Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Article de référence

PARTAGE DES CHARGES OU RÉPARTITION DES BÉNÉFICES?

Robin Boadway Département d'économie Université Queen's

INTRODUCTION

Toutes les sociétés répartissent leur richesse entre leurs citoyens dans une plus ou moins grande mesure. Évidemment, cette répartition s'effectue principalement par des politiques de redistribution interpersonnelle B celles qui redistribuent directement entre les individus - telles que l'impôt progressif, les programmes d'assurance sociale et la prestation des principaux services sociaux (comme l'éducation, les soins de santé et les services sociaux). Rien ne semble indiquer que la volonté d'aider les moins fortunés de la société ait diminué, même si la nécessité de réduire les dépenses publiques et une meilleure compréhension des politiques économiques ont eu un impact sur le modèle des politiques. Le rapport coût-efficacité des politiques de redistribution a été amélioré lorsque les gouvernements ont remplacé certains programmes universels par des programmes plus sélectifs et plus ciblés, et ont introduit certains mécanismes particuliers tels que les frais d'utilisation ou les exigences de travail dans le but de réduire l'utilisation excessive des services sociaux. Dans certaines fédérations, une partie des principaux programmes de redistribution est mise en œuvre par des niveaux inférieurs de gouvernement, que nous appellerons gouvernements régionaux, en collaboration ou non avec le gouvernement central. C'est le cas, par exemple, des transferts aux pauvres effectués dans le cadre des programmes d'aide sociale, d'éducation et de soins de santé.

En plus du vaste réseau de programmes sociaux fournis par tous les niveaux de gouvernement, les autorités centrales des fédérations redistribuent des sommes importantes entre les différents gouvernements régionaux. Le présent document se penche sur les raisons d'une telle redistribution interrégionale. Si nous estimons qu'il existe toujours un désir de partage entre les individus dans la société, pourquoi ne pouvons-nous pas nous en tenir à des mécanismes de redistribution interpersonnelle judicieusement répartis entre les niveaux de gouvernements pour atteindre les objectifs de partage de la société? Pourquoi est-il nécessaire de superposer une péréquation interrégionale à la redistribution interpersonnelle? La littérature sur le fédéralisme fiscal traite de cette question depuis longtemps. Pour parler simplement, on peut dire que les transferts de péréquation du gouvernement central aux régions représentent un complément indispensable à la décentralisation des responsabilités fiscales. Plus une fédération est décentralisée, plus important est le rôle joué par ces transferts pour atteindre un degré quelconque de redistribution.

Par ailleurs, l'appui du public pour la redistribution peut être influencé par le degré de décentralisation. La décentralisation peut créer un sentiment accru d'identification à une collectivité locale, ce qui augmente le désir de partager avec les membres de cette collectivité plutôt qu'avec les habitants des autres régions du pays. En outre, la décentralisation peut elle-même faire en sorte que les coûts ressentis de la redistribution soient plus élevés lorsque la concurrence entre les différents gouvernements conduit à une « course vers le bas ». Cet effet négatif sur la capacité et le désir de partager la richesse du pays entre les habitants des différentes régions peut être considéré comme un coût potentiel de la décentralisation en regard de ses nombreux avantages. Afin de remettre ces questions dans leur contexte, nous croyons utile de décrire brièvement les différentes formes que peut prendre la redistribution entre les régions dans un système fédéral.

CARACTÉRISTIQUES DES RÉGIMES DE PARTAGE FISCAL

Le partage interrégional n'est pas une caractéristique exclusive des systèmes fédéraux. Dans les États unitaires, ce partage se fait presque automatiquement et sans grand tapage. En général, les gouvernements des États unitaires élaborent des régimes fiscaux à l'échelle du pays de manière que les personnes dans des situations financières semblables soient traitées de façon comparable où qu'ils se trouvent dans le pays. De plus, les individus jouissent généralement de services publics uniformes dans toutes les parties du pays. Cela implique une redistribution implicite considérable de la richesse des régions riches vers les régions pauvres. De même, à l'intérieur des régions, les personnes des différentes localités sont traitées de façon comparable, ce qui implique sans doute une redistribution intrarégionale implicite considérable. Ce qui différencie une fédération n'est donc pas la redistribution interrégionale en soi, mais plutôt le fait que celle-ci soit explicite. Cependant, l'analogie existant entre le partage interrégional au sein d'une fédération et dans un État unitaire explique en partie que l'on se serve du modèle d'organisation financière de l'État unitaire comme point de référence pour évaluer le partage interrégional dans une fédération.

