Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Article de référence

ADAPTATION AU FÉDÉRALISME - LE POINT DE VUE DU MONDE DES AFFAIRES

R. D. Brown, F.C.A. Ancien président de PriceWaterhouse Coopers

La plupart des observateurs s'entendent sur le fait que les tendances économiques et sociales mondiales sont en train de transformer la gestion politique et de provoquer, dans beaucoup de pays, un réexamen des rôles et responsabilités qui seraient les plus appropriés pour les différents niveaux de gouvernement. Du point de vue du monde des affaires, ces questions relatives au fédéralisme soulèvent des inquiétudes particulières concernant leur influence sur la capacité qu'aura la société de générer des emplois, de la richesse et de la croissance.

Les aspects économiques du changement relatif au fédéralisme varient énormément d'un pays à l'autre et d'une époque à l'autre; par conséquent, ils ne sont pas faciles à résumer. Toutefois, une des généralisations que l'on peut faire est le fait que certains États-nations qui jouissaient auparavant d'une autonomie presque complète sont de plus en plus considérés comme trop petits pour faire face à de grands problèmes et trop grands pour faire face à de petits problèmes, ce qui devrait entraîner une nouvelle répartition fondamentale des responsabilités. À mesure que la « mondialisation » progresse, certains des domaines traditionnellement contrôlés par ces États, tels que le commerce extérieur et l'investissement étranger, sont de plus en plus régis par des accords et des organismes internationaux, à mesure que les États en cèdent effectivement le contrôle à des regroupements plus importants. Par contre, en même temps, il se produit dans d'autres secteurs des modifications de l'équilibre des forces politiques en faveur d'un transfert de responsabilités vers les gouvernements locaux. De telles modifications sont survenues en raison de l'échec à la fois du communisme et du colonialisme et de leur influence centralisatrice, mais aussi en raison d'une tendance croissante à se replier sur de plus petits regroupements politiques pour faire contrepoids à des aspects de la mondialisation jugés menaçants. Cette influence, combinée à un déclin général de la crédibilité des « gros » gouvernements et à une reconnaissance accrue des droits individuels de la personne, répond au besoin de gérer la diversité et le changement.

Réaliser un degré particulier de fédéralisme ou de décentralisation est rarement en soi un objectif prioritaire des entreprises. Mais dans un monde en mutation, les gens d'affaires doivent, à l'instar d'autres composantes de la société, reconnaître les puissants facteurs de changement qui sont en train de restructurer nos sociétés, et collaborer à la gestion de ces changements afin qu'ils se traduisent par des résultats économiques positifs.

Expliquant la participation des gens d'affaires aux débats sur le fédéralisme canadien, Thomas D'Aquino, président du Conseil canadien des chefs d'entreprises, une organisation regroupant des PDG de grandes entreprises canadiennes, déclarait : « Nous estimons qu'une démocratie forte et saine et des institutions politiques efficaces et responsables... sont des préalables essentiels à une prospérité économique soutenue » (1).

Ce que le monde des affaires attend des gouvernements

Les actions et la structure des gouvernements influencent fortement les activités et la prospérité économique. Les gens d'affaires attachent une valeur particulière à deux principales contributions des gouvernements :

un cadre de fonctionnement rationnel, stable, sécuritaire et prévisible : la « primauté du droit », et tout ce qui l'accompagne, est le fondement essentiel qui permet aux entreprises de réaliser des engagements et des investissements à long terme, favorisant ainsi prospérité et croissance économique;
des relations positives avec les gouvernements, ainsi qu'une reconnaissance mutuelle du besoin de politiques gouvernementales dans de larges secteurs tels que l'imposition, la réglementation des affaires et l=éducation afin de permettre des pratiques commerciales efficaces et une bonne productivité. En particulier, les gens d'affaires veulent que les gouvernements adoptent des politiques monétaires et fiscales rationnelles et stables : ces politiques sont généralement de la compétence du gouvernement central, bien que les gouvernements locaux aient un rôle à jouer dans l'équilibre fiscal. En fait, il faut une coordination appropriée d'un ensemble de mesures à tous les paliers gouvernementaux pour créer l'environnement positif que désire le milieu des affaires.

Qu'est-ce qui a changé dans le monde?

