Conférence internationale sur le fédéralisme Mont-Tremblant, octobre 1999 Article de référence

LE SECTEUR PRIVÉ ET LES RELATIONS INTERGOUVERNEMENTALES

Allan A Warrack Professeur, Faculté des affaires Université de l’Alberta

I. INTRODUCTION

Vieille réalité : le gouvernement n’est pas près de disparaître, et le secteur privé se portera mieux s’il apprend à travailler avec lui. Réalité continue : le secteur privé n’est pas près de disparaître, et le gouvernement se portera mieux s’il apprend à travailler avec lui. Nouvelle réalité : le monde évolue très vite, et c’est ainsi que, notamment, la clarté glaciale de la Guerre froide a fait place à une paix brumeuse.

À un extrême, certains estiment qu’il ne devrait pas y avoir du tout de gouvernement et, à l’autre, qu’il ne devrait pas y avoir de secteur privé ou de marché libre. La société humaine, qu’il s’agisse de modèles de gouvernement fédéralistes ou pas, a écarté ces perspectives marginales. Il y a longtemps qu’elle a rejeté le féodalisme. Quant au communisme (ou socialisme non démocratique), elle l’a rejeté plus récemment. Les questions qui se posent à notre époque, et pour le nouveau millénaire, sont : quelle place doit occuper le gouvernement, comment garantir un mode de gouvernement efficace et équitable, et comment organiser le gouvernement en ce qui concerne son ampleur et son style dans les sociétés respectives. Bon nombre des systèmes de laissez-faire que l’on trouve dans le monde sont aujourd’hui considérés comme injustes pour le citoyen ordinaire et plus encore injustes pour ceux qui sont dans l’incapacité de se protéger.

Le civisme doit être délimité par le gouvernement, qui doit aussi veiller à son respect. Quelle place doit occuper le gouvernement pour cela? Quelles sont les “ règles du jeu ” qui s’appliquent à tous de manière équitable? Lorsqu’il devient nécessaire d’intervenir pour la réalisation d’objectifs économiques et sociaux, quels sont les choix du gouvernement et selon quels critères doit-il prendre ses décisions? Et, pour revenir plus précisément au thème de cette importante conférence, existe-t-il un modèle consensuel de fédéralisme qui permette d’arriver à cette combinaison insaisissable de prospérité économique, de sécurité et de progrès sociaux? Presque toutes les économies du monde sont des économies mixtes. Au Canada, par exemple, les dépenses publiques représentent plus de 40 p. 100 de l’économie. Aux États-Unis, 10 p. 100 de moins environ et dans plusieurs pays européens modernes, environ 10 p. 100 de plus. Où se trouve le juste équilibre? Ces proportions devraient-elles être identiques, ou les différences se justifient-elles? Qu’il s’agisse de fédération ou pas, qui est mieux placé que les citoyens de ces pays pour juger des réponses à ces questions? Ce sont eux qui paient les impôts et qui bénéficient des avantages supposés. Dans une démocratie les citoyens sont censés évaluer leurs perceptions des coûts et avantages et voter en conséquence.

Une comparaison entre le Canada et les États-Unis d’Amérique constitue sans doute un point de référence utile. Malgré des histoires qui présentent plus de similitudes que de différences, et bien que les deux pays soient de régime fédéral, les attitudes prédominantes à l’égard des gouvernements diffèrent. Les Américains ont tendance à penser que le gouvernement est un mal nécessaire, mais que moins il est présent, mieux cela vaut. Quant aux Canadiens, ils ont tendance à penser que le gouvernement est un bien public qu’il faut donc juger davantage par l’efficacité et l’équité de son fonctionnement que par sa seule taille. La plupart des fédérations se situent quelque part sur cette courbe implicite de l’importance du gouvernement, mais elles sont plus nombreuses à ressembler au Canada par leurs attitudes qu’aux États-Unis. La mondialisation progressant implacablement, de nouvelles pressions qui influent différemment sur différentes formes de gouvernement fédéral, y compris sur la prospérité économique et la tolérance sociale de la population, seront invoquées.