Les modèles de partage interrégional des revenus fiscaux adoptent des formes diverses dans les différentes fédérations en fonction principalement de la nature et de l'étendue des responsabilités fiscales qu'assument les régions. Dans certaines fédérations, les régions sont responsables de dépenses considérables, mais elles comptent sur le gouvernement central pour leur financement. Ce financement peut se faire selon une formule préétablie ou comporter d'importants éléments discrétionnaires. Le financement selon une formule préétablie peut comprendre des ententes de partage de revenus en vertu desquelles le total des sommes disponibles pour les régions correspond à une partie des revenus tirés de certains impôts donnés. Dans d'autres cas, l'importance des subventions aux régions peut être déterminée indépendamment des revenus du gouvernement central, soit en fonction des crédits annuels du gouvernement central, soit en vertu d'un mécanisme d'indexation lié à un ensemble d'indicateurs tels que le PNB, la population ou les dépenses régionales globales. La répartition de la contribution totale entre les régions peut refléter des degrés variables de besoins de dépenses, selon les types exacts de responsabilités assumées par les régions. La mesure des besoins peut se baser simplement sur la population ou tenir compte de facteurs plus spécifiques tels que la structure de la population par âge, les caractéristiques géographiques de la région, l'état de santé, le chômage, etc.

Par ailleurs, les subventions aux régions peuvent être plus discrétionnaires et être déterminées sur une base annuelle par les administrateurs du gouvernement central qui jugent de l'importance des subventions à accorder et parfois de l'utilisation qu'on doit en faire. Qu'elles soient basées sur une formule préétablie ou déterminées de façon discrétionnaire, les subventions peuvent comprendre des éléments de partage interrégional, et l'étendue de ce partage interrégional dépend généralement de la nature des responsabilités confiées aux gouvernements régionaux en matière de dépenses. Plus les responsabilités de redistribution à l'échelle régionale sont importantes, plus il est probable que la subvention tiendra compte des éléments de besoins régionaux.

Lorsque d'importantes responsabilités en matière de perception de revenus sont décentralisées vers les régions, on doit tenir compte d'une autre dimension du partage. En général, les régions n'ont pas toutes la même capacité de percevoir des revenus, et cette capacité est souvent utilisée comme critère pour déterminer l'allocation des subventions aux régions. Pour calculer la capacité de prélèvement fiscal, on peut avoir recours à des indicateurs relativement complexes basés sur les assiettes fiscales régionales ou à des macro-indicateurs plus approximatifs tels que le produit régional brut. Nous présenterons un peu plus loin les arguments qui militent pour l'utilisation de la capacité d'imposition et des besoins comme facteurs déterminants des subventions régionales. Dans les deux cas, le gouvernement central doit être conscient que l'utilisation de ces critères peut inciter les régions à modifier leur comportement de façon à tirer avantage de la formule de transfert.

Les transferts aux régions peuvent aussi varier en fonction de la discrétion qui leur est laissée pour l'utilisation des fonds. Si le gouvernement central juge qu'il existe un intérêt national dans le niveau ou le modèle de certains types de dépenses régionales (p. ex. en éducation, en santé ou en bien-être social), il peut imposer aux régions divers degrés d'exigences en utilisant soit la carotte, soit le bâton. Il peut rendre obligatoires des dispositions régionales pour certains types de dépenses. Il peut imposer des conditions relatives à l'utilisation des fonds par les régions et rendre le versement complet des fonds conditionnel au respect de ces conditions. Il peut aussi exiger un financement de contrepartie pour inciter une région à dépenser suffisamment dans des programmes jugés importants à l'extérieur de la région.

