Conférence internationale sur le fédéralisme Mont-Tremblant, octobre 1999 Article de référence

LA PARTICIPATION DES ÉLÉMENTS LOCAUX

DE LA GESTION PUBLIQUE FÉDÉRALE À PLUSIEURS NIVEAUX

Roger Gibbins Président de la Fondation Canada-Ouest et professeur de sciences politiques à l'Université de Calgary

J'aimerais remercier Glenn Blackett de son aide lors de la préparation de ce document.

Lorsque les constitutions fédérales ont vu le jour pour la première fois aux États-Unis (1789), au Canada (1867) et en Australie (1901), les collectivités locales avaient une grande importance. Et pourtant, même si la vie socio-culturelle et économique se déroulait pour l'essentiel au niveau local, les collectivités locales et leurs gouvernements n'étaient pas intégrés dans la nature représentative ou les bases théoriques des institutions fédérales. À la place, on a créé de nouvelles collectivités fédérales - États ou provinces -, souvent en fonction des limites coloniales établies au préalable. À mesure que les États fédéraux ont mûri, les gouvernements provinciaux et d'État sont devenus les éléments politiques fondamentaux du régime fédéral, et les collectivités locales ont perdu du terrain. Les administrations locales n'ont laissé pratiquement aucune marque sur les structures constitutionnelles ou institutionnelles des États fédéraux.

Pourtant, dans ces limites historiques, les administrations locales apparaissent comme les principaux éléments du fédéralisme moderne. En nous focalisant pratiquement exclusivement sur les relations nationales-provinciales (ou nationales-d'État) dans la théorie fédérale, le débat constitutionnel et, dans une moindre mesure, la pratique fédérale, nous avons fermé les yeux sur le rôle important joué par les administrations locales dans les États fédéraux contemporains. Il faut bien admettre que les administrations locales et les collectivités qu'elles desservent joueront une importance croissante dans la vie des citoyens. Si l'on ne tient pas compte de cette réalité en concevant le fédéralisme, les institutions fédérales perdront de leur efficacité et de leur légitimité lorsque nous entrerons dans le XXIe siècle.

Au début de ce document, nous présentons les rapports actuels entre le gouvernement fédéral et les municipalités vus sous trois angles : la reconnaissance constitutionnelle actuelle des administrations locales, les transferts financiers entre les gouvernements nationaux et les administrations locales et les relations intergouvernementales entre les deux niveaux. L'analyse portera ensuite sur les prévisions relatives au rôle futur des administrations locales et à la vie en milieu urbain de façon plus générale. La discussion tournera autour de l'argument selon lequel la mondialisation va accroître le rôle des administrations locales dans les États fédéraux. En conclusion, nous soulevons certains points à aborder lors de la table ronde.

Dans tout ce document, l'accent est mis sur les rapports entre le gouvernement national et les administrations locales; nous ne traitons pas des relations très importantes entre les administrations locales et les gouvernements provinciaux ou d'État. En outre, l'analyse s'inspire énormément du modèle de seulement cinq États fédéraux : l'Australie, l'Allemagne, le Mexique, les États-Unis, et surtout, le Canada. J'espère que les participants aux ateliers pourront y ajouter l'expérience d'autres pays qui ont un régime fédéral.

La reconnaissance constitutionnelle

En général, les administrations locales sont très peu reconnues officiellement dans les constitutions fédérales, même si la convention constitutionnelle est loin d'être uniforme. Dans trois des cinq pays fédéraux examinés (l'Australie, le Canada et les États-Unis), les municipalités ne jouissent d'aucun pouvoir garanti dans la Constitution. Dans la Constitution canadienne, l'article 92 signale uniquement que les institutions municipales de la province relèvent de la compétence exclusive des provinces. Les municipalités ne sont pas mentionnées de manière explicite dans la Constitution américaine, puisqu'elles relèvent des pouvoirs résiduels exercés par les assemblées législatives d'État. En fait, il a été soutenu (peut-être un peu trop haut et fort) que le régime fédéral établi à Philadelphie avait mis fin aux derniers vestiges de l'indépendance politique des villes, faisant d'elles de simples créatures de l'État(1) . À l'instar du Canada et des États-Unis, l'Australie ne reconnaît pas officiellement les administrations locales dans sa Constitution, et ce projet a même été reporté de façon catégorique lors d'un référendum en 1988. Toutefois, même si cette question n'était même pas discutable aux congrès constitutionnels dans les années 1890, c'est un thème qui revient souvent sur le tapis lors des congrès constitutionnels depuis le milieu des années 70. La constitutionnalisation est considérée comme une mesure visant à garantir aux administrations locales « la sécurité financière, l'autonomie, les pouvoirs et la protection des autorités locales contre le rejet de la part des gouvernements d'État »(2) .

