Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 2A) Plénière thématique sur la CDS : La diversité sociale et le fédéralisme LES CONSTITUTIONS FÉDÉRALES DU NIGÉRIA ET LA RECHERCHE DE L’ « UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ » Alex I. Ekwueme Ancien vice-président de la République fédérale du Nigéria (1979-1983)

INTRODUCTION Bien que certaines régions du Nigéria actuel aient eu des contacts avec l’Europe dès le XVe siècle et entretenu des relations bilatérales au point d’échanger des représentants, et bien que Lagos, l’ancienne capitale du Nigéria, ait été cédée à la Couronne britannique par un traité de 1861, c’est seulement en 1914 que la colonie moderne du Nigéria a pris naissance en amalgamant la colonie de Lagos et le protectorat du Sud-Nigéria au protectorat du Nord-Nigéria. L’auteur de cette fusion était Lord Lugard, qui devait devenir le premier gouverneur général du Nigéria. Dès le départ donc, le Nigéria était un pays d’une diversité marquée : le nord était essentiellement Musulman avec un système social de type féodal; dans l’ouest, les institutions traditionnelles en place dominaient une population assez instable, et l’est était républicain et ultra-démocratique. Je simplifie bien sûr à l’extrême la situation d’un pays très complexe et diversifié composé d’environ 400 groupes ethniques différents. Après 1914, le Nigéria a connu les changements constitutionnels de 1922 qui créaient pour la première fois un Conseil législatif nigérian constitué en majorité de fonctionnaires et de membres nommés, mais qui, pour la première fois, donnait à quelques membres nigérians nommés et élus la possibilité de participer au processus législatif, même si c’était à titre consultatif. En dépit de la diversité du pays, le gouvernement colonial prenait une forme unitaire si l’on fait abstraction d’un régime de gouvernement indirect dans le Nord-Nigéria. Dans certaines régions du Nord, qui n’avaient pas connu les « émirats » et autres formes de gouvernement absolu, ceux-ci furent créés par décret, comme en témoignent, par exemple, l’institution du TOR-TIV sur la division TIV NA et du OCH'IDOMA sur la division IDOMA NA. Avec la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les changements constitutionnels se sont plutôt accélérés de 1946 à 1951, un régime quasi-fédéral étant mis en place avec, pour la première fois, un gouvernement ministériel limité. Ce système ne connut pas le succès escompté, et les chefs politiques du Nigéria, après une série de conférences avec les autorités coloniales britanniques, décidèrent d’adopter le fédéralisme comme la forme de gouvernement la plus appropriée au Nigéria. Le slogan populaire au Nigéria lors de ces années de formation était « l’unité dans la diversité ». CONSTITUTION FÉDÉRALE DE 1954 Le Nigéria devint un pays véritablement fédéral avec l’entrée en vigueur, le 1er octobre 1954, de la loi « The Nigeria (Constitution) Order in Council 1954 » votée le 30 août 1954 et présentée au Parlement britannique le 3 septembre de la même année. La Constitution prévoyait que « la région Nord du Nigéria, la région Ouest du Nigéria, la région Est du Nigéria, le Sud-Cameroun et le territoire fédéral de Lagos [formeraient] une fédération nommée la fédération du Nigéria ». Elle créait pour la fédération une Assemblée législative, appelée Chambre des représentants, qui régissait aussi le territoire fédéral de Lagos. Les législatures des régions Nord et Ouest étaient chacune composées de deux Chambres, une Chambre de l’assemblée et une Chambre des « chefs » pour reconnaître formellement l’influence de la monarchie et des institutions traditionnelles dans ces deux régions. Par contre, la législature de la région Est et du Sud-Cameroun, où les institutions monarchiques étaient loin d’avoir le même statut, ne comportait qu’une Chambre de l’assemblée (bien que trois ans plus, la région Est se soit aussi dotée d’une Chambre des chefs). Il est intéressant de noter que le Sud-Cameroun, qui avait d’abord fait partie de la région Est, devint par la suite une unité distincte de la fédération. D’un autre côté, le Nord-Cameroun, qui avait des affinités religieuses, culturelles et linguistiques plus fortes avec d’autres parties du Nord-Nigéria, est demeuré partie intégrante de cette région. Il existait également une certaine diversité dans la façon dont étaient choisis les membres des différentes Chambres législatives. Alors que la Chambre de l’assemblée du Nord, la Chambre de l’assemblée de l’Ouest, et la Chambre de l’assemblée