Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Séance 3A) Plénière thématique sur les RIG : Les défis posés par les relations intergouvernementales Tommy G. Thompson Gouverneur de l’État du Wisconsin, États-Unis

Merci. J’aimerais faire l’éloge du Forum des fédérations, qui a été l’hôte d’un dialogue aussi crucial, et qui sert de pont entre les pays en matière d’échange de pratiques exemplaires et d’idées sur la façon d’étendre le fédéralisme au XXIe siècle. Et j’aimerais exprimer ma sincère reconnaissance aux panélistes qui ont participé avec moi à ce très important débat. J’ai très hâte d’entendre vos expériences, et de rapporter plusieurs de vos idées heureuses aux États-Unis, et, plus particulièrement, dans le grand État du Wisconsin. Quand j’étais petit garçon au Wisconsin, mon père me faisait asseoir et me donnait de sages conseils. Il disait : « Tommy, tu as deux oreilles et une bouche. Utilise-les dans la même proportion et tu réussiras. » C’est la simplicité des paroles de mon père qui leur donne un sens aussi profond. Et le petit garçon que j’étais, grandissant dans cette petite ville, a pris très à cœur ces paroles pleines de bon sens. Mon père exploitait une épicerie de quartier dont il était propriétaire. Chaque semaine, les notables d’Elroy se réunissaient dans l’arrière-boutique pour débattre des questions qui touchaient les gens de notre communauté. D’autres personnes de la communauté exprimaient aussi leur opinion lorsqu’elles s’arrêtaient pour faire des courses ou bavarder. C’est dans le magasin de mon père que j’ai découvert l’essence même de la démocratie en action. Assis sur une caisse de farine Gold Medal, j’écoutais attentivement ces gens de notre communauté qui travaillaient ensemble à résoudre les problèmes de l’heure – absorbant chaque mot. Ça m’impressionnait de voir à quel point nos voisins se souciaient d’Elroy et avaient la volonté de participer à la vie communautaire. Tous ceux qui passaient dans le magasin de mon père apportaient à la discussion leur propre définition du service public. Ils s’asseyaient et parlaient; ils n’étaient pas toujours d’accord, mais tous voulaient ce qu’il y avait de mieux pour la communauté. Ils ne se demandaient pas ce que le gouvernement devrait faire pour Elroy. Au lieu de ça, ils se retroussaient les manches et trouvaient ensemble des solutions pleines de bon sens pour faire d’Elroy une ville plus forte avec pour seuls outils leurs propres mains et leurs propres ressources. Le pouvoir au peuple, pas au gouvernement. Tout au long de ma carrière au service du public, j’ai essayé d’intégrer ces mêmes valeurs et philosophies pragmatiques d’un « gouvernement par et pour le peuple » dans mes décisions quotidiennes. Depuis plus de 200 ans, l’ingéniosité américaine repose sur une approche ordinaire des problèmes ordinaires qui se posent aux Américains ordinaires, et c’est encore le cas pour les innovations et les succès du Wisconsin au cours de la dernière décennie. Mais avant d’examiner plus en profondeur les grands succès que nous avons connus dans notre coin du midwest des États-Unis lorsque le fédéral nous laisse innover, j’aimerais revenir un peu sur l’histoire de la décentralisation qui nous a conduits à la situation actuelle. En 1776, la Déclaration de l’indépendance faisait de chaque nouvel État des États-Unis une souveraineté distincte et indépendante, et il n’existait aucun autre gouvernement dont le pouvoir ou la juridiction lui soit supérieur. Cependant, les 13 États originaux devaient reconnaître la nécessité d’un gouvernement national fort pour répondre à leurs besoins communs comme celui d’une défense forte. Après diverses tentatives d’unification, c’est un système fédéral qui fut mis sur pied pour créer une union forte tout en respectant la diversité des différents États. Avec beaucoup de force et de vision, nos aïeux ont ajouté à la Constitution le 10e amendement pour s’assurer que le gouvernement fédéral ne deviendrait pas trop puissant. Au début, le 10e amendement s’est fort bien acquitté de cette tâche, mais avec le temps, il a été démantelé et affaibli, libérant de ce fait le gouvernement national de toute contrainte. Passons à l’année 1987. Depuis le jour où j’ai prêté serment, je me suis engagé auprès du peuple du Wisconsin à aider à créer un pays qui fasse l’envie non seulement des autres États, mais aussi d’autres nations. Et je savais que la seule façon d’y parvenir était de nous libérer des chaînes fédérales. Je crois depuis toujours à la décentralisation et au pouvoir des États. Tout au long de notre histoire, les gouvernements des États et les administrations locales ont servi de laboratoires à la démocratie. Pensez-y, aux États-Unis nous avons le privilège d’avoir 50 laboratoires de démocratie, chacun d’eux animé par des esprits brillants. On a peine à croire que le gouvernement fédéral puisse être