II. LE COMPAS DES VALEURS POLITIQUES

Quel est l’objectif? Qu’est-ce qu’une “ bonne société ”? Comment une fédération donnée peut-elle s’en rapprocher? Les ouvrages sur le leadership et la bonne gouvernance sont nombreux, mais retenons ici celui d’O’Toole (1993), qui est particulièrement utile. Le paradigme du compas des valeurs politiques qui y est exposé est celui d’une société qui doit trouver un équilibre entre quatre paramètres : la liberté, l’efficacité, l’égalité et la communauté (ibid., p. 9). C’est ce que le graphique 1 présente sous forme schématique. Le rôle du gouvernement est d’orchestrer les paramètres voulus. Orchestrer est un terme qui convient bien, car le processus rappelle la direction d’orchestre, puisqu’il faut diriger les principaux éléments et placer les nuances aux bons moments pour parvenir à un résultat global optimal.

Liberté : Peut-on parler de bonne société si la liberté de choix, d’expression et d’association est inutilement limitée? Les libertaires croient en la liberté maximale de l’individu et en un gouvernement limité aux tribunaux, à la défense et à l’application de la loi. Pour eux, il n’y a pas de régime politique libre sans liberté économique. Les États-Unis sont plus libertaires que le Canada et pourtant, le Canada s’enorgueillit de l’évaluation du bien-fondé et de la liberté qui guide les décisions dans notre société. On ne peut décider si cela suffit dans l’absolu, mais dans le contexte des autres paramètres vitaux. Il est certain que n’importe quelle fédération choisirait une plus grande liberté, si un tel choix ne se faisait pas au détriment de l’efficacité, de l’égalité ou de la communauté. À moyen et à long terme, on peut imaginer qu’une plus grande liberté puisse compléter les autres aspects énumérés. Après tout, toutes les vieilles idées ont un jour été nouvelles!

Figure 1 – Une bonne société : compas des valeurs politiques Source : O'Toole, pp. 106-107

Efficacité : Certains commentateurs contestent l’idée que l’on puisse tenir l’efficacité pour une valeur politique, mais pas moi. Dans toutes les fédérations du monde, le développement économique est entravé par le gaspillage économique (je l’ai observé, avec regret, lors de mon voyage en Russie à l’été 1999). En effet, la réussite économique dépend beaucoup de ce que l’on tire parti des possibilités et des ressources existantes, au lieu d’autres possibilités et ressources. Il faut une valeur et une puissance économiques, si l’on veut avoir une prospérité à distribuer ou à redistribuer. Donc, la première chose à faire, c’est de créer et de maintenir de façon fiable un climat socio-économique propice à une activité économique efficace. Les décisions du marché sont ce qu’il y a de mieux en la matière. Les marchés ne sont sans doute pas parfaits, mais ils valent mieux que les autres solutions. D’aucuns se demandent si l’économie de marché est la servante de la démocratie, ou pas. La liberté économique facilite la création de valeur économique (Gwartney/Lawson/Block, 1996). On peut dire aussi que la puissance économique conduit à plus de liberté à tous égards. Il faut peut-être aussi prendre en considération d’autres éléments de base économiques d’une importance capitale, comme des richesses naturelles extraordinaires (ex. : Australie, Canada) et un accès à la mer.