Les municipalités sont reconnues dans la constitution du Mexique et de l'Allemagne, avec des résultats différents. La Constitution mexicaine reconnaît explicitement les districts municipaux en tant que municipio libre (éléments gouvernementaux libres/autonomes). Dans la pratique, toutefois, les pouvoirs du pays sont fortement concentrés à Mexico. L'exécutif présidentiel jouit d'un pouvoir presque illimité à l'égard des organes législatif et judiciaire, et ce pouvoir s'étend de façon verticale aux niveaux inférieurs de gouvernement, de sorte que les gouvernements d'État sont tributaires des initiatives présidentielles et que la municipalité se trouve au bas de la pyramide fédéral-État-local pour toutes les questions concernant sa propre régie(3) . En Allemagne, le droit des municipalités de réglementer les affaires locales est expressément garanti par la Loi fondamentale. La situation est particulière du fait que trois des 16 États allemands (länder) ont également le statut d'administrations locales : la ville libre et hanséatique de Hambourg, la ville libre et hanséatique de Brême, et Berlin(4) .

En conclusion, les administrations locales reposent sur des bases fragiles dans les constitutions nationales des régimes fédéraux contemporains. (Leur position dans les constitutions provinciales ou d'État, le cas échéant, est beaucoup plus solide; l'Australie en est un bon exemple.) Les exceptions de l'Allemagne sont intéressantes parce qu'elles représentent un cas rare de municipalités intégrées dans les institutions fédérales (comme les Sénats). Ce n'est peut-être pas par hasard que la plus contemporaine des cinq constitutions mentionnées ci-dessus est celle qui reconnaît le plus explicitement les administrations locales, même si ces derniers ont en Allemagne des origines bien antérieures à l'établissement du régime fédéral.

Les relations financières

Même si les municipalités sont en général (mais pas toujours) considérées comme des créatures des gouvernements provinciaux ou d'État, cela n'a pas empêché les gouvernements nationaux de s'ingérer dans les affaires municipales. L'instrument le plus courant qui permet une telle intervention est la capacité des gouvernements nationaux de dépenser leurs recettes fiscales comme ils l'entendent, quel que soit le partage constitutionnel des pouvoirs législatifs. Là encore, toutefois, les usages du gouvernement fédéral relatifs au pouvoir de dépenses ne sont pas uniformes :

