Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 2B) Plénière thématique sur le FÉF : Le nouveau fédéralisme économique et fiscal L’honorable Paul Martin Ministre fédéral des Finances, Canada

Il y a une réalité incontournable dans les défis que soulève la mondialisation pour nos économies nationales. En effet, qu’ils soient riches ou pauvres, petits ou grands, tous les pays du monde font face au même défi : comment gérer l’interdépendance croissante des pays à l’échelle planétaire, tout en conservant les moyens de répondre à l’échelle nationale, provinciale ou locale aux besoins très particuliers de leurs populations. Le génie du fédéralisme est qu’il offre le meilleur des deux mondes. Pourquoi? Parce qu’il offre aux États fédérés la liberté d’élaborer les politiques et services spécifiques qui sont requis dans les régions elles-mêmes. Mais en même temps, il permet aussi à ces mêmes États de profiter des avantages découlant d’une plus grande taille, c'est-à-dire des économies d’échelle et une plus grande influence dans le monde. Au fond, le fédéralisme permet de concilier deux tendances inévitables de la mondialisation, soit une interdépendance de plus en plus profonde des économies nationales et la capacité de combler le besoin de diversité politique, sociale et culturelle qui existe au sein d'un pays. Pendant le peu de temps que j'ai à ma disposition, j'aimerais illustrer cet aspect au moyen de quelques exemples canadiens. Dans le système fédéral canadien, les provinces agissent dans divers domaines de nature sociale, économique et culturelle. Elles adaptent les politiques et les programmes relevant de leur compétence en fonction des besoins et des exigences particulières de leur population. En même temps, cependant, tout en permettant au pays tout entier de mettre en commun ses ressources, le fédéralisme offre aux Canadiens et aux Canadiennes une formule équilibrée de partage des bienfaits de la croissance économique. Par conséquent, où qu'ils habitent, les Canadiens jouissent de normes raisonnablement comparables en matière d'éducation, de soins de santé et d'aide sociale. Nous sommes parvenus à ce résultat en nous dotant d'un réseau national de régimes d'assurance sociale et en assujettissant des transferts aux provinces moins bien nanties à la péréquation. De plus, et ceci est un point crucial, le fait d'unir leurs forces dans un système fédéral donne aux Canadiens la masse critique de ressources, de main-d'œuvre et d'idées dont ils ont besoin pour affronter la concurrence internationale. Ceci se manifeste dans l'aide gouvernementale à la recherche et au développement, par exemple, où les économies d'échelle ont fait que le gouvernement fédéral est, de loin, le catalyseur clé au pays. Ceci se manifeste aussi dans le fait que le Canada est un acteur principal sur la scène internationale, où les gouvernements nationaux doivent affronter les défis que représente une régie mondiale. En effet, siéger aux plus grandes tribunes de ce monde est une chose, mais faire valoir efficacement sa voix en est une autre. En fait, la mondialisation transforme la nature même de l'économie mondiale. Dans cette évolution, ou bien vous avez les ressources nécessaires pour que vos intérêts et vos opinions soient pris en compte, ou bien vous constatez souvent que vous devez accepter les conséquences des décisions d'autrui. Prenons l'exemple des discussions du Groupe des sept (G-7), du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Ou prenons le Groupe des vingt (G-20), un important nouveau groupe qui a été mis sur pied il y a moins de deux semaines. Il regroupe les pays du G-7 et plusieurs économies émergentes névralgiques du globe afin d'aborder les grands enjeux de l'économie mondiale. On peut se demander si chacun des trois pays représentés ici, à ce panel, aurait été invité à faire partie du G-20 n'eussent été leur importance et leur influence du fait que leurs États membres en font des fédérations dynamiques et non des acteurs isolés. Il va sans dire que, sans la taille et le poids que les Canadiens possèdent en faisant partie d’un système fédéral, non seulement nous n’aurions pas été élus à la présidence du G-20, mais il n’est même pas clair que nous aurions été admis à ses délibérations. Le fait est que c'est grâce au fédéralisme que la diversité canadienne peut s'exprimer et se faire entendre de façon crédible sur la scène internationale. Un troisième grand défi de la mondialisation est celui de la souplesse. La mondialisation impose une prime à l'innovation et à la capacité de s'adapter à des changements rapides. Ici encore, le fédéralisme offre aux Canadiens un avantage comparatif grâce à l'équilibre qu'il crée entre la concurrence et la coopération entre gouvernements. De par sa nature même, notre système fédéral est ouvert à différentes approches provinciales dans la conception et l'élaboration des politiques, des programmes et des services destinés aux Canadiens. Ce fédéralisme concurrentiel se prête bien à des expériences, à l'innovation et aux nouvelles idées. Il permet également aux divers gouvernements d'échanger des pratiques exemplaires et de tirer des leçons des expériences de chacun. Entre bonnes mains, il favorise la compétition et la recherche de l'excellence dans la satisfaction des besoins de notre population. Et lorsque les gouvernements collaborent pour échanger et adopter des idées novatrices à l'échelle du pays, cela se traduit, en bout de ligne, par un choix plus vaste et par de meilleurs programmes et services pour tous les Canadiens. Par exemple, la Saskatchewan a été le berceau de l'assurance-santé, un programme que le gouvernement fédéral a ensuite contribué à étendre à l'ensemble du pays. D'autres provinces ont créé des façons efficaces de venir en aide aux enfants pauvres et à leurs familles, programmes qui ont été élargis à tout le pays. La Caisse de dépôt et placement du Québec, qui gère des investissements dans les marchés financiers pour faire fructifier les fonds de pension des Québécois et des Québécoises, nous offre un autre exemple d’innovation provinciale adoptée à l’échelle nationale. Ainsi, l’an dernier, le gouvernement fédéral et les autres provinces se sont inspirés de cette initiative et ont créé un fonds semblable lors de la réforme du Régime des pensions du Canada. En somme, tous ces exemples illustrent la nature souple et novatrice du fédéralisme. Et, à la veille du XXIe siècle, ces qualités sont plus pertinentes que jamais. Bref, lorsqu'on demande aux ministres des Finances ce qui doit être fait, la réponse est normalement assez prévisible : maintenir une faible inflation, continuer d'équilibrer les budgets, réduire la dette et abaisser les impôts. Tout cela est vrai et nécessaire. Mais également, comme le village planétaire devient réalité, les gouvernements doivent sûrement faire beaucoup plus. En fait, la mondialisation privilégie foncièrement l'inégalité. Nous sommes peut-être en train de créer un monde dans lequel les plus performants s'en tireront extraordinairement bien alors que d'autres souffriront d'un retard énorme. Le défi pour le gouvernement consiste à aller au-delà des indicateurs économiques et des bilans. Bref, il s'agit de favoriser l'égalité des chances afin de réduire l'écart entre riches et pauvres, et de contribuer au développement d'une classe moyenne dynamique et en expansion. Les États unitaires peuvent certainement relever ce défi. Mais selon moi, l'avantage offert par le fédéralisme est que tout en maintenant la force d'une action concertée, il possède également la souplesse nécessaire, en ces temps de transition et de grande incertitude, pour que les gouvernements puissent expérimenter, innover et s'adapter de telle façon que la croissance accélérée de nos économies s'accompagnera d'une meilleure qualité de vie dans nos sociétés.

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