Conférence internationale sur le fédéralisme Mont-Tremblant, octobre 1999 Article de référence

LA MONDIALISATION ET SON INCIDENCE SUR LES FÉDÉRATIONS

Earl H. Fry Professeur de sciences politiques et professeur titulaire d'études canadiennes à l’Université Brigham Young

Introduction

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le nombre d'États-nations a augmenté considérablement. Au départ, 51 États se sont joints aux Nations Unies en 1945, et l'Organisation compte aujourd'hui 185 membres, outre une demi-douzaine de pays qui n'ont pas cherché à s'y affilier. Environ 25 de ces pays sont des fédérations ou confédérations officielles, qui représentent plus d'un tiers de la population mondiale (1). En outre, plusieurs autres grandes nations ont récemment délégué d'importants pouvoirs administratifs, et fonctionnent, à certains égards, comme un régime fédéral; c'est le cas notamment de la Chine, de l'Espagne et du Royaume-Uni. Au total, près de 80 % de la population mondiale vit dans des pays qui sont dotés d'une organisation fédérale ou qui, au moins, fonctionnent selon certaines dispositions de type fédéral (2).

L'enjeu de la mondialisation

Stephen Kobrin a avancé des idées utiles pour faire la distinction entre une économie « internationale » et une économie « mondiale ». Dans le premier cas, presque toute la production se fait sur des marchés nationaux distincts qui sont reliés grâce au commerce transfrontalier et aux placements de portefeuille, le marché national conservant son rôle d'élément fondamental au sein du système international. Dans le deuxième cas, l'ampleur de la technologie a repoussé les limites des marchés bien au-delà de celle des États-nations, et les réseaux intégrés sur le plan électronique remplacent peu à peu les modes d'organisation traditionnels comme éléments essentiels des transactions économiques internationales. Grâce à une évolution technologique sans précédent, outre l'apparition de près de 40 000 sociétés transnationales (dont les 400 principales comptent à elles seules pour la moitié de tous les extrants du secteur privé), le monde est devenu un endroit où les frontières nationales conservent leur importance mais ne sont plus l'élément prépondérant de l'analyse économique (3).

Même si ce document de référence porte essentiellement sur le secteur économique, il faut également savoir que la « mondialisation », ou du moins la « régionalisation », est aussi une réalité dans bien d'autres secteurs. Comme l'indique le Tableau 1 , les ressortissants des États- nations modernes sont de plus en plus vulnérables aux décisions qui sont prises ou aux événements qui se déroulent au-delà des frontières de leur propre pays Les gouvernements des différents États-nations ne peuvent plus faire cavalier seul pour trouver et mettre en oeuvre des solutions pratiques aux problèmes en matière d'environnement, d'énergie et de ressources découlant du réchauffement de la planète, de l'appauvrissement de la couche d'ozone, de la pollution atmosphérique et des eaux, de la disparition des stocks de poisson et des combustibles fossiles, ainsi qu'une foule d'autres problèmes. Les frontières nationales n'ont pratiquement plus aucun sens au sein du cyberespace et il en va de même, de plus en plus, du crime organisé et du terrorisme international. Pour résoudre ces problèmes et bien d'autres aussi importants, il faudra une plus grande collaboration entre les gouvernements nationaux afin de préserver et d'améliorer la qualité de vie de leurs ressortissants.

Dans le domaine économique, la mobilité au niveau international des marchandises, des services, des capitaux, de la technologie et des personnes a atteint un niveau sans précédent, et le monde est aujourd'hui beaucoup plus intégré que par le passé. Le commerce mondial des biens et services représente près de 7 billions de dollars par an, et il augmente presque trois fois plus vite que la croissance globale des économies nationales. En outre, l'expansion des services commerciaux, de l'investissement direct et des placements de portefeuille sur les marchés internationaux, ainsi que du tourisme international, dépasse facilement celle du commerce des marchandises (4).