du Sud-Cameroun prévoyaient respectivement jusqu’à cinq, quatre et trois « membres spéciaux » pour « représenter des intérêts ou des communautés mal représentées à la Chambre » en plus des membres élus, il n’existait aucune disposition semblable pour la Chambre de l’assemblée de l’Est. De toutes les Chambres législatives, seule la Chambre de l’assemblée du Sud-Cameroun faisait place à six « membres de l’autorité indigène » pour représenter les intérêts particuliers des autorités locales. La Chambre des chefs du Nord avait un membre « conseiller en loi musulmane », la région étant essentiellement musulmane. Ce genre de représentation des intérêts religieux n’existait pas ailleurs. La Constitution affirmait aussi que : La langue officielle de la Chambre des représentants et des Chambres législatives de la région Ouest, de la région Est, et du Sud-Cameroun [serait] la langue anglaise. Les langues officielles des Chambres législatives de la région Nord [seraient] la langue anglaise et la langue hausa. Ces dispositions reflétaient la différence du niveau d’éducation occidentale qui existait entre la région Nord et le reste du pays. Au plan exécutif, la Constitution prévoyait la nomination d’un premier ministre choisi parmi les membres des Chambres législatives des régions Nord, Ouest, et Est, mais non du Sud-Cameroun. À l’époque, il n’était pas question de nommer un premier ministre pour la fédération. Par contre, il y avait un gouverneur général pour la fédération, qui pouvait nommer un gouverneur général adjoint; les régions Ouest et Est avaient un gouverneur et un gouverneur adjoint; le Sud-Cameroun, un commissaire et un commissaire adjoint, et la région Nord, un gouverneur, mais pas de gouverneur adjoint. Aux termes de la Constitution, les services publics et les hautes cours étaient également régionalisées. On notera que, exceptions faites de l’extraction du Sud-Cameroun de la région Est, et l’extraction du territoire fédéral de Lagos (c’est-à-dire la municipalité de Lagos) de la région Ouest, les limites des régions étaient essentiellement les mêmes que celles prescrites par le « The Nigeria (Constitution) Order in Council, 1951 ». Étant donné la présence de nombreuses nationalités ethniques au Nigéria, chacune des trois régions avait sur son territoire un groupe ethnique majoritaire et plusieurs ethnies minoritaires. Dans la région Nord, la majorité était constituée de Hausa et de Fulani, communément appelés Hausa-Fulani parce que très difficiles à distinguer les uns des autres. Dans la région Ouest, les Yoruba formaient le groupe ethnique majoritaire, et dans la région Est, c’étaient les Igbo. Par ailleurs, les démarcations géographiques étaient essentiellement arbitraires sauf entre l’Est et l’Ouest, séparés par le fleuve Niger, et dans la plupart des cas, elles ne tenaient guère compte des limites entre groupes ethniques. Dans chacune des trois régions, l’autorité, telle que représentée par le premier ministre, provenait du groupe ethnique majoritaire. COMMISSION DES MINORITÉS « WILLINK » Dans la période précédant l’indépendance, les minorités des différentes régions commencèrent à s’agiter et à se poser des questions sur leur avenir dans un Nigéria gouverné totalement par des Nigérians sans contrôle ou protection britannique. Ces minorités réclamaient la création d’une région moyenne dans le Nord, d’une région moyenne dans l’Ouest, et d’une région des fleuves Calabar et Ogoja dans l’Est. Ces régions devaient rassembler certaines « minorités » provenant des régions existantes, et l’on espérait que la création de ces nouvelles régions contribuerait largement à rassurer les minorités. En conséquence, l’Office colonial nommait, en 1957, une Commission connue sous le nom de Commission Willink d’après Henry Willink, son président... pour étudier les craintes des minorités dans toutes les régions du Nigéria et pour proposer les moyens d’apaiser ces craintes, qu’elles soient ou non fondées, pour recommander des mesures de protection qui pourraient être incorporées à cette fin dans la Constitution du Nigéria, pour préparer des recommandations détaillées sur la création d’un ou de plusieurs États si, et seulement si, la Commission n’entrevoit absolument aucun autre moyen de répondre aux besoins. À part les demandes de création de nouveaux États, des voix se firent à nouveau entendre pour demander que les peuples de langue yoruba d’Ilorin et de Kabba soient annexés à la région Ouest. De fait, dès 1949, la Conférence régionale de l’Ouest, réunie à Ibadan, exigeait