Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

DISCOURS DE CLÔTURE DE LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE SUR LE FÉDÉRALISME William J. Clinton Président des États-Unis

Messieurs le premier ministre Chrétien, le premier ministre de Saint-Kitt-et-Nevis, Denzil Douglas, le premier ministre Bouchard, les co-présidents de la Conférence, Bob Rae et Henning Voscherau, distingués visiteurs et gouverneurs, le lieutenant-gouverneur du Dakota Sud, si je ne m'abuse, Carole Hilliard, est ici, et vous tous. Je trouve fort intéressant de voir ce réseau impressionnant de gens réunis ici pour participer à une conférence sur le fédéralisme, un sujet qui aurait sans doute été considéré comme l'équivalent d'un somnifère, il y a 10 ou 20 ans. Mais, au lendemain des conflits dans l'ancienne Yougoslavie et à la lumière des débats intéressants, je peux le dire du moins en tant que votre voisin, qui se sont poursuivis au Québec, des efforts plus profonds et troublants déployés pour réconcilier des tribus différentes qui occupent des pays ayant des frontières qu'ils n'ont pas délimitées en Afrique, et de bien d'autres préoccupations, le sujet du fédéralisme prend davantage d'importance. Il est tout à fait de mise que la première conférence mondiale soit tenue en Amérique du Nord, puisque c'est ici que le fédéralisme a commencé. Un principe fondamental forgé au creuset de la révolution, enchâssé dans la Constitution des États-Unis, partagé aujourd'hui par les trois pays de notre continent, comme l'a sans doute dit le président Zedillo Il est aussi particulièrement de mise que la Conférence se déroule au Canada. Un pays plus vaste que la Chine, s'étendant sur cinq fuseaux horaires et dix différentes provinces. Il a montré au monde entier comment des gens de cultures et de langues différentes peuvent vivre dans la paix, la prospérité et le respect mutuel. Aux États-Unis, nous prisons notre relation avec un Canada fort et uni. Vous pouvez nous servir d'exemple, nous apprenons de vos expériences. Le partenariat que vous avez bâti entre des gens de milieux et de gouvernements divers, à tous les paliers, voilà de quoi il est question ici à la Conférence et, fondamentalement, ce dont il doit être question en démocratie, à une époque où les gens partout dans le monde se déplacent de plus en plus, s'intègrent davantage, vivent de plus en plus près les uns des autres. Aujourd'hui, j'aimerais vous entretenir brièvement des façons que nous avons, aux États-Unis, de renouveler et redéfinir le fédéralisme pour le XXIe siècle, puis comment j'entrevois l'émergence du concept même de fédéralisme sur la scène internationale, et finalement, comment, selon moi en tout cas, nous devrions juger les revendications contradictoires du fédéralisme et de l'indépendance dans divers contextes dans le monde. Avant tout, permettez-moi de vous faire remarquer que nous sommes à 84 jours du début d'un nouveau siècle et d'un nouveau millénaire. Les vagues de changement relatives à notre façon de travailler et de vivre, ainsi qu'aux rapports que nous entretenons entre nous et avec les gens à l'autre bout du globe évoluent rapidement. Le président Franklin Roosevelt a dit un jour que de nouvelles conditions imposent de nouvelles exigences aux gouvernements et à leurs dirigeants. Nous savons que c'est le cas non seulement aux États-Unis et au Canada, en Grande-Bretagne et en Allemagne, en Italie et en France, au Mexique et au Brésil, mais, en fait, dans tous les pays du monde. Mais, dans tous ces endroits, il y a un régime fédéral sous une forme ou une autre. Nous cherchons des moyens de donner un nouveau souffle de vie à de vieilles valeurs et un nouveau sens à de vieilles institutions. En 1992, à l'époque où j'étais candidat à la présidence, on avait de plus en plus l'impression, aux États-Unis, que les liens entre les citoyens et leur gouvernement et entre les États et le gouvernement fédéral étaient en grave difficulté. Cette situation résultait principalement du fait que notre gouvernement fédéral avait quadruplé la dette nationale en 12 ans, ce qui avait mené à des taux d'intérêt faramineux et à une croissance ralentie, et imposé