles 25 à 30 sont particulièrement importants. L’article 25 stipule que « dans les limites de l’ordre public, de la moralité, de la santé et de toute autre disposition de cette nature, toute personne a également droit à la liberté de conscience et au droit de confesser, de pratiquer et de propager toute religion. » L’article 26 stipule que toute dénomination religieuse ou l’un de ses éléments peut créer et entretenir des institutions à but religieux et charitable, gérer ses propres affaires en matière de religion, posséder et acquérir des biens, et les gérer. L’article 27 interdit à l’État de percevoir des impôts pour la promotion d’une religion particulière. L’article 28 prévoit qu’il ne sera donné aucune instruction religieuse dans les institutions d’enseignement financées entièrement par l’État, et ajoute que personne ne sera tenu de participer à aucune instruction religieuse dans les institutions d’enseignement reconnues ou financées par l’État. L’article 29 (1) stipule expressément que « les citoyens résidant sur le territoire de l’Inde ou toute partie de ce territoire possédant une langue, une écriture ou une culture propres et distinctes, ont le droit de les conserver », et que, de plus, « aucun citoyen ne se verra refuser l’accès à une institution d’enseignement de l’État ou financée par l’État pour seule raison de religion, caste ou langue. » L’article 30 autorise toute minorité linguistique ou religieuse « à créer et gérer les institutions d’enseignement de son choix. » Il ne faut pas oublier qu’en vertu de l’article 13, aucune loi ne peut contrevenir aux stipulations de ces droits fondamentaux (Charte des droits). Dans son interprétation des articles mentionnés, la Cour suprême a déclaré dans la cause S.R. Bommai contre l’Union indienne [1994 (3) SCC 1] que le sécularisme était un concept fondamental de la Constitution et qu’il ne pouvait donc être ni limité ni aboli par le Parlement dans l’exercice de ses pouvoirs constituants (pouvoir d’amender la Constitution), et que par ailleurs, advenant le cas où le gouvernement d’un État dérogerait à ce concept, le président de l’Inde aurait toute autorité pour révoquer le gouvernement de l’État en vertu de l’article 356 pour la raison que cet État n’est plus gouverné conformément à la Constitution. L’article 32, qui fait partie de cette même section, il faut le souligner, rend lesdits droits exécutables par la Cour suprême dont la propre autorité – le pouvoir d’examen judiciaire – est perçu comme représentant l’une des bases (non-amendable) de la Constitution. Il est peut-être impossible de concevoir une trame constitutionnelle plus claire et plus efficace pour la préservation et la promotion de la diversité religieuse, ethnique, linguistique et régionale. Toute personne douée de discernement reconnaît que la Cour suprême s’est acquittée avec zèle et vigilance des obligations qui lui ont été confiées par l’article 32. Évolution post-constitutionnelle Dans la décennie qui a suivi l’application de la Constitution (1950), plusieurs États ont été créés sur une base linguistique à partir d’États existants. De nouveaux États comme le Maharashtra (marathi), l’Andhra Pradesh (telugu), le Tamil Nadu (tamoul), le Gujarat (gujarati), le Karnataka (kannada), le Kerala (malayalam), l’Orissa (oriya) et le Pendjab (pendjabi) ont été créés à côté du Bengale Occidental où l’on parle le bengali. Par la suite, le Nord-Est se trouva divisé en sept États supplémentaires pour tenir compte de la diversité culturelle, ethnique et linguistique. Nous avons ainsi le Mizoram (Mizos), le Nagaland (Nagas), le Meghalaya (tribus Khasi et Jaintia Hill) et l’Assam (langue assam), etc. Pendant les deux décennies qui ont suivi l’indépendance, le parti du Congrès a conservé le pouvoir au Centre et dans les États (à l’exception d’un bref passage au pouvoir du parti communiste au Kerala) et le pouvoir de Jawaharlal Nehru était absolu. Pendant cette période – et même plus tard chaque fois qu’il y avait un premier ministre fort – des mesures ont été adoptées pour renforcer le gouvernement central par tous les moyens légaux. En vertu du point 52, le Centre a pris le contrôle de la réglementation et du développement de toutes les grandes industries. Il a également pris le contrôle des minerais importants et de leur développement en vertu du point 54 de la liste 1. On a ajouté à la liste concurrente le point 33, qui accorde des pouvoirs de contrôle et de réglementation sur un grand nombre de produits de base essentiels, y compris certains produits agricoles. Pour citer le rapport de la Commission Sarkaria sur les Relations Centre-États (1988) : « La planification centralisée dans le cadre de la Commission Planification (un organisme non statutaire) est un exemple flagrant de la manière dont, par suite de décisions de l’exécutif, le rôle de l’Union s’est étendu à des domaines comme l’agriculture, les pêcheries, la conservation du sol et de l’eau, l’irrigation locale, le développement local, la reconstruction rurale et le logement, etc., qui relevaient exclusivement de l’autorité de l’État. » C’est une tendance qu’ont très certainement voulu contrarier les autres partis politiques qui ont pris le pouvoir dans les États et les nouveaux groupes d’intérêt régionaux formellement voués à la protection et à la promotion des intérêts de l’État en question, de sa langue et de sa culture, mais sans grand succès. Sur le sujet des relations Centre-États dans la fédération indienne, il ne faudrait pas oublier le rapport de la Commission du juge Sarkaria. La Commission fut instituée en 1983 avec le mandat suivant : 2) La Commission examinera et étudiera le fonctionnement des dispositions actuelles régissant les rapports entre l’Union et les États en matière de pouvoirs, fonctions et responsabilités dans tous les domaines, et recommandera toute mesure jugée appropriée. 