Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Article de référence

MODÈLES RELATIFS AUX DROITS DES CITOYENS

Thomas Fleiner Président, Institut du fédéralisme Université de Fribourg, Suisse

Introduction

Les états fragmentés confrontés à des conflits ouverts ou latents dus à la diversité sociale font face à des problèmes presque insurmontables. Comme nous l’apprennent ces conflits, la question de la diversité n’est pas seulement une question de droits de la personne, c’est aussi, dans la plupart des cas, une question liée à l’état et –plus important encore – une question qui touche au principe classique de la majorité dans les démocraties modernes.

Dans un état fondé sur le principe démocratique de la règle de la majorité, les minorités ethniques sont désavantagées dès que les politiques de l’état reflètent des intérêts ethniques avoués ou occultes. L’organisation de ce type d’état s’appuie sur un concept fondamental, celui de la démocratie, qui est basé sur l’idée suivante : à travers le discours démocratique rationnel, les meilleurs arguments qui défendent les intérêts communs seront les plus convaincants et, donc, prévaudront. Cependant, les arguments rationnels ne peuvent être efficaces que dans un état caractérisé par un processus décisionnel rationnel et basé sur un système de justice rationnel et légitime. Ce sont ces concepts qui sont en cause dans les conflits dits relatifs à la distribution où, conformément aux politiques de l’état, on établit habituellement le mode de distribution des revenus de l’état entre les citoyens. Toutefois, dans les conflits catégoriques, on ne peut convaincre les indécis ou les opposants à l’aide d’arguments rationnels. Les conflits catégoriques ne peuvent être résolus à l’aide du discours démocratique sur lequel s’appuie la majorité pour gouverner. Les identités ethniques sont basées sur des caractéristiques subjectives ou objectives résultant d’une communauté de langue, de religion, de culture ou d’histoire. Ces identités ne peuvent pas être modifiées par des arguments rationnels. Elles sont des symboles engendrés par des émotions. On ne peut pas modifier les racines de l’identité de quelqu’un et faire en sorte que cette personne devienne croate ou allemande de la même manière qu’une société détermine le revenu de sécurité sociale.

Puisque les conflits catégoriques ne peuvent pas être résolus par l’intermédiaire du processus décisionnel démocratique, l’état libéral limite le pouvoir de la majorité en garantissant les droits de la personne et en protégeant la liberté de tous les citoyens. En fait, le but principal de l’état moderne est de protéger et de promouvoir la liberté individuelle. Cette liberté doit être garantie sur la base de l’égalité des droits de tous les citoyens.

Dans les sociétés fragmentées, cependant, les personnes appartenant à des groupes minoritaires ne se satisfont pas de la simple protection de l’égalité de leur liberté individuelle. Ils demandent aussi à ce que leur communauté d’appartenance possède un statut égal et les mêmes droits et privilèges que la majorité. C’est seulement lorsqu’un Suisse de langue romanche possède l’assurance que sa langue bénéficiera du même statut et de la même protection que l’allemand qu’il se sentira accepté au sein de l’état et de la société comme l’égal de son compatriote de langue allemande. Ainsi, cette personne demande non seulement des droits individuels égaux, mais encore le droit d’appartenir à une communauté ethnique distincte. Cependant, ces intérêts collectifs sont clairement en contradiction avec le concept d’un état fondé sur la liberté individuelle.

Ainsi, du fait de conflits catégoriques, la diversité ethnique fragmente les communautés politiques. Les conflits catégoriques ne peuvent être surmontés que si les états et les gouvernements, en plus de défendre la liberté individuelle, sont disposés à accepter des compromis en imposant des limites à la liberté individuelle au profit de la paix. C’est bien là le défi auquel les états sont confrontés lorsque, pour devenir vraiment la patrie de toutes les personnes placées sous leur autorité, ils cherchent à obtenir la légitimité et la confiance et à se faire respecter des différentes communautés.