de sérieuses difficultés aux États du pays, des difficultés que ceux-ci ne pouvaient surmonter. Par conséquent, lorsque le vice-président et moi-même nous sommes présentés aux élections nationales, nous comprenions bien les gens qui nous disaient, écoutez, c'est une priorité nationale et vous devez vous en occuper. Mais nous avons beaucoup discuté avec des gouverneurs et d'autres de la nécessité de créer ce que les Pères de la Patrie appelaient des laboratoires de la démocratie. Nous avons admis ouvertement que personne ne détenait toutes les réponses aux nombreux dossiers d'assistance sociale de l'Amérique, au taux de criminalité anormalement élevé du pays, à l'incroyable diversité des enfants et des défis avec lesquels nos écoles avaient à composer. Nous avons donc dit que nous tenterions de donner une nouvelle orientation au pays et de nous occuper des problèmes purement nationaux, et que nous essayerions aussi de bâtir un nouveau partenariat pour que nos États se sentent davantage membres d'une union et pour qu'ils soient davantage outillés pour choisir leur destinée. Aujourd'hui, les gens élaborent ces régimes fédéraux pour différentes raisons. Aux États-Unis, il s'est implanté tout naturellement, parce que les colonies fondées par la Grande-Bretagne en Amérique du Nord étaient des entités distinctes. Et parce que les États qui composent notre pays sont ceux-là mêmes qui ont créé le gouvernement national. Nous avons donc toujours eu l'impression que certaines activités devaient relever des États et d'autres, du gouvernement fédéral. Les Pères de la Patrie nous ont fourni certaines indications dans la Constitution, mais l'histoire de la Cour suprême des États-Unis abonde en causes dans lesquelles on a tenté de définir toute la question de savoir en quoi consistent les rôles et les pouvoirs des États par rapport aux rôles et aux pouvoirs du gouvernement national dans des circonstances qui ne cessent de changer. On en trouve des exemples différents ailleurs. À l'époque de l'ancienne Yougoslavie, par exemple, le fédéralisme était organisé de manière à donner l'impression, à tout le moins, que tous les différents groupes ethniques pouvaient être traités équitablement et pouvaient se faire entendre. C'est ainsi qu'en 1992, il a semblé que la crise majeure que traversait le fédéralisme était que les États avaient perdu toute capacité de faire ce qu'ils avaient à faire à cause de la faiblesse de l'économie nationale et de l'effilochement du tissu de la société nationale américaine. Malgré tout, je savais qu'une fois que nous nous remettrions à bâtir, nous aurions à régler certains problèmes importants, dont quelques-uns auxquels vous êtes vous-mêmes confrontés dans vos pays. Le vice-président et moi devions commencer notre tâche et, dans le cadre de travaux dont je lui avais confié la charge, le vice-président a tenté de redéfinir la mission du gouvernement fédéral. Et nous avons dit à la population américaine que nous pensions réellement que le gouvernement fédéral était beaucoup trop grand, que sa taille devrait être réduite, mais qu'il se devait d'être plus actif, que nous devrions travailler davantage en partenariats avec les gouvernements des États et des localités et avec le secteur privé, dans le but ultime de permettre à la population américaine de régler elle-même ses problèmes au niveau qui était le plus en mesure de le faire, que ce soit au niveau du citoyen lui-même, de la famille, de la communauté, de l'État ou du pays. Et nous y avons travaillé assidûment. Comme le Canada, nous avons éliminé notre déficit budgétaire et produit un surplus. Nous avons également réduit la taille du gouvernement fédéral. Aujourd'hui, le gouvernement fédéral des États-Unis a la même dimension qu'en 1962, à l'époque où John Kennedy était président et où notre pays avait une taille beaucoup plus modeste. Dans l'essor économique que nous connaissons depuis 1993, la très grande majorité des emplois qui ont été créés l'ont été dans le secteur privé. C'est, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le plus haut pourcentage de création d'emplois que le secteur privé n'ait jamais connu pendant une période de