International Conference on Federalism

Mont-Tremblant, October 1999

Séance 4G) Plénière thématique sur les PSF : Responsabilité, responsabilisation et finances Mian Imran Masood Président du groupe de travail ministériel sur l’éducation Punjab, Pakistan

Mesdames et messieurs, Je tiens d’abord à remercier chaleureusement les membres du Forum qui m’ont donné l’occasion de prendre la parole devant cette digne assemblée et ses honorables délégués. En permettant à de nombreux peuples du monde de s’exprimer et en donnant la parole au Pakistan, le Forum s’est attiré la gratitude de tous. Le Pakistan, qui regroupe divers systèmes gouvernementaux, souscrit à un régime fédéraliste depuis cinquante ans. Ses expériences passées et présentes témoignent éloquemment des réussites et des échecs qui marquent l’évolution des pays en voie de développement. Pour comprendre la nature du fédéralisme pakistanais et la forme qu’il a pris au fil des ans, il faut voir en quoi la situation du Pakistan s’avère unique à plusieurs égards. Comme toute autre nation, le Pakistan affiche des caractéristiques propres. Ces dernières ont amené sa création et continuent d’orienter son cheminement. Il faut tenir compte de ce contexte unique pour saisir tout le dynamisme du pays, pour comprendre ses aspirations futures, pour apprécier les rêves qu’il a concrétisés et ceux qu’il caresse toujours. Puisque le Pakistan s’affiche comme un État idéologique, ses objectifs politiques, culturels et sociaux reflètent sa philosophie de vie. Cette philosophie est naturellement ancrée dans les croyances et les coutumes culturelles du peuple et dans la personnalité historique des collectivités musulmanes qui habitent le sous-continent. Lorsque le Pakistan a été créé, ses Pères fondateurs ont eu recours à deux mots clés pour définir sa raison d'être : islam et démocratie. Au cours de son cheminement vers la prospérité et l’honneur, le peuple pakistanais a tenu compte de son identité religieuse et de la démocratie libérale. Il a aussi relevé un défi supplémentaire en amalgamant de façon concrète le concept du fédéralisme aux normes d’un État idéologique. Alors que le fédéralisme reconnaît le droit des entités fédérales de formuler des politiques et d’établir des programmes sociaux, l’idéologie agit comme une suite de maillons qui relient toutes les couches d’un État à paliers multiples. Nous avons mis au point un système fédéraliste centré sur une idéologie qui favorise l’homogénéité à tous les niveaux de l’État sans mettre en péril les droits des sous-groupes de population, des entités fédérales et des minorités religieuses et ethniques. Le droit de choisir et la liberté qui résulte de l’affranchissement du joug colonial n’ont pas profité seulement au gouvernement fédéral. Nous avons fait en sorte que les bienfaits se répandent à toutes les collectivités constituantes. En déployant des efforts pour concrétiser le paradigme fédéraliste dans le respect de notre idéologie, nous avons donné forme à un système fédéraliste novateur et distinct. C’est ainsi que les événements et l’idéologie ont suscité l’émergence d’un État fédéraliste entièrement idéologique, capable d’affirmer sa présence dans un contexte global. L’engagement du Pakistan au chapitre de la défense et de la sécurité contribue également à en faire une nation unique en son genre. Le conflit avec le Kashmir, qui perdure depuis plus d’un demi-siècle, a infligé de grandes souffrances à la région. Son importance stratégique aux yeux du Pakistan est essentielle et non négociable. Le Pakistan a toujours cherché une solution pacifique qui respecterait les normes de comportement internationales, et a engagé des mesures concrètes pour y parvenir. Néanmoins, le problème persiste et s’est même aggravé. Forcé de composer avec un conflit qui s’éternise aux portes même du pays, le Pakistan continue de donner la priorité aux questions de défense et de sécurité. Alors qu’ailleurs, les interventions de la communauté internationale ont permis de mettre fin à l’oppression et à l’épuration religieuse et ethnique, le peuple du Kashmir a été laissé à ses propres moyens pour faire face à l’oppression croissante et aux violations des droits de la personne. Compte tenu de la situation, nous devons maintenir le budget réservé à la défense et donner préséance aux questions de solidarité et d’intégrité nationales. En tant que pays en voie de développement, le Pakistan doit tenir compte de son engagement majeur envers la sécurité et la défense au moment d’affecter des ressources nationales aux services sociaux. Les obligations financières du Pakistan s’inscrivent dans un ensemble de paramètres plutôt rigides, surtout dans le contexte d’une poussée en faveur du développement social. La démarche engagée en vue d’assurer la prospérité