• La fédération australienne connaît un « déséquilibre financier vertical extrême »(5) découlant de la monopolisation par le Commonwealth, de l'impôt sur le revenu, et des taxes à la consommation. En conséquence, les autorités locales et d'État dépendent du gouvernement fédéral pour l'essentiel de leur budget de fonctionnement. Par exemple, (trad.) « même si les administrations locales et d'État ne perçoivent que 22 % des recettes fiscales... l'ensemble de ces deux ordres de gouvernement compte pour 46 % des dépenses courantes et 76 % des dépenses en capital; ce secteur est responsable de 60 % de la dette publique et assure la prestation de la plupart des services publics à l'intention des particuliers »(6) . Les rapports financiers entre le Commonwealth et les administrations locales comportent des subventions à vocation générale, des subventions directes et des subventions aux gouvernements d'État affectées à des activités locales. Les subventions à vocation générale sont distribuées grâce à des structures qui permettent aux gouvernements fédéral et d'État de fixer des conditions à l'utilisation de ces fonds par les administrations locales. Les subventions directes sont accordées aux termes de la Grants Commission Act 1973, qui a marqué la première interaction directe entre le Commonwealth et les administrations locales à se produire en temps de paix.(7) Les principales subventions directes sont actuellement accordées aux termes des lois suivantes : The Aged or Disabled Persons' Home Act, The Home Nursing Subsidy Act, The Delivered Meals Subsidy Act, The Handicapped Persons Assistance Act et The Homeless Persons Act. Les subventions fédérales accordées aux gouvernements d'État et affectées aux dépenses des administrations locales s'appliquent à des programmes comme les services de soins à domicile, les foyers pour personnes âgées, les garderies, ainsi que des subventions d'équipement aux fins de l'aide aux loisirs. Dans la plupart des cas, toutefois, les fonds fédéraux sont transférés par le biais de commissions subventionnaires d'État, lesquelles recommandent les affectations aux autorités locales. L'État reste donc un intermédiaire d'importance cruciale entre les fonds alloués par le Commonwealth et les autorités locales.
• Aux États-Unis, l'aide financière accordée par le fédéral aux administrations locales remonte aux années 30 et aux programmes de Nouvelle Donne du président Roosevelt. Depuis cette époque, l'intervention fédérale s'est accrue régulièrement, pour atteindre son paroxysme au milieu des années 70. En conséquence, les autorités locales sont devenues de plus en plus tributaires des subventions fédérales. Les subventions accordées par le gouvernement fédéral aux grandes villes, dans les années 70, ont considérablement augmenté en raison de deux initiatives principales : (trad.) « Les propositions de nouveau fédéralisme de l'administration Nixon, qui ont abouti à l'adoption du partage des recettes générales et des subventions globales aux fins du développement communautaire... ainsi que des programmes exhaustifs d'emploi et de formation, » et le Programme de stimulants économiques du gouvernement Carter en 1977.(8) Les ententes de financement ont également changé, passant d'une affectation directe de fonds aux « administrations spéciales et organismes communautaires »(9) , en fonction des besoins perçus, à une entente en vertu de laquelle tous les fonds étaient distribués directement par la municipalité.
• Jusqu'ici, le régime gouvernemental du Mexique a été caractérisé par une forte centralisation, laquelle commence à peine à diminuer, et qui a entraîné une dépendance financière de la part des autorités locales. Le vaste éventail de pouvoirs constitutionnels et « méta-constitutionnels » du président représente les « normes tacites du régime politique mexicain »(10). Le président a le pouvoir de « modifier la Constitution, jouer le rôle de législateur principal, se déclarer comme l'autorité suprême pour les questions électorales, exercer sa compétence dans les questions judiciaires et (ce qui importe le plus aux fins de notre discussion) destituer les gouverneurs, les présidents municipaux et les législateurs aux niveaux fédéral et local »(11). Aux niveaux municipal et de l'État, le gouverneur et le président municipal exercent respectivement des pouvoirs exécutifs tout aussi importants. Le gouverneur de l'État répartit tous les fonds fédéraux dans les districts municipaux. En fait, les municipalités dépendent des gouvernements fédéral et d'État tant sur le plan économique que politique. Depuis une vingtaine d'années, cette dépendance s'est accrue en raison d'une plus grande présence du gouvernement fédéral dans la prestation directe des services au niveau local. Ainsi, même si la Constitution mexicaine reconnaît officiellement l'autonomie politique des districts municipaux, elle ne prévoit aucune structure institutionnelle pour concrétiser cette autonomie.
• Au Canada, l'ingérence financière directe du gouvernement fédéral dans les affaires municipales est très rare. Même si le gouvernement fédéral a utilisé de façon intensive son pouvoir de dépenses dans les secteurs de compétence provinciale, comme la santé et l'éducation postsecondaire, ce pouvoir s'est rarement étendu aux municipalités. Dernièrement, il y a eu une exception à la règle avec le programme d'infrastructure trilatéral dans le cadre duquel le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités ont financé conjointement des projets d'infrastructure.
• Les municipalités allemandes sont responsables au niveau local (entre autres choses) des transports, des services d'utilité publique, des égouts, ainsi que de la construction et de l'entretien des écoles, des hôpitaux et des installations sportives. Pour assumer ces responsabilités et d'autres, elles jouissent d'une énorme autonomie financière. Elles peuvent percevoir leurs propres impôts et taxes, et reçoivent également 15 % de l'impôt national sur le revenu, outre des paiements de péréquation du gouvernement d'État.