Égalité : Certains pays ont recherché l’égalité des résultats (ex. : le “ mal britannique ”) mais, devant la diminution des mesures d’incitation et l’engourdissement des comportements, cette philosophie est aujourd’hui mise de côté. Cependant, il s’agit là d’un argument sur la voie de l’égalité, pas sur le besoin d’égalité des chances en tant que moyen de réussite socio-économique pour les gens capables et énergiques. Cela est conforme aux objectifs importants pour l’équité en matière d’emploi par rapport aux autochtones aux femmes aux personnes handicapées et aux minorités visibles. Dans les meilleurs cas de bonne gouvernance, on retrouve un double effet de style Robin des Bois vers l’équité par le biais du régime fiscal et des priorités en matière d’affectations budgétaires. Dans les pires cas, les effets de style Robin des Bois peuvent découler de la kleptocratie d’un capitalisme débridé et du fait que les personnages déjà puissants influent trop sur les décisions budgétaires du gouvernement (ex. : subventions aux grandes entreprises).

Communauté : C’est là le point de contact! L’amalgame des trois autres pôles du compas de la société qui se rejoignent là où les personnes et les familles vivent. Les questions relatives à la qualité de la vie abondent, tant individuellement que collectivement. L’intégrité environnementale est un souci essentiel. Une société civile jettera aussi un pont entre ces collectivités et les générations futures. Il est inévitable que le gouvernement s’occupe de ces questions, même s’il essaie souvent d’éviter de rechercher un consensus qui semble tellement insaisissable. La société civile est-elle sur le déclin? Dans une analyse du capital social, où la confiance, l’engagement civique et les liens servent plus précisément de paramètres, Putnam conclut au déclin et il s’en explique (Putnam, p. 27-36, 1997). Un éminent analyste et commentateur de la politique gouvernementale canadienne sonne l’alarme de façon similaire (Maxwell, p. 4-24, 1996).

Il existe de nombreuses façons d’étudier l’applicabilité de la “ bonne société ” en utilisant le compas des valeurs politiques. Il est important de noter que les “ pôles ” du compas peuvent être reliés les uns aux autres, que, dans certains cas, ils peuvent être complémentaires ou s’appuyer mutuellement, mais que, bien souvent, certaines options nécessiteront des décisions difficiles. La présente conférence porte notamment sur la dimension critique de la gouvernance des fédérations. Les variantes sont nombreuses. Dans beaucoup de régions du monde, y compris au Canada, le régime fédéral repose sur une histoire importante. Une fédération peut résulter de l’union de pays autrefois indépendants (Taylor/Warrack/Baetz, p. 6, 1999). Les quatre provinces originales du Canada étaient indépendantes. L’Écosse est un autre exemple par rapport à la Grande-Bretagne. Le régime fédéral peut également être une structure de gouvernement dans laquelle le pouvoir est décentralisé, autrement dit dévolu à différentes entités régionales. L’histoire joue un rôle important, qu’elle soit longue ou courte. L’histoire canadienne est courte, mais elle est enrichie par les influences britanniques, françaises et américaines. Ce que l’on enseigne sur l’histoire du Canada dans les écoles canadiennes est dérisoire. Mais peut-être qu’il n’est pas bon d’avoir une trop grande mémoire historique. Voyez la Yougoslavie (l’ancienne) et l’Irlande à ce propos. Les délégués du Forum des fédérations et les personnes qui assistent à la conférence connaissent certainement leur propre histoire et ils devront en interpréter les effets sur les perspectives actuelles, à l’aube du nouveau millénaire.

III. DÉFINITION DU RÔLE

Il est possible de définir un ensemble fondamental de rôles classiques en ce qui concerne les relations entre les entreprises et les gouvernements. Ainsi, il est indéniable que le secteur privé fournit des produits et des services publics importants, y compris des produits et des services de nature collective. L’activité du secteur privé est donc importante dans la réalisation des objectifs de la société et dans la satisfaction de ses besoins. Ensuite, la répartition des marchés est meilleure. Cet avantage découle d’une “ perte de capacité ” moindre (ibid., p. 52-53), et d’une faculté d’adaptation plus rapide à l’évolution de la situation, y compris à l’ère de la mondialisation qui est moins entravée Il est logique que des décisions prises en fonction d’une valeur économique entraînent une plus grande valeur économique, alors que la valeur non créée par ailleurs se traduit par une perte de capacité. Un dernier rôle (dernier au point qu’il remonte à la Richesse des nations d’Adam Smith) touche à la volonté et à la capacité du gouvernement de créer et d’entretenir le climat socio-économique nécessaire à l’investissement privé porteur de croissance et de stabilité économiques. Parmi ces variables du climat économique figurent le droit à la propriété privée, les lois qui font respecter l’inviolabilité des contrats, l’égalité des droits et l’application équitable de la loi, la transparence de l’information publique, et quantité d’autres variables importantes.