On considère souvent que la tendance prédominante dans le monde actuel est la « mondialisation » malgré le fait qu'en réalité, certaines de ses composantes ne soient qu'indirectement liées à des événements internationaux. Il s'agit d'une vaste combinaison d'influences telles que l'augmentation de la rapidité et de la facilité des communications, la croissance rapide du commerce international accompagnée d'une expansion fulgurante des transferts transfrontaliers de capitaux et de connaissances, et le développement de la technologie, notamment la naissance de nouveaux secteurs industriels complets dans le domaine des télécommunications et des produits informatiques. De profonds changements dans la manière de gérer les entreprises ont accompagné cette révolution économique mondiale : les entreprises, et non seulement les multinationales, ont de plus en plus une perspective mondiale des marchés, des ressources et des occasions d'affaires; les prises de décision s'accélèrent, on investit de moins en moins dans les activités secondaires pour se concentrer sur les facteurs essentiels de succès et, dans un grand nombre de secteurs, la taille minimale des entreprises requise pour assurer leur survie dans un marché mondial augmente, conduisant à des fusions nationales et internationales massives. Il semble ironique qu'au moment où les entreprises deviennent de plus en plus grandes et internationales, certains arguments militent en faveur d'une dévolution des responsabilités à des paliers de gouvernement plus petits et plus locaux.

L'établissement ou le développement des organisations et des ententes internationales ont accompagné et facilité cette tendance à la mondialisation. L'Union européenne, qui représente une fusion économique effective de presque tous les États européens, en est sans doute le plus bel exemple. Toutefois, dans le commerce international, certains aspects des accords financiers internationaux et d'autres activités sont maintenant de plus en plus régis par des institutions telles que l'Organisation mondiale du commerce. Dans l'ensemble, il s'est produit un transfert significatif de responsabilités et de pouvoirs des États nationaux souverains vers des organisations internationales, traduisant ainsi les réalités des marchés internationaux et le fait que les pays estiment qu'il est de plus en plus coûteux de ne pas souscrire et participer à de tels accords internationaux.

La plupart des gens d'affaires sont des partisans enthousiastes de ce mouvement vers une coordination et une gestion internationales des principales questions économiques mondiales. Il n'existe aucun doute que, dans l'ensemble, la mondialisation a eu une influence positive sur la production économique mondiale et sur les niveaux de vie moyens. Mais ce processus a aussi fait des perdants et des victimes : dans certains cas spécifiques, des industries locales et des travailleurs se sont sentis désavantagés par la mondialisation. (À certaines occasions, des organisations internationales ont mis sur pied des programmes spéciaux de soutien pour certains de ces perdants.)

Ces tendances à la mondialisation ont aussi conduit à une mobilité accrue des capitaux, de la technologie, des gens et même des cultures. Cependant, le degré de changement n'a pas été uniforme : les capitaux d'investissement, la technologie, le savoir-faire et les procédés de gestion traversent les frontières beaucoup plus facilement que les gens. Bien que les travailleurs possédant une formation et des compétences supérieures jouissent d'un niveau de mobilité appréciable, la plupart des gens trouvent difficile de déménager, pour toutes sortes de raisons, et leur perception de la mondialisation est probablement influencée par une perspective locale à laquelle les gouvernements locaux peuvent être sensibles.

Par ailleurs, tandis que les tendances économiques mondiales sont en train d'imposer de nouvelles disciplines dans des aires de contrôle et de réglementation des États-nations, d'autres tendances favorisent le développement de l'autonomie et des pouvoirs des subdivisions politiques. Encore une fois cependant, il ne s'agit pas d'une tendance uniforme, et celle-ci s'appuie sur divers facteurs dans les différents États. Voici quelques-unes des causes générales de la tendance à une autonomie plus grande des pouvoirs locaux, observées en Italie, au Royaume-Uni, en Espagne, au Canada et ailleurs :

Les citoyens considèrent généralement leurs relations avec le gouvernement avec une certaine méfiance, voire un certain cynisme : l'acceptation inconditionnelle de l'autorité et de la légitimité connaît un déclin. Dans une certaine mesure, les citoyens se fient davantage aux paliers de gouvernement inférieurs, qu'ils jugent plus près de leurs besoins, plus compréhensifs et plus responsables. (Cela s'explique en partie par le fait que les gouvernements locaux n'ont pas à faire les grands compromis nécessaires dans un État-nation démocratique moderne.)
Les tendances vers la mondialisation provoquent de l'appréhension, voire de la peur concernant le degré et la direction des changements dans les domaines social et culturel aussi bien qu'économique. Les gouvernements locaux, qui ne sont pas directement liés aux organisations ou aux accords internationaux qui mettent en œuvre ces changements, semblent plus susceptibles de répondre aux inquiétudes des citoyens individuels face à ces questions. (Dans certains cas, cela peut cacher une action d'arrière-garde contre la spécialisation internationale et l'efficacité de l'exploitation).