En résumé, la dépendance financière des administrations locales varie énormément, tant par son importance (l'Allemagne est notamment un exemple d'autonomie relativement importante) que par la source de cette dépendance (gouvernement national ou d'État).

Les relations intergouvernementales

À bien des égards, les relations intergouvernementales marchent de pair avec les rapports d'ordre financier; en général, elles suivent des considérations d'ordre financier plutôt que des voies constitutionnelles officielles. Plus les gouvernements nationaux s'occupent des affaires locales du point de vue financier, plus les relations intergouvernementales entre les deux niveaux sont intensives. Là encore, toutefois, il y a d'importantes différences selon les États. Par exemple :

• Au Canada, les relations fédérales-municipales sont tout juste à l'état embryonnaire. Au début des années 70, on a créé à cette fin un Secrétariat d'État fédéral aux affaires urbaines, mais cette initiative malheureuse a été de courte durée. À l'heure actuelle, les relations entre les deux niveaux sont informelles et épisodiques. Les gouvernements provinciaux se sont en fait imposés entre les municipalités et le gouvernement national, et la majorité des transferts de fonds passent par eux.
• En Allemagne, les administrations locales sont organisées en une association politique à l'échelle nationale, le Deutsche Staedtetag, mais l'essentiel des relations intergouvernementales se fait avec les gouvernements d'État et non le gouvernement fédéral. C'est le länder et non le gouvernement national qui décide si les lois fédérales seront mises en vigueur par les administrations locales ou par les länder proprement dits.
• En Australie, étant donné le nombre croissant de programmes pour lesquels les localités sont tributaires des fonds fédéraux, les autorités locales sont de plus en plus entremêlées à la « bureaucratie fédérale en vertu de la législation fédérale et des visions et aspirations nationales des personnalités politiques »(12) .
• Aux États-Unis, les grandes villes ont des relations intensives avec l'exécutif et le législatif au niveau national; les communications politiques ne se limitent pas aux gouvernements ou aux représentants des États à Washington.

Le fait que les administrations locales ne soient pas officiellement reconnues sur le plan constitutionnel n'entrave pas nécessairement l'instauration de relations intergouvernementales intensives. Celles-ci ne dépendent pas non plus de voies officielles de représentation législative. En fait, ces relations semblent plutôt étroitement liées aux transferts de fonds.

La mondialisation et les villes internationales

Pour résumer la discussion tenue jusqu'ici, nous constatons que les administrations locales sont en général mal intégrées dans la théorie fédérale ou la structure institutionnelle officielle des États fédéraux (voir Tableau 1). Dans certains cas, et le Canada en est un exemple extrême, cette marginalisation accompagne des relations très restreintes sur le plan politique et financier entre le gouvernement national et les administrations locales. Dans d'autres cas, et là les États-Unis en sont un bon exemple, le gouvernement national a invoqué son pouvoir de dépenses pour favoriser des liens intensifs et complexes avec les administrations locales.

Tableau 1 : Aperçu des ententes municipales dans cinq régimes fédéraux

Reconnaissance constitutionnelle actuelle

Transferts financiers

ééé

Relations intergouvernementales (fédéral-municipalité)

Australie

Aucune reconnaissance officielle dans la Constitution nationale. La question est soulevée aux congrès constitutionnels depuis le milieu des années 70.

Les municipalités sont tributaires financièrement des paiements de transfert fédéraux qui sont en grande partie distribués par des commissions d'État.

Les municipalités sont étroitement liées à la bureaucratie fédérale.