que les Yoruba d’Ilorin et de Kabba soient unis à leurs semblables de la région Ouest, et que les Igbo d’Asaba et d’Aboh soient de leur côté amalgamés à leurs semblables de la région Est. La Commission devait conclure que, en toute logique, un État séparé n’apaiserait pas les craintes exprimées, qu’il était rarement possible de tracer dans chacune des régions une frontière définie sans créer une nouvelle minorité, et que la création de nouvelles régions dotées des mêmes pouvoirs que les régions existantes entraînerait un fardeau très lourd, non seulement au plan financier, mais en matière de ressources et, notamment, de personnel qualifié. La Commission était d’avis que les « différences tribales », qui s’étaient estompées avec le temps, avaient été exacerbées, à l’approche de l’indépendance, par une « vive recrudescence du sentiment tribal »; elle espérait qu’avec la réalité de l’indépendance et les vastes responsabilités attenantes, ce sentiment tribal perdrait de sa vigueur dans les années à venir. Dans ces conditions, la Commission ne voyait pas la nécessité de créer de nouveaux États qui donneraient aux divisions tribales une forme politique, les rendant ainsi permanentes. Selon les recommandations de la Commission, les craintes des minorités seraient dans une grande mesure apaisées par la reconnaissance du « pays Ijaw », une zone spéciale administrée par un Conseil conjoint des régions Est et Ouest et du gouvernement fédéral, et responsable de son développement. La Commission recommandait également la création d’un Conseil Edo dans la région Ouest et d’un Conseil Calabar dans la région Est, la réorganisation de la police nigériane, ainsi que la reconnaissance par la Constitution des droits fondamentaux, y compris le droit à la vie, la protection contre les traitements inhumains, la protection contre l’esclavage et le travail forcé, le droit à la liberté, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à une audience publique et à une procédure équitable en cas de poursuite criminelle, la protection contre les lois rétroactives, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique, la liberté de mouvement, le droit de se marier, la liberté de religion, la liberté de l’enseignement religieux, la jouissance de droits fondamentaux sans discrimination, et le respect des droits fondamentaux en général. CONSTITUTION DE L’INDÉPENDANCE (1960) La Constitution de la fédération du Nigéria de 1960 (la Constitution de l’indépendance), deuxième annexe de l’Acte d’indépendance du Nigéria 1960 approuvé par le Parlement britannique, n’était pas foncièrement différente de son précurseur, la Constitution de 1954, à ceci près qu’elle transférait les pouvoirs d’un gouverneur général de la fédération et des gouverneurs de région, tous nommés, à un premier ministre fédéral (et à son Cabinet), et à des premiers ministres régionaux (et à leur Cabinet). Aux termes de la Constitution, la Reine d’Angleterre demeurait chef de l’État du Nigéria, représentée au Nigéria par le gouverneur général, qu’il fût britannique ou nigérian. La Cour d’appel ultime pour le Nigéria continuait d’être le Comité judiciaire du Conseil privé. Pour la première fois, la Cour suprême du Nigéria était habilitée à entendre les appels de la Cour d’appel Sharia de la région Nord, une innovation conçue pour répondre aux préférences religieuses d’une majorité de Nigérians du Nord. La protection des droits fondamentaux, telle que recommandée par la Commission des minorités, devait être couverte par le chapitre III de la nouvelle Constitution. Un conseil, le Niger Delta Development Board, fut créé par la proclamation du 26 août 1959, là aussi sur recommandation de la Commission des minorités, pour assurer le développement de la région du delta du Niger, précédemment identifiée par la Commission sous le nom de « pays Ijaw ». Le siège social du conseil était à Port-Harcourt, dans la région Est. Chacune des trois régions avait sa propre Constitution adaptée aux besoins particuliers de la région. Par exemple, la section S.73 de la Constitution de la région Est accordait au gouverneur le pouvoir de créer dans la région des Zones de minorité sous l’autorité d’un Conseil de minorité. La section S.74 donnait aussi au gouverneur le pouvoir d’instituer dans toute province de la région une administration provinciale. C’est ainsi que la région Est se trouva divisée en 12 provinces dont quelques-unes représentaient des nationalités ethniques particulières. À titre d’exemples, la province de Calabar était destinée aux