Le rôle du gouvernement dans une économie peut être classé par catégories selon les fonctions nécessaires à la société. Cinq fonctions économiques du gouvernement sont proposées (ibid., p. 49-50); à savoir : (1) la fourniture de biens et de services d’usage public; (2) la réglementation; (3) la redistribution; (4) la stabilisation; et (5) la fourniture d’une infrastructure. Le gouvernement offre des biens et des services, directement ou indirectement, et en facture (entièrement ou partiellement) le prix ou pas. Ainsi, dans la plupart des pays, le financement de la santé et de l’éducation donne lieu à de vastes débats. La qualité des services et leur quantité, et le choix de leur mode de prestation, influent sensiblement sur la taille et la forme du secteur public. Le gouvernement fait respecter la réglementation économique et sociale. Plus loin dans le présent document, d’autres solutions que la réglementation sont envisagées. Avec des degrés de priorité variables, les gouvernements modernes se penchent sur des questions relatives à la distribution de la prospérité économique. Ils recherchent une certaine égalité dans les résultats (gouvernements de gauche) ou une égalité des chances (gouvernements de droite), et la taille du gouvernement comme ses pôles d’intérêt dépendra de l’option choisie. La redistribution peut être fonction du régime fiscal du pays, et la fiscalité peut être progressive si elle est bien administrée. Elle peut aussi s’opérer par le biais du budget de l’état. Le fédéralisme complique la gouvernance et ajoute donc aux risques que doivent prendre les entreprises. Le régime fédéral, avec ses multiples paliers de gouvernement (ex. : le Canada), s’accompagne de plus de risques qu’un régime de gouvernement unitaire.

On ne comprend pas très bien le rôle de stabilisateur de l’économie que joue le gouvernement. On comprend assez bien que la stabilisation macro-économique réduit les risques d’investissement et qu’elle favorise donc un renforcement de la croissance économique. Presque tous les gouvernement, fédéraux ou pas, présentent la stabilité économique comme un objectif pour ces raisons. En revanche, on comprend moins bien que la stabilisation micro-économique est essentielle en ceci qu’elle est un moteur social important qui favorise la redistribution économique. En période de récession, et surtout de grave récession, ce sont les travailleurs les plus mal lotis et leur famille qui pâtissent le plus de la situation (ex. : chômage rapide et prolongé). De plus, au sommet inflationniste d’un cycle économique, les classes défavorisées sont moins à même de se protéger que les classes nanties. En conséquence, les gouvernements ont des raisons économiques et sociales de jouer un rôle de stabilisateur de l’économie. Le progrès social est la raison d’être du progrès économique.

La cinquième et dernière fonction économique à expliquer concerne la mise en place de l’infrastructure. L’activité économique crée l’infrastructure, dont il faut prendre soin une fois qu’elle est construite. Quel gouvernement doit fournir l’infrastructure routière, aéroportuaire, portuaire, etc.? Quel gouvernement doit réglementer quelle infrastructure? L’infrastructure peut être de nature matérielle ou sociale, et elle abaisse ou fait disparaître des obstacles au développement économique par le biais du secteur privé ou d’autres paliers de gouvernement. Dans des fédérations telles que le Canada, au territoire vaste et peu peuplé, le gouvernement doit fournir une plus grande partie de l’infrastructure moderne que le secteur privé. Le secteur public est donc plus important et, parce que ces projets représentent des immobilisations considérables, ces gouvernements s’endettent davantage. Si un gouvernement réussit à transformer des recettes fiscales en services publics, et à financer l’infrastructure nécessaire, sa taille pose-t-elle un problème? Des services publics de moins bonne qualité, notamment pour les classes défavorisées, et une infrastructure délabrée pourraient permettre de réduire la taille du gouvernement et l’endettement, mais pourrait-on parler alors de bon gouvernement?