Un point de vue économique sur le changement et le fédéralisme

Il est très compliqué d'atteindre les objectifs essentiels du monde des affaires dans un environnement où il existe une décentralisation politique significative et où l'État-nation traditionnel et ses subdivisions politiques jouent tous deux des rôles importants dans l'élaboration et l'application des politiques dans le domaine de l'économie et dans des domaines connexes.

En ce qui a trait au premier objectif du milieu des affaires, celui d'obtenir un environnement stable et prévisible, les relations entre un gouvernement fédéral et les subdivisions politiques peuvent être source de tensions et de conflits lorsque les rôles et responsabilités sont sujets à des contraintes et à des changements. Ces tensions et conflits peuvent réduire la stabilité et la prévisibilité de l'environnement économique pour les entreprises, et, dès lors, être considérés comme négatifs. (Indépendamment de toute autre question, la grande majorité des entreprises au Canada, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du Québec, sont opposées à la séparation du Québec parce qu'elle introduirait de nouvelles incertitudes dans l'environnement économique du Canada.) Dans un État décentralisé, le fait que plus d'un niveau de gouvernement contribue à déterminer l'environnement des entreprises est considéré essentiellement comme une situation moins stable et prévisible, et les vagues engagements des gouvernements à se consulter et à se coordonner ne calment pas totalement de telles inquiétudes.

Dans certaines circonstances, un transfert de responsabilités dans un secteur d'intérêt majeur pour les entreprises, tel que les infrastructures, l'éducation et la formation de la main-d'œuvre ou la fiscalité, peut aussi être jugé comme un facteur négatif par les gens d'affaires, puisque cela signifie que ces domaines seront peut-être traités en fonction d'intérêts régionaux ou locaux restreints plutôt qu'en tenant compte de besoins plus étendus.

En même temps, il est important de considérer les aspects économiques et connexes des changements au fédéralisme dans un large contexte. Comme le soulignait Anwar Shah, « Le débat s'est concentré sur les porte-drapeaux de la centralisation et de la décentralisation (...) et a ignoré les préceptes du fédéralisme selon lesquels on doit créer des institutions et des mécanismes appropriés pour soutenir l'attribution constitutionnelle des responsabilités à des gouvernements ayant des niveaux et des centres multiplesY » (2).

Les questions d'imposition dans un État fédéral

Les entreprises s'intéressent vivement à l'imposition et à son incidence sur la satisfaction des attentes des entreprises d'évoluer dans un système stable et prévisible et un environnement global qui favorise la productivité et la croissance. Bien sûr, du point de vue politique, l'imposition est un moyen plutôt qu'une fin puisque les gouvernements des pays ou des régions ne définissent pas un système d'imposition indépendamment de leurs autres politiques; ils font plutôt toute une série de choix sociaux et politiques, puis ils élaborent un système d'imposition qui permettra de financer et de renforcer ces choix. Dans tous les pays, les impôts et taxes ne servent pas qu'à financer les gouvernements, mais aussi à soutenir des objectifs sociaux et autres, notamment à encourager la recherche et l'innovation, à favoriser la création d'emplois, à mieux répartir les revenus et à répondre à des besoins sociaux.

Dans un certain nombre de pays, à mesure que les régions obtenaient de nouvelles responsabilités, on a ajusté également les revenus d'imposition. Dans certains pays, cet ajustement a pris la forme de transferts globaux de revenus d'impôt du gouvernement central vers les gouvernements régionaux, tandis qu'ailleurs les régions obtenaient une « marge fiscale » leur permettant de prélever elles-mêmes plus d'impôts. La responsabilité et la transparence sont meilleures lorsque le droit de faire des dépenses est accompagné du pouvoir d'imposition correspondant.