Quels sont les outils que l’on a utilisés jusqu’à ce jour pour favoriser, respecter ou tolérer la diversité? En principe, on peut distinguer deux façons principales de composer avec la diversité : l’une est basée sur les formes institutionnelles de partage du pouvoir, et l’autre est basée sur les droits des citoyens.

Formes institutionnelles de partage du pouvoir

1. Fédéralisme

Le fédéralisme est l’outil institutionnel classique; il peut conférer aux communautés qui demandent l’autonomie et des droits garantis par l’état le statut d’un quasi-état possédant une souveraineté limitée. Dans les états fédéraux, la constitution protège non seulement l’autonomie des unités constituantes, mais aussi la part de pouvoir de ces unités dans le processus décisionnel de la fédération. Ainsi, les unités constituantes font partie du pouvoir constitutionnel de l’état fédéral. Elles possèdent un statut constitutionnel. À travers les unités constituantes d’un état fédéral, les communautés ethniques peuvent jouir d’un droit collectif à l’autonomie – c.à.d. la gestion de leur unité constituante – et d’un pouvoir partagé, qui est le droit constitutionnel de l’unité constituante d’intervenir sur les politiques de la fédération. Elles participent ainsi aux décisions qui élargiront ou restreindront leur autonomie par rapport au pouvoir législatif, judiciaire et exécutif, ainsi qu’au pouvoir d’imposition des unités de la fédération. Il peut arriver que, au travers des droits des citoyens établis à plusieurs niveaux, les personnes appartenant à différentes unités constituantes possèdent des identités émotionnelles et constitutionnelles distinctes.

Le fédéralisme est habituellement basé sur la division territoriale, mais on peut également diviser un pays selon la langue ou la religion. Ainsi, les communautés religieuses publiquement reconnues en Allemagne et en Suisse, les communautés linguistiques en Belgique et certaines organisations d’état dans l’empire Ottoman (le système millet) représentent des exemples de droits à l’autonomie basés sur l’identité personnelle plutôt que sur le territoire. Selon l’expérience historique, ces structures basées sur un fédéralisme personnel peuvent ne pas être très stables. Néanmoins, elles peuvent servir à réunir différentes communautés dans une organisation étatique et à maintenir sa cohésion.

Les unités constituantes peuvent même être ou devenir le symbole de la patrie pour les citoyens des minorités qui veulent se montrer loyaux envers la fédération par leur loyauté même envers leur unité constituante. Les états qui choisissent de réunir leurs sociétés fragmentées par ce type de fédéralisme doivent aussi envisager de repenser le concept de souveraineté perçu comme étant l’apanage exclusif du gouvernement central.

Les principaux arguments contre de telles politiques fédérales sont basés sur la peur que le fédéralisme ne constitue un premier pas vers la sécession et que l’état fédéral ne manque d’autorité pour garantir l’égalité des droits et des libertés comparativement aux états unitaires. Aux opposants au système fédéral, qui avancent ce genre d’arguments, on rappelera la loyauté renouvelée que l’Inde a pu inspirer à la population tamoule en créant un nouvel état tamoul au sein de l’Union indienne.

2. Régionalisme

Le régionalisme est un outil moins efficace que le fédéralisme pour composer avec les minorités ethniques. Dans certains cas, cependant, le régionalisme peut aider à maintenir ou créer la cohésion entre des sociétés distinctes. À la différence du fédéralisme, qui est établi par la constitution de l’état, le régionalisme est généralement basé sur une décision législative. Ainsi, les régions peuvent être façonnées, créées ou abolies par la simple majorité de la législature. L’autonomie des minorités peut être renforcée, mais aussi réduite, par une simple majorité. Ainsi, les minorités ne possèdent aucun poids constitutionnel pour empêcher les autorités d’imposer des limites au régionalisme ou pour pousser plus loin la décentralisation. On doit également noter que, en général, le régionalisme n’offre que l’autonomie; il représente, en fait, un fédéralisme privé des formes de partage de pouvoirs conférées aux régions autonomes.