Efik, aux Qua, aux Efut et à leurs voisins; la province de Uyo, aux Ibibio et aux Oron; la province de Annang, aux Annang; les provinces de Degema et de Yenagoa aux Ijaw; la province de Port-Harcourt aux Ogoni ainsi qu’aux Ikwere/Etche/Ogba-Igbo etc. Ces dispositions régionales avaient pour but de répondre, mais de façon limitée, aux problèmes de diversité dans ces régions; en effet, l’autorité exercée par l’administration provinciale, son commissionnaire provincial, son secrétaire provincial, et même son assemblée provinciale élue était effectivement limitée. CONSTITUTION RÉPUBLICAINE (1963) La Constitution de la fédération du Nigéria qui entra en vigueur le 1er octobre 1963 (trois ans après l’indépendance) est souvent désignée sous le nom de « Constitution républicaine » parce que, en vertu de la section 2 de cette même Constitution, « le Nigéria [serait] constitué en une fédération comprenant des régions et un territoire fédéral et [serait] une république sous le nom de République fédérale du Nigéria ». Elle créait le poste (honorifique) de président de la République, jouant le rôle de chef de l’État du Nigéria et de commandant en chef des forces armées de la fédération en remplacement du gouverneur général qui représentait la reine. En vertu de la section S.4(3) de la Constitution de 1960, une nouvelle région avait été créée quelque temps auparavant sous le nom de région du Centre-Ouest à partir de la région Ouest, essentiellement pour regrouper les minorités (non-Yoruba) de la région. Il est intéressant, et curieux, de constater qu’on ne créa aucune région nouvelle dans les régions Nord et Est pour répondre aux aspirations des minorités de ces deux régions. La Constitution républicaine éliminait la possibilité de faire appel auprès du Comité juridique du Conseil privé des décisions de la Cour suprême. Elle autorisait par contre les régions qui le désiraient à se doter de cours d’appel intermédiaires entre les hautes cours d’État et la Cour suprême du Nigéria. La Cour suprême continuait à recevoir les appels de la cour d’appel Sharia du Nord-Nigéria. Les appellations région Est, région Nord, région Ouest et région Centre-Ouest firent place aux appellations Est-Nigéria, Nord-Nigéria, Ouest-Nigéria et Centre-Ouest-Nigéria. Comme par le passé, chaque région était dotée de sa propre Constitution régionale, qui lui permettait de tenir compte de la diversité sur son territoire. Quant au conseil Niger Delta Development Board, la Constitution prévoyait qu’il cesserait d’exister le 1er juillet 1969 ou à une date ultérieure déterminée par le Parlement; en conséquence de ces dispositions constitutionnelles, le statut du conseil ne pouvait être modifié que par la procédure, plutôt laborieuse, prévue pour l’amendement de la Constitution. PREMIÈRE PÉRIODE MILITAIRE La Constitution républicaine de 1963 était en vigueur depuis un peu plus de deux ans quand le gouvernement civil se trouva renversé par l’armée le 15 janvier 1966. La période militaire qui suivit, et qui devait au départ être de courte durée, dura en fait près de 14 ans. Le principal attentat à la Constitution républicaine eut lieu la veille d’une tentative de sécession de l’Est-Nigéria qui s’érigeait en République du Biafra. On transforma rapidement les quatre régions du Nigéria en douze États, le Centre-Ouest-Nigéria devint l’État Centre-Ouest, l’Ouest-Nigéria fut partagé entre l’État de Lagos (correspondant à l’ancienne province de la colonie de Lagos) et l’État de l’Ouest, comprenant le reste de l’Ouest-Nigéria. L’Est-Nigéria fut partagé entre l’État du Sud-Est constitué des provinces essentiellement minoritaires de Calabar, Ogoja, Uyo et Annang, de l’État Rivers constitué essentiellement des provinces minoritaires de Degema, Yenagoa et Port-Harcourt, et l’État Centre-Est constitué des provinces Igbo de Onitsha, Enugu, Abakaliki, Umuahia et Owerri. Le Nord-Nigéria était divisé en six États : l’État Kwara, constitué des provinces Ilorin et Kabba, l’État Benue-Plateau, constitué des provinces Benue et Plateau, l’État Kano, constitué de la province Kano, l’État Nord-Est, constitué des provinces Bauchi, Borno, Adamawa et Saradauna, l’État Nord-Centre, constitué des provinces Zaria et Katsina, et l’État Nord-Ouest, constitué des provinces Sokoto et Niger. Ces États furent créés extra constitutionnellement par décret, et leur création avait, entre autres, pour but de libérer les minorités de l’Est de ce qu’elles percevaient comme la domination Igbo (comme les minorités de l’Ouest avaient été libérées de ce