3) En examinant et en étudiant le fonctionnement des dispositions actuelles régissant les rapports entre l’Union et les États, et en effectuant des recommandations quant aux changements et mesures nécessaires, la Commission tiendra compte des développements sociaux et économiques qui ont eu lieu au cours des années et respectera l’esprit et la structure de la Constitution que les fondateurs ont si scrupuleusement élaborée pour protéger l’indépendance et assurer l’unité et l’intégrité du pays, ce qui est de la plus grande importance pour assurer le bien-être du peuple. » Après une étude exhaustive et assidue, la Commission rendait son rapport en 1988. Ses recommandations touchaient aux relations législatives et administratives, au rôle du gouverneur (y compris son pouvoir de soumettre un projet de loi à la sanction du président), aux dispositions concernant les situations d’urgence (y compris l’abus de l’article 356), à All-India Services, au Conseil intergouvernemental (article 263), aux relations financières, à la planification économique et sociale, aux industries, aux mines et aux minerais, à l’agriculture, aux forêts, aux approvisionnements alimentaires et civils, aux litiges interétatiques concernant l’eau, et aux langues. Chacun des chapitres propose une série de recommandations. J’aimerais en particulier citer quelques paragraphes des « Observations générales » présentées à la fin du rapport : « 21.2.01 En Inde, étant donné la diversité de religions, de langues, de castes, de races, etc., il existe un grand nombre de groupes désireux d’établir leur identité et de promouvoir leurs intérêts particuliers. 21.2.02 La question de répartition des pouvoirs et des responsabilités entre les deux niveaux les plus élevés de gouvernement, l’Union et les États, doit donc être considérée dans le contexte plus large de la décentralisation entre ceux-ci et les autres paliers de gouvernement d’une part, et entre les entités administratives à l’intérieur de chacun de ces paliers d’autre part. 21.2.03 Malheureusement, non seulement la décentralisation territoriale et fonctionnelle a-t-elle été insuffisante quand l’Inde est devenue indépendante, mais il y a eu en plus au cours des années une tendance vers une plus grande centralisation des pouvoirs, sous l’effet notamment de puissants courants socio-économiques. 21.3.01 La participation effective des citoyens fait partie intégrante de la démocratie. Les programmes, projets et services mis en place par l’Union sont, dans une grande mesure, exécutés par l’État. Les programmes entrepris par les États ont souvent, eux aussi, des effets plus larges sur l’Union ainsi que sur les gouvernements locaux. Il n’existe actuellement aucun forum permettant à un citoyen de donner son opinion sur tous ces sujets. Sans aucun doute, un certain nombre de questions d’importance nationale seraient traitées par le Conseil intergouvernemental que nous recommandons; mais ces rencontres auront nécessairement lieu à huis clos. 21.3.02 À notre avis, le Conseil devrait créer un comité consultatif d’experts pour examiner certains problèmes intergouvernementaux spécifiques exigeant une connaissance spéciale du sujet (droit, économie, sociologie, etc.). Les travaux de ce comité devraient demeurer indépendants des positions officielles prises par les divers gouvernements et permettre des audiences publiques. Ceci rendrait plus acceptables les solutions et les programmes suggérés par le Conseil et assurerait l’efficacité de leur mise en œuvre. 21.3.03 Compte tenu de la nature relativement communautaire de certaines « majorités » et « minorités » de différents groupes (religion, caste, langue, race, etc.) aux divers paliers de gouvernement dans notre pays, il est de la plus grande importance que la démocratie soit perçue comme gouvernance par compromis entre la majorité et la minorité plutôt que comme l’utilisation autoritaire du pouvoir législatif de la majorité aux dépens de la minorité. » En 1992, le Parlement, agissant en vertu du pouvoir constituant que lui confère l’article 368, a amendé la Constitution, y insérant les parties IX et IX-A, relatives aux Panchayats de village et aux municipalités. Ces deux chapitres couvrent la Constitution, les élections, les fonctions et les pouvoirs de ces institutions de gouvernement local autonome. Les activités de développement au niveau local relèvent maintenant essentiellement de ces organismes. Les défis de la diversité Avant de parler des défis que la diversité pose à la fédération indienne, il me faut noter un trait particulier à l’Inde. En plus de la diversité linguistique, culturelle, religieuse et ethnique, il existe une autre caractéristique propre à l’Inde. La religion hindouiste et la civilisation hindoue sont parmi les plus anciennes au monde; elles ont certainement plus de 5000 ans. Avec les années, diverses distorsions et inégalités se sont manifestées, dont la plus importante est la division du peuple sur une base de caste. Les Hindous sont divisés, de manière inexplicable et absolument illogique, en « haute caste » et « basse caste » sur la base aléatoire de leur naissance. Au sommet du système de caste, on retrouve les Brahmanes; viennent ensuite les Kshatriyas, puis les Vaishyas. Au bas de l’échelle se trouvent les Shudras. Le plus drôle, c’est qu’il existe en plus une autre grande catégorie à l’extérieur des quatre castes, ceux qu’on appelait les sans-caste ou Panshamas. Ces sans-caste étaient généralement considérés comme intouchables. De nos jours, on parle de castes annexes [Scheduled Castes] pour la bonne raison qu’ils sont reconnus dans une annexe à l’article 341. La plupart des sous-castes formant les Shudras (que l’on désigne elles-mêmes sous le nom de castes) sont maintenant connues sous le vocable de « autres classes défavorisées » [other backward classes, OBC]. En plus des castes annexes et des classes défavorisées, il existe des tribus qui sont restées essentiellement à l’écart de la civilisation, et qui vivent dans des régions boisées; elles sont encore plus défavorisées que les castes annexes et on les désigne sous le nom de tribus annexes (article 342). Les tribus annexes, que l’on appelle parfois à tort « peuples indigènes », représentent 8,08 p. 100 de la population totale. La moitié d’entre eux vivent dans les États indiens du centre et 12 p. 100 environ vivent dans la région du nord-est. Dans les quatre États du nord-est, ils représentent plus de 80 p. 100 de la population. Par une curieuse coïncidence, c’est surtout dans les régions habitées par ces tribus qu’on trouve une grande quantité de minerais tels que charbon, bauxite, uranium. L’activité minière, la déforestation et la construction de certains grands barrages comme celui de Narmada (Sardar Sarovar) provoquent d’importants déplacements de population dans ces tribus, ce qui représente un grave problème socio-économique. Plusieurs ONG ont épousé la cause de ces gens et de leur réhabilitation. Dans le but de