La croissance la plus spectaculaire s’est produite sur les marchés des devises internationaux. Les mouvements de fonds quotidiens entre les pays ont été de l'ordre de 20 milliards de dollars en 1973, pour atteindre 207 milliards de dollars en 1986, 820 milliards de dollars en 1992, et plus de 1,5 billion de dollars en 1998 (5). La valeur de seulement deux semaines de ces échanges suffit à financer les mouvements annuels de biens, de services et d'investissements, et cette activité est donc essentiellement spéculative. En outre, les liquidités détenues par des intérêts privés sont censées dépasser les 80 billions de dollars en l'an 2000, soit plus de deux fois le PIB annuel combiné de tous les pays du monde (6). Une bonne partie de ces liquidités seront utilisées comme des « capitaux fébriles » pour profiter des possibilités d'investissement dans le monde entier, et c'est peut-être cet aspect de la mondialisation qui inquiète le plus les dirigeants des gouvernements nationaux. Ce sont les capitaux fébriles qui ont exacerbé la crise des marchés asiatiques en 1997, la crise de Russie en 1998, et la crise du Brésil en 1999. Au plus fort de la crise asiatique, l'exode rapide des investissements a entraîné la dévaluation de 50 % des monnaies de Thaïlande et de Corée du Sud, tandis que celles de la Malaisie et des Philippines perdaient 40 % de leur valeur. Les fluctuations des devises, même à une époque d'« euroïsation » et de « dollarisation », peuvent avoir d'importantes retombées sur les entreprises et les travailleurs de nombreux pays, puisque les exportations deviennent moins concurrentielles dans les pays qui subissent la dévaluation, et les importations de ces pays supplantent les produits locaux sur les marchés en raison de leur faible prix.

En ce qui a trait à la « mondialisation », Dani Rodrik a dit que selon « la personne qui l'utilise, le terme signifie une occasion, un impératif, une source d'anxiété ou au pire une malédiction » (7). Les progrès révolutionnaires dans le domaine des communications et des transports rendent de plus en plus secondaire la question des distances, de l'espace et des limites nationales. La prépondérance des systèmes de marché dans le monde entier, conjuguée à d'intensifs programmes de déréglementation et de privatisation, a également sapé la capacité des gouvernements de défendre et valoriser les intérêts de leurs ressortissants Par exemple étant donné que la production se fait de plus en plus à l'échelle internationale, les sociétés transnationales peuvent facilement déplacer les emplois vers les pays où les travailleurs sont peu rémunérés ou vers d'autres pays qui offrent des avantages particuliers, mais les travailleurs qui occupaient ces emplois auparavant ne sont pas transférés; la plupart du temps, ils se retrouvent inscrits au chômage. À preuve, plus de 100 entreprises américaines sous-traitent actuellement leurs activités de codage de logiciels à des usines en Inde, où le travail est effectué pendant la nuit et renvoyé à la société grâce à des réseaux électroniques. Dans toutes les entreprises américaines, près de quatre millions d'« étrangers virtuels » sont employés à l'étranger et reliés par des réseaux de télécommunications électroniques (8). Ces travailleurs à l'étranger contribuent peut-être à accroître la compétitivité des entreprises américaines, mais ils ne paient pas d'impôts aux États-Unis et nuisent sans doute aux perspectives d'emploi des citoyens américains. Richard Longworth définit la mondialisation comme « une révolution qui permet à un entrepreneur de mobiliser des fonds n'importe où dans le monde et, grâce à cet argent, d'utiliser la technologie, les communications, les méthodes de gestion et les travailleurs là où il les trouve, pour fabriquer des produits où il le souhaite et les vendre là où se trouvent des clients » (9). Cette nouvelle vision de la mondialisation au XXIe siècle impose peut-être un fardeau excessif aux gouvernements nationaux du fait que, malgré une interdépendance économique et une interconnexion croissantes, les électeurs continuent d'attendre d'eux « des programmes d'aide sociale onéreux et des taux d'imposition faibles, le plein emploi et un taux d'inflation bas, et surtout, ils s'attendent à une croissance régulière des revenus » (10).

Le fédéralisme et la mondialisation

Dans une fédération, la constitution prévoit le partage des pouvoirs entre le gouvernement national et plus de 350 entités gouvernementales infranationales comme les États, les provinces, les cantons, les länder et les républiques autonomes. Souvent, un régime fédéral a été adopté au départ pour satisfaire le désir d'autonomie des divers éléments constituants, pour tenir compte des exigences liées à la grande superficie du territoire ou, plus souvent, pour compenser la diversité ou les clivages dans divers secteurs (voir Tableau 1). En fin de compte, certains pays ne réussissent pas à contenir ces forces centrifuges, comme en témoigne la désintégration récente des régimes fédéraux en URSS, en Yougoslavie et en Tchécoslovaquie.