Une des inquiétudes du monde des affaires concernant la décentralisation du système d'imposition est le risque que celle-ci crée une véritable jungle fiscale non fonctionnelle dans laquelle chaque palier de gouvernement déterminerait seul ses propres règles et taux d'imposition sans coordination avec les autres régions ou le gouvernement central. (L'existence d'une telle jungle fiscale au Canada dans les années 30 a été soulignée dans le rapport Rowell-Sirois (3) présenté au Canada en 1940.)

Les subdivisions politiques veulent habituellement avoir la capacité de gérer leurs propres revenus en déterminant elles-mêmes leurs taux d'imposition. Mais elles veulent aussi utiliser le système fiscal pour soutenir et renforcer leurs politiques sociales et économiques.

Le désir des subdivisions politiques de disposer de flexibilité dans l'élaboration de leurs politiques fiscales entre en contradiction avec le désir des entreprises d'être soumises à un système rationalisé et largement uniforme, en particulier lorsque deux niveaux ou plus de gouvernement lèvent des impôts dans le même domaine, comme par exemple l'impôt sur le revenu des particuliers ou des sociétés. Si deux paliers de gouvernements lèvent des impôts sur une même source, mais suivant des règles différentes, cela pose évidemment des risques de complexité, dans la meilleure hypothèse, et de contradictions et d'inefficacité, dans la pire hypothèse. Au Canada, au cours des dernières années, tout comme dans d'autres pays dont le Royaume-Uni à la suite de la création du nouveau parlement écossais, les niveaux régionaux de gouvernement ont généralement utilisé les lois et l'assiette fiscale fédérales ou nationales pour calculer les revenus et les partager entre les régions dans lesquelles une entreprise réalise ses activités. Dans d'autres pays, y compris certains États des États-Unis et la Suisse, il existe des différences substantielles entre les stratégies et les assiettes fiscales des gouvernements national et régionaux.

À l'heure de la mondialisation, on s'entend généralement sur la nécessité d'harmoniser les systèmes d'imposition des États souverains. Par exemple, il existe actuellement plus de 2 000 accords bilatéraux sur les impôts et sujets connexes signés par des pays désireux de gérer l'interface entre leurs systèmes fiscaux afin d'éviter la double imposition de certains revenus et de faciliter la circulation internationale des capitaux et des connaissances. Toutefois, même ce grand nombre de conventions ne suffit pas pour régler tous les problèmes de « frontières » entre les systèmes fiscaux, et les difficultés surviennent à l'interface des différents systèmes, là où ils entrent en contact dans leur application à une entreprise.

En raison de l'importance croissante de l'imposition locale, les interfaces des systèmes fiscaux locaux, entre eux et avec les systèmes nationaux, deviennent de plus en plus importantes et inquiétantes. Souvent, les conventions fiscales signées entre deux pays n'engagent pas leurs subdivisions politiques et, dans certains cas, il s'est révélé difficile de convaincre un gouvernement régional d'harmoniser son système avec ceux des régions voisines ou avec ceux d'autres États.

La préoccupation du monde des affaires est essentiellement que l'importance et l'indépendance croissantes des subdivisions politiques signifient que les systèmes fiscaux de nombreux pays deviennent plus complexes et laissent place au dédoublement des exigences de conformité et de la paperasserie. Les différences dans le calcul et l'allocation des impôts d'une même entreprise par des gouvernements différents peuvent conduire à une double imposition des mêmes profits ou, au contraire, les entreprises peuvent utiliser des techniques audacieuses de planification pour réduire leurs impôts en trouvant les brèches entre les systèmes fiscaux non harmonisés des différents gouvernements.

La plupart des entreprises préféreraient, à long terme, une approche coordonnée des questions fiscales dans laquelle le gouvernement central et les gouvernements locaux s'entendraient sur la définition de l'assiette fiscale et sur l'allocation des recettes, laissant à chaque gouvernement le soin de fixer ses propres taux d'imposition et, par conséquent, de contrôler ses propres revenus fiscaux. Il est toutefois difficile d'atteindre ce degré de coordination : il suffit d'observer l'exemple de l'Union européenne, qui est parvenue à une position commune sur le commerce et sur plusieurs autres questions, mais où la plupart des efforts soutenus en vue d'harmoniser les impôts des particuliers et des sociétés se sont soldés par un échec. Dans beaucoup de fédérations, le désir des subdivisions politiques d'utiliser la fiscalité pour encourager les investissements locaux et pour répondre à des priorités locales dans le domaine du bien-être social a aussi rendu difficile la coordination.