rétablir un équilibre social et d’amener les castes annexes, les tribus annexes et les classes défavorisées au même niveau que les autres, la Constitution donne aux États la possibilité – en fait, c’est une obligation,– de prendre des mesures spéciales pour leur évolution (articles 15(4), 16(4), 16(4A), 46 et 338 à 340). Dans cet esprit, l’État indien prévoit des quotas et des postes réservés dans les services du gouvernement (tant du Centre que des États), dans les institutions d’enseignement et autres domaines. Afin de leur donner un pouvoir politique, il existe des quotas et des sièges réservés pour eux au Parlement, dans les assemblées d’État, dans les institutions locales et toute autre institution de gouvernance autonome. Ces quotas peuvent aller jusqu’à 50 p. 100 et parfois plus. Les annexes Cinq et Six à la Constitution comportent des directives particulières pour l’administration des régions annexes (habitées par les tribus annexes) et en particulier pour l’administration des régions tribales des États de l’Assam, du Meghalaya, du Tripura et du Mizoram, tous dans le nord-est. Le défi des classes sociales défavorisées : Avant même l’indépendance, il existait fréquemment des quotas tant dans les services que dans les institutions d’enseignement de certains États du sud de l’Inde. Après la mise en place de la Constitution, les sections défavorisées de la société, et particulièrement les castes annexes et les tribus annexes, ont fait pression afin que l’on crée pour eux des postes réservés dans les services offerts par l’État et les institutions d’enseignement. Le gouvernement fédéral prévoyait des quotas dans tous les services centraux en faveur des castes annexes et des tribus annexes, mais pour ce qui est des autres classes défavorisées, nous avons assisté à d’innombrables commissions et à d’interminables débats judiciaires. La principale controverse portait sur la manière d’identifier les autres classes défavorisées, et le nombre de postes réservés qui peuvent leur être attribués. Finalement, en 1992, fut créée une commission de neuf juges dans le cadre de la Cour suprême indienne – qui apparaît de plus en plus comme l’arbitre des conflits socio-économiques – pour décider une fois pour toutes de ces questions (Indra Sawhney contre l’Union indienne, 1992 Supp (3) SCC 217). Par une majorité de 6 à 3, la Cour devait décider que (1) pour identifier les autres classes défavorisées, on pouvait prendre la caste comme point de départ mais ce ne pouvait être le seul critère. En plus de la caste, il fallait tenir compte des désavantages sociaux et éducatifs, de l’emploi et de la pauvreté. Toute caste qui répond à ces critères peut être identifiée comme classe défavorisée pour les besoins de la Constitution. Parallèlement, la Cour décidait que les membres de cette caste bénéficiant d’un niveau avancé aux plans social, éducatif et économique devaient être exclus de la classe défavorisée. (Pour désigner cette formule d’exclusion, on a parlé d’élimination du « glaçage »). (2) Le total des privilèges prévu en faveur des castes annexes, tribus annexes et autres classes défavorisées ne peut dépasser 50 p. 100. Il n’est pas permis d’accorder des quotas de 60, 70 ou 80 p. 100, ce qui irait à l’encontre de la garantie d’égalité prévue aux articles 14, 15(1) et 16(1) de la Constitution indienne. (3) Même s’il est permis d’appliquer des quotas/réservations de poste dans le cas du recrutement direct à tout niveau des services gouvernementaux, ces quotas/réservations de postes ne peuvent jouer dans le cas d’une promotion d’un niveau à un autre à l’intérieur d’un service. Certains des États du sud désapprouvaient fortement ces décisions. Ils effectuèrent des pressions sur le gouvernement central pour amender la Constitution de manière à contrecarrer les points (2) et (3). Leur objection portait sur le fait que chez eux, les quotas atteignaient ou dépassaient 70 p. 100 et qu’en les réduisant brutalement à 50 p. 100, on créerait de graves problèmes d’adaptation donnant lieu à un mécontentement général dans la population. Cet avis fut partagé par les membres du Parlement, les membres des législatures d’État, la Commission et plusieurs partis politiques représentant les castes annexes et tribus annexes. En conséquence, le Parlement approuva, en 1995, le 77e amendement à la Constitution accordant aux États, par une clause de l’article 16, le droit d’étendre aux promotions les quotas (réservations de postes) pour les classes défavorisées. En ce qui concerne la demande de hausser le niveau maximum de quotas, un autre amendement constitutionnel fut approuvé pour le seul État de Tamil Nadu, permettant de préserver le niveau existant supérieur à 50 p. 100. Un autre État du sud, le Kerala, se refuse à prescrire et à appliquer le critère d’exclusion du « glaçage », ce qui a forcé la Cour suprême à émettre une directive exécutoire visant à faire appliquer ce critère sans délai.

Le défi des langues : Comme on l’a vu précédemment, la Constitution garantit à toutes les minorités linguistiques le droit de conserver et de promouvoir leur langue et leur culture, et leur donne le droit d’établir et d’exploiter les institutions d’enseignement de leur choix. Même si la création d’États sur une base linguistique a répondu à d’anciennes exigences de ces groupes linguistiques, elle a aussi eu pour effet de renforcer les tendances exclusivistes dans certains États, notamment le Tamil Nadu qui a connu un fort mouvement anti-hindou dans les années 50. Certains groupes à l’avant-garde de cette agitation anti-hindoue allèrent jusqu’à prétendre qu’ils étaient culturellement différents du reste de l’Inde. On parlait même de sécession. Heureusement, la sagesse des dirigeants politiques du Centre et de l’État mit fin à ces tendances séparatistes. Il n’en demeure pas moins que la scène politique du Tamil Nadu est principalement occupée par deux partis dravidiens. Dans le contexte électoral, les partis nationaux comme le Congrès et le BJP sont obligés de faire alliance avec l’un ou l’autre de ces partis. En ce qui concerne l’enseignement, les États linguistiques font face à un problème que ne connaît pas la majorité de langue hindi. Dans les États linguistiques, on applique la formule des trois langues, c’est-à-dire que, même si la langue d’enseignement principale est la langue locale, les élèves doivent aussi apprendre l’hindi et l’anglais. Les groupes