Conférence internationale sur le fédéralisme

Mont-Tremblant, octobre 1999

Article de référence

RELATIONS ENTRE LE SECTEUR BÉNÉVOLE ET L'ÉTAT DANS LES SYSTÈMES FÉDÉRAUX

Susan D. Phillips École d’administration publique Université Carleton

Dans la plupart des pays démocratiques, les relations entre le secteur bénévole ou sans but lucratif et l’État subissent des transformations fondamentales qui découlent d’une évolution touchant à la fois la nature de la gestion publique et le caractère même du secteur. D’une part, une profonde restructuration de l’État a amené ce dernier à remettre aux mains d’organisations bénévoles la responsabilité de nombreux services, et à créer un vaste système contractuel pour la prestation de ceux qu’il continue à assurer. Cette évolution n’est pas attribuable seulement à l’objectif de réduction des coûts, bien que les exigences financières puissent être une puissante incitation. La restructuration du secteur public a aussi illustré la transition entre les paradigmes « gouvernement » - c’est-à-dire des ministères gouvernementaux établissant unilatéralement les politiques et dispensant les services - et « gestion publique », où les gouvernements travaillent en collaboration et de façon horizontale avec d’autres gouvernements et avec des partenaires des secteurs privé et bénévole.(1) Les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, manifestent un intérêt renouvelé à l'égard des « gouvernés »: promotion du bénévolat, d’une participation active de la population et d’une société civile dynamique. Ils se sont ainsi rendu compte qu’ils ont besoin du secteur bénévole plus que jamais, non seulement comme partenaire de la mise en application des services, mais comme artisan de l’édification du capital social et du resserrement de la cohésion sociale. D’autre part, le secteur bénévole ou sans but lucratif passe rapidement d’un modèle fondé sur la bienfaisance à un autre axé sur la société civile, c’est-à-dire d’un modèle dans le cadre duquel on aide les moins fortunés, à un autre où les collectivités ont les ressources nécessaires pour s’aider elles-mêmes et se représenter. Cette évolution a fait émerger un ferme leadership national visant à donner une orientation stratégique au secteur ainsi qu’une demande de nouveaux moyens d’établissement des politiques et de processus d’engagement des individus. Contrastant fortement avec l’époque où les organismes non gouvernementaux (ONG) étaient perçus par les gouvernements comme des lobbyistes sans importance ou empoisonnants, le leitmotiv du nouveau millénaire s’exprime par l’expression « effort partagé », comme l’a récemment fait remarquer le premier ministre de l’Australie.(2)

Bien qu’il y ait de nombreuses ressemblances entre les tentatives délibérées des gouvernements et celles du secteur bénévole des divers pays pour établir des relations plus positives, ces efforts sont à la fois entravés et facilités par les structures étatiques et les relations antérieures. En particulier, le fédéralisme ajoute nécessairement à la complexité des relations entre le secteur bénévole et l’État. Le présent document aborde deux questions: comment le fédéralisme façonne-t-il les relations entre les gouvernements national et infranationaux et le secteur bénévole ou sans but lucratif, et quel est l’incidence des ONG sur les processus intergouvernementaux du fédéralisme? Nous commencerons par donner de brèves définitions conceptuelles.

Définition du secteur bénévole et sans but lucratif

Le contenu de ce document s’articule autour du secteur bénévole et sans but lucratif pour rappeler qu’il s’agit bien d’un secteur, malgré une diversité considérable et souvent un manque de cohésion, et non pas d’un ensemble d’organisations individuelles et autonomes. En tant que membres d’un secteur, toutes les organisations bénévoles partagent, dans une certaine mesure, le même impératif: représentation de l’identité et des intérêts de leurs collectivités, engagement des membres de ces collectivités à l’égard de leur travail, et prestation de services à leurs membres ou à l’ensemble de la collectivité. En dépit de sa diversité - lieu, importance, mission, capacité et nombre de membres-, le secteur bénévole possède, jusqu’à un certain point, une structure à la fois verticale et horizontale. La structure verticale est érigée à divers degrés par l’agglomération des organisations de base en des associations intermédiaires et de coordination pouvant représenter leurs intérêts à partir d’une perspective plus large. Comme nous le verrons, la nécessité d’établir des organisations intermédiaires est accrue dans le contexte des systèmes fédéraux.

La diversité du secteur bénévole ne doit être ni sous-estimée ni ignorée. Elle est même la force principale du secteur, car elle permet de répondre à toute une gamme de besoins communautaires, d’assurer la représentation d’une variété considérable de collectivités, et de donner à la population de multiples voies d’accès à l’action collective. Elle signifie également que la cohésion du secteur est, au mieux, assez lâche. Toutefois, les liens horizontaux créés par des alliances, le partage d’information et les causes communes se construisent avec le temps et forment un réseau assez libre qui peut faciliter des réactions immédiates et très étendues aux initiatives de l’État.

Le secteur bénévole et sans but lucratif se divise en trois parties distinctes. La première est le sous-secteur dit « de bienfaisance », formé d’organismes ayant le statut de groupes de bienfaisance conformément à la common law ou au code civil, et qui, normalement, ont le droit d’être exonérés d’impôt et, dans la plupart des pays, d'émettre des reçus aux donateurs pour que ceux-ci puissent obtenir des déductions d’impôt. En raison de leur nature, la plupart des organismes de bienfaisance s’emploient à rendre service. La deuxième composante est celle des organisations civiles « politiques » ou « d’action sociale » composées de groupes d’intérêts, d’organismes de mouvement sociaux et d’associations communautaires, qui, bien qu’ils puissent aussi dispenser des services, s'engagent surtout à représenter leurs membres, à leur donner une voix et à défendre leurs intérêts dans le cadre des politiques publiques. Par conséquent, un grand nombre de ces organisations ne peuvent être enregistrées comme organisme de bienfaisance, mais ils peuvent être exonérés d’impôt. La troisième composante du secteur est formée d’associations commerciales, qui sont sans but lucratif en tant qu'associations, mais dont les membres sont des entreprises à but lucratif et dont l’objet est généralement axé sur leur avantage mutuel et non pas sur le bien public. Au cours des dernières années, les associations commerciales ont étendu leur influence politique au-delà de leurs propres industries pour devenir d’ardents défenseurs de la prudence fiscale et de la restructuration de l’État-providence. Ces associations étant formées de sociétés, l’avantage financier dont elles bénéficient par rapport aux deux premiers types est considérable. Puisque ce secteur est, sur de nombreux points, « quasi-privé », et qu'il est davantage orienté vers le secteur privé que le secteur bénévole, il a été pratiquement exclu de la présente discussion.