À une époque de mondialisation, les gouvernements infranationaux de plusieurs fédérations ont décidé qu'ils doivent être très présents sur la scène internationale s'ils veulent protéger les intérêts de leurs ressortissants. Dans la plupart des régimes fédéraux, le commerce international, l'investissement et le tourisme représentent aujourd'hui un pourcentage sans précédent de l'ensemble des emplois. Par exemple, aux États-Unis, plus de 18 millions d'emplois sont directement liés à l'économie internationale, soit près d'un sur six emplois à plein temps dans le secteur privé, contre un sur trois au Canada. Indirectement, de nombreux autres emplois sont liés à l'économie internationale puisque la pénétration des importations atteint un niveau record et que les entreprises locales doivent soutenir la concurrence sur leur marché intérieur face aux produits et services importés de l'étranger. Étant donné qu'une forte proportion des recettes des gouvernements infranationaux provient des activités des entreprises locales, ces gouvernements jugent essentiel de jouer un rôle sur la scène nationale et internationale.

En second lieu l'effet de perturbation de l'économie internationale sur les marchés locaux incite également les gouvernements infranationaux des régimes fédéraux à réagir. À une époque d'interdépendance, la notion de capitalisme telle que l'entrevoyait Joseph Schumpeter, soit comme une « destruction créatrice », est plus d'actualité que jamais. Aux États-Unis, entre 1980 et 1997, 74 millions d'emplois ont été créés et 44 millions ont disparu. La création nette de 30 millions d'emplois est un résultat très impressionnant, mais la suppression des 44 millions d'emplois a provoqué certaines tragédies humaines. L'effet conjugué de la mondialisation et du progrès technique rapide se fait sentir de façon inégale sur les entreprises et les régions. Par exemple, parmi les sociétés figurant sur la liste de Fortune 500, en 1955, 70 % n'existent plus aujourd'hui (11). La ville de Detroit a perdu 70 % de ses emplois dans le secteur de la fabrication depuis sa plus forte productivité des années 60, tandis que l'emploi dans la Silicon Valley a augmenté de près de 1 000 % depuis une vingtaine d'années (12). Étant donné que bon nombre de gouvernements infranationaux, dans les fédérations, sont les premiers responsables de la réglementation des entreprises, des programmes de chômage et d'aide sociale, ils doivent jour après jour faire face à cette destruction créatrice turbulente à une époque de mondialisation. En outre, les ententes internationales ou régionales conclues par leurs gouvernements nationaux, comme l'affiliation à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), à l'Union européenne (UE), ou à l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), ont également empiété sur des secteurs de responsabilité qui, aux termes de la constitution, étaient confiés à ces gouvernements infranationaux. Cet effet perturbateur restreint les prérogatives politiques à une époque où les gouvernements d'États, provinciaux, des länder ou d'autres gouvernements infranationaux participent de plus en plus à un éventail d'activités où il y a souvent chevauchement entre le niveau local, national et international.

L'expansion de la participation des gouvernements infranationaux sur la scène internationale est impressionnante. Aux États-Unis, quatre États avaient un bureau à l'étranger en 1970, tandis qu'aujourd'hui, 42 États et Porto Rico ont 180 bureaux dans près de 30 pays différents. Bon nombre de gouverneurs et de maires de grandes villes dirigent au moins une mission internationale chaque année, et les gouvernements d'État affectent près de 100 millions de dollars par an à leurs programmes internationaux, en plus des milliards de dollars qu'ils allouent en subventions, prêts, ou exonérations fiscales temporaires à des entreprises étrangères qui établissent des filiales sur le territoire américain. Depuis toujours, les provinces canadiennes ont eu plus de bureaux à l'étranger et ont dépensé nettement plus à l'égard des programmes internationaux que leurs homologues aux États-Unis (13). Les länder allemands, les cantons suisses et les États australiens sont parmi les autres gouvernements infranationaux de fédérations qui ont participé activement à des activités internationales, outre certains gouvernements infranationaux de régimes unitaires comme la France et le Japon. Selon toute vraisemblance, ces activités internationales parrainées par les gouvernements infranationaux ne feront que s'accroître à l'avenir, ce qui témoigne de l'expansion de leur professionnalisme et de leurs recettes, de leur désir constant de défendre les intérêts de leurs ressortissants, du nombre croissant de problèmes qui ont des conséquences à la fois au niveau national et international, et de la progression inéluctable vers la mondialisation et la régionalisation.