croissance économique. Pendant ce temps, plusieurs de nos États et de nos administrations locales ont continué de prendre de l'importance en taille pour faire face aux exigences courantes associées au nombre imposant de préoccupations domestiques auxquelles le pays fait face. Et, à mon avis, c'est une bonne chose. En plus de réduire la taille du gouvernement, nous nous sommes efforcés de rendre aux États la capacité de prendre davantage leurs propres décisions. Le ministère de l'éducation, par exemple, s'est débarrassé des deux tiers des règles qu'il imposait aux États et aux districts scolaires au moment où je devins président. Nous leur présentons plutôt des objectifs nationaux, nous leur fournissons des ressources financières, nous exigeons qu'ils nous fassent rapport sur les progrès réalisés vers l'atteinte de ces objectifs nationaux, mais nous ne leur dictons plus la façon de procéder. Et c'est surprenant ce que vous pouvez réaliser une fois que vous ralliez des gens autour d'objectifs nationaux avec lesquels ils sont d'accord et que vous cessez de micro-gérer chaque seconde de leur vie et leurs activités quotidiennes. Nous avons connu un certain succès sur ce plan. Nous avons également tenté de donner aux États une liberté plus générale pour qu'ils puissent mettre à l'essai davantage de nouvelles idées dans des domaines où nous pensons ne pas avoir, à l'heure actuelle, toutes les réponses, de la politique de la santé à la réforme de l'aide sociale en passant par l'éducation et la lutte contre le crime. Nous avons toujours estimé, ce qui a été facile pour nous, aux États-Unis, comparativement à d'autres pays en raison de notre tradition de croire, depuis le temps des Pères de la Patrie, que le gouvernement national ne détiendrait jamais toutes les réponses et que les États devraient être considérés comme des amis et des partenaires, parce qu'ils pourraient servir de laboratoires de la démocratie. Ils seraient toujours là pour provoquer le changement, et il serait possible d'appliquer certaines idées, sur le plan politique, à certains endroits, mais non dans d'autres. Et cette façon de faire nous a très bien servi en favorisant énormément l'innovation et l'expérimentation. Voici ce en quoi consiste aujourd'hui le problème de la gestion courante des affaires du gouvernement et du fédéralisme. Dans le monde du XXIe siècle, lorsque nous trouvons une solution à un problème, très souvent, le temps ne nous permet pas d'attendre que tous les États acceptent que ce soit la solution. C'est pourquoi nous tentons de relancer l'expérience fédéraliste en cherchant des idées qui fonctionnent pour les incorporer dans une loi fédérale et ensuite procurer aux États les fonds et le soutien nécessaires pour les mettre en oeuvre. Pourquoi procédons-nous ainsi? Eh bien, permettez que je vous l'explique par un exemple. En 1787, aux États-Unis, les Pères de la Patrie ont déclaré que tous les nouveaux territoires devraient mettre de côté des terres pour la construction d'écoles publiques, puis ils ont confié la responsabilité de l'éducation aux États. C'est ainsi qu'au cours des années qui suivirent, un petit nombre d'États a imposé l'éducation scolaire. Il a toutefois fallu attendre plus de 100 ans pour que tous les États imposent l'éducation publique gratuite pour tous les jeunes Américains. C'était le rythme auquel les changements se produisaient au XIXe siècle. Ça ne marcherait pas au XXIe siècle. Je tente donc de procéder de la même façon que lorsque j'étais gouverneur : lorsqu'un nouveau concept fonctionne dans un État, je tente de me l'approprier, de l'intégrer dans la législation fédérale pour qu'à tout le moins, tous les États aient la possibilité et l'argent nécessaire pour mettre en oeuvre ce nouveau concept. Mais c'est extrêmement important. Comme notre ambassadeur est originaire de la Géorgie, je vous donne un exemple qu'il connaît bien. Un de mes objectifs est l'accès universel aux collèges et aux universités américaines, et nous avons ce que nous appelons les bourses d'études Hope, inspirées du programme de l'État d'origine de l'ambassadeur Giffin. Ces bourses offrent à tous les étudiants une subvention à