linguistiques minoritaires de ces États n’ont d’autre choix que de recevoir l’enseignement dans la langue de l’État. Dans les écoles privées cependant, dont la population est en constante augmentation, les langues d’enseignement sont le plus souvent l’anglais et l’hindi, la langue locale n’étant enseignée que comme un simple sujet. Cette tendance est attribuable non seulement à la perception que la langue anglaise ouvre une fenêtre sur le monde mais aussi à la révolution technologique de l’information dont l’instrument est essentiellement l’anglais. Dans ce contexte, j’aimerais mentionner les conflits qui se produisent entre les États en rapport avec la répartition des ressources naturelles. Ce genre de conflit éclate fréquemment au sujet du partage des eaux des rivières-frontières, non seulement entre les États d’une fédération mais aussi entre des États indépendants, comme dans le cas des États d’Europe centrale pour les eaux du Danube. En Inde aussi nous connaissons un certain nombre de conflits entre États quant à la répartition de l’eau des fleuves frontaliers. Il existe depuis longtemps des conflits entre le Maharashtra et l’Andhra Pradesh à propos de l’eau du Godavari, entre l’Andhra Pradesh et le Karnataka à propos de l’eau du Krishna, entre le Penjab et l’Haryana à propos de l’eau du Sutlej, et le plus délicat de tous, entre le Karnataka et le Tamil Nadu à propos de l’eau du Cauvery. Si le conflit ne touchait que deux États ordinaires, le problème aurait été facile à régler, mais comme il s’agit de deux États linguistiques (kannada et tamoul), le conflit prend plus d’ampleur et une certaine acrimonie. En fait, il y a quelques années, le conflit a conduit à de violentes attaques généralisées par la majorité de langue kannada contre les personnes de langue tamoule au Karnataka. Il est question ailleurs dans cette présentation de l’évolution du dossier concernant les eaux du Cauvery. Les États linguistiques donnent également naissance à des partis régionaux qui parlent au nom d’une langue et d’une culture particulières et se vouent à la défense des intérêts et de la dignité de cette culture. Au Andhra Pradesh, le parti connu sous le nom de Telugu Desam est représentatif de cette tendance. C’est aussi le cas du Shiv Sena au Maharashtra, du Akali Dal au Punjab et du Congrès Trinamul au Bengale Occidental, sans compter les partis dravidiens du Tamil Nadu. Le défi de la diversité religieuse et culturelle : Au crédit de la nation indienne, il faut reconnaître que nous n’avons pas connu de défi important à l’unité et à l’intégrité du pays pour des raisons de religion. La raison en est que nos fondateurs ont eu la sagesse de doter l’Inde d’une constitution séculière ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de le dire. La Cour suprême de l’Inde s’est du reste exprimée à ce propos dans les termes suivants dans la cause S.R. Bommai contre l’Union indienne (1994 (3) SCC pages 1 à 233) : « Bien que les citoyens de ce pays soient libres de confesser, d’exercer et de propager toute religion, foi ou croyance, en ce qui concerne l’État, c’est-à-dire du point de vue de l’État, la religion, la foi ou les croyances d’une personne sont sans conséquence. Pour lui, tous sont égaux et tous ont le droit d’être également traités. » La Cour Suprême et les cours supérieures ont assumé le rôle de gardiens fiables et vigoureux des droits religieux, culturels et linguistiques des minorités. Depuis 1950, les rapports juridiques de l’Inde débordent de décisions qui en font foi. C’est une des raisons pour lesquelles le pouvoir judiciaire bénéficie dans l’Inde d’aujourd’hui d’une plus grande crédibilité que l’exécutif ou le législatif. Bien entendu, il y a eu, ici et là, des cas de conflits locaux entre groupes religieux mais cela se produit de moins en moins souvent. Ces derniers jours, comme vous avez dû en entendre parler, il s’est produit quelques attaques isolées contre des Chrétiens dans deux États mais tous les partis politiques et tous les gens sans exception ont condamné ces incidents. Il ne s’agit pas d’attaques concertées ou organisées contre des groupes religieux particuliers mais d’incidents isolés provoqués par des rivalités et des animosités locales, et il serait tendancieux d’y voir un dessein. Les terroristes islamiques ne représentent un problème qu’au Kashmir – point – et non pas dans le pays proprement dit. À ce propos, il me faut clarifier les choses en ce qui concerne l’État du Jammu et Kashmir. C’était l’un des États princiers de l’Inde britannique. Alors que la majorité de la population était musulmane, il était dirigé par un prince hindou. L’État de Jammu et Kashmir borde les frontières de l’Inde et du Pakistan. Au moment de l’indépendance (15 août 1947), le dirigeant du Kashmir ne décida ni de se joindre à l’Inde ni de se joindre au Pakistan : il songeait probablement à créer un Kashmir indépendant. Pour le Pakistan, toutefois, puisque l’État était en majorité musulman, il devait se joindre à lui. Devant le refus du prince, le Pakistan envoya au Jammu et Kashmir des groupes armés (en réalité des soldats de l’armée pakistanaise). Quand ces groupes atteignirent la banlieue de Srinagar, la capitale du Jammu et Kashmir, le prince demanda à l’Inde de les repousser, mais l’Inde (dont le gouverneur général était alors Lord Mountbatten) prit la position que, à moins que le prince ne joigne son État à l’Inde, il serait impossible à l’Inde d’envoyer ses troupes dans son État. Le prince consentit. Les forces armées indiennes pénétrèrent alors dans l’État et en chassèrent la plus grande partie des groupes armés. Un tiers de l’État étant encore affecté par la présence pakistanaise, le gouvernement indien déposa devant les Nations Unies une plainte contre le Pakistan pour agression. Les Nations Unies obtinrent un cessez-le-feu, et la ligne de cessez-le-feu constitue en fait la ligne qui sépare l’Inde du Pakistan dans cet État depuis plus de 50 ans. Les ambitions du Pakistan au Kashmir ont provoqué plus d’un conflit entre l’Inde et le Pakistan dont le récent conflit de Kargil. On se souviendra qu’après que la paix eût été rétablie, des élections libres et démocratiques eurent lieu au Jammu et Kashmir sous l’autorité de l’Inde, en 1953 : la Conférence Nationale, dirigée par le Sheikh Abdullah (père du premier ministre actuel du Jammu et Kashmir), devait dominer ces élections avec un programme qui acceptait de façon