JUSTIFICATION ÉCONOMIQUE DU PARTAGE FISCAL INTERGOUVERNEMENTAL

Pour un économiste, une politique économique doit avoir essentiellement deux objectifs : l'efficience et l'équité, adéquatement tempérés par la faisabilité et l'acceptation politique. En vertu du premier objectif, les politiques devraient garantir que les ressources sont allouées de telle sorte qu'aucun changement faisable de politique ne puisse être plus bénéfique pour l'ensemble des gens; autrement dit, tous les gains de la production et de l'échange sont obtenus. En vertu du deuxième, on doit choisir parmi les subventions efficaces celles qui sont les plus équitables. Les objectifs d'efficience et d'équité requièrent tous deux des jugements de valeur. Dans le cas de l'efficience, les économistes se basent généralement sur les deux principes complémentaires du bien-être et de l'individualisme. Cela signifie qu'au moment d'évaluer une politique, on doit se demander dans quelle mesure celle-ci améliore le bien-être des individus du point de vue économique et se baser sur le principe que les individus sont les meilleurs juges de leur bien-être. Évidemment, il existe des domaines de la politique gouvernementale où ces principes ne suffisent pas et où on doit considérer des objectifs plus généraux tels que la liberté, la justice, la non-discrimination, etc. Mais aux fins du présent exposé, nous nous baserons sur la littérature économique et nous adopterons la perspective du bien-être.

La question de l'équité pose davantage de problèmes car elle demande des jugements sur ce qui est juste. On s'entend généralement pour diviser l'équité en deux composantes : l'équité horizontale et l'équité verticale. La première énonce simplement le principe que « des citoyens égaux devraient être traités de la même façon ». Ce principe constitue véritablement le fondement des régimes de partage fiscal. Ce principe s'appuie sur la notion que tous les citoyens dans la région considérée devraient avoir le même « poids ». Comme telle, cette notion peut être vue comme un énoncé économique sur les implications de la citoyenneté. L'application du principe d'équité horizontale suppose non seulement l'acceptation du principe, mais également la capacité de juger lorsque deux personnes ont le même niveau de bien-être, ce qui n'est pas une tâche facile lorsque celles-ci ont des possibilités, des goûts et des besoins différents. L'équité verticale consiste, pour sa part, à traiter de façon appropriée des personnes ayant des niveaux différents de bien-être, autrement dit à déterminer quelle proportion des ressources limitées d'une société devrait être enlevée aux mieux nantis et remise aux moins bien nantis. Cela implique évidemment un jugement de valeur essentiel, à savoir dans quelle mesure la société doit-elle participer à la redistribution, et un jugement économique sur les coûts associés au processus de redistribution.

Comment une société pose collectivement de tels jugements est une question discutable qui ne concerne pas seulement le fédéralisme fiscal. Les modèles de partage fiscal intergouvernemental sont essentiellement un complément des politiques mises en œuvre par les différents niveaux de gouvernement, et s'appliquent intégralement quel que soit le niveau de redistribution verticale recherché par les gouvernements. On peut les considérer comme des politiques qui facilitent la décentralisation des responsabilités fiscales en faisant en sorte que les avantages de la décentralisation soient obtenus sans compromettre les objectifs nationaux d'efficience et d'équité.

Les avantages de la décentralisation

Il existe plusieurs raisons pour lesquelles les économistes ont tendance à décentraliser les prises de décision en matière de fiscalité. Les gouvernements régionaux sont généralement mieux informés des préférences et des besoins des collectivités locales, et peuvent organiser un ensemble de biens et de services publics, de transferts, de taxes et d'impôts bien adaptés à leurs électeurs. La prise de décision décentralisée peut réduire les coûts de la bureaucratie. Un nombre moins grand de niveaux hiérarchiques diminue les coûts d'administration et de contrôle (souvent appelés coûts d'encadrement) et réduit les risques de gaspillage. C'est particulièrement important lorsque les services publics sont fournis à des individus et à des entreprises : leur prestation doit être décentralisée vers des organismes publics, de façon à conserver un contrôle. La décentralisation peut favoriser l'innovation au sein des différents gouvernements régionaux, et les solutions novatrices d'une administration peuvent inspirer d'autres administrations.