Le débat sur le rôle du gouvernement doit porter également sur sa taille. Il est intense en ce qui concerne les proportions économiques et l’endettement. Au Canada, non seulement le secteur public représente plus de 40 p. 100 de l’économie, mais en plus, son endettement par rapport à la taille de l’économie reste supérieur à 60 p. 100, et plus du quart des recettes fiscales sert à payer les intérêts sur la dette nationale. Ces chiffres sont importants, même en comparaison de ceux de pays non nord-américains. Ceux pour qui le gouvernement occupe trop de place appuient leur argumentation non seulement sur le problème de la dette mais aussi sur le fait qu’un gouvernement inutilement tentaculaire freine la croissance économique (Henderson, p. 33-6, 1999). Dans la conception keynésienne du rôle économique du gouvernement, ce dernier atténue les risques, entre autres, mais au-delà d’une taille minimale, on peut faire valoir que le gouvernement est en fait source de risques. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, certaines données et analyses donnent à penser que le problème d’endettement du Canada ne tient pas à des dépenses effectuées en période de récession mais, en fait, à des exercices déficitaires en période de prospérité (Taylor/Warrack/Baetz, p. 49, 1999). En plus du rôle de moteur de la stabilité macro-économique exposé plus haut, une explication fascinante de la croissance du gouvernement renvoie aux résultats et aux perceptions du public après la Deuxième Guerre mondiale (Slater, p. 6-13, 1997). Le gouvernement a assumé un rôle important dans l’économie et cimenté ses relations avec le secteur des entreprises à l’époque de l’effort de guerre, qui fut fructueux. Alors, pourquoi une approche similaire ne serait-elle pas efficace face aux problèmes socio-économiques intérieurs? Il semble que le public canadien ait conclu qu’elle pouvait l’être et qu’il ait donc soutenu l’expansion rapide du gouvernement, tant de son rôle que de sa taille. Il semblerait que l’on ait entretenu de vains espoirs, de sorte que le gouvernement a pris de l’ampleur plus rapidement que le pays n’en avait les moyens. Par la suite, les contribuables ont fait les frais des réalités financières et budgétaires, y compris des problèmes de gestion fiscale et des querelles constantes entre les différents paliers de gouvernement de la fédération (Musgrave, p. 1-54, 1994). Hélas, un cynisme général s’est maintenant installé par rapport aux gouvernements et à la politique.

IV. LA MONDIALISATION

On parle souvent de mondialisation, mais ce n’est pas un lieu commun. Le terme convient à la nouvelle réalité que la population de chaque fédération vit à l’échelle mondiale. Le commerce est à la fois économique, culturel et linguistique. Grâce à des technologies qui font disparaître les distances, le “ monde rétrécit ”. On assiste à de bonnes comme à de mauvaises choses presque instantanément. Les liens de coopération et les conflits sont faciles à percevoir Et parfois la situation n’est guère reluisante.

Le commerce a toujours été important dans la plupart des fédérations du monde. Cela vaut pour le Canada. Cependant, les perspectives et les politiques qui en ont découlé ont accéléré le commerce après la Deuxième Guerre mondiale à mesure que les tarifs douaniers sur les produits industriels diminuaient. En 1947, 23 pays signaient l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), que l’on peut considérer comme une réaction aux guerres commerciales coûteuses des années 1930. Le GATT a servi de base au système commercial multilatéral tel que nous le connaissons aujourd’hui. Les pays qui ont contribué à l’effort de guerre ont découvert qu’ils pouvaient également coopérer à l’obtention de gains mutuels dans les échanges de biens et les possibilités d’investissement.