Il faut savoir que, comme pour le fédéralisme, il existe différentes formes de régionalisme. Très souvent, le régionalisme est non seulement utilisé comme un outil général de décentralisation, mais aussi comme un outil permettant de rallier les minorités qui demandent différentes sortes d’autonomie. Cet usage conduit souvent à un régionalisme asymétrique, qui confère à des régions spécifiques une autonomie spécifique. C’est le cas, par exemple, en Espagne, où le régionalisme a presque un fondement constitutionnel, tandis qu’en France, le régionalisme est décidé sur des bases statutaires qui reconnaissent la spécificité régionale de l’Alsace, de la Corse ou de la Normandie sans leur conférer d’autonomie.

3. Buts constitutionnels

La question fondamentale de l’organisation de l’état est la suivante : quels sont les buts de l’état relativement à la diversité? La diversité est-elle considérée comme un problème devant être résolu par l’assimilation ou par l’intégration? Se contente-t-on de la tolérer? Les minorités sont-elles considérées comme des invités tolérés, dont les membres ne sont traités que comme des citoyens de second ordre, ou bien envisage-t-on la diversité comme un enrichissement, un bien à cultiver et à promouvoir? Le Traité de l’Union européenne par exemple (article 151, anciennement 128), stipule explicitement que l’Union doit promouvoir les diversités existantes. La nouvelle constitution suisse, à l’article 2, considère la promotion de la diversité existante comme un but spécifique de l’état. Ce type d’engagement s’accompagne généralement de subventions fédérales pour inciter et soutenir l’enseignement dans les langues des minorités, et pour aider les groupes religieux minoritaires à recevoir des services religieux complets, etc. Les états qui favorisent la diversité seront également disposés à accepter les compromis dans l’intérêt de la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques. Ces compromis peuvent aussi restreindre la liberté individuelle pour assurer le respect des traditions culturelles de la communauté. La cour constitutionnelle de Colombie, par exemple, a autorisé les communautés indiennes à pratiquer leurs propres méthodes de punition corporelle et physique en dépit des opinions modernes sur le châtiment personnel.

4. La démocratie comme outil de gestion des conflits

Il est impossible de ne voir dans la démocratie qu’un processus décisionnel destiné à rallier une majorité claire pour favoriser l’efficacité de l’administration de l’état; on peut aussi y voir un outil de gestion des conflits à l’aide de procédures de pacification légitimes. Ainsi, il est peut-être nécessaire de remettre en cause les principes même de la démocratie pour la considérer comme un outil institutionnel utile non seulement pour renforcer la légitimité des de l’état, mais aussi pour gérer les conflits entre les différentes communautés ethniques.

La démocratie peut être considérée comme un processus permettant l’entière auto-détermination de l’individu dans un contexte de subordination des personnes aux décisions de la communauté. De ce point de vue, le principal objectif du processus démocratique est non seulement de rallier une majorité efficace, mais aussi d’obtenir le consensus le plus large possible. Si les personnes, pour des raisons d’interdépendance sociale, ne peuvent pas se réaliser par leur seule liberté individuelle mais seulement en tant que membres d’un groupe, elles jouiront d’une plus grande autonomie si elles peuvent prendre des décisions démocratiques au sein du groupe le plus petit possible. Dans cette optique, la démocratie est mieux servie si les processus décisionnels sont le plus décentralisés possible au niveau local. L’auto-détermination optimale est atteinte quand le consensus devient possible. Le but de la démocratie n’est donc pas de rallier une majorité efficace, mais d’atteindre un consensus. Ce consensus peut être obtenu plus facilement au sein de petits groupes que de grands groupes. Comme moyen d’obtenir le consensus, la démocratie est associée à la décentralisation et à l’autonomie locale. Cette vision de la démocratie consensuelle est complémentaire au régionalisme et au fédéralisme.