Les gouvernements locaux peuvent aussi subir les effets de la concurrence politique, qui peut les inciter à travailler de façon plus efficace. Dans le même ordre d'idées, les possibilités de recherche de rente et de corruption peuvent être réduites en décentralisant les responsabilités à des niveaux inférieurs de gouvernement. Certains affirment que le sentiment de responsabilité augmente lorsque les décisions sont prises à un niveau rapproché de la population. On croit souvent que la classe politique régionale se sent plus étroitement liée aux décisions individuelles, qu'elle a davantage de comptes à rendre et que les médias locaux surveillent de plus près ce qui touche les décisions locales.

Mis ensemble, ces arguments militent fortement, du point de vue de l'efficience, en faveur de la décentralisation des décisions fiscales vers des niveaux inférieurs de gouvernement. Cependant, ces arguments n'ont pas la même force pour tous les types de décisions. Il sont surtout pertinents lorsqu'il s'agit de fournir des services publics, des biens publics de nature locale ou des éléments de dépenses ciblés en fonction des critères locaux. Ils sont plus faibles lorsqu'il s'agit de biens publics nationaux ou d'importants programmes de transfert. Ce qui est plus important, c'est que les arguments en faveur d'une décentralisation des dépenses en biens et services sont généralement beaucoup plus forts que ceux qui militent en faveur d'une décentralisation des transferts et de la perception des taxes et impôts. Ainsi, une décentralisation efficace entraînerait sans doute un écart fiscal vertical, les responsabilités de dépenses étant plus décentralisées que les responsabilités de perception. Bien sûr, étant donné que la décentralisation constitue elle--même un argument en faveur des transferts du centre vers les régions, comme nous le verrons plus loin, l'existence d'un écart fiscal vertical est désirable. La dimension exacte de cet écart est une question de jugement toutefois, car les principes de fiscalité et de reddition de compte semblent suggérer que la responsabilité à l'égard des dépenses devrait être assortie d'une responsabilité de financer une bonne partie de ces dépenses.

Les coûts de la décentralisation et la nécessité des transferts fiscaux

En plus d'apporter une efficacité accrue et des innovations dans les prestations des services publics, la décentralisation entraîne, relativement à l'efficience et à l'équité, certains coûts qui lui sont étroitement liés.

Coûts relatifs à l'efficience

Il existe trois principaux types de coûts relatifs à l'efficience. Le premier est que les programmes mis en œuvre dans une région peuvent entraîner des avantages ou des coûts dans une autre. Les personnes éduquées ou formées dans une région peuvent déménager dans une autre pour utiliser leurs compétences; les autoroutes construites par le gouvernement d'une région peuvent être utilisées par les résidents d'une autre région, etc. Le deuxième coût est que les politiques régionales peuvent nuire à une allocation efficace des ressources dans l'union économique interne (marché commun). Par exemple, les marchés nationaux de l'emploi, des capitaux, des biens et des services peuvent être faussés aux frontières régionales. Cela peut être attribuable au fait que les gouvernements régionaux imposent des taxes, impôts et transferts différents sur les transactions effectuées à l'intérieur de leur territoire. Ils peuvent adopter des politiques de « chacun pour soi » destinées à attirer les facteurs de production et les entreprises se trouvant déjà dans les autres régions. Ou encore ils peuvent élaborer leurs programmes de dépenses de manière à empêcher la libre circulation des individus et des entreprises entre deux régions, en ayant recours, par exemple, aux exigences en matière de résidence, à l'embauche préférentielle, à des politiques d'approvisionnement ou encore à des règlements concernant les produits ou facteurs de production locaux. Certaines de ces politiques peuvent être adoptées pour atteindre des objectifs régionaux légitimes, tels que la protection de la langue, de la culture, de la santé ou de la sécurité. Mais d'autres ont pour seul but d'entraver la libre circulation des biens, des services et des facteurs de production aux frontières régionales.