En tant qu’expression de la collectivité, les organisations bénévoles se forment à partir de groupes géographiques, sociaux, politiques ou culturels. En dépit du fait que l’État ne peut définir et créer ces collectivités et leur formes organisationnelles, il reconnaît néanmoins le statut de quelques identités, communautés et organisations privilégiées, il les soutient et ratifie même ce statut par des mesures législatives. La possibilité de former et de légitimer certaines identités est renforcée par le fédéralisme, qui est un instrument permettant à la fois de refléter les points communs d’un pays et de tenir compte de sa diversité.(3) En particulier, le fédéralisme favorise l’expression et l’influence de collectivités minoritaires là où elles sont concentrées géographiquement de sorte qu’elles peuvent facilement s’aligner avec des unités infranationales, comme le montrent les cas du Québec et de la Catalogne. Toutefois, les liens entre les ONG et l’État ne dépendent pas seulement de la géographie. Dans certains cas, de fortes relations entre les ONG et le gouvernement national se sont établies lorsque certains groupes ont été identifiés comme élément central de la promotion de l’identité nationale. Au Canada, par exemple, le gouvernement fédéral a appuyé pendant des décennies certains groupes cherchant à faire reconnaître leurs droits, notamment les femmes, les groupes linguistiques minoritaires, les communautés multiculturelles et les personnes handicapées, et, en 1982, a enchâssé la protection de leurs droits dans la constitution. Il en résulte que les organisations représentant ces groupes se tournent depuis longtemps vers le gouvernement fédéral pour protéger leurs droits et faire avancer leur cause même si les politiques et programmes qui les touchent directement relèvent surtout de la responsabilité des gouvernements provinciaux.

Conceptualisation des relations entre le secteur bénévole et l’État

Les relations entre le secteur bénévole et l’État sont complexes. Sur le plan des concepts, ces relations comportent cinq dimensions distinctes:

défense des intérêts publics et dialogue : ONG défendant les droits de leurs membres, sans en être invités. Mais, les gouvernements les invitent fréquemment à participer à un dialogue sur les questions d’intérêt public qui influent sur leurs membres et au sujet desquelles ils ont des connaissances d’experts. • obligation de rendre compte: l’entretien de relations exige un certain degré d’obligation de rendre compte, et la nécessité d’expliquer et d’accepter la responsabilité associée aux mandats.(4) • soutien : les relations contribuent, à divers degrés, à accroître la capacité du secteur bénévole et servent de complément aux ressources et à l’infrastructure du gouvernement. • transparence : en plus de promouvoir l’adoption de comportements appropriés et l’acceptation de responsabilités, les relations secteur-État devraient donner au public l’occasion de déterminer si les deux côtés respectent leurs engagements et de comprendre les rouages et le degré d’efficacité de ces relations. La transparence aide les relations à être perçues comme légitimes par le secteur, le gouvernement et le grand public. • prestation de services : la dernière dimension des relations se rapporte à la prestation de services à la population, soit aux termes de contrats, soit en partenariat avec le gouvernement, soit en l’absence du gouvernement.

Enfin, il est important de reconnaître que les relations entre le secteur et l’État peuvent se situer à divers niveaux : micro, intermédiaire ou macro. Au « micro-niveau », l’interaction se situe entre deux entités, un ministère et un ONG particulier au sujet d’une question particulière concernant une politique ou un programme particulier. Au niveau « intermédiaire », les relations ont lieu entre un ou plusieurs ministères gouvernementaux et un ensemble de sous-groupes, tels que les nombreuses organisations représentant les personnes handicapées. En ce qui concerne le « macro-niveau », il s’agit du gouvernement en tant qu’entité s'occupant du secteur en tant que secteur; ce niveau ne fait que commencer à émerger dans de nombreux pays alors que l’on commence à établir des cadres de référence et des principes généraux s’appliquant aux relations futures.

Fédéralisme et défense de l’intérêt public

Une structure fédérale permet-elle aux ONG de représenter plus efficacement leurs membres et d’exercer une plus grande influence sur la politique officielle que ne le permettent les pays unitaires? La documentation à ce sujet répond à cette question par un « oui » retentissant et un « non » définitif.

L’argument voulant que les structures fédérales facilitent l’efficacité des activités d’action sociale des ONG s’appuie sur l’impact des juridictions multiples, mais est débattu selon deux lignes de pensées quelque peu différentes. La première justification veut que le fédéralisme crée des possibilités d’innovation et d’émulation.(5) Les juridictions multiples permettent aux ONG de convaincre les gouvernements provinciaux ou régionaux d’appliquer une politique ou un programme d’essai au niveau local en invoquant la possibilité d’application subséquente dans d’autres juridictions. Les tenants du concept de « fédéralisme concurrentiel » poussent l’argument un peu plus loin en affirmant que le fédéralisme crée des conditions non seulement d’expérimentation, mais de compétition semblables à celles du marché: les unités infranationales se font concurrence pour adopter des politiques innovatrices, et cette innovation est encouragée par leur degré de succès.