qu’elles percevaient comme une domination Yoruba par la création de la région du Centre-Ouest quatre ans plus tôt) et de les amener ainsi à soutenir la cause fédérale et l’effort de guerre anti-sécessionniste en s’attaquant à la solidarité des peuples du Biafra. La prolifération des États, la poursuite de la guerre civile, et l’approche strictement hiérarchique des militaires à la gouvernance eurent pour effet d’entraîner une centralisation et une standardisation considérables. Les États étaient par exemple gouvernés par des administrateurs militaires placés sous l’autorité non pas du peuple de leur État mais du gouvernement militaire fédéral central. Le point culminant de ce processus de standardisation fut la réforme de l’administration locale de 1976 par laquelle le régime adoptait une forme unique d’administration locale pour l’ensemble du pays alors que, selon notre système démocratique, la forme et la structure de l’administration locale avaient été laissées à la discrétion des gouvernements de région ou d’État, mieux placés pour tenir compte dans leur forme d’administration de la diversité existante dans leur région ou État. Par ailleurs, sept nouveaux États furent créés en 1976, ce qui portait le total à 19. CONSTITUTION PRÉSIDENTIELLE DE 1979 Il n’est guère surprenant que la Constitution de 1979, préparée par une assemblée constituante et modifiée par l’armée après presque 14 ans de dictature militaire, ait abandonné le régime parlementaire vers lequel le Nigéria colonial avait été fortement guidé, pour lui préférer un régime d’exécutif présidentiel rappelant assez celui des États-Unis d’Amérique. Peut-être par réaction à la tentative de sécession du Biafra, la Constitution, pour la première fois dans l’histoire constitutionnelle du Nigéria, prévoyait dans son préambule et à la section S.2 que le Nigéria serait « une nation souveraine indivisible et indissoluble devant Dieu ». L’Assemblée constituante confirmait formellement les tendances centralisatrices et standardisatrices de l’armée. Pour la première fois aussi dans l’histoire constitutionnelle du Nigéria fédéral, les constitutions des États étaient abolies et il n’existait plus maintenant qu’une seule Constitution pour le Nigéria et ses États constituants. Nous avons vu, par exemple, comment la Constitution de l’Est-Nigéria avait permis à la région de créer un système d’administration provinciale qui répondait, ne serait-ce que superficiellement, à la diversité des peuples de la région. En vertu des nouvelles dispositions, la structure de la législature de chaque État, celle de l’exécutif de l’État et celle du pouvoir judiciaire de l’État étaient toutes déterminées uniformément par la seule Constitution de la République fédérale du Nigéria. Même le nombre et les noms des administrations locales existant au Nigéria étaient énumérés dans la Constitution en dépit de la section 7 qui affirmait que... Le régime d’administration locale par des conseils d’administration locale démocratiquement élus est garanti par la présente Constitution et, conséquemment, le gouvernement de chaque État doit assurer leur existence par une loi prévoyant la création, la structure, la composition, le financement et les fonctions de tels conseils. La Constitution de 1979 se distinguait par une volonté de donner à chaque Nigérian un sentiment d’appartenance, comme en témoigne la composition des trois paliers de gouvernement, fédéral, régional (État) et local : La composition du gouvernement de la fédération et de chacun de ses organismes, et la conduite de leurs affaires seront telles qu’elles reflètent le caractère fédéral du Nigéria et la nécessité de promouvoir l’unité nationale, et telles qu’elles inspirent la loyauté nationale, ce qui aura pour effet d’éviter toute prédominance de personnes provenant de quelques États ou de certains groupes ethniques ou autres dans ledit gouvernement et dans tous ses organismes. La composition du gouvernement d’un État, d’un conseil d’administration local ou de tout organisme dépendant d’un tel gouvernement ou conseil, et la conduite des affaires du gouvernement ou conseil ou organisme seront telles qu’elles reconnaissent la diversité de la population dans le territoire placé sous leur autorité, ainsi que la nécessité d’encourager un sentiment d’appartenance et de loyauté chez les peuples de la fédération. Malheureusement, ces dispositions se trouvaient dans le chapitre de la Constitution traitant des objectifs fondamentaux et des principes directeurs de la politique de l’État qui, en