Le troisième coût relatif à l'efficience, et le plus étroitement lié à la question des transferts de partage fiscal, provient du fait que le processus de décentralisation fiscale lui-même fait en sorte que certaines régions se retrouvent avec un plus grand potentiel fiscal que d'autres régions pour fournir des services publics et des transferts. Cela peut s'expliquer par une plus grande capacité de lever des impôts (p. ex. une base industrielle ou des ressources naturelles plus importantes) ou par des besoins de dépenser moins importants (p. ex. une faible proportion de personnes âgées). Dans un tel cas, le solde fiscal généré par une région pour ses résidents - soit la différence entre les niveaux moyens de services publics et le niveau des paiements de taxes et d'impôts - diffère de celui des autres régions. Cette situation constitue pour les individus et les entreprises une incitation purement fiscale à déménager dans un territoire qui possède un meilleur potentiel fiscal, un phénomène appelé migration pour raisons de fiscalité. Il s'agit essentiellement d'une conséquence de la décentralisation des responsabilités. Dans un État unitaire, où les taxes, les impôts et les dépenses sont calculés à l'échelle du pays, il n'existe aucun solde fiscal : un même niveau national d'imposition servira à financer des niveaux semblables de services publics à l'échelle du pays. C'est une des raisons pour lesquelles les États unitaires constituent un point de comparaison utile.

Coûts relatifs à l'équité

La décentralisation peut aussi compromettre les objectifs nationaux en matière d'équité. Les gouvernements régionaux ont généralement des instruments de politique qui représentent d'importantes composantes de leur politique de redistribution, tels que les services d'éducation, de santé ou de bien-être, des éléments de sécurité sociale et des impôts de redistribution. De tels instruments peuvent donner naissance à des différences interrégionales inacceptables au chapitre de l'équité. De même, la poursuite d'objectifs de redistribution peut être entravée lorsque les régions se concurrencent les unes les autres pour attirer les entreprises, les travailleurs hautement qualifiés, ou encore les individus susceptibles de faire un moindre usage des services publics. Bien sûr, dans une fédération, l'existence de préférences différentes en matière d'équité redistributive peut être vue comme légitime et, par conséquent, acceptable. Toutefois, si les niveaux inadéquats ou inégaux de redistribution ne sont que le résultat de contraintes de concurrence ou de décisions non coordonnées, les objectifs nationaux d'équités seront compromis.

Ce qui est plus grave encore, en ce qui a trait au partage fiscal, c'est que la décentralisation nuira à l'équité horizontale. En plus de provoquer une migration pour raisons de fiscalité, les mêmes différences existant entre les régions quant à leur capacité de dispenser certains niveaux de services publics pour un niveau donné d'imposition occasionnent aussi des inégalités horizontales dans une fédération décentralisée. Les disparités de solde fiscal entre les régions, qu'elles soient dues à des capacités différentes d'obtenir des recettes ou à des besoins différents en matière de dépenses publiques, impliquent que des personnes semblables résidant dans diverses régions d'une fédération ne seront pas traitées de la même façon par le secteur public : il y a donc une iniquité fiscale. Il s'agit là de l'argument ultime en faveur des subventions de redistribution entre les régions. Les subventions qui redistribuent des sommes des régions ayant une grande capacité fiscale aux régions ayant une faible capacité fiscale permettent aux différentes régions d'offrir des services publics comparables pour des taux d'imposition semblables. Encore une fois, la comparaison avec l'État unitaire est instructive. Dans un État unitaire, la différence entre les capacités fiscales des régions est effectivement annulée par le fait que le gouvernement prélève des impôts comparables, et fournit les mêmes niveaux de services publics dans toutes les régions.

Il faut cependant apporter certaines précisions concernant le rôle du partage fiscal entre les régions dans la réduction des inégalités fiscales. Tout d'abord, les subventions n'ont pas véritablement pour but de redistribuer la richesse entre les régions. Leur but ultime est de garantir que des individus semblables seront traités de façon comparable dans toute la fédération. Par conséquent, il serait en principe possible de remplacer les transferts interrégionaux par des transferts aux individus en fonction de la région de résidence. On a généralement recours aux transferts interrégionaux parce qu'ils sont beaucoup plus simples à administrer et parce qu'ils correspondent au désir de décentraliser les prises de décisions fiscales à l'intérieur de la fédération. Les transferts aux régions permettent en effet à celles-ci d'utiliser les fonds comme bon leur semble; ils n'obligent pas à une utilisation uniforme. Autrement dit, ils donnent aux différentes régions le potentiel de fournir des services publics comparables pour des taux d'imposition comparables mais, dans les faits, ils ne les obligent pas à le faire. Bien que cela puisse compromettre l'objectif d'équité horizontale, une telle pratique est tout à fait compatible avec l'esprit du fédéralisme.