Le consensus démocratique est également indispensable pour la gestion de conflits. Les états qui élaborent des institutions démocratiques pour dégager un consensus implantent par là même les éléments nécessaires à la gestion des conflits. L’expérience suisse nous apprend qu’une démocratie semi-directe peut en même temps former les citoyens à la tolérance et au respect de la diversité, et permettre d’atteindre un consensus en évitant l’écueil de la tyrannie de la minorité.

5. Pouvoir constitutionnel

L’une des questions les plus importantes concernant les minorités est leur poids constitutionnel. La constitution sert de fondement à tous les états. Si les minorités ne jouissent pas d’un statut qui leur permet d’influer sur le fondement constitutionnel de l’état, comment peuvent-elles considérer l’état comme le leur? Le défi que pose la diversité à chaque société est le besoin de trouver un fondement institutionnel permettant aux minorités de participer au niveau constitutionnel. La grande difficulté que rencontrent les sociétés est de trouver le juste milieu, évitant à la fois la tyrannie de la majorité et la tyrannie de la minorité.

6. Système gouvernemental

Le système gouvernemental ou, plus précisément, le pouvoir exercé par l’exécutif, est un autre outil permettant d’intégrer les minorités dans un état. La démocratie représentative présente deux principaux types de systèmes gouvernementaux : un système présidentiel avec un chef d’état puissant, comme en France, ou un système parlementaire avec un premier ministre puissant assisté par un cabinet, le chef de l’état étant symbolique et représentant l’unité. Dans le système présidentiel, les minorités peuvent se sentir menacées ou victimes de discrimination du fait qu’un chef d’état puissant puisse être lié à la représentation et à la promotion des intérêts de la majorité. C’est un problème que l’on retrouve dans plusieurs constitutions de l’Europe de l’Est. Dans ces cas, les constitutions tirent généralement leur légitimité de la notion de citoyen purement politique, refusant de reconnaître la pertinence des arguments culturels sur le plan politique. Une telle conception peut conduire à des conflits entre la majorité et les minorités, comme c’est le cas en Turquie.

Les minorités faibles peuvent, d’un autre côté, se sentir mieux protégées par un chef d’état puissant, parce qu’il ou elle se montre plus indépendant et possède donc plus de liberté pour intervenir qu’un premier ministre, qui est tributaire de la majorité ethnique au parlement. Dans les états où le pouvoir de l’exécutif est tributaire de la majorité du parlement, les minorités peuvent être considérées par les partis politiques comme de simples instruments pour atteindre leurs propres fins. Ceci comporte le risque d’une définition de la politique en fonction de l’ethnie, qui peut s’avérer désastreuse pour les minorités. Quand la différence de représentation de la majorité et de la minorité au parlement est faible, aucun parti ne sera intéressé à tenir compte des intérêts de la minorité de crainte de perdre les élections suivantes. En général, les minorités ne se sentent pas bien représentées, quel que soit le type de gouvernement. Quand la majorité commence à promouvoir des intérêts ethniques occultes ou avoués, l’autorité de l’exécutif perd de sa légitimité et, finalement, l’état aussi..

Il existe des formes collégiales de gouvernement qui ne sont pas directement tributaires du groupe majoritaire au parlement et qui, en même temps, représentent le dirigeant de l’état et l’exécutif. En voici quelques exemples : le directoire français de la première République française de 1795, le Conseil fédéral suisse (une copie indirecte du Directoire français) ou la Commission de l’Union européenne. Ces formes de gouvernement peuvent servir les intérêts de la minorité mieux qu’un gouvernement qui est quotidiennement tributaire d’une petite majorité au parlement. Les pairs qui forment un tel gouvernement peuvent représenter la diversité présente dans le pays. Si tel est le cas, les minorités percevront que le chef de l’état et l’exécutif les représentent. Puisque, dans cette forme de gouvernement, l’exécutif n’est pas dirigé par un président ou un premier ministre, il doit chercher à obtenir un consensus à l’intérieur du gouvernement. Ceci vient renforcer encore les chances de faire valoir d’une manière ou d’une autre les intérêts de la minorité, qui sont respectés et même promus par un gouvernement dans lequel ils ont également des représentants. Cependant, il est important pour le fonctionnement d’un gouvernement collégial que les pairs ne soient pas élus par un électorat fondé sur l’ethnie, comme c’est le cas pour la présidence de la Bosnie. Représenter les intérêts minoritaires signifie également posséder une légitimité dans d’autres parties du pays. Un système permettant la sélection de personnes qui, tout en ayant le mandat de représenter tous les citoyens, défendent à la fois les intérêts de l’état dans son ensemble et ceux de leur communauté d’origine, possède les meilleures chances d’intégrer la diversité et d’éviter la fragmentation de la société.