Un autre problème se pose dans un monde de plus en plus international : les pays doivent atteindre un plus haut degré de coordination et de coopération dans le domaine fiscal afin d'éviter les pertes de revenus à cause des paradis fiscaux et de s'attaquer à des tâches complexes telles que l'imposition du commerce sur Internet, et concilier des approches différentes. Les petits gouvernements ont de plus en plus de difficulté à imposer les transactions et transferts internationaux, et même les gouvernements centraux doivent rechercher une coordination internationale pour faire face à ces problèmes.

Comme nous l'avons mentionné plus haut, les gens sont généralement moins mobiles que les capitaux ou la technologie. Cela signifie que les gouvernements locaux et, en fin de compte même les États-nations, auront plus de difficulté à lever des impôts « non standard » et à imposer des cadres réglementaires dans le cas des transferts de capitaux et de technologie. Un gouvernement qui imposerait des conditions plus coûteuses que d'autres risquerait bien de subir une forte diminution des transferts vers son territoire. Une subdivision politique peut avoir un peu plus de succès dans ses tentatives d'établir ses propres règles pour l'imposition d'individus relativement peu mobiles (par exemple en imposant des systèmes fiscaux plus ou moins progressifs, ou en exemptant certains types de revenus comme incitation), mais même dans de tels cas, il est probable qu'il y aura des limitations dues à des facteurs de concurrence.

Le libre-échange

Les droits de douane et les restrictions au commerce international sont des prérogatives généralement réservées aux États-nations, même dans les pays décentralisés. La croissance du nombre d'accords bilatéraux, multilatéraux et mondiaux de libre-échange, portant notamment sur la réduction des barrières non tarifaires, a permis une immense augmentation du commerce international. Dans l'ensemble, les effets de cette tendance ont été positifs, tant pour l'ensemble des entreprises que pour les niveaux de vie. L'OMC et ses prédécesseurs, par exemple, ont ouvert le commerce international, ce qui a eu des effets généralement bénéfiques, mais aussi d'inévitables répercussions négatives sur certaines industries auparavant protégées dans quelques localités. Du point de vue d'une fédération, l'accord peut être jugé positif en raison des avantages compensatoires obtenus, mais dans une petite région, les inconvénients peuvent être évidents tandis que les avantages sont flous ou ont été transférés ailleurs. Il est normal que les subdivisions politiques continuent de s'inquiéter des questions de commerce international qui les touchent directement; s'il est souhaitable qu'elles aient l'occasion d'exprimer leur opinion sur de tels accords internationaux, on voit difficilement comment elles pourraient jouer un rôle direct et indépendant dans leur élaboration.

Les inquiétudes concernant la réglementation des entreprises

Dans les fédérations, la répartition des pouvoirs économique et réglementaire entre le gouvernement fédéral et les subdivisions politiques varie de façon substantielle. Du point de vue des entreprises, on craint évidemment un possible dédoublement de la réglementation entre les paliers de gouvernement et des conflits de réglementation ou de programmes. Dans de nombreux cas, la répartition des pouvoirs dans les fédérations a été définie il y a de nombreuses années et, bien qu'elle ait pu faire l'objet de modifications depuis lors, elle correspond rarement à la conception rationnelle courante de la façon la plus efficiente possible de partager les responsabilités en matière de réglementation. Par exemple, au Canada, le gouvernement fédéral a la responsabilité constitutionnelle d'autoriser l'établissement des banques et de les réglementer, mais certains aspects de la réglementation d'autres institutions financières - compagnies d'assurances, sociétés de fiducie, coopératives de crédit, etc. - sont de la compétence des provinces. Les tendances actuelles sur les marchés financiers favorisent un degré croissant de chevauchement et de convergence entre les différentes institutions dans le secteur financier mais, en raison du partage des compétences constitutionnelles, il est difficile d'élaborer un régime de réglementation global qui refléterait plus fidèlement les réalités des marchés et des institutions d'aujourd'hui. Dans certains pays, la responsabilité de la gestion d'ensemble des ressources naturelles incombe au gouvernement central, tandis que dans d'autres États, elle appartient au moins en partie aux gouvernements locaux : dans les deux cas, la nécessité de partager les revenus de ces ressources peut créer des problèmes complexes.