L’argument connexe est fondé sur le concept des « multiples fissures » que créent des juridictions divisées, une notion développée par Morton Grodzin pour expliquer les groupes d’intérêt et le fédéralisme aux États-Unis. Selon la thèse des multiples fissures, lorsqu’un ONG ne réussit pas à un niveau donné de gouvernement d’un système fédéral, il peut s’adresser à un autre niveau, parfois entraînant le premier à titre d’allié ou dressant les deux l’un contre l’autre.(6) Une telle situation est plus probable lorsque les relations entre les niveaux de gouvernement sont calmes ou marquées par la coopération.(7) Dans les systèmes concurrentiels, les ONG peuvent représenter une force de coordination et même de réconciliation entre les juridictions, comme le fait observer Streeck au sujet des associations de l’industrie de la construction agissant entre le gouvernement fédéral et ceux des Länder en Allemagne.(8) En tirant parti des multiples points d’accès possibles, les ONG influencent peut-être de manière plus durable les relations intergouvernementales car, en offrant leur soutien à un niveau de gouvernement plutôt qu’à un autre, ils peuvent rehausser chez ce gouvernement le sentiment qu’il est légitime d’agir en dehors de son propre domaine de compétences.(9)

Les juridictions multiples peuvent cependant représenter des contraintes autant que des possibilités. Les processus conjoints de prises de décisions et de renvoi d’une juridiction à l’autre peuvent déboucher aussi facilement sur des mesures insatisfaisantes que sur l’innovation. Comme le fait remarquer Pierson, le fédéralisme donne aux deux niveaux de gouvernements des échappatoires telles qu’une préférence pour les orientations qui n’exigent pas de coopération avec d’autres niveaux ou l’application de clauses dérogatoires qui rehaussent la probabilité d’un échec de la mise en œuvre.(10)

Le fédéralisme oblige aussi les ONG à adopter des structures particulières. Si elles veulent travailler efficacement dans toutes les juridictions, les organisations bénévoles et sans but lucratif doivent habituellement refléter les structures fédérales au sein de leur propre organisation, créant des structures de coordination ayant des composantes locales, régionales et nationales. Souvent, les tensions que créent les luttes de juridiction présentes dans le fédéralisme sont intériorisées et manifestées à l’intérieur de ces structures de coordination. Ce fait est bien illustré par de nombreuses organisations canadiennes de santé telles que l’Association pulmonaire et la Fondation des maladies du cœur. Étant donné que le pouvoir et l’argent se trouvent auprès des membres provinciaux, reflétant en partie le lieu de l’autorité constitutionnelle en matière de santé, le bureau national a toujours eu un rôle mal défini ou s’est mis au service des membres provinciaux. Voulant clarifier les rôles, le partage des revenus et les pouvoirs au sein de l’organisation, la Fondation des maladies du cœur a récemment établi son propre accord de fédération innovateur entre les entités nationale et provinciales. Il ne faut cependant pas exagérer l’importance de ce cas. Bien que le fédéralisme influe sans aucun doute sur les structures des ONG, il ne prédétermine pas nécessairement les orientations internes.(11)

L’élément qui demeure invariable est que l’entretien des structures organisationnelles fédérées exige des ressources considérables, financières autant qu’humaines. Les structures de gouvernement deviennent à la fois plus élaborées et plus coûteuses parce que le conseil d’administration doit refléter le régionalisme. L’inclusion de représentants de toutes les unités infranationales ou de la plupart d’entre elles peut rendre ce conseil nombreux et parfois peu maniable. Par nécessité politique, le lieu des réunions générales annuelles se déplace d’un coin à l’autre du pays. Dans les pays où il y a plus d’une langue officielle, pratiquement tous les ONG nationaux exécutent leurs travaux en plusieurs langues, ce qui entraîne des coûts considérables, mais nécessaires. Ainsi, l’impact du fédéralisme peut imposer aux associations bénévoles des demandes qui vont au delà de leur capacité de survivre. En règle générale, les associations commerciales sont beaucoup plus aptes à imiter les structures fédérales en raison de leur plus grande richesse de sorte que ce sont les organisations civiles qui ressentent le plus les effets du fédéralisme, ce qui accentue la disparité quant à qui se fera entendre aux niveaux national et infranational. Le problème s'aggrave lorsque le fédéralisme doit répondre aux exigences de la collecte de fonds. Au cours des dernières années, on a assisté à une tendance de la part des gouvernements, des entreprises et du public à préférer faire des dons à des organisations rendant des services sur le terrain plutôt qu’à des associations intermédiaires dont les membres et les clients sont d’autres organisations. Pourtant, ce sont souvent ces associations intermédiaires qui sont les innovatrices du secteur parce qu'elles font valoir de nouvelles orientations en améliorant la gestion publique, en raffermissant l’obligation de rendre compte par l’entremise de séances de formation et d’autres moyens, et en établissant des liens entre les organisations qui travaillent à la base dans tout le pays. Toutefois, si les organisations fédérées nationales peuvent survivre, elles jouent un rôle extrêmement utile pour contrer les faiblesses des organisations individuelles.

Le fédéralisme ne constitue pas seulement une structure, mais aussi un processus. La principale raison pour laquelle les organisations bénévoles sont moins efficaces à l’intérieur de systèmes fédéraux est que le processus des relations intergouvernementales leur ferme la porte.(12) Bien que des groupes puissent être invités à participer aux discussions d’orientation par les ministères gouvernementaux au niveau fédéral ou infranational, une fois que cette question devient le sujet de discussions intergouvernementales, les groupes n’y sont plus admis parce que le processus intergouvernemental est conçu de façon à servir les intérêts des gouvernements et non pas ceux d’autres intervenants. Une fois qu’elles ont pénétré l’arène intergouvernementale, les questions débattues tendent à revêtir une « haute » importance et à être politisées au profit du prestige des personnes ou des postes qui y sont reliées, les prises de décision deviennent centralisées et passent des ministères hiérarchiques aux organismes centraux et aux cabinets tant et si bien que les liens qui existaient entre les ministères et les groupes se dénouent. Les processus intergouvernementaux prévoient rarement la consultation des groupes ou du public, et le caractère secret qui les caractérise signifie que les groupes ne savent souvent même pas à quel genre de marchandage on se livre. Au cours des dernières années, les ONG ont fortement contesté le caractère secret des relations intergouvernementales et demandé d’y participer; ils ont ainsi suscité des attentes sur le plan de la consultation du grand public avant que toute décision prise dans le cadre de négociations intergouvernementales ne soit mise en application.(13)

Pour juger de la véracité de ces thèses contradictoires, il est important de noter que la plupart des études et des hypothèses sont fixées dans le temps, ayant été articulées au cours des années 1970 et 1980. Elles présument donc l’existence d’un processus sous-jacent d’auto-promotion ou de concurrence visant à donner le moyen de déterminer à qui revient le mérite d’avoir créé de nouveaux programmes.(14) Toutefois, au cours des dernières années, l’impératif le plus pressant pour les gouvernements a été d’éviter le blâme. À bien des égards, le processus de délestage et la manière de refiler les responsabilités qui sont associées à la réduction des dépenses sont encore plus susceptibles d’exclure les participants de l’extérieur que ne le sont les relations intergouvernementales liées à une auto-promotion concurrentielle.