définitive l’adhésion de l’État à l’Inde. Il semblerait donc évident que les demandes de sécession ou d’indépendance provenant de certains groupes situés dans une partie du Jammu et Kashmir (la vallée du Kashmir) ne sont pas réellement fondées sur la religion mais sur la décision prétendument arbitraire du prince d’adhérer à l’Inde, et au prétendu refus du gouvernement indien de tenir un référendum pour définir les préférences de la population en ce qui concerne l’adhésion à l’Inde. Il faut souligner ici que l’une des conditions du référendum proposé par les Nations Unies était le départ des forces pakistanaises de l’État. Le Pakistan n’a jamais quitté le territoire occupé au Jammu et Kashmir. La question du référendum n’a donc ni objet ni pertinence à ce stade. Il ne serait pas hors de propos de mentionner ici qu’en appliquant les critères retenus dans la décision récente de la Cour suprême du Canada en rapport avec la sécession éventuelle du Québec [1998 (2) SCR 217], la population du Kashmir ne peut être décrite comme un « peuple ». Il ne s’agit pas non plus d’une colonie ou d’une région où le peuple de l’État se verrait privé de l’exercice significatif de son droit à l’autodétermination dans le cadre de l’État indien, dont il fait partie. Il y a aussi eu certains groupes sécessionnistes dans les États du nord-est mais ils sont moribonds pour la plupart. Ce que les gens réclament maintenant, c’est davantage d’autonomie, davantage d’argent et des mesures spéciales pour préserver leur identité culturelle et leur mode de vie. De 1990 à 1994, certains groupes du Penjab eurent recours à la violence et au terrorisme à l’appui de leur demande d’un État séparé, le « Khalistan ». Ils bénéficiaient de l’aide financière et matérielle de certains groupes émigrés. Mais l’État parvint à les réprimer grâce à des mesures anti-terroristes énergiques, et grâce au zèle d’un officier de police nommé K.P.S. Gill et de ses hommes. Conflits entre États, et entre le Centre et certains États en rapport avec la répartition des ressources naturelles : L’article 263 autorise le président à constituer un Conseil interétatique s’il juge qu’un tel conseil est nécessaire dans l’intérêt public pour étudier et recommander les mesures nécessaires pour résoudre les conflits entre États ou conflits entre Centre et États. L’article 131 de la Constitution indienne donne à la Cour suprême juridiction exclusive originale dans tout conflit (a) entre le gouvernement de l’Inde et un ou plusieurs États ou (b) entre le gouvernement de l’Inde et un ou des États d’une part et un ou plusieurs États d’autre part, ou (c) entre deux ou plusieurs États. L’article 262 prévoit l’adjudication des conflits relatifs aux eaux des rivières ou vallées frontalières. Il stipule que le Parlement peut, par voie de législation, imposer une solution à tout conflit ou plainte concernant l’utilisation, la distribution ou la disposition des eaux provenant d’une rivière ou d’une vallée frontalière. Le Parlement est autorisé à décréter que dans un tel conflit ni la Cour Suprême ni aucune autre cour n’aura juridiction. Deux causes intéressantes en rapport avec ces articles ont été soumises à la Cour Suprême. Plusieurs membres de la législature avaient déposé une plainte pour acte de corruption, de népotisme et de favoritisme contre le premier ministre de l’État du Karnataka. Cette plainte était adressée au gouvernement central. Le gouvernement central nomma une commission d’enquête en vertu de la loi sur les commissions d’enquête pour enquêter sur ces allégations. L’État du Karnataka intenta alors une poursuite à l’Union indienne mettant en cause le droit du gouvernement central de nommer une commission d’enquête en vertu de la loi en question pour enquêter sur les allégations contre le premier ministre de l’État. L’État fut débouté. La cour rejeta l’argument selon lequel dans le cas de plaintes de cette nature, seul le gouvernement de l’État aurait le pouvoir de nommer une commission d’enquête. Elle affirmait qu’aucune restriction de ce genre ne pouvait être déduite des articles de la Constitution. De l’avis de la cour, la juridiction dans ces circonstances semblait être partagée. L’autre cause porte sur un conflit entre les États du Karnataka et du Tamil Nadu en rapport avec la répartition des eaux du fleuve Cauvery. Le tribunal constitué en vertu de la loi du Tribunal des eaux rendit une décision intérimaire dans l’attente d’une décision finale. L’État du Karnataka non seulement refusa d’accéder à la décision intérimaire, mais promulgua une loi en opposition directe à cette décision. Compte tenu de la gravité du conflit entre les deux États, le président fit appel à la Cour Suprême en vertu de l’article 143 de la Constitution, lui demandant de décider si le Tribunal des eaux était compétent pour prendre une décision intérimaire, et si la loi du Karnataka, promulguée en opposition à cet ordre intérimaire, était valide et applicable. La cour résolut que le Tribunal avait la compétence de prendre une décision intérimaire dans l’attention d’un règlement définitif du conflit, et que la loi du Karnataka, adoptée en opposition à cette décision intérimaire, outrepassait la compétence législative de l’État et était anticonstitutionnelle. (Le conflit entre le Karnataka et Tamil Nadu n’est toujours pas résolu.) Les défis de la mondialisation :

La mondialisation n’est pas un phénomène unique. On emploie le terme pour désigner toute une série de tendances et de forces qui sont en train de changer la face du monde. Ce qu’elle représente, c’est essentiellement l’extension de l’économie de libre marché à l’ensemble de la planète, grâce à l’effondrement de l’Union Soviétique et des régimes communistes de l’Europe de l’Ouest. Mondialisation signifie libre circulation des biens et des services, libre circulation et transfert des capitaux, investissements et implantation d’industries sans égard aux frontières nationales, c’est-à-dire internationalisation de la production, réduction et élimination des tarifs douaniers et autres obstacles au commerce, etc. – les règles du jeu sont établies par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale, l’OCDE et les sommets du G-7. Ce processus est à la fois cause et conséquence de la révolution de l’information, qui, à mon avis, a été l’une des raisons de la désintégration de l’Union Soviétique. Aucun État n’est plus aujourd’hui capable de