L'attente globale des entreprises, c'est que la répartition des responsabilités entre les niveaux de gouvernement soit rationnelle et claire, qu'il y ait le moins possible de dédoublements et de chevauchements dans les programmes, et que les coûts d'exploitation des entreprises nationales ou même internationales ne soient pas gonflés en raison de conflits de compétence ou de réglementation. Par ailleurs, la nature précise de cette préoccupation dépend, d'une part, de la répartition effective des pouvoirs, et d'autre part, de la capacité des gouvernements d'harmoniser leurs responsabilités constitutionnelles originales et de les adapter au nouveau contexte économique (4).

En ce qui a trait aux autres programmes gouvernementaux qui peuvent apporter un soutien important aux activités économiques(5), il existe là aussi le risque qu'on choisisse des solutions moins qu'optimales, du point de vue des entreprises. Si l'éducation est de compétence régionale, est-ce qu'un gouvernement régional dépensera suffisamment en éducation si, en fait, un haut pourcentage de ses diplômés risque fort d'occuper des emplois dans d'autres régions?

La redistribution

Une des responsabilités du gouvernement consiste à analyser la répartition des revenus, entre les catégories de revenus et entre les régions, et à prendre les mesures qui s'imposent s'il juge que cette répartition est inappropriée. Dans beaucoup de fédérations, il peut exister de nombreux programmes de soutien au profit des personnes à faible revenu, accompagnés évidemment de mesures fiscales qui imposent un fardeau plus grand aux personnes à haut revenu. De telles mesures peuvent avoir pour effet de redistribuer le revenu non seulement entre les catégories de revenus, mais aussi entre les régions, puisque certaines d'entre elles auront des revenus plus élevés que d'autres. En outre, les gouvernements fédéraux peuvent fournir toute une variété de programmes et de mesures de soutien, y compris des paiements directs aux subdivisions politiques en fonction de leurs besoins, ce qui peut aussi impliquer une redistribution régionale significative.

De telles redistributions régionales constituent une partie du ciment qui maintient ensemble de nombreux États fédéraux, en assurant des niveaux uniformes de soutien et de services. Mais elles sont également source de tension entre les régions qui sont donatrices nettes et les régions qui sont bénéficiaires nettes. À une époque où l'expansion du commerce international et le déclin relatif du commerce intérieur existent, une région prospère peut être moins portée à appuyer le partage interrégional car les autres régions perdent graduellement de l'importance en tant que clientes.

Il peut y avoir une contradiction entre l'objectif d'assurer des normes communes de services gouvernementaux dans tout le pays et la nécessité d'inciter les régions défavorisées et leurs habitants à s'adapter aux changements qui surviennent. Les programmes qui fournissent des subventions importantes pour des activités économiques qui ne pourraient autrement se réaliser dans ces régions entraînent pour l'ensemble de la société des coûts significatifs, réduisant ainsi la capacité concurrentielle générale de ces régions. Résoudre cette contradiction représente un des aspects les plus problématiques du fédéralisme coopératif.

Conclusion

Il importe de ne pas surestimer les inquiétudes des entreprises face aux institutions fédérales et à leur évolution. Le monde des affaires ne représente qu'un des secteurs de la société, et même les personnes qui possèdent ou dirigent de grandes entreprises peuvent être fortement influencées par des facteurs non économiques dans leur vision du fédéralisme et des questions qui y sont reliées.

Cependant, le monde des affaires a des raisons tout à fait légitimes de craindre que, premièrement, le fédéralisme, et, deuxièmement, un possible renforcement de la tendance à la décentralisation dans certains secteurs ne viennent entraver la croissance et le développement économiques. Des questions telles que le chevauchement des réglementations et des services, une définition locale inadéquate de ce qui constitue une opération nationale ou une opération internationale, le manque de rationalité dans les services de soutien, et l'existence de régimes fiscaux contradictoires sont toutes des questions qui peuvent surgir dans le cadre du fonctionnement du fédéralisme, et elles concernent toutes directement le monde des affaires.

Toutefois, certains de ces mêmes problèmes peuvent aussi provoquer des conflits entre États-nations et, dans le cadre d'organisations et d'accords internationaux, il s'est avéré possible de faire des progrès dans la résolution de ces problèmes grâce à la discussion et à la coordination. La difficulté que posent les problèmes des fédérations est qu'il peut très bien ne pas exister d'institutions, de processus et de bonne volonté pour harmoniser et coordonner les politiques qui visent le bien-être commun; cela s'explique en partie par le nombre même de subdivisions politiques et par l'importance qu'elles accordent aux questions locales plutôt qu'aux questions nationales.