7. Système électoral

La question des systèmes électoraux est liée à celle du système gouvernemental. La principale question par rapport au système électoral est la suivante : notre but est-il de voir au parlement des gouvernements possédant une majorité efficace, ou cherchons-nous à ce que le parlement reflète la diversité sociale, en sacrifiant l’efficacité au profit de la paix? Dans un état caractérisé par une diversité fortement conflictuelle, la réponse est claire. Si l’on veut des résultats de scrutin qui reflètent la diversité sociale, il faut adopter un système électoral basé sur la représentation proportionnelle avec d’importants électorats. Ce n’est qu’avec d’importants électorats qu’un système proportionnel donne aux minorités dispersées à travers les territoires un chance plausible d’être pleinement représentées au parlement. Dans les états caractérisés par la concentration territoriale des communautés ethniques, les territoires ne sont généralement pas complètement homogènes. Les faibles minorités à l’intérieur de minorités plus importantes ont donc de meilleures chances d’être représentées dans ce système. De plus, les états fragmentés qui veulent refléter la diversité ne devraient pas instituer un seuil de pourcentage minimal, qui concourt à éliminer les petits segments de population du parlement. Non seulement ces seuils éliminent-ils les petits segments, ils diminuent également la représentation des petites minorités.

Dans certains états, les systèmes électoraux instaurent des quotas pour les minorités de manière à ce que celles-ci soient représentées proportionnellement. Ces quotas peuvent être avantageux dans les états caractérisés par de très petites minorités qui ne seraient pas équitablement représentées, même dans un système proportionnel.

Droits des citoyens

1. Mesures de redressement

La liberté constitue le but premier des droits humains. Elle est garantie par la limitation du pouvoir gouvernemental. La principale préoccupation des communautés minoritaires est la discrimination – soit par les autorités publiques soit par des actions privées – qui les exclut ou qui impose un fardeau supplémentaire à leurs membres. Cette discrimination, réelle ou perçue, affecte leur développement dans des domaines tels que l’éducation, l’économie ou le logement, comparativement aux membres des communautés majoritaires.

Il convient d’élargir considérablement la définition habituelle des droits de la personne si l’on veut que les minorités soient protégées de la discrimination sociale générale. Les mesures de redressement, particulièrement utilisées aux états-Unis, représentent un outil important. Leur principe est de permettre à l’état de lutter contre la discrimination en appliquant, par exemple, des quotas pour les groupes minoritaires. Ceux-ci bénéficient ainsi d’un accès privilégié aux écoles, aux universités, etc. Les mesures de redressement constituent, de facto, une forme de discrimination à rebours. Elles reposent sur un système de quotas qui permet aux membres des communautés minoritaires d’être acceptés dans une université, même s’ils ne satisfont pas aux même normes que les personnes appartenant au groupe majoritaire. Les membres des communautés majoritaires doivent donc répondre à des normes plus élevées, et, de ce fait, certaines personnes qui auraient normalement été acceptées se trouvent éliminées et se sentent victimes de discrimination. Le seul argument en faveur de cette discrimination est que la majorité a exercé historiquement une discrimination envers la minorité et doit donc accepter une discrimination inverse.