monopoliser l’information et de s’isoler du reste du monde. La mondialisation affecte aussi l’équilibre des pouvoirs entre les États, notamment dans les régimes fédéraux. Et par ailleurs, ce phénomène semble renforcer le pouvoir de l’exécutif (les gouvernements) aux dépens du législatif, comme semble vouloir le montrer l’expérience de l’Inde, où le gouvernement fédéral signe des ententes internationales les unes après les autres sans consulter le Parlement. Comme le soulignait le Rapport sur le Développement humain de 1999, ces nouvelles orientations s’avèrent néfastes dans la plupart des pays en l’absence d’une forte gouvernance. Elles rendent les riches plus riches et les pauvres plus pauvres, aussi bien d’un État à un autre qu’à l’intérieur des États. De plus, il n’existe aucune espèce de transparence chez les sociétés géantes qui pilotent ces orientations, leur seule allégeance allant à leurs actionnaires. La conséquence, c’est la montée du Marché et l’affaiblissement correspondant de l’État. C’est aussi sans doute l’affaiblissement de la souveraineté nationale. La domination du marché est devenue une réalité, désagréable mais inéluctable. C’est devenu un article de foi dans les pays industrialisés, et le monde en voie de développement n’a pas d’autre choix que d’y croire. Même la Chine communiste a dû s’adapter à cette réalité… que l’on appelle, bien sûr, « économie de marché socialiste ». Dans bien des cas, les États plus petits ou en voie de développement se trouvent dans l’incapacité de gérer leur économie et leur politique monétaire et fiscale. Ce sont des forces économiques hors de leur portée et de leur contrôle qui déterminent les scénarios économiques dans leurs propres pays. Leurs économies sont à la merci des aléas des marchés de l’argent – et les marchés de l’argent sont intrinsèquement instables. Nous avons pu, ces dernières années, observer ce phénomène en Asie du Sud-Est, en Russie et au Brésil. En un mot, les États-nations sont en train de perdre rapidement leur autorité dans des domaines où ils l’avaient toujours exercée, comme la réglementation du commerce extérieur, les télécommunications et les transactions financières. Ils se trouvent dans l’incapacité de réglementer la circulation des biens et des services, des idées et des produits culturels. Il se crée une situation dans laquelle les intérêts des résidents en tant que citoyens sont souvent en contradiction avec leurs intérêts en tant que consommateurs, et ceci amène deux conséquences divergentes : la mondialisation, mais aussi l’association d’identités régionales ou ethniques déterminées à participer aux décisions que ce soit au plan local ou au plan global. C’est ce que la Banque mondiale appelle la « localisation ». La montée et la domination des forces du marché et le déclin correspondant du pouvoir de l’État contribuent aussi à affaiblir l’autorité fédérale, et donnent une liberté d’action beaucoup plus grande aux États ou provinces qui les constituent. Dans certains cas, ces derniers tentent de se faire entendre directement dans les enceintes internationales où sont prises les décisions. Jusque vers 1990, la tendance était au renforcement de l’autorité fédérale aux dépens des États constitutifs. Soit par suite des tensions idéologiques consécutives à la Deuxième Guerre mondiale (guerre froide) et des menaces qu’elles semblaient faire peser, soit du fait des progrès technologiques et scientifiques comme la découverte de l’énergie nucléaire, dans tous les États fédéraux, qu’il s’agisse des États-Unis, du Canada ou de l’Australie, l’autorité fédérale allait grandissante et occupait tous les domaines non encore occupés par les États constitutifs. Avec la désintégration de l’Union Soviétique et la disparition de la perception de menace, avec aussi la révolution de la technologie de l’information, la tendance semble maintenant aller dans la direction contraire. Cette tendance – le pouvoir politique croissant des provinces ou États constitutifs, et l’affirmation de leurs identités régionales est désignée comme un processus de « localisation » dans le Rapport sur le Développement mondial pour 1999-2000 publié le mois dernier par la Banque mondiale. Selon ce rapport, les niveaux d’instruction plus élevés, les innovations techniques favorisant la circulation des idées, et la faillite économique de la plupart des économies dirigées contribuent, avec l’urbanisation, à favoriser la « localisation ». Dans le même temps, dit le rapport, la décentralisation du pouvoir, comme dans le cas d’une fédération, aide à maintenir la stabilité politique face aux pressions décentralisatrices. « Quand un pays se voit profondément divisé, surtout si les divisions sont géographiques ou ethniques, la décentralisation représente un mécanisme institutionnel permettant d’amener les groupes en opposition à participer à un processus formel et réglementé de négociation. » Le rapport attire du reste l’attention sur les dangers de la mondialisation et de la localisation, et souligne la nécessité de concevoir le développement en des termes dépassant les notions simplistes de croissance économique, de façon à saisir une vision plus complète de la vie des gens. Pour prendre l’exemple de mon propre pays, jusqu’à il y a quelques années, l’entrée de capital étranger était étroitement et strictement réglementée et contrôlée par le gouvernement central en vertu d’une foule de lois, dont la loi sur la réglementation des devises étrangères, et les règlements qui la complétaient. Personne n’était autorisé à faire entrer ou sortir un seul dollar sans la permission de la Banque de réserves. Non seulement le Parlement était-il responsable de toute cette législation restrictive, mais même la Banque de réserves de l’Inde tombait sous l’autorité du gouvernement central. Les États n’avaient pas leur mot à dire. Mais avec l’arrivée de la libéralisation et de la mondialisation, qui permettent le libre mouvement des capitaux et des investissements, les États se rendent compte qu’ils constituent des voies plus à même d’attirer ces capitaux et ces investissements que le gouvernement national. Le résultat, c’est que les États explorent maintenant le monde industrialisé, chacun de son côté, à la recherche de prêts et d’investissements. Ils invitent les industriels à implanter chez eux leurs industries, leur promettant toutes sortes de concessions et de privilèges. Rien de tout cela n’exige