vertu de la section S.6(6)(c), ne relèvent pas du domaine juridique. Cependant, on adopta une formule d’allocation des places dans les institutions d’enseignement secondaire et tertiaire de juridiction fédérale pour améliorer les chances des enfants provenant d’États reconnus comme désavantagés au plan de l’éducation. Il s’agissait d’une mesure de redressement. Le même principe s’appliquait à l’entrée aux institutions militaires. En ce qui concerne la composition de l’exécutif fédéral, la Constitution prévoyait que « le président [nommerait] au moins un ministre de chaque État, qui [serait] un indigène de cet État ». Mais la Constitution ne définissait nulle part le terme « indigène ». Il n’existait non plus dans la Constitution aucune disposition quant aux conditions que devrait remplir un « non-indigène », quelle qu’en fût la définition, pour acquérir le statut de résident de l’État de son domicile. L’effet de cette disposition était que, nonobstant la protection accordée par la Constitution au droit d’une personne de ne pas souffrir de discrimination, tel que précisé dans les termes suivants : Nul citoyen du Nigéria identifié à une communauté, un groupe ethnique, un lieu d’origine, un sexe, une religion ou une opinion politique ne sera soumis, pour la seule raison de cette identification, ni formellement par, ni dans l’application pratique d’aucune loi en vigueur au Nigéria ou d’aucune action exécutive ou administrative du gouvernement, à des incapacités ou à des restrictions auxquelles ne sont pas soumis les citoyens du Nigéria d’autres communautés, groupes ethniques, lieux d’origine, sexe, religions ou opinions politiques; ni ne bénéficiera soit formellement par, soit dans l’application pratique d’aucune loi en vigueur au Nigéria ou d’aucune action exécutive ou administrative du gouvernement, d’aucun privilège ou avantage qui ne soit accordé aux citoyens du Nigéria des autres communautés, groupes ethniques, lieux d’origine, sexe, religions ou opinions politiques; l’effet, donc, de l’introduction du concept d’« indigène » dans la gouvernance a créé ses propres problèmes. Étant donné la nature nomade et migratoire de certains groupes ethniques du Nigéria, de quelle durée de résidence minimale faut-il se prévaloir pour être reconnu comme indigène : 10 ans, 20 ans, 50 ans, un siècle, deux siècles? Où trace-t-on la ligne de démarcation pour protéger les gens contre la discrimination en imposant, par exemple, des frais de scolarité différentiels aux enfants des « non-indigènes »? Ou la protection contre le refus d’emploi et autres avantages aux non-indigènes? Les conflits ethniques qui ont eu lieu dans les régions de Zangon Kataf et Kafanchan de l’État de Kaduna et dans la région de Ikale-Ilaje de l’État de Ondo, par exemple, montrent bien que la notion d’indigène mériterait d’être approfondie. La Constitution de 1979 était en vigueur depuis à peine plus de quatre ans quand l’administration civile élue fut encore une fois évincée par un coup d’état militaire. Cette période de quatre ans fut bien insuffisante pour éprouver sérieusement la Constitution et évaluer ses forces et ses faiblesses en rapport avec la promotion de « l’unité dans la diversité ». DEUXIÈME PÉRIODE MILITAIRE La deuxième période militaire devait durer 15_ ans, du 31 décembre 1983 au 29 mai 1999. Comme d’habitude, la présence de l’armée au pouvoir favorisa la standardisation et la centralisation. Deux nouvelles tentatives constitutionnelles eurent lieu, en 1989 et 1995. La Constitution de 1989, qui ne fut jamais totalement appliquée, faisait de l’administration locale un troisième palier de gouvernement (le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’État étant respectivement le premier et le second palier) placé sous l’autorité directe du fédéral et recevant directement de lui ses revenus. En 1989, le nombre d’États passa de 19 à 21, puis, en 1991, de 21 à 30, et finalement, en 1997, de 30 à 36. À mesure que l’on créait de nouveaux États, on créait dans chacun de ces États de nouvelles minorités qu’on ne savait rassurer qu’en ne créant de nouveaux États. Même si cette prolifération des États rapprochait le gouvernement du peuple, les investissements en personnel et autres dépenses reliées aux services de ces nombreux États eurent pour conséquence de limiter considérablement les ressources nécessaires au développement. Avec un total de 36 États, il était devenu évident que ceux-ci ne pouvaient exercer les mêmes responsabilités que celles qui avaient été allouées aux trois régions du