caractère fiscal assez importante pour qu'ils puissent se payer au moins les deux premières années d'études collégiales aux États-Unis. Ce qui nous a motivés, c'est que nous nous sommes rendus compte, en consultant les données de recensement, que les gens, et cela s'applique à l'ensemble des États-Unis, qui avaient poursuivi au moins deux années d'études post-secondaires avaient tendance à se trouver un emploi qui leur permettait d'augmenter leur revenu et de mieux s'en sortir. Ceux avec moins d'éducation semblaient plutôt se trouver des emplois où leur revenu restait le même ou diminuait dans l'économie mondiale. Nous avons aussi pris des mesures pour qu'il soit plus facile de faire affaire avec Washington. Nous avons mis fin à une pratique qui était très controversée, du moins en perspective, ce qu'on appelait des mandats non financés, c'est-à-dire que le gouvernement fédéral dictait aux États une marche à suivre et leur donnait environ 5 p.100 de l'argent nécessaire pour s'y conformer. À mon avis, ce genre de pratique est la source de problèmes dans tous les systèmes fédéraux nationaux. Nous continuons d'accorder aux États plus de liberté et de souplesse. Cet été, j'ai signé un nouveau décret sur le fédéralisme qui permettra de confirmer, sur des plans bien précis, comment nous pourrons travailler en partenariat et en plus grande consultation avec les représentants des États et des administrations locales. Le fédéralisme n'est pas un système figé. Il doit être, par définition, un système évolutif. Pendant plus de 200 ans, le pendule des pouvoirs a oscillé d'un côté, puis de l'autre. Et je tiens à vous dire - pour ceux d'entre vous qui, en regardant de l'extérieur vers l'intérieur, vous dites que les Américains ne pourraient jamais comprendre vos problèmes, car ils n'en connaissent pas de semblables - il est vrai que, dans l'ensemble, nos États ne se composent pas d'un seul groupe racial, ethnique ou religieux. Mais il est certain que nous en avons un peu. Je vous donne un exemple de situation que nous vivons actuellement. La Cour suprême des États-Unis doit rendre une décision dans un cas concernant l'État d'Hawaï. Dans ce cas, l'État a accordé aux Autochtones d'Hawaï, les Pacific Islanders, le droit de vote lors d'un certain genre d'élections, mais seulement aux Autochtones d'Hawaï. Toutefois, un citoyen d'Hawaï a intenté une poursuite contre l'État soutenant que cela allait à l'encontre de la clause de la Constitution américaine conférant l'égale protection de la loi. Nous ne sommes pas d'accord, et ce, en raison de l'objectif des élections en question Mais vous pouvez voir qu'il s'agit d'un problème inhérent au fédéralisme : le gouvernement national confie un champ de compétence aux États, ceux-ci prennent des décisions dans ce champ de compétence, puis un citoyen s'exclame « non, vous ne pouvez pas faire cela ainsi à cause d'une loi nationale ». Voici un autre exemple, qui nous cause beaucoup de souci dans l'Ouest : qu'advient-il lorsque le gouvernement fédéral est propriétaire d'une bonne partie des terres et des ressources d'un État? Le gouvernement national est le plus impopulaire dans les États américains comme le Wyoming ou l'Idaho, où il y a peu de population, mais beaucoup de ressources naturelles. Les éleveurs de bovins et les ranchers sont contraints à utiliser des terres qui appartiennent au gouvernement fédéral et nous, de notre côté, nous croyons avoir le devoir de protéger les terres pour d'autres fins comme la préservation de l'environnement, des espaces de broutage pour les animaux ou l'exploitation minière, etc. La situation est donc compliquée. C'est très ironique, car dans ces États, au début, le gouvernement fédéral était très populaire dans les régions où il était propriétaire de la plupart des terres parce qu'il y construisait des barrages, creusait des rivières et fournissait à ses habitants des terres de pâturage pour leur bétail. Mais, dans l'espace de 50 ans, le gouvernement fédéral est devenu des plus impopulaires qui soient. J'avais pris l'habitude, d'ailleurs, de passer mes vacances au Wyoming juste pour entendre les gens me dire à quel point le travail que je faisais