l’autorisation du gouvernement central. Il est vrai que subsistent encore certaines restrictions sur la sortie de devises étrangères par les citoyens indiens, mais pas sur le capital étranger. Même en ce qui touche l’implantation d’industries, il s’est produit un véritable raz-de-marée. Jadis, l’implantation de toute industrie importante tombait sous le coup de la Loi sur les Industries (Développement et réglementation) de 1951 et une foule d’autres dispositions et règlements, tous de juridiction fédérale. Avec l’arrivée de la politique de mondialisation et de libéralisation, la plupart de ces restrictions ont été levées. En fait, le domaine des « industries » relevait de la liste des États dans la répartition des pouvoirs, mais il était soumis à une condition, à savoir que, si le Parlement déclarait la réglementation d’une industrie par l’Union (le gouvernement central) d’intérêt public, cette industrie tombait sous la juridiction exclusive du gouvernement central. (La règle était la même pour les mines et le développement des minerais.) Mais, comme le gouvernement central a pratiquement abandonné ce champ de juridiction, les États ont récupéré l’autorité qu’ils avaient perdue. Chacun des États a maintenant toute liberté d’inviter, d’autoriser et d’encourager les industries sur son territoire comme il le souhaite. Sur un autre plan, le 73e amendement à la Constitution a créé des unités locales de gouvernement autonome et des entités de ville et de village, leur accordant un statut constitutionnel, et leur conférant une autorité relativement autonome dans divers domaines, dont les activités de développement. Cette évolution a conduit la Banque Mondiale à se demander si l’Inde était une fédération en voie de décentralisation. Même si ce genre de question semble un peu déplacé, il n’en demeure pas moins évident que les États et autres autorités statutaires ou constitutionnelles sont en train d’affirmer leur identité régionale, de même que leur droit de participer à la prise de décisions. C’est de cette manière que la mondialisation entraîne une réduction de l’autorité du gouvernement central, tout en renforçant par la même occasion l’autorité et la liberté d’action des États. En même temps, il me faut parler d’une autre conséquence, mais en sens inverse. En vertu de l’article 253 et des points 13 et 14 de la liste de l’Union, il relève de la juridiction exclusive du gouvernement central de participer aux conférences, associations et organisations internationales, d’appliquer les décisions qui y sont prises, de signer des traités ou des ententes avec des pays étrangers, et de les appliquer. C’est dans l’exercice de ces pouvoirs que le gouvernement de l’Inde a signé diverses ententes telles que TRIPS et GATS, ainsi que des conventions comme CBD sans compter d’innombrables conventions proposées par l’ONU. Le gouvernement a déjà commencé à prendre des mesures pour légiférer dans l’esprit de ces ententes internationales, et ceci affecte sérieusement les pouvoirs des États. Je m’explique. En vertu de la répartition des pouvoirs législatifs dans notre Constitution, « l’agriculture, comprenant l’enseignement et la recherche agricoles », « la préservation, la protection et l’amélioration du cheptel, et la prévention des maladies animales », ainsi que « les pêcheries » relèvent des États, ce qui signifie que seules les législatures d’État sont habilitées à légiférer dans ces domaines. Mais le gouvernement fédéral a déjà adopté la loi des Brevets (Amendement), et il envisage l’adoption d’une loi sur la biodiversité (faisant suite à la Convention sur la Biodiversité de 1982), d’une loi sur la protection des variétés de plantes, et d’autres amendements substantiels à la loi des Brevets conformément à l’entente TRIPS. Alors que le Centre désire des lois uniformes applicables à l’ensemble du pays, les États protestent que le Centre tente d’envahir des domaines exclusivement réservés aux États. Il est fort possible que l’un ou l’autre État ait recours à la procédure pour porter la cause devant la Cour Suprême, comme le lui permet l’article 131. Il semblerait donc que le processus de mondialisation ait deux effets contradictoires sur les fédérations. D’une part, il permet aux provinces ou États constitutifs une liberté d’action de plus en plus grande – c’est le principe de la « localisation » – alors que, d’autre part, il donne au gouvernement fédéral l’occasion d’envahir des domaines exclusivement réservés aux États dans notre système constitutionnel. En ce qui concerne le Conseil interétatique, il semble qu’aucun conseil de ce genre n’ait été créé jusqu’ici, bien que, en 1990, la Cour Suprême ait fortement suggéré au gouvernement d’envisager la faisabilité de créer un tel conseil [Dabur (Inde) contre État de Utar Pradesh]. Il est vrai que chaque année, et plus souvent si nécessaire, a lieu une conférence des premiers ministres sous la présidence du premier ministre fédéral, où l’on aborde et tente de régler les différends entre États. Les effets de la mondialisation sur la fédération/confédération canadienne : Le processus historique qui a donné naissance à la fédération du Canada est bien différent de celui qui a présidé à l’avènement de la fédération indienne. Comme vous le savez, l’Acte de l’Amérique de Nord Britannique, de 1867, réalisait le programme de confédération préparé par les conférences de 1864 et 1867. Par la suite, la Colombie-Britannique, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve, puis, plus tard, le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest devaient se joindre à l’entité conçue par cet Acte. Plusieurs accords internationaux signés par le gouvernement fédéral du Canada, comme l’Accord de Libre Échange de 1988, l’Accord de Libre Échange pour le Nord de l’Amérique (ALENA) de 1994, les ententes conclues lors de la ronde finale de négociations multilatérales du GATT – qui ont conduit à la formation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) – ont eu le même effet que dans la fédération indienne. Selon une étude perceptive réalisée par Keith Banting, la politique de mondialisation a eu pour effet de provoquer un glissement idéologique vers la droite, selon lequel « les grands patrons de l’industrie canadienne voient le gouvernement comme le principal obstacle à la croissance. Comme le grand public, les chefs d’entreprise voyaient jadis le gouvernement comme un partenaire utile