Canada

Article 92 : Les institutions municipales dans la province relèvent de la compétence provinciale exclusive.

L'ingérence directe du gouvernement fédéral sur le plan financier est extrêmement rare.

Les relations sont à peine à l'état embryonnaire, informelles et épisodiques.

Allemagne

La Loi fondamentale garantit le droit des municipalités de réglementer les affaires locales.

Les municipalités peuvent percevoir des impôts et taxes. Elles reçoivent également des paiements de péréquation et 15 % de l'impôt national sur le revenu.

Les autorités municipales sont organisées en association politique à l'échelle nationale.

Mexique

Reconnaissance constitutionnelle explicite en tant que municipio libre.

ééé

Les municipalités sont tributaires financièrement des paiements de transfert des gouvernements fédéral et d'État.

Par le passé, presque entièrement la responsabilité du parti gouvernemental. Depuis peu, considérées comme des mécanismes gouvernementaux.

États-Unis

Aucune reconnaissance constitutionnelle officielle. Les municipalités relèvent des pouvoirs résiduels des États. Ce sont des « créatures de l'État ».

Paiements de transfert directs du fédéral depuis 1930. Les municipalités sont extrêmement tributaires des subventions fédérales.

Les grandes villes ont des contacts directs intensifs avec l'exécutif et le législatif au niveau fédéral.

Dans tous les cas, toutefois, l'effet combiné de la décentralisation de l'intérieur et de la mondialisation de l'extérieur remet en cause la marginalisation des municipalités dans les structures institutionnelles et constitutionnelles des États fédéraux. Les considérations suivantes méritent notre attention :

• La prestation des services sociaux est peu à peu décentralisée vers les administrations locales et des organismes sans but lucratif établis au niveau local. Kantor, par exemple, parle d'une « nouvelle entente fédérale » qui se dessine aux États-Unis, où on s'efforce de plus en plus de « décentraliser les pouvoirs du gouvernement national vers les administrations locales et d'État grâce à des subventions globales et (ou) des subventions de l'État... depuis quelques années, cela s'applique à un nombre croissant de programmes »(13) .
• À l'échelle mondiale, les villes internationales occupent une place de plus en plus importante. La plupart des États et des provinces, sinon tous, jouissent de pouvoirs sur les plans économique, social et culturel qui sont nettement moins importants que ceux de villes comme Sydney, Los Angeles, New York et Toronto. Ces villes, en outre, ne se contentent pas de se faire entendre par le biais de leur gouvernement provincial ou d'État; Sydney n'est pas la Nouvelle Galles du Sud, pas plus que la Californie est Los Angeles. Toutefois, les villes internationales n'ont aucune reconnaissance dans la théorie fédérale ou les arrangements constitutionnels.
• Les villes internationales et les villes qui ont des aspirations internationales se font connaître en se réclamant de moins en moins de la nation, de la province ou de l'État où elles se trouvent. Comme le signale Paul Kantor, (trad.) « la réalité, c'est que les villes ne peuvent pas survivre sur le plan économique sans emplois, sans argent et sans recettes fiscales... par conséquent, les administrations locales se font tant bien que mal concurrence pour obtenir cet investissement de capitaux... en fait, les villes sont extrêmement tributaires des décisions en matière d'investissement prises par le secteur privé »(14) . Dans le cadre de cette concurrence, il est à craindre que les villes séparent leur population et leur secteur des affaires de la structure et des institutions fédérales.
• Avec la notion de « glocalisation », notre milieu et notre vie, au niveau local, revêtiront de plus en plus d'importance à la suite de la mondialisation. Selon la théorie, si nous avons une collectivité locale sûre et prospère ainsi que des communications électroniques et aériennes avec le reste du monde, la province et le gouvernement central perdront peu à peu de leur importance. Si nous pouvons affirmer notre présence sur la scène mondiale tout en conservant un endroit où promener notre chien, boire une bonne tasse de cappuccino et discuter en tête-à-tête avec nos amis et voisins, nous aurons moins besoin de nos États et de nos pays. Pourtant, les États fédéraux sont conçus presque exclusivement autour de ces collectivités politiques en perte de vitesse, et ils ne tiennent pas compte de l'importance croissante des collectivités locales et de la communauté mondiale.
• Les villes sont devenues les principaux moteurs de la prospérité économique, et la qualité de vie en milieu urbain est devenue un important facteur déterminant des décisions en matière de relocalisation des intervenants du secteur économique.