aveugle au point de penser que ses idées soient plus près du peuple. Les gouvernements des États et les administrations locales impressionnent continuellement les Américains par leurs actions novatrices et décisives lorsqu’il leur est permis de s’épanouir sans contraintes fédérales excessives. Nous devons absolument étudier de plus près les relations entre nos différents paliers de gouvernement, et leurs responsabilités respectives, ainsi que les effets des restrictions fédérales sur la capacité des États à gouverner efficacement. Ce qui est encore plus important, alors que nous entrons dans un nouveau millénaire, nous devons revitaliser les partenariats entre les gouvernements du fédéral, des États et des administrations locales pour que les Américains, et les gens du monde entier, bénéficient d’un effort vigoureux et unifié pour affronter et résoudre les problèmes qui touchent tous nos pays. L’élection du 104e Congrès, en 1994, est venue renforcer mon action en faveur des États, puisque le contrat avec les États-Unis mettait l’accent sur la nécessité de décentraliser dans le cadre d’un transfert logique de certaines responsabilités de Washington vers les États, là où les gens vivent, travaillent et élèvent leur famille. Mais après toutes les belles paroles, il n’y a eu que peu d’action. En tant que gouverneur, j’ai dû faire face à toute une gamme de restrictions fédérales qui empêchent mon État d’atteindre son plein potentiel et de servir les intérêts de nos citoyens. Depuis la réforme de l’aide sociale jusqu’aux innovations dans le domaine de la santé, le Wisconsin est devenu le principal laboratoire de réforme des États-Unis, inaugurant des douzaines de projets novateurs qui font figure de modèles pour la nation. Pourtant, je dois toujours me rendre à Washington pour demander à genoux la permission de mettre en œuvre nos réformes exemplaires. Pour mieux me faire comprendre, je voudrais vous raconter une histoire qui illustre parfaitement la nécessité d’accorder plus de droits aux États. C’est une histoire dont le dernier chapitre n’est pas encore écrit. C’est l’histoire d’une personne très douée de mon État natal. C’est un homme d’affaires proactif, qui crée des emplois et contribue à la qualité de la vie par ses initiatives dans sa communauté. Il est aussi gravement handicapé. C’est un homme qui veut travailler, et qui le fait. Mais il est l’exception, pas la norme. Partout à travers les États-Unis il y a des milliers de personnes infirmes qui veulent travailler et qui en sont capables, mais elles sont condamnées au fauteuil roulant pour le reste de leur vie, non seulement à cause de leur invalidité physique, mais aussi à cause de l’intransigeance du gouvernement fédéral face aux règlements de Medicaid et de Medicare, qui interdisent aux infirmes d’entrer dans le monde du travail sans perdre leurs prestations d’invalidité. Les Américains invalides peuvent contribuer si on leur en donne la chance. Il suffit de leur en donner l’occasion. Je suis fier de le dire : le Wisconsin a pris une longueur d’avance grâce à son nouveau programme révolutionnaire qui permet aux infirmes de travailler sans perdre leurs prestations d’invalidité. Cela s’appelle Pathways to Independence (Les chemins de l’indépendance), un programme du Wisconsin qui ne peut être mis en œuvre sans le consentement du fédéral. Il n’est pas surprenant que, peu après que nous ayons annoncé cette initiative exemplaire, la Maison Blanche a trouvé l’idée si bonne qu’elle méritait d’être copiée à l’échelle fédérale. On m’a toujours dit que l’imitation était la forme la plus sincère de la flatterie. Et je dois avouer que ça ne me dérange pas qu’on nous vole notre idée. Mais tout ce que je demande, c’est que le gouvernement fédéral nous donne la permission d’aller de l’avant avec ce programme. Pour chaque jour de retard, ce sont des centaines d’emplois qui restent vacants. Je ne vous donnerai qu’un exemple. Le 25 avril 1996, j’ai promulgué la loi du Wisconsin Works (Le Wisconsin au travail), le premier programme de substitution à l’aide sociale du pays. Et avec l’adoption du Wisconsin Works, ou plus communément W-2, nous avons déclenché une réforme mondiale et ouvert la porte à un potentiel illimité. Parallèlement aux efforts de notre État, le Congrès s’est tourné vers le Wisconsin pour aider à formuler la législation fédérale, qui allait devenir, en 1996, l’important Personal Responsibility and Work Opportunity Reconciliation Act (Acte de conciliation entre la responsabilité personnelle et l’accès au travail). Le jour où le président Clinton a signé cette nouvelle loi qui réforme l’aide sociale, j’ai personnellement soumis le W-2 au consentement fédéral. Peut-être que c’est l’histoire de Michelle Crawford qui illustre le mieux le pouvoir de la réforme de l’aide sociale et l’importance des droits de l’État. La première fois que j’ai rencontré