dans la construction de l’économie nationale. De nos jours, par contre, le monde canadien des affaires a adopté une vision radicale de libre marché selon laquelle le gouvernement n’est plus la solution, mais bien le problème lui-même. » En fait, il est facile d’imaginer un système mondialisé dans lequel les petites et moyennes entreprises continueraient à subir les contraintes de la réglementation gouvernementale, alors que les sociétés multinationales trouveraient le moyen d’échapper aux restrictions réglementaires et légales des gouvernements nationaux. L’une des grandes victimes de la mondialisation a été le secteur social, c’est-à-dire les dépenses affectées à la santé, à l’éducation et au développement social. L’accès universel aux soins de santé fait l’objet d’un programme important au Canada. Mais le gouvernement fédéral se propose maintenant d’y apporter des changements substantiels que de nombreuses provinces ne semblent pas trouver à leur goût. Certaines provinces se plaignent aussi que le gouvernement fédéral s’engage dans des traités et des accords internationaux sans les avoir dûment consultées. Et puis, il y a la question des Amérindiens, qui affirment leur identité et leurs droits, parfois en traversant les frontières nationales selon certaines affinités de groupe et pour coordonner leurs moyens de pression sur les gouvernements. Dans ce contexte, je ne peux pas éviter de parler de la récente décision de la Cour Suprême du Canada en réponse à la question posée par le Gouverneur Général quant à savoir si le Québec a le droit de se séparer unilatéralement de la fédération canadienne. L’opinion unanime de la Cour Suprême est que, bien que le Québec ait le droit de se séparer, il ne peut le faire unilatéralement, et que, si une majorité claire exprime sa préférence pour la séparation, le Québec devra entreprendre des négociations avec la fédération canadienne et les autres provinces à ce sujet. Les observations suivantes sont à propos : « La démocratie existe dans le contexte plus large des autres valeurs constitutionnelles… Les droits démocratiques (en vertu desquels le Québec se réclame du droit à la sécession) accordés par la Constitution ne peuvent être dissociés des obligations constitutionnelles… Les autres provinces et le gouvernement fédéral n’auraient aucune justification de refuser au gouvernement du Québec le droit de rechercher la séparation si une majorité claire du peuple du Québec devait choisir cet objectif, en autant qu’en le faisant, le Québec respecte les droits des autres. Les négociations qui suivraient un tel vote porteraient sur l’acte potentiel de séparation ainsi que sur les conditions possibles advenant le cas où la séparation aurait lieu…Le processus de négociation exigerait la réconciliation des divers droits et obligations par négociation entre deux majorités légitimes, à savoir la majorité de la population du Québec et celle du Canada dans son ensemble. Une majorité politique à l’un ou l’autre palier qui n’agit pas dans le respect des principes constitutionnels sous-jacents met en danger la légitimité de l’exercice de ses droits et, finalement, l’acceptation du résultat par la communauté internationale… Bien qu’une grande partie de la population du Québec partage indubitablement bon nombre des caractéristiques d’un « peuple »… le Québec ne peut être qualifié de peuple colonial ou de peuple opprimé, et l’on ne peut non plus suggérer que les Québécois aient été privés d’un accès raisonnable au gouvernement pour poursuivre leur développement politique, économique, culturel et social. Dans ces circonstances, ni l’Assemblée nationale, ni la législature ni le gouvernement du Québec n’a l’autorité en droit international de réaliser unilatéralement la séparation du Québec du Canada. » [traduction libre] C’est en ces termes qu’ont été clairement délimités les paramètres des droits des Québécois à la séparation à la lumière du droit international. On peut maintenant se poser la question de savoir si le système fédéral répond de façon satisfaisante aux défis contemporains de la diversité sociale. Et une seule réponse s’impose : seule, une fédération est en mesure de gérer convenablement, d’accommoder et de satisfaire la multiplicité des caractéristiques diverses – régionales, linguistiques, religieuses, ethniques et économiques. L’État unitaire est le modèle le plus mal adapté à des sociétés pluralistes comme celles de l’Inde, du Canada, des États-Unis ou de l’Australie. Dans ces quatre pays, le judiciaire est heureusement apparu comme l’arbitre de dernier ressort dans les divers conflits qui ne peuvent manquer de se produire dans un État fédéral. Très souvent, les questions sociales et politiques qui touchent l’ensemble de la nation et que les politiciens préfèrent ne pas régler eux-mêmes (pour éviter de déplaire à un groupe ou à un autre) ou qu’ils sont incapables de régler sont envoyées aux tribunaux sous le couvert de problèmes légaux ou constitutionnels. Les tribunaux ne se sont pourtant pas soustrait à la tâche d’étudier ces questions et d’y apporter réponse, surtout ces dernières décennies. Les décisions de la Cour Suprême indienne dans les causes Keshavananda Bharati (1973) et Indra Sawhney (1992), celles de la Cour Suprême des États-Unis dans les causes Brown (1954) et Roe contre Wade (1973), et celle de la Cour Suprême du Canada sur la question de la séparation du Québec (1998) sont des exemples dans lesquels le judiciaire a pris des décisions de la plus grande importance pour le pays dans son ensemble. Il faut également reconnaître que la décentralisation du pouvoir de gouverner, combinée à un gouvernement fédéral fort – et bon, bien sûr – est une nécessité si l’on veut relever les défis d’une diversité grandissante et de la mondialisation. Sans une forte gouvernance et une réglementation efficace conçue pour promouvoir les intérêts communs, la mondialisation risque de conduire l’humanité à la misère et d’alimenter les conflits à l’intérieur même des États-nations. Un gouvernement central fort n’est pas et ne doit pas être synonyme d’États faibles. Là où la constitution est suprême, comme c’est le cas dans une fédération, il faut un Centre fort et des États également forts, chacun exerçant ses responsabilités dans son domaine propre : c’est non seulement possible, c’est essentiel. Il n’y a pas d’autre solution.

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