Le GATT remplit trois fonctions fondamentales : (i) un ensemble de règles communes pour la conduite du commerce international; (ii) une instance indépendante pour le suivi, l’examen et le règlement des différends commerciaux; et (iii) un organisateur des négociations multilatérales sur la politique commerciale. Les différends ne sont pas réglés par l’application de lois mais par une médiation fondée sur une autorité morale. Huit séries de négociations commerciales multilatérales ont été organisées par le GATT. Les deux premières se sont déroulées entre 1949 et 1951. La libéralisation des échanges était à l’ordre du jour de chacune, ce qui s’est traduit par des baisses importantes des tarifs douaniers. Les séries plus récentes portaient également sur d’autres aspects essentiels du commerce mondial multilatéral. En outre, le commerce a été élargi des marchandises aux services et à la propriété intellectuelle ainsi qu’aux flux financiers.

Le Tokyo Round (1973-1979) et le Kennedy Round (1964-1967) sont deux autres séries de négociations notables. La seconde a abouti à la réduction générale des tarifs douaniers pour les industries manufacturières, ce qui a marqué la fin de la politique protectionniste du Canada dans ce secteur. Quant au Tokyo Round, on s’y est entendu sur de nouvelles réductions des tarifs manufacturiers, mais l’objectif principal y était de réduire ou de limiter le recours aux obstacles non tarifaires au commerce. En effet, les progrès enregistrés auparavant sur les questions tarifaires avaient été en grande partie annulés par l’imposition moins officielle mais insidieuse et efficace d’autres obstacles.

L’Uruguay Round (1986-1994) est le plus récent en date. Les thèmes clés en étaient non-discrimination et libéralisation des échanges. On entend par non-discrimination le fait que chaque pays devrait avoir un barème de droits de douane unifié pour tous les autres pays membres du GATT. Les questions relatives au commerce agricole ont fait l’objet de controverses, tout particulièrement en ce qui a trait aux subventions (notamment dans l’Union européenne et aux États-Unis), car les subventions nationales faussent les prix sur les marchés d’exportation. D’autres dossiers ont été examinés, comme les droits de propriété intellectuelle et le commerce des services. À la conclusion de l’Uruguay Round, le GATT comptait 125 pays membres.

L’Accord de l’Uruguay Round portait la création d’une nouvelle organisation internationale, l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est désormais l’institution spécialisée dans le commerce mondial multilatéral. Le GATT est devenu un accord placé sous l’égide plus générale de l’OMC, institution chargée des questions relatives aux échanges commerciaux internationaux. Ces changements sont entrés en vigueur le 1er janvier 1995.

En plus du système mondial du GATT, nombre de groupes régionaux favorisant le commerce ont été formés, et il est probable que tout état fédéral appartiendra au moins à l’un d’entre eux. En voici des exemples : l’ALENA en Amérique du Nord, le Mercosur en Amérique du Sud, l’APEC des deux côtés de l’océan Pacifique, et l’Union européenne. Il s’agit d’organisations internationales vitales, dont certaines fonctionnent sous les auspices des Nations Unies, et qui jouent un rôle important dans les liens entre les pays. Certes, il ne suffit pas de dresser une liste de certaines de ces organisations, mais on peut encore nommer la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, le G-7 et l’OCDE.

Il est essentiel de noter que les blocs commerciaux régionaux ne sont sans doute pas tout à fait complémentaires du GATT. D’une part, les accords commerciaux régionaux favorisent l’expansion des échanges, ce qui va dans le sens du GATT. Cependant, par définition, ces accords excluent les pays qui n’en sont pas signataires, ce qui est discriminatoire, y compris à l’égard de beaucoup des pays les plus pauvres.