Il importe aussi de reconnaître que les transferts de péréquation interrégionale ont pour but de régler des problèmes d'équité horizontale. Ils ne sont pas conçus comme instruments de redistribution verticale entre les groupes d'individus à haut et à bas revenus. Les juger sur ce critère serait une grave erreur d'interprétation. De même, leur raison d'être n'est pas déterminée par une évaluation particulière de la mesure dans laquelle le système fiscal devrait redistribuer la richesse. Une telle question concerne plutôt les instruments de politique qui s'appliquent directement aux individus.

La plus importante précision qu'il faut faire concernant les transferts de péréquation interrégionale est sans doute la question du jugement de valeur sous-jacent à ces transferts. La question de l'équité repose sur le principe que des personnes semblables devraient être traitées de façon comparable dans toute la fédération (ou, en jargon économique, tous les individus devraient être égaux dans la « fonction de bien-être social »). Ce principe semble être une extension raisonnable de la notion de citoyenneté. En effet, la citoyenneté devrait conférer un traitement égal à tous les citoyens de même condition, quel que soit l'endroit où ils résident. Un tel jugement n'est pas accepté par tous, en particulier dans les fédérations très hétérogènes présentant un haut degré de décentralisation.

Une des caractéristiques intéressantes concernant l'équité dans le partage fiscal interrégional est que, contrairement à la plupart des politiques économiques, elle n'entre pas en conflit avec l'efficience : il n'y a pas d'arbitrage entre efficience et équité. Au contraire, tant l'équité fiscale que l'efficience fiscale militent en faveur de l'élimination des soldes fiscaux qui, autrement, accompagneraient la décentralisation. En outre, plus importante est la décentralisation, plus grand est le besoin de partage fiscal pour améliorer l'efficience et l'équité. Toutefois, plus la fédération est décentralisée, plus l'appui des populations de toutes les régions au partage du fardeau fiscal risque d'être faible.

Enfin, avant de laisser de côté la question des liens existant entre l'équité et les transferts de partage fiscal, nous nous devons de mentionner une autre dimension. Certains économistes ont soutenu qu'un des arguments essentiels pour que les régions joignent une fédération est que cela permet de partager les risques particuliers que court chacune d'entre elles. Selon eux, la péréquation serait une forme d'assurance sociale : les régions chanceuses partageraient une part de leur succès avec les régions qui auraient connu des mauvaises périodes. Il existe évidemment un certain partage des risques dans les modèles de péréquation, mais une telle motivation ne peut expliquer tous les cas de partage interrégional car, dans plusieurs fédérations, certaines régions sont chroniquement plus pauvres que d'autres.

QUESTIONS RELATIVES AU MODÈLE DES RÉGIMES DE PARTAGE FISCAL

Les paramètres appropriés pour un modèle de partage fiscal dépendent d'un certain nombre de facteurs, notamment le degré de décentralisation fiscale de la fédération, les instruments dévolus au niveau régional et, peut-être plus important encore, l'engagement politique à réaliser une équité fiscale. Lorsqu'on trace les grandes lignes des implications de ces facteurs sur le modèle de système, il est utile de se référer à l'État unitaire comme point de comparaison. Dans un État unitaire, un seul gouvernement adopte toutes les politiques qui touchent les régions. En général, l'affiliation régionale ne joue pas un grand rôle en soi dans la détermination des impôts et taxes à payer et des services publics à recevoir : un seul système d'imposition s'applique et des services publics relativement uniformes sont disponibles dans tout le pays. On peut bien sûr se demander quelle sera l'importance du partage entre les individus, mais les personnes ayant un même niveau de bien-être seront traitées de la même façon quelle que soit la région où elles habitent.