Michelle, elle était en train de faire la transition de l’ancien programme de prestations AFDC au programme d’autosuffisance du W-2. C’était une femme peu instruite, qui avait bénéficié de l’aide sociale toute sa vie. Elle a d’abord été embauchée comme concierge, un emploi qu’elle n’aimait pas; alors elle a dit à son patron qu’elle aimerait être mécanicienne. Son père avait été mécanicien, et c’était ce qu’elle avait toujours voulu faire. Son patron lui a donné sa chance. Lors de mon discours inaugural, j’ai demandé à Michelle de raconter son histoire au corps législatif et au peuple du Wisconsin. Elle a su toucher les cœurs en racontant comment elle a finalement pu acheter un sapin de Noël et des cadeaux à ses enfants. Elle était tellement fière qu’elle a dit, en montrant ses enfants au balcon : « Je dis à mes enfants, c’est ça qui arrive quand on fait ses devoirs. » Michelle a clos son discours en élevant le poing en l’air et en disant : « Je demande à tous de prendre une chance avec les travailleurs du W-2. Nous ne vous laisserons pas tomber. » Dans la chambre législative, tous les yeux étaient humides. Ceci, mes amis, c’est un bel exemple de responsabilisation et de détermination pour ceux qui étaient prisonniers de l’aide sociale. Et en même temps que Michelle et des milliers d’autres comme elle échappent à l’emprise de la pauvreté pour se trouver un travail intelligent et une vie pleine de nouveaux départs, l’État bénéficie lui aussi d’avantages extraordinaires. Au Wisconsin, le nombre d’assistés sociaux a baissé de plus de 92 p. 100 depuis 1987. Par le passé, il y avait 100 000 personnes qui, comme Michelle, recevaient une aide monétaire au Wisconsin. Aujourd’hui, ce chiffre est tombé en-dessous de 8000. Le W-2 est né de la détermination de l’État à briser le statu quo et l’esprit du « one size fits all » qui domine à Washington. La seule façon d’atteindre ceux qui dépendent encore des prestations d’aide sociale, c’est de sortir des sentiers battus et de se libérer du carcan fédéral. L’une des plus importantes pierres angulaires du W-2, c’est le système de santé. Nous nous sommes rendus compte que si nous encouragions les personnes qui ont des enfants à charge à entrer dans le marché du travail, nous devions fournir aux enfants et à leurs parents un bon système de santé à prix abordable. Mais là encore, nous ne pouvions agir sans la permission du gouvernement fédéral. Nous avons attendu une éternité l’autorisation fédérale, et notre patience a finalement été récompensée. Aujourd’hui, les familles qui travaillent et dont le revenu est faible ont droit à la couverture des soins de santé grâce à un nouveau programme, le premier dans son genre : BadgerCare. Ce programme novateur va peut-être toucher 64 000 parents et enfants qui s’engagent sur la voie de l’autosuffisance et du succès dans le XXIe siècle. Un autre grand exemple de la capacité de l’État à déterminer efficacement les besoins de ses résidents et à élaborer un programme qui porte fruit. C’est dans le même esprit d’autosuffisance que les États doivent être autorisés à tracer leur propre voie dans le nouveau millénaire, sans se faire dire par le fédéral « vous ne pouvez pas faire ça ». Nous pouvons le faire. Nous le faisons. Et je vous invite à prendre exemple sur le Wisconsin. Les États ont montré avec l’expérimentation limitée permise par le gouvernement fédéral que nous pouvons gérer des problèmes complexes et mettre en œuvre nos idées, en accomplissant sans doute une tâche des plus importantes – rétablir le contact entre les gens et leur gouvernement. La décentralisation aura un effet profondément positif sur la réalisation de programmes et de services gouvernementaux alors que chaque État tente d’imaginer de meilleurs systèmes que ses voisins. Son influence sur le processus politique sera toutefois aussi profond puisqu’elle rétablit la confiance du peuple dans son gouvernement. La concurrence ne constitue qu’un des effets de permettre aux États d’innover. La souplesse permettra aussi la création de nouvelles idées qui pourront être partagées entre les États par le biais des « pratiques exemplaires ». C’est peut-être le président Ronald Reagan qui a le mieux formulé cette idée lorsqu’il a déclaré : « La croissance, la prospérité et, en fin de compte, la satisfaction des aspirations humaines sont créées du bas vers le haut, et non pas du gouvernement vers le bas. Faites confiance au peuple. » Il apparaît très clairement que les idées qui marchent sont les idées les plus proches du peuple – les idées des États. Le siècle qui commence nous apporte de nouveaux défis, différents pour chacun de nos États. Il est bien évident que la meilleure façon de relever ces défis, c’est de mettre en œuvre des idées qui marchent, les idées proches du peuple, les idées des États. Merci.

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