En résumé, les villes comptent, et elles compteront de plus en plus au cours des années à venir. Toutefois, cette réalité n'est pas suffisamment prise en compte dans l'équation fédérale.

Discussion

Le débat sur la question des municipalités au sein du fédéralisme devrait s'inspirer des points suivants :

• Même si l'exclusion constitutionnelle de l'administration locale est de plus en plus anormale, il est peu probable que les choses changent, à moins que les constitutions ne deviennent un document en évolution constante. Malgré les efforts des administrations locales en vue de défendre et d'affirmer leur autonomie, les pressions politiques immédiates pour obtenir des résultats concrets l'emportent sur les préoccupations à long terme, plus abstraites, liées à l'autonomie des administrations locales.
• Les ressortissants des États fédéraux sont en grande majorité originaires de collectivités locales, et l'urbanisation est une tendance sociale toujours aussi présente.
• L'apparition de collectivités autochtones autonomes rend encore plus anormale la marginalisation constitutionnelle et institutionnelle des administrations locales. Au Canada, par exemple, les gouvernements autochtones qui représentent de plusieurs centaines à plusieurs milliers de gens sont de plus en plus reconnus, sur le plan constitutionnel, comme un « troisième ordre de gouvernement » tandis que les municipalités qui représentent des millions de citoyens ne jouissent pas d'une telle reconnaissance officielle. Les régimes fédéraux qui se fondent sur de grands États et de petites collectivités autochtones mais qui font fi des milieux urbains où demeurent la plupart des gens n'ont peut-être pas l'appui total de leurs ressortissants.
• Tout ce qui précède se fonde sur l'hypothèse que les gouvernements nationaux doivent participer davantage aux affaires urbaines. Toutefois, il n'est pas nécessaire pour autant que les organismes nationaux assument directement l'exécution des programmes. Les organismes sans but lucratif et les institutions générales de la société civile permettent la mise en vigueur de la politique nationale au niveau local.

Conclusion

Les collectivités locales et leurs gouvernements vont jouer un rôle croissant dans la vie des ressortissants des États fédéraux. La structure institutionnelle des États fédéraux n'a jamais tenu compte de cette réalité, ce qui remet en cause l'attrait normatif du fédéralisme comme régime de gouvernement, la raison d'être et la pertinence des institutions fédérales, et l'efficacité de la politique de l'État fédéral. Il vaut donc la peine de se pencher sur la question de savoir s'il est possible de modifier les institutions et les usages fédéraux de façon à accorder plus de place aux administrations locales et aux villes internationales dans les visions fédérales.

(1) Paul Kantor, The Dependent City Revisited (É.-U. : Westview Press, 1995), p. 19.

(2) R. J. K. Chapman et Michael Wood, Australian Local Governments (Australie : Allen et Unwin, 1984), p. 175.

(3) Victoria E. Rodriguez, Decentralization in Mexico (Westview Press, 1997), p. 18.

(4) En Russie, Moscou et Saint-Péterbourg, ont le même statut.

(5) Brian Galligan. A Federal Republic (R.-U. : Cambridge University Press, 1995), p. 227.

(6) Ibid.

(7) R.J.K. Chapman et Michael Wood. Australian Local Government (Australie : George Allen et Unwin, 1984), p. 34.

(8) James W. Fossett. Federal Aid to Big Cities : The Politics of Dependence (Washington : The Brookings Institute, 1983), p. 1.

(9) Ibid. p. 2.

(10) Victoria E. Rodriguez. Decentralization in Mexico (Westview Press, 1997), p. 20

(11) Ibid

(12) Chapman et Woods, p. 82.

(13) Kantor, p. 205

(14) Kantor, p. 2.

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