économique et le bonheur de ses 130 millions d’habitants se poursuit, en même temps que le pays fait face à des contraintes sur le plan des ressources. Par ailleurs, il faut également considérer tous les efforts investis depuis un demi-siècle pour créer et soutenir de solides institutions nationales et les infrastructures qui sous-tendent le développement. Compte tenu du rôle de moins en moins puissant des gouvernements à travers le monde, le gouvernement du Pakistan a adopté un programme axé sur le partage des responsabilités et de l’autorité – partage des responsabilités entre diverses institutions nationales et divers niveaux hiérarchiques de l’État, partage des responsabilités entre le gouvernement et la collectivité, et entre les ministères gouvernementaux et les organismes non gouvernementaux (ONG). Cet esprit de partage est aujourd’hui tellement répandu que l’on assiste à un nouveau partage des responsabilités entre divers membres de la communauté internationale qui acceptent de combattre ensemble le terrorisme et de lutter en faveur des droits de la personne, du développement social et de l’environnement. Souscrivant à cette tendance, nous avons également restructuré nos systèmes administratifs pour garantir une plus grande participation communautaire. En ce début de siècle, nous avons fait de la délégation et de la décentralisation les pierres angulaires de nos nouvelles initiatives. Les gouvernements de l’avenir seront bien différents des gouvernements condescendants qui ont marqué l’évolution des XIXe et XXe siècles. Au fur et à mesure que le peuple est sensibilisé aux enjeux et qu’il prend de l’assurance, il doit jouir d’une plus grande emprise sur son destin et être encouragé à assumer sa part de responsabilités. Au Pakistan, la notion de « Big Brother » fait graduellement place à une vision gouvernementale centrée sur la participation. Le fait d’avoir pu conserver les principes démocratiques, la primauté du droit et les droits fondamentaux malgré une carrière politique jalonnée de hauts et de bas a affermi notre confiance en ces principes. Par conséquent, nous considérons la démocratie comme un engagement envers le peuple, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. À l’intérieur des frontières, cette responsabilité prend la forme d’une lutte communautaire en faveur de l’avancement social et contre la pauvreté, le terrorisme et l’exploitation des enfants. À l’extérieur, il s’agit plutôt d’une responsabilité à l’égard de la paix et de la prospérité internationales. Nous cherchons à concrétiser cet idéal en gérant nos ressources nationales par la voie de la décentralisation des pouvoirs et des responsabilités. Le gouvernement actuel a radicalement modifié la politique des gouvernements précédents, qui préconisait l’embauche de généralistes pour occuper les postes de haut niveau au sein du ministère de l’Éducation. On pensait autrefois que seuls des généralistes étaient capables d’évaluer à leur juste mesure les dossiers politiques et administratifs, et de réagir adéquatement. On croyait aussi que les spécialistes affichaient des préjugés liés à leur domaine d’expertise et qu’ils avaient du mal à évaluer les répercussions de leur travail sur les politiques. En outre, ils n’étaient pas considérés comme des administrateurs efficaces. Par contre, la politique du gouvernement actuel mise sur l’adaptation au changement et les nouveaux défis. Dans le passé, nous devions faire appel à des généralistes parce que les emplois au sein de la fonction publique étaient rares et que les gens étaient appelés à accomplir divers types de tâches. À cette époque, il existait très peu de services publics spécialisés. Cette situation a changé dans la plupart des pays. De nos jours, on considère les emplois au sein de la fonction publique comme spécialisés et devant être comblés par un personnel doté d’une formation professionnelle ou technique. En outre, le public est de plus en plus exigeant. L’on détermine maintenant la qualité des services selon qu’ils répondent ou non aux exigences du public. Voilà pourquoi les hauts dirigeants des organismes modernes sont maintenant des spécialistes et des professionnels hautement formés. Au sein de la fonction publique, nous accordons beaucoup d’importance à l’avis des spécialistes. Nul doute faudra-t-il effectuer des changements radicaux pour intégrer davantage les spécialistes au domaine de l’éducation. Le ministère de l’Éducation de la province de Punjab, pour sa part, a choisi de faire appel à des administrateurs et à des spécialistes hautement formés pour gérer son système scolaire. Dans les domaines sociaux en particulier, nous avons ramené les prises de décisions au niveau des districts. Dans le secteur scolaire et le secteur de la santé, la mise en place d’entités