était ingrat. C'est un problème qu'il nous faut résoudre. Et permettez-moi d'ajouter, et je pense que ça pourrait vous intéresser, que le Parti démocrate et le Parti républicain des États-Unis ont plutôt des conceptions différentes du fédéralisme, dépendant du sujet de discussion. C'est pourquoi il est toujours bon d'avoir un régime dynamique. Par exemple, nous, les Démocrates, lorsque nous constatons qu'une initiative fonctionne au niveau local et que cette initiative fait avancer notre politique sociale ou notre politique économique, nous voulons à tout le moins en faire une option nationale, sinon un mandat national. Lorsque je suis devenu président, le crime était à la hausse au pays, mais dans certaines villes, il était en baisse. J'y suis allé et j'ai pu découvrir pourquoi il était en baisse. Il était clair, à mon avis, que, premièrement, nous n'avions pas assez de policiers pour combattre le crime. Je me suis donc dit que nous allions créer 100 000 postes d'agents de police au niveau national qui seraient ensuite cédés aux villes. Les Conservateurs étaient contre l'idée. Ils nous ont reproché de nous immiscer dans les affaires des États et des administrations locales, d'aller leur faire la leçon sur la façon de combattre le crime. Bien sûr, ce n'est pas ce que je faisais. Je leur offrais des policiers, et ils n'étaient pas obligés de les prendre s'ils n'en voulaient pas. En fin de compte, ils ont bien aimé l'idée, et nous connaissons aujourd'hui le taux de criminalité le plus faible depuis 26 ans. Mais, il y eut un véritable débat fédéraliste. À l'heure actuelle, nous avons le même débat au sujet des enseignants. Il n'y a jamais eu, de tout temps, autant d'enfants dans nos écoles. Beaucoup laisse croire que de plus petites classes dans les premières années d'école se traduisent par des gains permanents pour les enfants sur le plan de l'apprentissage. Je me suis donc dit que nous allions placer 100 000 enseignants dans ces écoles. On m'a reproché de tenter d'imposer ce terrible fardeau aux gouvernements des États et aux administrations locales et de me mêler de ce qui ne me regardait pas. Par contre, dans toute l'histoire des États-Unis, le droit relatif aux préjudices personnels, y compris aux dommages économiques, le droit commercial, a toujours été une responsabilité des États ou des administrations locales, sauf lorsqu'il s'agissait, par exemple, de valeurs mobilières, d'actions, d'obligations, qui exigent un marché national de titres boursiers. Mais plusieurs membres du Parti républicain estiment que, puisqu'il y a essentiellement une économie nationale et un environnement économique international, nous devrions retirer aux États toute possibilité d'intervenir pour décider des règles suivant lesquelles les gens peuvent intenter des poursuites contre des entreprises. Et ils y croient dur comme fer. J'ai été d'accord avec eux pour ce qui est des litiges associés aux valeurs mobilières parce que nous avons besoin d'un marché national des valeurs mobilières. Mais je ne suis pas d'accord avec eux en ce qui a trait aux autres domaines de réforme du système de responsabilité civile délictuelle où ils croient que les États ne devraient pas intervenir. Mon but n'est pas d'attaquer le Parti républicain, mais simplement de vous montrer que, peu importe le contexte dans lequel vous évoluez, il y aura toujours des divergences d'opinion sur les responsabilités qui devraient être confiées au gouvernement national et celles qui devraient relever des États. C'est ainsi. Le but du fédéralisme, à mon avis, est, premièrement, de prendre en compte les sentiments authentiquement locaux qui peuvent, aux États-Unis, résulter d'activités économiques et d'attachements à la terre ou à l'histoire. Ces sentiments peuvent très bien, dans un autre pays, résulter de la ségrégation générale des populations appartenant à différents groupes ethniques, religieux ou raciaux dans les provinces qui font partie d'une fédération. Il faut donc, en premier lieu, vous savez, permettre aux populations de se forger un sentiment d'identité et d'autonomie, puis il faut vraiment s'efforcer de prendre les bonnes décisions pour faire fonctionner