Les relations intergouvernementales et la mondialisation

À une époque de mondialisation, les fédérations se heurtent à certains problèmes que ne connaissent pas les régimes de gouvernement unitaires dont le pouvoir est concentré au niveau national Tout d'abord en raison des activités menées à l'étranger par les gouvernements infranationaux, il est parfois plus difficile à l'État-nation de présenter un « point de vue unique » dans le domaine de la politique étrangère. Ottawa a eu sa part de désaccords avec le gouvernement du Québec au sujet de la représentation internationale, et l'actuel gouvernement du Parti Québécois (PQ) insiste pour être représenté au sein d'organismes internationaux comme l'Organisation mondiale du commerce et l'UNESCO. En fait, dans un document de travail récent du PQ, on a pu lire ceci : « Pourquoi se battre pour la place du Québec au sein du Canada quand le véritable débat désormais tournera autour de la place du Québec dans le monde? » (14) Le Massachusetts a essayé d'imposer des sanctions aux échanges commerciaux avec la Birmanie (Myanmar); la Californie et la ville de New York ont imposé des sanctions à deux banques suisses jusqu’à ce qu’elles eurent conclu un règlement acceptable quant à la répartition des biens appartenant aux victimes de l'Holocauste; diverses villes américaines continuent d'imposer des sanctions économiques à certains États-nations. Dans la plupart des cas, le gouvernement national s'est opposé à ces décrets des gouvernements infranationaux en leur disant qu'ils nuisent à la politique étrangère de Washington.

Parmi les autres lacunes liées au fédéralisme, mentionnons : 1) le manque de collaboration intergouvernementale pour trouver des solutions aux problèmes de la mondialisation, 2) le dédoublement des programmes internationaux, 3) une concurrence vive et onéreuse entre les gouvernements infranationaux pour attirer les sociétés étrangères dans leurs champs de compétence, 4) l'absence de normes nationales dans divers domaines importants, et notamment la législation en matière de responsabilité, les responsabilités fiduciaires, la réglementation environnementale, etc., 5) le protectionnisme infranational et les autres obstacles qui entravent la libre circulation des biens, des services et des travailleurs au sein de la fédération, ce qui sape les efforts des sociétés locales pour devenir concurrentielles sur la scène internationale, 6) les conflits fréquents dans le domaine du fédéralisme financier, et 7) les litiges qui surviennent régulièrement quant à savoir quel ordre de gouvernement est le mieux placé pour s'attaquer à un vaste éventail de problèmes. La mondialisation peut également exacerber les problèmes du côté de l’unité nationale dans les fédérations fragiles menacées par la désintégration.

En revanche, les régimes fédéraux offrent certains avantages par rapport aux régimes unitaires par leur capacité d'adaptation aux enjeux de la mondialisation. Leur vaste expérience des relations intergouvernementales leur a appris à discuter avec les gouvernements nationaux et infranationaux étrangers. En outre, les gouvernements régionaux et les municipalités des fédérations comprennent généralement mieux que leur gouvernement national les conditions locales et ce qu'il faut faire pour améliorer la qualité de vie de leurs ressortissants. Ils ont également le pouvoir, la souplesse, et souvent, les moyens financiers voulus pour mettre en oeuvre des programmes expérimentaux, lesquels, s'ils sont couronnés de succès, peuvent être copiés par d'autres gouvernements infranationaux au sein de la fédération. La concurrence continuelle entre ces gouvernements infranationaux pour créer des conditions propices au développement économique les empêche également de s'endormir sur leurs lauriers, les incitant ainsi à innover continuellement. Idéalement, cette souplesse et cette créativité s'accompagneront d'un ferme engagement à l'égard de l'union économique nationale et de l'absence de barrières commerciales et d'autres sortes d'obstacles qui entravent les échanges entre les éléments de la fédération.