La nature des activités d’action sociale dans le contexte des relations intergouvernementales a changé de plusieurs autres manières au cours des dernières années, et ces changements ont simultanément augmenté et réduit l’efficacité du rôle du secteur bénévole. Les ONG sont moins restreints par les limites de l’État-nation, et, par conséquent, pas du tout par le fédéralisme. L’État fédéral n’est plus le pinacle, mais seulement une tranche médiane d’un nouvel État à multiples niveaux qui, aux échelons supérieurs, comprend l’ordre mondial (p.ex., ONU, GATT et OMC) et les régimes continentaux (p.ex., l’ALENA) et, au niveau de la base, un « localisme » raffermi, centré sur les administrations municipales sur lesquelles on s’est déchargé de responsabilités particulières, et qui ont ainsi acquis un plus grand poids politique. Il en résulte que les gouvernements fédéral et provinciaux sont simplement coincés entre des intervenants potentiellement plus forts.(15) Ce fait ouvre de nouveaux champs d’influence pour les ONG. Elles peuvent non seulement dresser un gouvernement national contre un gouvernement infranational, mais aussi se tourner vers les institutions internationales et supranationales pour exercer des pressions sur des gouvernements nationaux. Les Autochtones ont peut-être utilisé cette tactique de la façon la plus habile, mais les groupes environnementaux et ceux d’intérêt social ont aussi utilisé efficacement les conventions et mécanismes des Nations Unies pour mettre les gouvernements nationaux dans l’embarras, par exemple, et parfois les pousser à agir. En un sens, les multiples fissures qui caractérisaient l'État fédéral ont ouvert un foisonnement de possibilités.

Parallèlement, l’espace dont disposent les organismes bénévoles pour défendre les intérêts publics dans le cadre de fédérations et d’autres États a été réduit. Comme nous le verrons dans la prochaine section, cet espace a été resserré à la suite des tentatives faites par les gouvernements nationaux de nombreux pays pour imposer, directement ou indirectement, des limites plus strictes aux activités d’action sociale. La deuxième raison est moins évidente. Dans de nombreuses fédérations, on a non seulement assisté à une décentralisation passant du niveau fédéral à celui des autorités régionales, puis à celui des administrations municipales, mais à une nouvelle orientation allant des États vers les marchés, les collectivités et les familles, réalisée au moyen de délestage, de privatisation, d’activités contractuelles et de partenariats.(16) Une fois que les programmes et services seront passés du secteur public au secteur privé, il est beaucoup moins probable que les organisations bénévoles soient consultées ou puissent avoir une influence quelconque sur leur conception et leur mise en œuvre. En effet, sous de nombreux régimes néo-libéraux, les organisations bénévoles se trouvent de plus en plus en concurrence directe avec des entreprises commerciales pour obtenir des contrats et pour assurer la prestation des services.(17) Mais, même en tant que partenaires des gouvernements, les organisations bénévoles peuvent se retrouver sans voix lorsque les intervenants gouvernementaux gardent le contrôle des paramètres politiques en octroyant des contrats ou en surveillant les cordons de la bourse. Une fois à l’intérieur d’un partenariat, les organisations bénévoles ne peuvent osciller entre les rôles de co-producteur et de défenseur puisque, bien souvent, leurs partenaires gouvernementaux ou d’autres sources de financement les en empêchent. Bien qu’elles jouent un plus grand rôle dans la prestation des services publics, les organisations bénévoles estiment qu’elles ont moins d’influence sur les politiques dans le cadre desquelles s’effectue cette prestation.

Au-delà des activités d’action sociale: autres dimensions des relations entre le secteur bénévole et l’État

Reddition de comptes

En tant que groupe d’organisations autonomes, le secteur bénévole ou sans but lucratif est nécessairement auto-réglementé. Toutefois, en tant qu’organisations en qui le public a confiance, elles sont réglementées comme il convient, jusqu’à un certain point, par l’État afin d’assurer qu’elles rendent compte de leurs activités au grand public. Comme le fait remarquer l’International Centre for NonProfit Law : « Lorsque les lois sont sommaires et obscures, la fraude et l’abus prolifèrent. D’un autre côté, le manque de réglementation crée une situation où les organisations civiques sont bien peu protégées contre les mesures arbitraires de l’État ».(18) Bien que les détails et les pratiques de surveillance de la conduite des organisations bénévoles et sans but lucratif varient considérablement d’un pays fédéral à l’autre, la plupart les appliquent de deux manières: 1) en réglementant les organisations et leurs activités dans le cadre du système fiscal; 2) en imposant des exigences de divulgation et certaines restrictions sur les activités de lobbying de tous les défenseurs de la sphère publique, y compris les organisations du secteur bénévole, les associations commerciales et les entreprises.