le système. Ce que je veux dire, c'est qu'en bout de ligne, pour préserver l'intégrité de tous ces systèmes, il faut faire en sorte que l'attribution du pouvoir de décision produise réellement des résultats avec lesquels les gens peuvent vivre sans problème, de sorte qu'ils aient l'impression de pouvoir progresser. Maintenant, permettez que je prenne une minute pour parler du genre de tension intrinsèque qui se perçoit partout dans le monde, qui est la réponse au fait qu'au seuil d'un nouveau millénaire - alors que nous préférerions parler de l'Internet et du décodage des gènes humains, de la découverte de milliards de nouvelles galaxies dans l'espace - nous, les politiciens sommes obligés de passer autant de temps à discuter de choses aussi primitives que le massacre de gens à cause de leurs différences ethniques, raciales ou religieuses. La grande ironie du tournant du millénaire, c'est que nous disposons plus que jamais d'options modernes pour l'avancement technologie et économique, mais que nous sommes menacés par la plus primitive des faiblesses humaines - la peur de l'autre et le sentiment que nous ne pouvons respirer et fonctionner et avoir un sens que si nous sommes libérés en quelque sorte de la nécessité de s'associer et d'échanger avec des gens différents de nous-mêmes, d'une autre race, d'une autre religion, d'une autre tribu, et même, dans certaines circonstances, de subordonner nos propres opinions à leurs sentiments. Et la réponse n'est pas facile. Mais laissez-moi vous demandez de regarder du côté de l'ancienne Yougoslavie, où nous nous efforçons de préserver un état bosniaque - le premier ministre Chrétien et moi-même, ainsi que nos amis - un État qui sert les Croates et les Musulmans, après quatre années d'horribles massacres auxquels nous avons mis fin en 1995. Ou encore du côté du Kosovo, où nous nous demandons si le Kosovo peut continuer d'être une entité autonome au sein de la Serbie, malgré le fait que les Serbes aient chassé tous ses habitants hors du pays et que nous ayons eu à les y ramener. Pourquoi cela s'est-il produit? C'est en partie parce qu'il s'agissait d'un fédéralisme imposé artificiellement. Le maréchal Tito était un homme très intelligent qui s'est simplement dit qu'il allait créer un fédéralisme de son propre cru. Je vais imposer la participation de tous ces groupes au gouvernement, s'est-il dit, et j'interdirai à mon gouvernement de parler de supériorité ethnique, d'oppression ou de problèmes. Il ne leur permettait même pas de discuter des tensions ethniques, celles qui font pourtant partie de la réalité quotidienne de la plupart des sociétés du monde d'aujourd'hui. Et tout a bien fonctionné jusqu'à ce qu'il meurt. C'est alors que la situation s'est mise tranquillement à se détériorer. Donc, l'une des raisons pour lesquelles des populations de groupes toujours plus restreints en viennent à réclamer l'indépendance est qu'elles se sont vues imposer une sorte de pseudo-fédéralisme du sommet à la base. Ainsi la première leçon que j'en tire, c'est que tous les régimes fédéralistes du monde d'aujourd'hui, un monde où l'information est partagée à grande échelle et où les possibilités économiques dépendent de forces mondiales, du moins toujours dans une certaine mesure, notamment en ce qui a trait au montant d'argent que vous pouvez entrer dans un pays, donc, le fédéralisme doit être authentique. Il faut qu'il y ait un certain sentiment de partage réel du pouvoir. Et les gens doivent sentir qu'ils disposent d'une certaine autonomie pour prendre des décisions. Et cette autonomie doit plus ou moins correspondre à ce qu'ils estiment devoir accomplir. D'autre part, la proposition selon laquelle des gens appartenant à un même groupe ethnique, tribal ou religieux ne puissent pas avoir une existence communautaire valable à moins de former une nation indépendante, alors qu'ils ne sont ni soumis à l'oppression ni privés d'une réelle autonomie, et exigent d'être effectivement indépendants, me semble sujette à caution dans le contexte d'une économie mondiale où la collaboration dans tous les aspects de la vie est plus avantageuse qu'une destructrice concurrence. Prenez, par