pleinement autonomes à l’échelle des districts est presque terminée. Dans un pays qui regroupe de grandes provinces comme le Punjab, avec plus de 70 millions d’habitants, les décisions stratégiques se prenaient autrefois au niveau provincial. En raison de l’écart marqué entre les usagers et les décideurs, l’indifférence régnait. Le gouvernement actuel a engagé des mesures ambitieuses pour combler cette lacune et pour ramener le siège des décisions et responsabilités à l’échelle des districts. La structure bureaucratique oppressive s’efface graduellement au profit de mesures de responsabilisation des collectivités. Nous savons que ces changements ne s’effectueront pas du jour au lendemain. De fait, le gouvernement compte intégrer ces réformes structurelles de façon graduelle et prudente. En s’assurant que les nouvelles institutions sont solidement établies avant d’abolir les anciennes, il risque moins de nuire à la stabilité et à la continuité des tâches publiques. Puisque les leaders politiques doivent rendre des comptes à la population pour les gestes du gouvernement, la notion de responsabilisation doit être respectée au sein de ce même gouvernement. Dans les pays en voie de développement, ce principe prend davantage la forme d’un slogan sans conviction que d’une pratique éprouvée. La notion de responsabilisation suppose que les fonctionnaires assument pleinement leurs responsabilités et cherchent à améliorer la qualité des services à la population en s’assurant que l’organisation fonctionne bien et que les citoyens en ont pour leur argent. En ce qui concerne l’éducation dans la province de Punjab, avec laquelle je cultive des liens depuis deux ans et demi, la question de responsabilisation revêt une importance prioritaire. En mars 1998, nous avons fait appel à l’armée pakistanaise pour effectuer la plus grande validation jamais entreprise par un tiers parti, en procédant à l’examen physique de 56 000 écoles élémentaires de la province de Punjab. Cet examen a fait voir au gouvernement l’état lamentable du système, et nous a permis de prendre des mesures correctives globales pour le revitaliser tant qualitativement que quantitativement. Le rôle joué par l’armée du Pakistan, un organisme fédéral, dans un secteur social relevant d’une province constitue un exemple classique de ce qu’on peut faire pour promouvoir la cohésion nationale et l’intégration entre les entités fédéralistes et le gouvernement fédéral. Le débat sur les pouvoirs fédéraux et provinciaux a fait rage, sans relâche, pendant plusieurs décennies. En misant sur les ONG, nous avons trouvé un noyau où asseoir les autorités locales, remplaçant ainsi les sièges d’autorité centralisés, éloignés et inertes. De par leur nature, les ONG et les organisations communautaires sont plus près des intérêts du peuple puisqu’elles sont extrêmement participatives et consultatives. Le gouvernement a mis de l’avant une série de mesures qui permettent aux ONG d’utiliser à bonnes fins l’argent des contribuables. Il existe aussi d’autres modèles qui permettent de faire appel aux ONG pour aider le gouvernement à gérer des unités de service social comme les écoles. Les résultats ont ravi la collectivité et donné confiance aux ONG en expansion. Nous attendons maintenant la création d’ONG presque aussi grandes que le gouvernement mais beaucoup plus efficaces. Contrairement aux pays industrialisés où la croissance des ONG a été spontanée, le gouvernement du Pakistan a engagé des mesures concrètes et dynamiques pour promouvoir ce développement. Nous espérons que les ONG nous aideront à résoudre la question d’étendue et de légitimité des gouvernements provinciaux et fédéral. Dans le contexte gouvernemental, la responsabilisation a toujours été perçue comme un instrument apte à favoriser l’efficacité et la préservation des ressources. Mais la méthode classique utilisée pour assurer une bonne responsabilisation en créant des institutions spéciales s’est avérée superficielle. Au Pakistan, la notion de responsabilisation n’était pas encore solidement ancrée. C’est ainsi que le gouvernement actuel a dû transformer l’image même de la gestion pour illustrer en quoi la responsabilisation est un processus qui n’engage pas seulement une ou deux institutions mais, par le biais d’une approche multi-volets, le gouvernement au complet. En intégrant la notion de responsabilisation à notre énoncé de mission et en engageant la participation des organisations communautaires, nous avons réussi à faire peur aux éléments déviants. Nous avons établi, au sein de très petites localités, des comités qui jouissent d’un grand pouvoir législatif, et nous leur avons demandé de surveiller de près les activités des fonctionnaires gouvernementaux. Des entités législatives ont été créées aux échelons