Cet argument est pleinement justifié à l’échelle collective, mais comment est-il justifiable au niveau des personnes? Pourquoi certaines personnes devraient-elles payer le prix de la discrimination exercée par leurs parents et leurs grand-parents envers le groupe minoritaire? C’est pour cette raison principale que les mesures de redressement font encore l’objet de critiques et sont parfois rejetées en vertu du droit à une protection égale en vertu de la loi.

2. Doctrine de l’action d’état (Drittwirkung)

La doctrine de l’action d’état interdit aux autorités de l’état d’appliquer des mesures discriminatoires d’ordre privé aux personnes appartenant à des groupes minoritaires. Les tentatives visant à empêcher certains clients, Turcs ou Afro-américains, par exemple, d’utiliser publiquement des services privés tels que restaurants ou parcs, ou d’acheter des maisons dans certaines quartiers, violent le droit des citoyens parce qu’elles excluent ces personnes pour raison de race ou de nationalité. Les tribunaux allemands et suisses, inspirés par la doctrine du drittwirkung, ont conçu un processus similaire pour contrer la discrimination par les particuliers. Le drittwirkung repose sur l’idée que certains droits et libertés limitent non seulement le pouvoir gouvernemental des états, mais aussi les actions des particuliers ou des entreprises. Le drittwirkung permet, par exemple, à de nouveaux concurrents de poursuivre en justice une entreprise qui tente de les boycotter pour empêcher leur entrée sur le marché.

3. Droits collectifs

Les droits collectifs peuvent servir à défendre les intérêts de la minorité. Le tribunal constitutionnel de Colombie a conféré des droits collectifs aux minorités indiennes qui soutenaient que leur droit à la vie était un droit collectif, puisque leur mode de vie ne pouvait pas être compris au niveau individuel mais seulement au niveau collectif. Les droits collectifs peuvent également être compris comme un prolongement des droits de la personne. Ainsi, la langue d’une minorité peut être protégée sur une base individuelle par une personne appartenant à un groupe minoritaire qui affirme qu’elle a le droit d’utiliser, personnellement, le langue de la minorité de l’état.

Selon certaines minorités cependant, les droits collectifs ne peuvent défendre efficacement les intérêts d’une minorité que si ces droits ont été ont été concédés à la minorité en tant que collectivité et s’ils peuvent être défendus par un organe représentatif de cette communauté. Si tel est le cas, les droits des particuliers à l’intérieur de la minorité – tels que la liberté de religion ou la liberté linguistique – pourront être restreints pour protéger et défendre la religion ou la langue de la minorité en vertu des droits collectifs.

4. Compétence des tribunaux

L’efficacité des droits des citoyens sont bien sûr tributaires de la compétence des tribunaux du pays. C’est sur cette base que la Cour Suprême américaine a pu soutenir le concept d’intégration rendu célèbre par le cas «Brown vs Board of Education». En Colombie, le actio popularis et la tutela sont de nouveaux outils constitutionnels qui ont permis au tribunal d’établir et de maintenir sa nouvelle compétence en matière de droits collectifs. Dans le système légal continental, où les tribunaux possèdent une compétence bien plus limitée, il est beaucoup plus difficile de garantir efficacement les droits des minorités par le biais de décisions judiciaires.

Droit international

Le droit international est un outil important pour composer avec la diversité et pour garantir la protection des minorités. À cet égard, on peut mentionner le droit très controversé à l’auto-détermination des nations ou des peuples, article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, certaines recommandations d’organisations régionales telles que l’OSCE (Charte de Paris) ou des conventions relatives aux minorités du Conseil de l’Europe concernant la langue et les minorités en général.

1. Droit à l’auto-détermination

Le droit à l’auto-détermination des peuples reconnu dans les articles 1 et 55 de la Charte des Nations Unies peut être interprété comme un droit consenti à toute communauté ethnique d’ exercer son autonomie ou même de se séparer unilatéralement d’un état majoritaire. S’il existait une définition objective des notions de « peuple » ou de « nation », on pourrait discuter de ces droits collectifs fondés sur la Charte des Nations Unies. Cependant, une telle définition n’existe pas.