exemple, les sociétés les plus autonomes du globe. Imaginons un moment les tribus qui vivent encore dans les forêts tropicales de l'Île de la Nouvelle-Guinée. Imaginons que, parmi les 6 000 langues qui sont encore parlées dans le monde aujourd'hui, 1 000 d'entre elles soient parlées en Papouasie-Nouvelle-Guinée et dans l'Irian Jaya, où des tribus vivant à 10 ou 20 milles (16 ou 32 kilomètres) les unes des autres jouissent d'une auto-détermination totale. Qu'en penseriez-vous? Imaginez maintenant les problèmes épouvantables que connaissent tant de peuples africains qui se sont vus imposer des frontières nationales qu'on a définies pour eux à la Conférence de Berlin en 1885, des frontières qui ne tenaient presque pas compte de la répartition des tribus sur certains territoires ni de leur tradition d'élevage, d'agriculture et de leur nomadisme. Alors, qu'est-ce qu'on fait? Il n'y a pas de réponse. Il nous faut créer un cadre dans lequel les gens peuvent régler les choses. Mais tout ce que j'aimerais vous faire remarquer aujourd'hui, je ne veux pas trop m'y attarder, car nous pourrions être ici à en parler pendant une semaine, c'est qu'à la fin de la Première Guerre mondiale, les puissances européennes, je crois, - et les États-Unis se sont retirés en quelque sorte et doivent donc partager une partie du blâme - mais notre conduite n'a pas été tout à fait irréprochable dans la façon dont nous avons procédé pour morceler, par exemple, ce qui restait de l'Empire ottoman. Et nous avons passé une grande partie du XXe siècle à tenter de concilier la croyance du président Woodrow Wilson selon laquelle des nations différentes ont le droit d'être libres - les nations étant des peuples ayant une conscience commune - qu'elles ont le droit d'être des États. Et la connaissance pratique que nous possédons tous du fait que si tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux qui occupent une partie importante d'un territoire qui n'est pas occupé par d'autres venaient qu'à former une nation distincte, nous pourrions compter 800 pays dans le monde et avoir beaucoup de difficulté à soutenir une économie qui fonctionne ou une politique mondiale qui fonctionne. Peut-être en aurions-nous 8 000? Jusqu'où cela peut-il aller? Mais tout cela ne répond à aucune question précise. Toutefois, à mon avis, lorsqu'un peuple estime qu'il doit être indépendant pour avoir une vie politique valable, il faut se poser de sérieuses questions. Y a-t-il violation des droits de la personne? Y a-t-il moyen que les gens s'entendent s'ils sont de cultures et de milieux différents? Les droits des minorités et ceux de la majorité sont-ils respectés? Quels sont les intérêts de nos citoyens à long terme, sur le plan économique et sur le plan de la sécurité? Comment allons-nous collaborer avec nos voisins? La situation sera-t-elle meilleure ou pire si nous formons un État indépendant ou si nous faisons partie d'une fédération? Pour ma part, je crois que, dans les années à venir, vous verrez le fédéralisme prendre de l'expansion plutôt que de dépérir, et je vous soumets comme preuve l'Union européenne. Il s'agit vraiment d'une nouvelle forme de fédéralisme, au sein duquel les États - dans ce cas-ci les pays d'Europe - ont beaucoup plus d'importance et de pouvoirs que le gouvernement fédéral, mais ils confient suffisamment de fonctions au gouvernement fédéral pour, en quelque sorte, renforcer leurs intérêts communs à l'intérieur d'une économie intégrée et de certaines circonstances de politique intégrée. D'une certaine façon, le monde prend davantage la forme d'une fédération lorsque les Nations Unies jouent un rôle plus actif dans la lutte contre le génocide dans des lieux où elles n'étaient pas intervenues et lorsque nous acceptons la responsabilité que nous avons les uns envers les autres de contribuer à ces activités et d'en partager les coûts. À mon avis, nous chercherons toujours d'autres moyens - le premier ministre et moi-même avons donné notre aval à la création d'une Zone de libre-échange des Amériques. Nous tenterons de trouver des moyens d'intégrer nos activités pour mieux servir nos intérêts respectifs, sans compromettre notre souveraineté. Et