Il est évident qu'il faudra accroître les consultations et la collaboration entre les gouvernements si les régimes fédéraux veulent profiter des nombreuses possibilités qui leur sont offertes et réduire au minimum l'incidence néfaste de la mondialisation. À titre d'exemple, il faudra s'attaquer à la question urgente de savoir comment tous les ordres de gouvernement peuvent élaborer une politique commune concernant le commerce électronique qui ne connaît aucune frontière, pas plus nationale que locale (15). En diminuant les recettes tirées des taxes de vente et de l'impôt foncier et en gonflant les rangs des chômeurs, la croissance rapide du commerce électronique constitue une menace pour les entreprises qui ont pignon sur rue dans les collectivités. Certains gouvernements nationaux ont même été jusqu'à décider de retarder le prélèvement de taxes sur le commerce électronique, en offrant à cette initiative cyberspatiale un avantage concurrentiel supplémentaire sur les magasins de détail locaux. Le phénomène de la mondialisation et le progrès technologique entraîneront un grand nombre de problèmes semblables à celui du commerce électronique, ce qui exigera d'intensives consultations entre les gouvernements et des délibérations entre les secteurs public et privé.

À l'aube du nouveau siècle, il y a très fortes chances que la tendance à la mondialisation s'accentue encore et que l'interconnexion entre les économies locales, nationales et internationale se renforce. Il ne faut pas en déduire que les frontières sont désormais inutiles (surtout par rapport à l'échange de biens), car le commerce à l'intérieur des frontières, évalué par rapport à la distance et à l'importance économique, continue d'être nettement supérieur au commerce transfrontalier (16). Néanmoins, grâce à l'expansion du commerce mondial et régional et à la libéralisation des investissements dans le cadre de l'OMC, l'UE, l'ALENA, le projet de Zone de libre-échange des Amériques, et d'autres accords internationaux, il sera sans doute possible de combler l'écart entre les mouvements du commerce intérieur et international.

Les entités gouvernementales au sein des fédérations doivent se demander quelles lignes directrices adopter, relativement aux institutions et aux procédures, en vue de favoriser une interaction efficace entre tous les ordres de gouvernement, le monde des affaires et le monde du travail, ainsi que d'autres groupes concernés du secteur privé. Les représentants des municipalités doivent également participer activement au processus, car la plupart des fédérations sont fortement urbanisées et les grandes villes, pour reprendre les paroles de Saskia Sassen, (17) représentent « une nouvelle géographie de centralité et de marginalité » . Autrement dit, bon nombre des personnes les mieux instruites et les plus compétentes qui peuvent profiter de la mondialisation sont concentrées dans les grandes régions métropolitaines; parallèlement, bon nombre des personnes les moins préparées, comme celles qui vivent dans la pauvreté, les décrocheurs scolaires, les nouveaux immigrants et les groupes minoritaires défavorisés, sont souvent regroupées dans de grandes agglomérations urbaines. Ce dialogue entre les gouvernements doit porter sur une foule de questions liées à la mondialisation et à la qualité de vie des ressortissants, et notamment : 1) un système d'éducation axé sur l'ère de l'information, 2) des programmes de formation et de recyclage des travailleurs adaptés à l'évolution technologique rapide, 3) la création et le maintien d'une infrastructure de calibre mondial, 4) de nouvelles stratégies relatives à l'aide sociale qui tiennent compte des tendances en matière de démographie et de mondialisation, et 5) un contexte fiscal et réglementaire raisonnable qui soit propice à la compétitivité des entreprises tout en permettant aux gouvernements de protéger les besoins fondamentaux de leurs ressortissants.