Toute communauté qui revendique une langue, une culture, une religion ou toute autre racine historique commune pourrait commencer à se considérer comme un peuple ou une nation. Ainsi, le droit à l’auto-détermination unilatérale des nations pourrait nous conduire à une anarchie internationale totale, des communautés de plus en plus petites revendiquant leur propre droit à l’auto-détermination. De plus, on doit tenir compte du fait que, dans la plupart des cas, les communautés minoritaires comprennent généralement des communautés minoritaires plus petites sur leur territoire. Très souvent, la communauté minoritaire de plus grande importance n’est pas disposée à protéger la communauté ethnique plus petite vivant sur son territoire. Son conflit avec la majorité se terminera donc souvent par un nouveau conflit avec sa propre minorité.

On doit finalement noter que l’article 2 de la Charte des Nations Unies proclame l’égalité souveraine de ses membres. Le droit à l’auto-détermination des peuples ne devrait pas être en conflit avec l’article 2.

2. Mise en application

La reconnaissance des droits des minorités à l’échelle internationale, comme le droit à l’auto-détermination, soulève un autre problème. Il n’existe pas d’instance internationale – légale ou autre –qui puisse légitimement interpréter ou faire appliquer les droits internationaux des minorités. Quand la communauté internationale intervient dans des conflits concernant les minorités, elle ne peut plus jouer le rôle de médiateur objectif ,et devient souvent l’alliée d’une des parties en conflit. Cela signifie qu’elle fait appliquer les droits d’une minorité au détriment d’une autre minorité ou d’une communauté majoritaire. L’éclatement de l’ex-Yougoslavie constitue un exemple clair. À part la Slovénie et la Macédoine indépendantes, la Yougoslavie, plutôt que d’adopter la diversité, a donné naissance à trois régions homogènes en Bosnie, à une Croatie homogène et – il faut le craindre – à un Kosovo homogène sur le plan ethnique. Il n’existe pas de cas connus dans lesquels la communauté internationale a pu soutenir la diversité existante par la mise en application des droits des minorités. Au contraire, elle a soit toléré, soit indirectement provoqué l’homogénéisation des territoires.

Parmi les autres outils internationaux, on retrouve les droits à l’autonomie basés sur des conventions obligatoires telles que la Charte européenne pour les droits des minorités ou sur des recommandations comme celles de la Charte de Paris de l’OSCE. Dans les deux cas, il revient à la majorité à l’intérieur d’un état de garantir ou d’établir des droits à l’autonomie pour sa communauté minoritaire. Le principal inconvénient de ces conventions, cependant, est habituellement que les minorités nient toute légitimité à l’état gouverné par la majorité. Ainsi, tous les droits à l’autonomie généreusement concédés aux minorités sont rejetés. Les minorités n’accepteront que les droits qu’elles prendront à la majorité de leur propre initiative, avec leur propre pouvoir, rejetant le généreux « don » de la majorité.

Conclusion

Confucius raconte l’histoire suivante :

L’élève demanda à son maître : quelles sont les conditions nécessaires à la formation d’un état? Le maître répondit : l’économie, l’armée et la confiance. Si l’on doit renoncer à l’une de ces conditions, laquelle n’est pas absolument nécessaire? La réponse est l’armée.

Si l’on ne peut avoir qu’un élément dans l’état, lequel est indispensable? La réponse est la confiance.

Sans confiance, aucun état ne peut fonctionner. Face au défi moderne de la diversité, il nous faut bien comprendre que la confiance est vraiment indispensable. Cependant, l’état a besoin non seulement de la confiance du peuple dans les institutions et les dirigeants de l’état, mais aussi de la confiance entre les différentes communautés. Ainsi, les institutions doivent remplir les conditions de la légitimité pour toutes les communautés, et posséder les moyens de favoriser l’établissement de la confiance nécessaire entre les différentes communautés ethniques. La diversité ne sera soutenue dans les états fragmentés que sur la base de cette confiance fondamentale.

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