là où il y a des groupes et des parties de pays qui sont insatisfaits, il nous faut chercher des moyens pour répondre à leurs préoccupations et légitimer leurs plaintes en évitant la désintégration. C'est ce que je crois. Je ne veux pas dire par cela que le Timor-Oriental avait tort. Si vous pensez à ce que la population du Timor-Oriental a vécu, à son patrimoine colonial, si vous pensez au fait que les Indonésiens leur ont donné la chance de voter, ce qu'ils ont fait, et, qu'à la fin, près de 80 p.100 de la population a voté pour l'indépendance - tout semble indiquer que c'était la bonne décision. Mais n'allons jamais nous imaginer que le parcours qu'ils ont choisi sera sans heurts. Supposons que ceux parmi nous qui tentons de les appuyer les aidons, supposons que nous soyons capables d'empêcher toutes les armées pro-intégrationnistes d'opprimer la population et que nous puissions rapatrier tous les citoyens du Timor-Oriental dans leur pays où ils seraient en sécurité - il y en aurait encore moins d'un million, avec un revenu par habitant parmi les plus faibles au monde, qui arrivent à peine à faire vivre leurs enfants dans un environnement qui n'est pas exactement accueillant. Est-ce dire qu'ils ont eu tort? Non. Étant donné les circonstances, ils ont sans doute pris la seule décision possible. Mais les choses n'auraient-elles pas été mieux s'ils avaient pu établir leurs bases religieuses, culturelles, ethniques et économiques - et une autonomie authentique - au sein d'une entité plus grande qui les aurait également soutenus sur le plan économique et qui aurait amélioré leur sécurité plutôt que de la miner? Malheureusement, ce n'est pas ce qui s'est produit. Je vous en parle parce que - même si je ne crois pas qu'il existe des règles générales, je pense qu'à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque le président Wilson a pris la parole, nous présumions, parce que nous avions vu la décomposition d'empires - l'Empire ottoman, l'Empire austro-hongrois, le souvenir de l'Empire russe, le colonialisme britannique était encore vivant en Afrique, tout comme le colonialisme français - à l'époque, nous présumions tous, et c'était la façon de penser de l'époque, que la seule façon pour un peuple de se sentir souverain ou important, c'était d'être indépendant. D'ailleurs, je crois que nous avons passé une grande partie du XXe siècle à minimiser les perspectives du fédéralisme. Nous avons été tellement horrifiés par l'abus subi par des populations à cause de leur appartenance à une tribu, une race ou une religion, que nous avons tendance à penser que la seule réponse est l'indépendance. Mais il nous faut penser à la façon dont nous allons vivre quand les balles ne siffleront plus, quand la fumée se sera dissipée, à plus long terme. Je peux vous affirmer une chose en terminant : je crois que les États-Unis et le Canada sont parmi les pays les plus privilégiés du monde en raison de cette diversité - parfois concentrée, comme les Inuits dans le Nord, parfois très dispersée à l'intérieur d'une région, comme à Vancouver. Nous sommes privilégiés - parce que la vie est plus intéressante et plus amusante lorsqu'il y a autour de nous des gens différents qui ont une perception et une façon de penser différentes et qui ont une démarche spirituelle différente. Nous vivons à une époque intéressante. Et parce que nous grandissons et nous apprenons des gens qui sont différents de nous-mêmes, et parce qu'au lieu de nous inspirer la peur et la haine et la déshumanisation, nous voyons dans leurs yeux une image de nous-mêmes et de notre humanité commune. Je pense que nous gardons tout ça en tête : ce qui peut le mieux faire progresser notre humanité commune dans ce monde plus petit et à la structure de gouvernement qui est la plus susceptible de nous donner le meilleur des mondes, l'intégrité dont nous avons besoin, l'indépendance dont nous avons besoin, sans prétendre que nous pouvons couper tous les liens qui nous unissent au reste de l'humanité - je crois que de plus en plus de gens diront que le fédéralisme, ce n'est pas une si mauvaise idée. Merci beaucoup.

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