En tant que responsable du système fiscal, le gouvernement national est habituellement chargé de déterminer le statut de bienfaisance des organisations et de les enregistrer, bien que le domaine de la bienfaisance comme question civile puisse relever du gouvernement régional ou provincial. La détermination du statut d’organisation de bienfaisance se fait soit en vertu de la common law (p.ex.,au Canada), soit conformément à la common law et à un système de codification (p.ex., les É.-U.), soit en vertu du code civil (p.ex., le Brésil et l’Allemagne)(19). L’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance donne normalement droit à la remise de reçus d’impôt correspondant aux dons; le gouvernement national exige donc la préparation de certains rapports annuels et la conformité aux règlements sur la conduite; il impose, par exemple, des limites sur les activités non reliées à la mission des organisations et sur les activités politiques, et il veille à ce que ces organisations se déchargent de leurs responsabilités en tant que fiduciaires en réglementant les montants qui doivent être déboursés chaque année à des fins de bienfaisance comparativement à des fins d’administration ou de collecte de fonds.(20)

Les gouvernements régionaux ou provinciaux aident aussi à promouvoir l’obligation de rendre compte par plusieurs moyens. L’attribution d’un statut légal à une organisation sans but lucratif, en tant qu’entité érigée en société ou que fiducie, relève normalement du domaine de compétences des gouvernements provinciaux ou régionaux, et certaines obligations sur le plan des rapports et des restrictions sur la conduite en résultent. Au niveau infranational, il existe des différences considérables entre les fédérations quant à l’intérêt que les gouvernements régionaux manifestent à l’égard de la réglementation des activités des organisations de bienfaisance se situant en dehors du processus de prestation des services aux termes de contrats. À l’un des extrêmes on trouve les États-Unis, où les États surveillent de près les activités de collecte de fonds et d’autre nature(21) et en assument même la micro-gestion. Par contraste, la surveillance exercée par les gouvernements infranationaux au Canada et en Australie correspond plutôt à une aimable indifférence.(22) Cette zone est potentiellement délicate sur le plan des domaines de compétences à l’intérieur des fédérations, et l’on pourrait défendre l’idée qu’il serait bon de raffermir l’auto-réglementation et le rôle des gouvernements nationaux tout en leur demandant de coordonner leurs efforts avec les niveaux régionaux ou provinciaux. Il est essentiel, par exemple, que les fédérations conservent un système national d’enregistrement du statut de bienfaisance parce que la géographie influe de moins en moins sur la manière dont les organisations bénévoles fonctionnent, et en particulier, sur leurs méthodes de collecte de fonds. Grâce à la technologie des envois directs et d’Internet, les organisations de bienfaisance mènent leurs campagnes de collecte de fonds auprès de groupes de bienfaiteurs sans que les frontières géographiques ne les gênent. Par conséquent, les tentatives que font les gouvernements infranationaux pour réglementer la collecte de fonds ou pour déterminer quelles organisations sont admissibles au statut d’organisation de bienfaisance à l’intérieur de leur domaine de compétences peuvent être déjouées par la pratique actuelle et pourraient frustrer les ONG de plus en plus.

En plus de surveiller les activités des organisations de bienfaisance, de nombreux gouvernements fédéraux et régionaux réglementent aussi directement les activités d’action sociale. Par exemple, l’Australie, le Canada, l’Allemagne et les États-Unis exigent l’enregistrement des lobbyistes, qu’ils soient des employés des ONG ou les lobbyistes professionnels d'une association, entreprise cliente ou autre gouvernement. L’objet d’un tel enregistrement n’est pas d’entraver l’action sociale, mais de montrer clairement au public et aux représentants publics la cible visée. Des analyses comparatives montrent que l’enregistrement des lobbyistes n’est ni particulièrement coûteux ni onéreux pour les organisations du secteur bénévole.(23) L’enregistrement demande généralement peu d’efforts de la part des ONG car leur mission est habituellement évidente, et ils ont rarement assez d’argent pour embaucher des lobbyistes professionnels.

Soutien

L’autre face de l’obligation de rendre compte est l’accroissement de la capacité. Le soutien que le gouvernement accorde aux organisations du secteur bénévole se justifie de trois manières. Premièrement, les gouvernements veulent encourager les citoyens à soutenir davantage le travail de ces organisations en leur faisant des dons. Les encouragements fiscaux, qui se traduisent par des dépenses fiscales pour l’État, renforce cette philanthropie. Cette responsabilité et les coûts qui y sont associés relèvent normalement du gouvernement fédéral, et cela ne devrait pas changer. La deuxième justification du soutien gouvernemental accordé aux ONG est celle de permettre à certaines collectivités, celles qui sont désavantagées ou d’une importance primordiale pour le concept de la nation, de participer activement à la vie civile, et d’être au moins un peu représentées dans l’arène politique. Le soutien gouvernemental peut prendre la forme de subventions visant à soutenir les principales activités des organismes ou d’aide indirecte et concrète telle que l’affectation d’experts auprès d’elles et l’accès à la technologie. Enfin, en troisième lieu, les gouvernements appuient les organisations bénévoles pour assurer un certain degré de prestation de quelques services ou la prestation de ceux-ci conformément à des normes particulières. Ce type de soutien est généralement offert au moyen de contrats ou de financement de projets lié à certains « produits livrables ».

La restructuration de l’État-providence a exercé d’énormes pressions sur l’élément soutien des relations secteur-État. La concurrence entre les organisations bénévoles sur le plan de la collecte de fonds est devenue virulente en raison de la demande accrue de services, anciens et nouveaux, résultant souvent d’un délestage unilatéral de la part des gouvernements. De plus, la plupart des gouvernements ont remplacé le soutien opérationnel par des subventions ou contrats reliés à des projets, ce qui signifie que les ONG doivent de plus en plus se livrer à une chasse au financement, adaptant leurs activités à ce qui est le plus susceptible d’être financé afin d’utiliser ensuite l’argent affecté aux projets pour soutenir leurs activités de base – un processus que l’on appelle la « danse de la gestion de contrat », pendant laquelle les organisations risquent de s’éloigner progressivement de leur mission fondamentale.(24) En plus d’avoir assisté à la réduction du soutien de base qui leur était accordé, les organisations bénévoles se voient obligées de concurrencer directement les gouvernements, car ces derniers font aussi appel à la collecte de fonds publics pour financer certains services publics. Cette compression financière n’est pas seulement le fait des fédérations, mais celui de la plupart des pays où l’aspect providence de l’État et la portée du secteur public ont été considérablement réduits. Mais la question qu’il est intéressant de poser est la suivante: les pressions sont-elles plus grandes dans les États fédéraux? Bien qu’il n’existe aucune analyse comparative, on peut dire que l’élément de soutien des relations a plus de chances de disparaître dans les fissures: les niveaux fédéral autant que provincial ou régional peuvent soutenir que la responsabilité du soutien du secteur et de l’accroissement de ses capacités internes relève de l’autre niveau.