fédéral et provincial pour déstabiliser, voire menacer, les entités délinquantes. Nous avons réussi à créer des brèches dans le mur des empires et des fiefs bureaucratiques, et parfois même, à les démanteler. Au Pakistan, la bureaucratie était généralement perçue comme un outil qui aidait le gouvernement fédéral à tirer profit des provinces. Ce n’est pas en raison de ses fonctions législatives ou structurelles que la bureaucratie s’est trouvée à jouer un tel rôle, mais de l’abus perpétré par des fonctionnaires sous l’égide de dirigeants myopes. En empêchant les fonctionnaires fédéraux de s’adonner aux manigances politiques, nous avons atteint un certain niveau de neutralité et d’impartialité. Entre-temps, un ménage en règle nous a permis d’identifier, preuves à l’appui, des milliers de politiciens et de fonctionnaires délinquants et d’engager des poursuites légales contre eux. Alors que nous adoptons des mesures à grande échelle, une initiative sans précédent à travers notre histoire, nous ne devons pas donner l’impression de faire de nos éléments politiques des victimes. Le processus adopté permet la transparence, et les personnes accusées ont droit de faire appel au système judiciaire pour se défendre. Au Pakistan, le pouvoir judiciaire jouit d’un prestige sans faille malgré la tourmente politique et les soulèvements. Au sein d’une structure fédéraliste, le pouvoir judiciaire ne sert pas seulement à résoudre les conflits entre les individus et les sociétés, mais aussi entre diverses entités fédéralistes, et entre ces entités et le gouvernement fédéral. Le pouvoir judiciaire aide à préciser et à interpréter la Constitution et, par l’entremise de jugements imaginatifs, à confirmer et préciser les fonctions de chaque membre du domaine fédéral. Le pouvoir juridique pakistanais a assumé cette tâche avec promptitude et sagesse, établissant ainsi de nouvelles normes d’excellence. L’avenir du fédéralisme pakistanais doit être sauvegardé et protégé. Nous devons identifier les dangers et les réduire à néant. Voilée dans l’ethnicité et le sectarisme religieux, l’hydre du terrorisme et du fanatisme a fait surface dans plusieurs pays. Le Pakistan ne cesse d’investir des efforts pour contrer cette menace en misant sur la législation, sur une répartition plus équitable des ressources et sur la réforme de l’éducation. Des mesures sévères ont été adoptées au besoin. On a analysé les troubles ethniques et territoriaux pour mieux comprendre la nature des sentiments de privation. Plutôt que d’essayer d’enrayer de tels sentiments, nous avons fait de notre mieux pour abolir la misère. Dans la plupart des cas, ces sentiments tiennent au développement inéquitable et à la ségrégation au sein de diverses entités, à la pauvreté et au chômage. Nous tentons actuellement de résoudre ces questions en regroupant toutes les ressources gouvernementales provinciales et fédérales. En même temps, nous sommes très conscients des possibilités qui s’offrent au fédéralisme en cette nouvelle ère. La mondialisation de la culture et l’invasion globale des communications et des technologies de l’information ont réduit l’aspect territorial des problèmes qui confrontent tant d’États. Les menaces collectives qui guettent l’humanité ont aussi aidé à abolir les distances. Tout le monde craint et décrie les dangers environnementaux, le terrorisme, l’exploration militaire, l’obscurantisme et la violation des droits de la personne. Ces éléments ont aidé à rapprocher les humains. Grâce à l’intégration progressive de valeurs culturelles comme l’humanisme, la volonté de sauver la planète, le respect de la vie humaine et de la propriété, l’honneur et la quête de liberté individuelle, les habitants de diverses provinces se sont donné des fondements communs cimentés par des forces qui transcendent les intérêts mesquins et centralisateurs. Ainsi, c’est le cœur plein d’espoir que nous amorçons le XXIe siècle. Je manquerais à mon devoir envers les participants en passant sous silence les dangers qui guettent des États fédéralistes comme le mien en ce nouveau millénaire, dont la part de plus en plus modeste de ressources allouées aux pays en voie de développement. Les restrictions financières affaiblissent les liens entre diverses entités et favorisent les tendances centralisatrices. Nous sommes également vulnérables aux préjugés ethniques, raciaux et territoriaux, et aux élans de faux orgueil. La communauté internationale doit réagir à ces menaces et prendre les mesures nécessaires pour y faire face en adoptant des plans à long terme. Autrement, de telles tendances pourraient déstabiliser le tissu même de continents comme l’Afrique et l’Asie, et mettre en péril le paix et la stabilité internationales. Merci beaucoup.

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