La “ glocalisation ” est une conséquence importante qui transforme l’état-nation (Courchene, p. 1-20, 1995). On entend par glocalisation l’intégration du mondial et du local, la tendance au transfert du pouvoir économique à la fois à des paliers mondiaux (transfert ascendant) et locaux (transfert descendant). Pensez à l’Union européenne et à l’Amérique du Nord. Il se peut que les nœuds de production économique deviennent locaux pour l’essentiel (principalement des villes), tandis que, parallèlement, les marchés s’internationalisent de plus en plus. Il en résultera peut-être que les frontières nationales auront de moins en moins d’importance. Pour les fédérations, il y aurait un effet de décentralisation en vertu duquel les régions plus proches des activités économiques auraient plus de pouvoir au détriment du centre. Ce transfert serait important.

Dans le monde entier, où beaucoup d’états sont de régime fédéral, un changement profond est survenu en novembre 1989. À la chute du Mur de Berlin, l’ordre mondial en place depuis 50 ans et défini par la guerre froide a changé. Probablement à tout jamais. Bien des certitudes ont volé en éclats. Pour faire place à quoi? Imaginez les nombreuses fédérations aux prises avec des changements soudains, alors que souvent, elles n’avaient connu que peu de changements depuis fort longtemps. L’euphorie n’a pas tardé à se dissiper devant les nouvelles complications et les nouvelles rivalités.

Les nouveaux pays de l’après-guerre froide, et les nombreuses fédérations qu’ils représentent, tombent dans trois catégories (Economist, p. 41-43, 20 décembre 1997). L’une d’elles, qui se caractérise malheureusement par le chaos, est charitablement qualifiée de “ pré-moderne ”. La catégorie opposée, que l’on trouve principalement en Europe et en Amérique du Nord, peut être qualifiée de “ post-moderne ”. Entre ces extrêmes se range l’éventail des pays “ modernes ”. Pour les pré-modernes, les relations mondiales ont toujours été synonymes de domination et d’exploitation par d’autres pays; le monde riche a parfois tendu une main humanitaire, mais trop souvent il brandissait un bras punitif. Les économies pré-modernes sont essentiellement agricoles, et certaines disposent de ressources naturelles limitées. On a toutes les raisons sociales et économiques d’aider les pré-modernes à avancer vers plus de prospérité et de liberté. Les modernes ont tendance à croire profondément en la souveraineté de l’état et au droit d’exister sans ingérence extérieure. Ils sont nationalistes et recherchent le pouvoir pour assurer leur autodétermination. Ces économies ont une capacité de production industrielle de masse en plus de leur base agricole. Enfin, les pré-modernes ont dans une large mesure fait passer la souveraineté au second plan. Leur système de gouvernement met l’accent sur l’indépendance mutuelle; et l’équilibre des pouvoirs souples, reposant notamment sur la sincérité, la transparence et la confiance, revêt beaucoup d’importance à leurs yeux. Ces économies sont de plus en plus caractérisées par les services et la technologie.

On retrouve des fédérations dans chacune des trois catégories mais moins dans la première. Il est difficile de comparer les secteurs privés des fédérations de chaque catégorie. Hormis quelques entreprises de très grande taille et souvent étrangères, le secteur privé des états post-modernes est habituellement dominé par des micro-entreprises familiales. Dans la catégorie dite moderne, il est probable que la structure sera la même, sauf que l’on verra aussi quelques grandes entreprises publiques qui réduisent considérablement les possibilités d’investissement du secteur privé. Dans les pays et les fédérations post-modernes, les schémas commerciaux relevés persistent et le secteur privé peut prospérer et avoir d’excellentes perspectives d’avenir.