La rareté de l’argent et l’accroissement des responsabilités ont suscité des initiatives visant à réexaminer et à discuter de la nature et de l’avenir des relations, et d’amener ces discussions aux niveaux intermédiaire et macro – entre le secteur et l’État – plutôt que de les laisser se dérouler entre une organisation donnée et un ministère gouvernemental. Ce sont les gouvernements nationaux qui ont pris le leadership de ce processus, mais, dans un second temps, il faudra que les niveaux infranationaux y participent aussi. Bien qu’à l’état naissant, ces processus de macro-niveau ont commencé à donner des résultats positifs: l’Australie, par exemple, a créé une table ronde comprenant les trois secteurs afin de faciliter les discussions sur la promotion des partenariats et de la philanthropie entre les gouvernements et les secteurs bénévole et privé; le gouvernement Travailliste du Royaume-Uni a négocié des ententes avec le secteur de l’Angleterre, de l’Écosse, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord, dans lesquels sont précisés les principes qui sous-tendent les relations secteur-État, y compris le financement et le code de déontologie.(25) Par ailleurs, le Canada est en train de restructurer les relations secteur-État en se basant sur les recommandations d’un groupe de tables rondes auxquelles ont participé des représentants du gouvernement fédéral et du secteur.

Transparence

Le quatrième des divers aspects des relations entre le secteur bénévole et l’État est celui de la transparence, qui est comme une fenêtre publique sur ces relations. Comment les gouvernements, fédéral et infranationaux, se sont-ils acquittés de leurs responsabilités et de leurs engagements à l’égard du secteur? Les organisations bénévoles agissent-elles véritablement selon les désirs de leurs membres ou sections locales? La transparence est d’une importance critique en raison de l’élément de confiance publique inhérent au secteur bénévole, et pourtant, elle est la moins développée de tous les aspects des relations secteur-État. Le degré d’accès public aux rapports obligatoires du secteur bénévole varie grandement d’une région à l’autre du pays. Il est rare que l’on demande aux gouvernements de faire état de leur conduite à l’égard du secteur, mais l’intérêt nouveau suscité par les ententes négociées et la vérification sociale a fait que l’on commence à y incorporer l’obligation pour le gouvernement de publier un rapport annuel en plus des exigences ordinaires imposées au secteur. L’établissement d’une transparence efficace des deux côtés devient encore plus difficile dans les fédérations étant donné que les domaines de compétences sont généralement partagés. Pour éviter que les gouvernements régionaux et fédéraux ne se précipitent pour imposer de nouvelles exigences, souvent redondantes, sur le plan des rapports, il sera vital d’effectuer une coordination entre les gouvernements et de consulter le secteur.

Prestation des services

La restructuration de la fonction publique, surtout en ce qui concerne la politique sociale, a profondément modifié la nature de la prestation des services dans la plupart des pays. Même si elles se sont manifestées quelque peu différemment dans les divers pays, les tendances communes ont été de faire davantage appel à l’octroi de contrats et d’accroître les co-productions ou partenariats. L’expansion de l’élément contractuel a eu plusieurs effets sur le secteur bénévole. Cette pratique se fonde sur un principe de concurrence entre les ONG et aussi, dans de nombreux cas, avec des firmes commerciales. Comme le font remarquer DiMaggio et Powell, une telle concurrence pourrait avoir comme conséquence de rendre les organismes concurrents plus isomorphes et de plus en plus semblables en raison de l’imposition d’un environnement contractuel commun.(26) Au lieu de développer leurs particularités, les organisations bénévoles entraînées dans la culture contractuelle pourraient commencer à perdre un grand nombre des caractéristiques distinctes qui les avaient d’abord rendues attrayantes aux yeux des gouvernements et des collectivités.(27) L’octroi de contrats s’accompagne, comme il convient, d’un certain degré de réglementation et d’exigences de divulgation. La difficulté n’est pas associée à la réglementation en soi, mais au manque de coordination des exigences réglementaires et de divulgation imposées par les divers gouvernements, d’un donateur à l’autre. Souvent, divers donateurs demanderont exactement la même information aux différentes organisations, mais voudront l’obtenir de manières différentes, ce qui crée un fardeau administratif important pour les ONG. En outre, l’évaluation des résultats ou du rendement a remplacé le contrôle des entrées comme moyen d’assurance de la qualité, et la collecte de telles données exige beaucoup plus de connaissances et de ressources.

Les partenariats sont devenus l’un des nouveaux moyens d’effectuer la gestion publique. Bien que, en théorie, les partenariats comportent un mécanisme d’amélioration de la compréhension et du dialogue entre le gouvernement et ses partenaires, dans la pratique, son efficacité est souvent limitée. Bref, la décentralisation opérationnelle découlant de l’octroi de contrats et de la co-production n’a pas nécessairement correspondu à une décentralisation de la politique. En effet, le contraire s’est souvent produit: la centralisation s’est accrue alors que les gouvernements exercaient un plus grand contrôle sur les stratégies et les politiques, et se déchargaient des opérations quotidiennes.(28) Parallèlement, les gouvernements n’ont pas joué le rôle exigé de coordonnateur de l’accès aux opérations décentralisées, et les ONG en ressentent souvent les effets lorsque leurs clients, en tentant d’obtenir l’accès aux services, ont beaucoup plus de difficulté à identifier la responsabilité de chacun.