Depuis toujours le cri de ralliement des gouvernements infranationaux qui veulent participer activement à l'économie internationale est : « Penser globalement et agir localement ». Dans les fédérations, ce cri de ralliement peut être aussi bien productif que perturbateur, selon les intervenants qui ont le droit de participer, et selon que l'interaction entre les gouvernements soit ou non axée sur la collaboration ou plutôt sur l'affrontement. Lorsque le Canada envisageait d’adhérer à l'Accord de libre-échange Canada–États-Unis, à l'ALENA, et à l'OMC, les gouvernements national et provinciaux se sont rencontrés à intervalles réguliers pour décider de la meilleure façon d'aborder ces engagements historiques qui devaient déboucher sur une régionalisation et une mondialisation accrues. Le processus n'était pas parfait et certains groupes importants ont eu l'impression d'être relégués au second plan; néanmoins, ces consultations intergouvernementales ont été beaucoup plus productives que celles qui se sont déroulées dans d'autres fédérations qui envisageaient de telles percées importantes dans l'économie internationale. Le modèle canadien est peut-être un bon point de départ pour les fédérations désireuses de mettre sur pied ou de peaufiner les institutions et procédures intergouvernementales nécessaires pour s'adapter à la mondialisation au XXIe siècle.

NOTES

1 . Daniel J. Elazar, Federal Systems of the World, 2e édition (Harlow, Angleterre : Longman Group, 1994), xvii. 2 . Ibid., xv. 3 . Stephen J. Kobrin, « The Architecture of Globalization : State Sovereignty in a Networked Global Economy » dans Governments, Globalization, and International Business, éd. John H. Dunning (Oxford : Oxford University Press, 1997), 147-148, 153-154 et Dale Neef, A Little Knowledge Is a Dangerous Thing : Understanding Our Global Knowledge Economy (Boston: Butterworth-Heinemann, 1999), 64. 4 . Par exemple, il y a eu, en 1989, 426 millions de touristes étrangers, lesquels ont dépensé 221 milliards de dollars. En 1998, 625 millions de touristes ont franchi les frontières nationales, et dépensé en totalité plus de deux fois plus, soit 444 milliards de dollars. Voir l'Organisation mondiale du tourisme, Tourism Highlights 1999, au <http://www.world-tourism.org/>. 5 . Statistiques SRE présentées dans l'ouvrage de Richard C. Longworth, Global Squeeze (Chicago : Contemporary Books, 1998), 7. 6 . Ibid., 59, et Gary C. Hufbauer, « The Trade and Investment Regime in the First Decade of the Twenty-First Century », document présenté à la Conférence sur l'avenir de l'industrie à l'aube du XXIe siècle tenue à Brasilia, les 23 et 24 mars 1999. 7 . Dani Rodrik, Trade, Social Insurance, and the Limits of Globalization (Cambridge, Mass. : National Bureau of Economic Research, 1997), 1. 8 . Dale Neef, « The Knowledge Economy : An Introduction », dans The Knowledge Economy, éd. Dale Neef (Boston : Butterworth-Heinemann, 1998), 3. 9 . Longworth, 7. 10 . Richard E. Baldwin et Philippe Martin, Two Waves of Globalisation : Superficial Similarities, Fundamental Differences (Cambridge, Mass. : National Bureau of Economic Research, 1999), 29. 11 . Neef, A Little Knowledge, 10. 12 . Janet E. Kodras, « Globalization and Social Restructuring of the American Population : Geographics of Exclusion and Vulnerability », dans State Devolution in America, éds. Lynn A. Staeheli, Janet E. Kodras et Colin Flint (Thousand Oaks, CA: SAGE, 1997), 52-53. 13 . Earl H. Fry, The Expanding Role of State and Local Governments in U.S. Foreign Affairs (New York : Council on Foreign Relations Press 1998) 68-78 14 . Cité dans la Gazette (Montréal), 16 avril 1999 (Internet), tiré de The Sovereignty of Quebec in the Era of Globalization. 15 . Voir Thomas W. Bonnett, Governance in the Digital Age : The Impact of the Global Economy, Information Technology and Economic Deregulation on State and Local Government (Washington, D.C. : National League of Cities, 1999). 16 . Comme l'ont signalé Gary Hufbauer, John Helliwell et d'autres économistes en utilisant le fameux modèle de gravité, la densité du commerce de marchandises entre la ville de New York et Chicago, Rio de Janeiro et São Paulo, et les provinces du Québec et de l'Ontario, est peut-être encore 10 fois plus importante que leurs flux commerciaux respectifs au niveau international. Voir Hufbauer, « The Trade and Investment Regime ». 17 . Saskia Sassen, Globalization and Its Discontents (New York: New Press, 1998), xxv.

Tableau 1

Forum of Federations / Forum des fédérations

forum@forumfed.org

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