C'est la décentralisation des responsabilités fiscales vers les gouvernements régionaux qui apporte avec elle la nécessité des transferts fiscaux. Cette nécessité est d'autant plus grande que sont importants les écarts de soldes fiscaux créés par la décentralisation. Si les régions finançaient tous leurs services publics sur le principe du juste retour - les impôts et les frais d'utilisation payés par chaque résident à son gouvernement régional reflétant exactement les avantages retirés - il n'y aurait pas de soldes fiscaux créés par la décentralisation et, par conséquent, les subventions correctrices n'auraient pas lieu d'être. Toute la redistribution pourrait être effectuée à l'intérieur du système central de dépenses et d'impôts personnels. Mais les gouvernements régionaux ne fonctionnent pas selon le principe du juste retour. Leurs services publics, qui sont généralement accessibles à tous les résidents, sont financés par des paiements fiscaux qui dépendent du revenu. Par conséquent, les régions qui disposent de revenus supérieurs peuvent offrir un plus haut niveau de services publics que les régions à faibles revenus pour un même niveau d'imposition, d'où la nécessité d'un partage fiscal interrégional. En terminant, nous voulons attirer votre attention sur un certain nombre de facteurs qui influent sur le modèle de ces systèmes.

Approche centrale-régionale contre approche interrégionale

Étant donné que l'objectif des subventions de partage fiscal est de transférer des revenus d'une région à l'autre, il est naturel de se demander qui doit effectuer les transferts. En principe, la forme de ces transferts pourrait être déterminée par la négociation entre les gouvernements régionaux sans participation du gouvernement fédéral. Mais une telle approche est rarement utilisée, avec raison. Sauf dans le cas où la seule justification des subventions serait l'efficience (ou le simple partage des risques), la négociation interrégionale risque fort d'échouer, car il est peu probable que les régions mieux nanties acceptent une entente qui se solde pour elles par des transferts négatifs. En outre, même si les régions étaient poussées par des motivations altruistes, la négociation serait difficile car elle devrait déboucher sur un consensus, ce qui est toujours difficile à atteindre lorsque plusieurs parties sont concernées. Le gouvernement central dispose donc d'un avantage naturel lorsqu'il s'agit de réaliser des transferts interrégionaux, car sa base politique est la nation tout entière. Par ailleurs, les dépenses sont généralement plus décentralisées que les impôts, ce qui entraîne un déséquilibre budgétaire vertical qui fournit au gouvernement fédéral les ressources lui permettant de réaliser l'équité fiscale.

Contraintes politiques

L'ampleur du partage fiscal qu'une nation peut tolérer est déterminée par le processus politique. On s'entend généralement pour affirmer que plus une fédération est décentralisée, moins grand est l'appui politique au partage fiscal. Certains partisans de la décentralisation ont justement en tête ce principe lorsqu'ils proposent une plus grande décentralisation, eux qui considèrent qu'il y a déjà une trop grande redistribution et que la décentralisation freinera l'intervention des gouvernements.

Formulation de subventions

La plupart des économistes prônent un partage fiscal selon une formule de financement préétablie. La forme exacte de la formule dépend à la fois des types de responsabilités dévolues aux régions et de la mesure dans laquelle l'équité fiscale est incorporée au système. Si on accepte la notion de l'équité fiscale - c'est-à-dire si les résidents doivent être traités de la même façon par le fisc quel que soit leur lieu de résidence - le modèle de base des subventions devrait en principe refléter les différents besoins des régions et leur différente capacité de prélèvement fiscal.

Si la décentralisation se fait surtout du côté des dépenses, les régions dépendront fortement des subventions provenant du gouvernement central. Idéalement, les subventions devraient être suffisantes pour permettre aux régions de fournir des niveaux comparables de services publics pertinents, tout en leur laissant la possibilité d'élaborer des programmes qui correspondent à leurs propres besoins. La formule utilisée pourrait refléter le montant de financement nécessaire pour offrir un niveau représentatif de services régionaux correspondant au niveau moyen de services dispensés par l'ensemble des régions. Dans certains pays où un tel calcul pourrait s'avérer exigeant du point de vue informationnel, on peut avoir recours à des formules plus simples incorporant des indices de base sur les besoins (principalement des indices démographiques).

Dans la mesure où les impôts sont décentralisés, les formules de partage doivent refléter les capacités relatives des régions d'obtenir des recettes fiscales. Lorsque les données sont disponibles, le potentiel fiscal d'une région devrait être mesuré par sa capacité d'obtenir des revenus en se basant sur des assiettes fiscales représentatives et en appliquant des taux d'imposition moyens pour l'ensemble des régions. S'il n'est pas possible d'employer cette méthode basée sur une assiette fiscale représentative, on devrait avoir recours à des indicateurs plus bruts du potentiel fiscal. Comme la plupart des assiettes fiscales utilisées au niveau régional sont étroitement liées au revenu, on pourrait se baser sur le revenu régional, en apportant peut-être une correction pour tenir compte des différences relatives aux grandes sources régionales de revenus, telles que les ressources naturelles ou les entreprises multinationales.