Nigéria à l’indépendance. En conséquence, le gouvernement fédéral s’est systématiquement renforcé au cours de la dictature militaire, alors que les gouvernements d’État s’affaiblissaient. Étant donné la longue période au cours de laquelle le pouvoir a été monopolisé par l’armée (plus de 29 ans, à ce jour, sur les 39 ans d’existence du Nigéria en tant que nation indépendante), armée dont les dirigeants venaient principalement de l’ancienne région Nord, et étant donné l’annulation des élections présidentielles de 1993 qui avaient été gagnées par un sudiste de l’ancienne région Ouest, la Conférence constitutionnelle nationale qui a tenu audience pendant un an, de juin 1994 à juin 1995, proposait des recommandations destinées à apaiser les craintes de certains Nigérians qui se considéraient continuellement soumis à une domination inacceptable. La section S.229 du projet de constitution de 1995, que certains considèrent plutôt radicale, prévoyait que La présidence [alternerait] entre le Nord et le Sud. Le poste de gouverneur [serait] attribué successivement aux trois districts sénatoriaux de l’État. Le poste de président du conseil d’administration locale [ferait] l’objet d’une rotation à l’intérieur de l’administration locale. La Commission électorale de l’État [diviserait] l’administration locale en trois parties égales de façon à permettre la rotation du poste de président. Aucun parti politique ne [serait] reconnu aux termes de la présente Constitution à moins qu’il ne reflète les dispositions de la présente section dans ses règlements. La Constitution prévoyait aussi la nomination de trois vice-présidents et le partage de l’autorité exécutive entre le fédéral et les États. Elle créait également une Commission du caractère fédéral pour donner un caractère juridique aux dispositions de caractère fédéral de la Constitution de 1979. Malheureusement, la Constitution de 1995 ne fut jamais promulguée. CONSTITUTION PRÉSIDENTIELLE DE 1999 La Constitution de 1999, promulguée le 5 mai 1999 par le chef d’État militaire de l’époque, a pris effet le 29 mai 1999, date de passation des pouvoirs au gouvernement civil élu actuel du Nigéria. Le préambule du décret de promulgation indiquait clairement que le pays retournait essentiellement à la Constitution présidentielle de 1979 : Et, étant donné qu’il est nécessaire, eu égard au programme de transition à un régime civil, de promulguer la Constitution de 1979 de la République fédérale du Nigéria après les amendements nécessaires et l’approbation du Conseil exécutif provisoire sous la forme d’une nouvelle Constitution pour la République fédérale du Nigéria afin de lui donner la même force de loi en date du 29 mai 1999... Comme je le disais précédemment, la Constitution de 1979 n’a été appliquée qu’un peu plus de quatre ans avant d’être suspendue par l’armée. Les « amendements nécessaires » approuvés par le Conseil exécutif provisoire ne semblaient pas avoir réglé certains problèmes déjà identifiés alors que la Constitution était en vigueur, comme la position intenable du gouverneur de l’État assumant les fonctions de chef de la sécurité de l’État sans avoir la moindre autorité sur la police du Nigéria, seul corps policier et principal organisme de maintien de l’ordre dans le pays, qui est placé sous la seule autorité du fédéral. Au contraire, la Constitution faisait preuve d’une plus grande tendance à la centralisation. Ainsi, le Conseil judiciaire national, créé par la nouvelle Constitution, auquel siègent seulement cinq juges en chef des 36 États, a maintenant le pouvoir de recommander aux gouverneurs d’État des personnes aptes et appropriées susceptibles d’être nommées aux postes de juge principal et de juge de la haute cour de leur État, de même que le pouvoir de recommander que celles-ci soient limogées! La juridiction illimitée dont jouissaient les hautes cours d’État selon la Constitution de 1979 a aussi été éliminée par la Constitution de 1999. ÉVALUATION ET PROPOSITIONS L’opinion générale actuelle au Nigéria est que la Constitution de 1999 de la République fédérale du Nigéria a été imposée par l’armée et ne correspond pas suffisamment à la trame multiethnique, multilingue et multireligieuse de la fédération nigériane. Les précédentes constitutions fédérales du Nigéria, en vigueur sur une période de 45 ans, avec interruptions et suspensions intermittentes par l’armée, ne semblent pas non plus avoir résolu les problèmes de diversité du Nigéria. Il suffit pour en juger de constater que la question du delta du Niger, qui