Les affaires prospèrent lorsque règnent entre les gouvernements l'harmonie et la coopération, et non les conflits. Dans de nombreuses fédérations, on estime réalistement qu'il est inévitable que les gouvernements fédéral et régionaux s'influencent mutuellement, et qu'il faut trouver de nouveaux moyens de favoriser un dialogue constructif, y compris par la création d'institutions et de processus d'harmonisation, tout en respectant le principe de la responsabilisation (6).

Les procédés de gestion des entreprises et, bien entendu, tout l'environnement dans lequel se réalisent les affaires sont en train de changer dans le monde entier. Les entreprises reconnaissent les problèmes globaux et s'y adaptent, même sur les marchés locaux : elles doivent fonctionner de manière plus dynamique et concurrentielle, accorder une attention accrue à l'innovation et au changement, et se concentrer sur de plus grands marchés.

Dans un tel contexte, le monde des affaires appuie en général les développements parallèles dans la gestion publique qui ont pour effet de passer d'institutions et de processus fermés, lents, bureaucratiques et inutilement axés sur les contrôles à des institutions et des processus plus ouverts, réceptifs, coopératifs et sensibles aux questions internationales.

Mais les entreprises reconnaissent aussi l'unité essentielle des procédés administratifs et des développements économiques à travers le monde, une unité qui conduit à une certaine érosion des responsabilités des États-nations et à leur transfert vers des organisations et des accords internationaux. Selon la majorité des gens d'affaires, ces influences - qui vont continuer - exigent aussi que tous les gouvernements dans les fédérations reconnaissent l'absolue nécessité de fonctionner en coordonnant leurs politiques avec celles des autres niveaux de gouvernement. Tout comme elle a érodé la souveraineté absolue des États-nations, la mondialisation restreint aussi la capacité des subdivisions politiques de faire des choix dans leurs secteurs de compétence constitutionnels sans tenir compte de toutes leurs conséquences.

Pour revenir à la question des principales attentes des entreprises par rapport au gouvernement - stabilité et prévisibilité d'une part, environnement concurrentiel et axé sur la croissance d'autre part -, l'atteinte de ces objectifs exige que les différents niveaux de gouvernement travaillent main dans la main dans le cadre d'un État moderne. Pour y parvenir, il faudra peut-être créer des institutions et des mécanismes qui favoriseront l'établissement de buts communs en ce qui a trait aux entreprises et aux objectifs économiques à l'intérieur de fédérations. NOTES

1. Extrait d'une allocution présentée à un colloque sur le fédéralisme et l'avenir, qui avait lieu à l'Université d'Ottawa en août 1997. 2. SHAW, Anwar. Balance, Accountability, and Responsiveness : Lessons about Decentralization, Banque mondiale, Washington, 1998, p. 1. 3. Commission royale des relations entre le Dominion et les provinces, Ottawa, Imprimeur de la Reine, 1940. 4. « L'évaluation optimale des pouvoirs [ . . .] dépend des objectifs économiques globaux poursuivis par la fédération. Un changement dans la nature de ces objectifs économiques exigera sans doute un changement correspondant dans la répartition des pouvoirs (soit de facto ou de jure). » Thomas J. Courchene, Economic Management and the Division of Powers, Toronto, University of Toronto Press, 1986, p. 232. 5 . Les problèmes de chevauchement, de dédoublement et de conflits entre les niveaux de gouvernement peuvent être résolus avec de la bonne volonté et une coordination intergouvernementale appropriée. Par exemple, un rapport canadien de 1991 concluait que « dans une large mesure, les gouvernements [fédéral et provinciaux] gèrent efficacement les chevauchements de programmes, [mais] . . . il reste encore beaucoup à faire au chapitre de l'harmonisation », Chevauchement et dédoublement de programmes fédéraux et provinciaux - Points de vue de l'administration fédérale, Secrétariat du Conseil du Trésor, Ottawa, 1991. 6. « La responsabilisation des institutions est la clé du succès de la prise de décision décentralisée », Anwar Shah, op. cit., p. 14.