Subventions inconditionnelles contre subventions conditionnelles

L'essence même du fédéralisme est l'existence de prises de décisions politiques indépendantes à différents niveaux de gouvernement. Donc, à première vue, il est légitime de favoriser l'octroi de subventions inconditionnelles chaque fois que c'est possible. Néanmoins, il existe aussi de bonnes raisons d'attacher des conditions à l'obtention de certaines subventions. En effet, l'utilisation de telles conditions facilite souvent la décentralisation des responsabilités fiscales en permettant d'obtenir les avantages de la décentralisation sans en assumer les coûts. En fait, les subventions conditionnelles peuvent être une façon beaucoup moins intrusive, de la part du gouvernement fédéral, d'influencer les décisions fiscales des régions que d'autres moyens directs tels que l'imposition de mandats, l'utilisation du pouvoir de déroger à une loi régionale ou de l'abroger, etc.

L'imposition de conditions peut être justifiée dans deux sortes de circonstances. La première survient lorsque les avantages (ou les coûts) des politiques fiscales d'une région ont des répercussions sur les résidents des régions voisines. Un des arguments classiques du fédéralisme fiscal est que de telles répercussions doivent être corrigées par l'attribution de subventions conditionnelles.

La deuxième circonstance est plus pertinente du point de vue du partage fiscal. Il s'agit du cas où les responsabilités du gouvernement central et celles des gouvernements régionaux se chevauchent. On s'accorde généralement pour dire que le gouvernement central a, dans une certaine mesure, la responsabilité de voir à ce que l'union économique interne fonctionne de façon efficace et que les normes nationales d'équité soient respectées. Cependant, de nombreux instruments dévolus aux régions ont une incidence majeure sur ces objectifs. Par exemple, on peut faire valoir de solides arguments en faveur de la décentralisation vers les régions des services publics de santé, d'éducation et d'aide sociale. Mais ces grands programmes publics sont également d'importants instruments pour atteindre des objectifs nationaux d'équité tels que l'égalité des chances, une juste distribution du bien-être économique et la sécurité économique. Un système harmonisé de fourniture de ces services peut aussi garantir la libre circulation à l'intérieur de la fédération. Une des façons de s'assurer que la prestation décentralisée de ces importants services publics contribue à l'atteinte des objectifs nationaux d'efficience et d'équité sans compromettre les avantages de la décentralisation est d'attacher des conditions générales à l'obtention complète des subventions fédérales aux régions.

Préférences locales relatives à la redistribution

Enfin, il faut se demander quel niveau de gouvernement devrait être responsable de la redistribution. Dans un sens, c'est un sujet de controverse. Les politiques mises en œuvre par les gouvernements régionaux auront nécessairement sur la distribution des effets dont la plupart ne pourront être contrés par le gouvernement central. Il n'est d'ailleurs pas évident que le gouvernement fédéral devrait les contrer puisque les régions peuvent en toute légitimité avoir des vues différentes sur l'ampleur souhaitable du partage sur leur territoire. Cette situation ne devrait pas entrer en contradiction avec le désir du gouvernement fédéral d'instituer un partage fiscal entre les régions pour atteindre une équité fiscale. Ce qu'on peut espérer de mieux dans une fédération, c'est que les régions disposent du potentiel de fournir des niveaux raisonnablement comparables de services publics pour des taux d'imposition raisonnablement comparables. C'est ce que permet un système de transferts de péréquation. Il appartient aux régions de déterminer si elles veulent ou non dispenser exactement les mêmes services. À cet égard, la fédération décentralisée se distingue de l'État unitaire. Cette forme de compromis, qui tient compte à la fois des objectifs nationaux d'efficience et d'équité et de la capacité des régions de rechercher l'atteinte d'objectifs individuels, constitue l'essence même d'une fédération. En fin de compte, la quantité et le type de partage fiscal sont en grande partie des questions de jugement et de compromis.

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