avait été soulevée lors de la Commission des minorités de 1957-1958, et que l’on pensait réglée par la proclamation d’août 1959 et la création du Niger Delta Development Board (NDDB) demeure en suspens en 1999, soit 40 ans plus tard. Un projet de loi a été soumis à l’Assemblée nationale pour la création d’une Niger Delta Development Commission (NDDC) pour régler essentiellement les mêmes problèmes que devait régler le NDDB. Entre-temps, le Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (MOSOP) a déposé une « Charte des droits des Ogoni ». Et tout récemment, le 28 septembre 1999, le quatrième Congrès national Pan-Yoruba, tenu à Ibadan, a approuvé, entre autres, la résolution suivante : Conformément aux principes reconnus et acceptables du fédéralisme, et compte tenu du désir populaire longtemps exprimé de regrouper toutes les nationalités ethniques comprenant des Yoruba dans une même zone ou région, le Congrès exige que les 12 régions administratives locales de langue yoruba de l’État de Kwara et les sept régions administratives locales de langue yoruba de l’État de Kogi soient intégrées constitutionnellement au Sud-Ouest. Voilà bien un écho du désir d’union entre l’Ilorin-Kabba et l’Ouest formulé officiellement pour la première fois à la Conférence régionale de l’Ouest de septembre 1949, tenue à Ibadan il y a plus de 50 ans! L’une des solutions proposées pour refléter la diversité du Nigéria est que le pays retourne à la forme régionale de gouvernement fédéral que les fondateurs avaient si bien su négocier pour nous avec la Grande-Bretagne, ancien maître colonial du Nigéria. Mais il nous faudrait maintenant avoir six régions – le Nord-Est, le Nord-Ouest, le Centre-Nord, le Sud-Est, le Sud-Ouest et le Sud-Sud – au lieu des trois régions, Est, Ouest et Nord, qui existaient au Nigéria à l’indépendance. Les six régions proposées correspondraient généralement aux six zones actuellement reconnues dans la pratique administrative mais non dans la Constitution. Ces six régions seraient les unités de la fédération. En fait, les mémoires soumis à la Conférence constitutionnelle nationale par a) « les minorités du Sud », b) « les Obas, les Anciens, et les dirigeants des Yoruba », et c) « les peuples de langue igbo du Nigéria » abondaient dans le même sens. Ces régions pourraient alors, dans le cadre de leurs propres constitutions régionales, répondre à leurs besoins particuliers de diversité par le biais des États, administrations locales et autres structures administratives. Dans certaines régions, la solution pourrait être celle d’une fédération dans la fédération, comme l’était la Fédération russe dans l’ancienne Union soviétique; dans d’autres, la structure pourrait être constituée de couches superposées de fédérations, comme dans un oignon. Selon une opinion plus radicale, qui semble connaître une certaine popularité dans la zone Sud-Ouest du Nigéria, le Nigéria devrait, à toute fin utile, retourner à la case départ et convoquer une « Conférence nationale souveraine » à laquelle toutes les nationalités ethniques nigérianes seraient représentées et pourraient renégocier du début les principes de leur coexistence en tant que Nigérians. Si l’on se souvient qu’un processus de négociation du même genre a eu lieu sur une période de 10 ans, de 1949 à 1959, sous la tutelle coloniale britannique avant l’adoption de la Constitution d’indépendance de 1960, on imagine très facilement ce qui pourrait se produire advenant le cas où la « Conférence nationale souveraine » entre seuls Nigérians ne pourrait convenir d’un modus vivendi. Heureusement, le Nigéria est maintenant revenu à une forme de gouvernance civile démocratique. La plupart des Nigérians croient fermement à l’indivisibilité et à l’indissolubilité d’une nation nigériane basée sur des principes de liberté, d’égalité, d’équité et de justice pour tous ses citoyens, tels qu’enchâssés dans la Constitution. Notre Constitution actuelle est loin d’être parfaite, c’est vrai. Mais dans un régime démocratique civil, les possibilités d’effectuer des changements sur la base d’un consensus raisonnable sont presque infinies. Nombreux sont les Nigérians qui croient que la recherche de « l’unité dans la diversité » conduira un jour à une entente constitutionnelle et conventionnelle acceptable qui répondra convenablement aux besoins de la diversité ethnique, culturelle, sociale et religieuse de la population nigériane. La recherche de « l’unité dans la diversité » se poursuit.

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