L’accroissement du fardeau administratif, la demande d’évaluation des résultats, la centralisation et la décentralisation simultanées ainsi qu’une coordination réduite des services se font sentir dans de nombreux pays, et pas seulement dans les fédérations. Toutefois, le fédéralisme en amplifie les effets. Les demandes de formation de partenariat, d’évaluation et de divulgation augmentent parce que les deux niveaux de gouvernement (fédéral et régional ou provincial) tentent d’établir des liens avec diverses collectivités par l’entremise du secteur bénévole et de réduire la taille de la fonction publique. Par conséquent, la nécessité d’établir des relations aux niveaux intermédiaire et macro (entre les gouvernements et avec d’autres sources de financement) susceptibles de mener à un dialogue et à une compréhension partagée du potentiel et des limites du secteur bénévole devient encore plus importante dans le contexte des systèmes fédéraux que dans celui des pays unitaires. Les chances de succès sont cependant moindres.

Conclusion

Le présent document a fait ressortir que l’impact des ONG sur les relations intergouvernementales doit être perçu dans le contexte plus large de l’incidence de l’évolution des relations entre l’État et le secteur bénévole. Sans aucun doute, le fédéralisme rend cette relation plus complexe en forçant les organisations à se donner une structure semblable à celle du gouvernement fédéral pour assurer leur présence aux niveaux national et infranational, en créant des demandes accrues et redondantes sur le plan de la reddition de compte, de la réglementation et de l’évaluation des résultats; de plus, pendant les périodes de restrictions, il crée un gouffre dans lequel les ONG peuvent basculer quand les deux niveaux de gouvernement retirent leur appui, et ce, en donnant l’impression que cette responsabilité incombe à « l’autre ».

Les ONG ont également eu une influence sur le processus des relations intergouvernementales. Leur militantisme a ouvert ce processus en critiquant les délibérations à huis clos entre les gouvernements qui échappent à l’attention du public, et empêche celui-ci de s’y engager. Bien que les discussions confidentielles entre représentants élus et fonctionnaires auront toujours une place quelconque dans les relations intergouvernementales, les ONG ont créé une attente selon laquelle la « haute politique » - discussions sur les grandes questions constitutionnelles ou structurelles - doit être transparente et inclure la participation des représentants des collectivités ou des intervenants importants.(29) L’importance croissante que revêt le secteur bénévole tant sur le plan de la gestion publique que sur celui de l’établissement d’une société civile saine a aussi soulevé la question d’établir des relations avec le secteur en tant que secteur, et non pas simplement avec des intérêts individuels. Bien que, jusqu’ici, les discussions sur les relations entre le secteur bénévole et l’État aient été localisées au niveau national ou infranational, ce n’est qu’une question de temps avant que ces relations ne deviennent elles-mêmes un des principaux sujets de discussions intergouvernementales.

Questions à débattre

• Comment le fédéralisme influe-t-il sur la nature des relations entre les gouvernements, nationaux et infranationaux, et le secteur bénévole ou sans but lucratif? Quelle est l’incidence des ONG sur les processus intergouvernementaux inhérents au fédéralisme?

• Le fédéralisme aide-t-il ou nuit-il à l’efficacité de l’action sociale menée par les ONG? Quelles sont les complexités de cette action sociale pour les représentants élus et les fonctionnaires? Les ONG utilisent-ils les institutions et mécanismes internationaux ou supranationaux plus efficacement dans le contexte de leur action sociale, et quels en sont les effets sur les gouvernements fédéraux et infranationaux?

• Comment pouvons-nous rendre plus fortes et plus constructives les relations entre l’État et le secteur bénévole? Comment le fédéralisme influe-t-il sur le renouvellement des relations secteur-État?

• Le processus des relations intergouvernementales devrait-il être ouvert à la participation du public et des ONG? Dans l’affirmative, comment pouvons-nous rendre les processus intergouvernementaux plus inclusifs?

Notes

1. Voir, par exemple, Gilles Paquet, « Tectonic Changes in Canadian Governance », avec la collaboration de Leslie A. Pal, How Ottawa Spends: 1999-2000: Shape Shifting: Canadian Governance Toward the 21st Century (Toronto: Oxford University Press, 1999), pp. 75-111.

2. Hon. John Howard, « Opening Comments by the Prime Minister, 25 mars 1998 », que l’on peut se procurer dans Business and Community Partnerships – An Initiative of the Prime Minister’s Round Table, à l’adresse suivante: http://www.facs.gov.au/partners/comments.htm.

3. Voir Keith G. Banting, « Social Citizenship and the Social Union in Canada », Policy Options, novembre 1998, p. 34; Will Kymlicka, « Ethnic Associations and Democratic Citizenship », avec la collaboration d’Amy Gutmann, Freedom of Association (Princeton, NJ: Princeton University Press, 1998), pp. 177-213; Robert Howse, « Searching for Plan A: National Unity and the Chrétien Government’s New Federalism », avec la collaboration de Harvey Lazar, Canada: The State of the Federation 1997 (Kingston (Ontatio): Institute of Intergovernmental Relations, Université Queen’s, 1998), pp. 311-31.

4. Groupe d’experts sur la saine gestion et la transparence dans le secteur bénévole. Building on Strength: Improving Governance and Accountability in Canada’s Voluntary Sector (Ottawa: Table ronde sur le secteur bénévole, 1999), p. 11.

5. Keith G. Banting, The Welfare State and Canadian Federalism 23e éd. (Montréal et Kingston: McGill-Queen’s University Press, 1987) et Paul Pierson, « Fragmented Welfare States: Federal Institutions and the Development of Social Policy », Governance, 8, 4, octobre 1995, pp. 449-78.

6. Voir, par exemple, M. W. Bucovetsky, « The Mining Industry and the Great Tax Reform Debate », avec la collaboration de A. Paul Pross, Pressure Group Behaviour in Canadian Politics (Toronto: McGraw-Hill Ryerson, 1975); et Hugh G. Thorburn, Interest Groups in the Canadian Federal System (Toronto: University of Toronto Press pour la Commission royale sur l’union économique et les perspectives de développement du Canada, 1985), pp. 60-65.

7. Richard Schultz, Federalism, Bureaucracy and Public Policy: The Politics of Highway Transport Regulation (Montréal: McGill-Queen’s University Press, 1980), surtout le chap. 8; et William D. Coleman, « Federalism and Interest Group Organization », avec la collaboration de Herman Bakvis et William M. Chandler, Federalism and the Role of the State (Toronto: University of Toronto Press, 1987), p. 172.

8. W. Streeck mentionné par Coleman dans « Federalism and Interest Group Organization », p. 172.

9. Thorburn, Interest Groups in the Canadian Federal System, p. 62.

10. Pierson, « Fragmented Welfare States: Federal Institutions and the Development of Social Policy », p. 462.

11. Par exemple, au Canada, où l’environnement est un domaine de compétence partagé, le mouvement environnemental a établi des organisations nationales fortes capables d’influer sur les politiques et n’ayant que des liens occasionnels avec les organismes de base, tandis que l’organisation environnementale provinciale est demeurée comparativement plus faible. Voir Susan D. Phillips, « New Social Movements and Routes to Representation: Science versus Politics », avec la collaboration de S. Brooks et A-G. Gagnon, The Political Influence of Ideas: Social Scientists, Policy Communities and the State (New York: Praeger Publishers, 1994), pp. 57-82.

12. Richard Simeon, Federal-Provincial Diplomacy, the Making of Recent Policy in Canada (Toronto: University of Toronto Press, 1972).

13. Le débat peut-être le plus public jamais mené dans une fédération sur la question de savoir qui devrait participer aux négociations intergouvernementales a eu lieu au Canada vers la fin des années 1980 et le début des années 1990 pendant les conférences sur la réforme constitutionnelle tenues dans le cadre des accords du Lac Meech et de Charlottetown. Pour une discussion du processus participatif de cette période, voir Leslie A. Pal et F. Leslie Seidle, « Constitutional Politics 1990-92: The Paradox of Participation », avec la collaboration de Susan D. Phillips, How Ottawa Spends 1993-1994: A More Democratic Canada . . .? (Ottawa: Carleton University Press, 1993), pp. 143-202.

14. Pierson, « Fragmented Welfare States », p. 458.

15. Stephen Clarkson et Timothy Lewis, « The Contested State: Canada in the Post-Cold War, Post-Keynesian, Post-Fordist, Post-National Era, » avec la collaboration de Leslie A. Pal, How Ottawa Spends 1999-2000: Shape Shifting: Canadian Governance Toward the 21st Century (Toronto: Oxford University Press, 1999), pp. 298-303.

16. Voir Gérard Boismenu et Jane Jenson, « A Social Union of a Federal State?: Competing Visions of Intergovernmental Relations in the New Liberal Era », avec la collaboration de Leslie A. Pal, How Ottawa Spends 1998-99: Balancing Act: The Post-Deficit Mandate (Toronto: Oxford University Press, 1998), pp. 60-2; et Julia S. O’Connor, Ann Shola Orloff et Sheila Shaver, States, Markets, Families: Gender, Liberalism and Social Policy in Australia, Canada, Great Britain and the United States (Cambridge: Cambridge University Press, 1999).

17. Voir Lester M. Salamon, Partners in Public Service (Baltimore et Londres: Johns Hopkins University Press, 1995).

18. International Centre for Not-for-Profit Law (ICNL), « Regulating Not-for-Profit Organizations », que l’on peut obtenir à l’adresse suivante: http://www.icnl.org/comp3.html.

19. Bien que l’on puisse s’attendre à ce que l’usage de la common law crée un degré remarquable d’uniformité quant au type d’organisations admissibles au statut d’organisme de bienfaisance, les divergences sont en réalité considérables. De tous les pays fédéraux appliquant la common law, le Canada est probablement celui dont la définition d’un organisme de bienfaisance est la plus restrictive; en effet, de nombreuses organisations qui seraient enregistrées comme œuvres de charité exonérées d’impôt, aux États-Unis par exemple, ne le seraient pas chez leur voisin du nord. L’Australie a récemment pris la courageuse décision de rayer les groupes religieux de la définition d’organisme de bienfaisance.

20. De nombreux pays exigent aussi des organisations de bienfaisance enregistrées la publication de rapports annuels; l’Australie fait exception. Voir Lester M. Salamon, The International guide to Nonprofit Law (New York: John Wiley & Sons, 1997), p. 59. D’autres pays, tels que l’Inde et l’Afrique du Sud imposaient, jusqu’à récemment, des limites sur le montant de financement provenant de sources étrangères que les organisations bénévoles pouvaient recevoir.

21. Salamon avance que le degré de détails des règlements des États américains a atteint un point critique pour les organisations de bienfaisance américaines. Voir Salamon, The International guide to Nonprofit Law, pp. 364-5.

22. Groupe d’experts sur la saine gestion et la transparence dans le secteur bénévole, Building on Strength, p. 78.

23. Yael Yishai, « The Guardian State: A Comparative Analysis of Interest Group Regulation », Governance, 11, 2, avril 1998, pp. 153-76.

24. Stephen R. Smith et Michael Lipsky, NonProfits for Hire: The Welfare State in the Age of Contracting (Cambridge: Harvard University Press, 1993).

25. Bien que le Royaume-Uni ne soit pas un État fédéral, il doit faire face aux mêmes problèmes que les fédérations car la plupart des relations quotidiennes ont lieu entre le secteur et les autorités locales, et non le gouvernement central. Il est aussi un modèle pour les fédérations, car la prochaine étape à franchir pour établir une nouvelle relation se situe dans la négociation des accords locaux. Voir Gary Craig et coll.., Developing Local Compacts: Relationships between Local Public Sector Bodies and the Voluntary and Community Sectors (London: York Publishing Services, 1999). On en trouve un résumé à l’adresse suivante: http://www.jrf.org.uk/press_release/pr170299.htm.

26. P. DiMaggio et W. Powell, « The Iron Cage Revisited: Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48, 1983, pp. 147-60.

27. Voir Paul Hoggett, « New Modes of Control in the Public Service », Public Administration, 74, Printemps 1996, pp. 12-17.

28. Hoggett, « New Modes of Control », pp. 17-19.

29. L’accord-cadre sur l’union sociale récemment négocié entre le gouvernement canadien et les provinces tient compte de cette préoccupation en y incorporant la nécessité d’encourager les citoyens à participer aux futures discussions fédérales-provinciales.

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