VI. LES CHOIX

Le gouvernement a des choix. Les entreprises ont des choix. Tous deux préféreraient plus de choix que moins. Le gouvernement a des choix de structure, de politiques et de style de gouvernance. Pour ce qui est du choix de type de gouvernement, il lui faut décider s’il opte pour une fédération et, si tel est le cas, comment s’organisent les relations intergouvernementales. Toute entreprise et le secteur des entreprises tout entier ont des choix à faire. Toutefois, ils seront très différents selon qu’ils se trouvent dans une fédération ou pas. Pour la suite de cette discussion, on supposera deux choses. Premièrement, conformément au thème de cette conférence du Forum des fédérations, une structure fédérale est prise pour acquise. Les structures de gouvernement unitaires ou par ailleurs non fédérales sont écartées. Deuxièmement, les relations intergouvernementales seront examinées par analogie avec les principes qui régissent les relations entre entreprises et gouvernements. Tout comme des relations rationnelles et cordiales entre entreprises et gouvernements favorisent la prospérité économique et accentuent le caractère social d’une société, de bonnes relations intergouvernementales sont nécessaires. Malheureusement, le Canada est une illustration de progrès entravés par des conflits au sein de la fédération depuis les années 1970 jusqu’à ce jour.

Le gouvernement --

Gouverner une fédération est compliqué. Pour plagier le professeur Deans, je dirais que c’est comme essayer de rassembler des chats! Non seulement les paramètres de gouvernement diffèrent suivant le palier de gouvernement, mais ils varient (souvent du tout au tout) entre les régions fédérées. En général, un gouvernement peut gouverner en usant d’une combinaison de médiation, de négociation et de directives. Il dispose de toute une gamme d’instruments moteurs possibles, que ce soit par rapport au secteur privé ou aux partenaires intergouvernementaux, s’il s’agit d’une fédération (Taylor/Warrack/Baetz, p. 97, 1999). Le gouvernement peut décider de persuader, de réglementer ou d’usurper -- ces choix dépendront du palier de gouvernement et de la philosophie ou du style adoptés. Les choix intergouvernementaux sont limités par la prudence politique mutuelle, mais il est plus facile à un gouvernement de “ bousculer ” le secteur privé.

Que l’on ait affaire au secteur privé ou à des unités constituantes – faut-il choisir de “ tenir le gouvernail ou de ramer ”? De fait, le mot gouvernement a la même racine que gouvernail (Osborne & Gaebler, p. 25, 1992). Il est typique qu’un gouvernement central commence par diriger mais qu’influencé par les bureaucrates purs et durs recherchant pouvoir et autorité, il se mette à ramer. Une union sociale (ce qui est l’expression employée au Canada) est soumise à des contraintes importantes, surtout si un état fédéré y voit une gêne permanente. Toute entreprise doit être régie par des règles claires. Cependant, il est peu probable que les vieilles règles (ex. : la Constitution), même si elles ont été claires autrefois et cohérentes sur le plan interne, restent claires dans des réalités nouvelles et totalement différentes. Les tensions sont prévisibles quand un gouvernement central se pose en juge et en partie pour tout le reste de l’appareil gouvernemental. Une autre tentation (que le Canada a connue) pour le gouvernement est d’“ acheter des compétences ” en offrant de l’argent en dehors de son ressort. Les tensions s’accentuent lorsqu’à une date ultérieure, le palier fédéral met fin au financement (les coûts sont répercutés).

L’expérience canadienne montre que les états fédérés (les provinces) ne sont pas nécessairement entièrement responsables. J’en veux pour exemple la restriction du commerce interprovincial au Canada, malgré la clarté juridique depuis que le Canada existe en tant que nation fédérée et malgré le libellé de la Loi constitutionnelle de 1982. L’Accord de libre-échange (ALE) entre le Canada et les Etats-Unis est entré en vigueur le 1er janvier 1989. Cinq ans plus tard, il était élargi afin d’y inclure le Mexique dans le cadre de l’ALENA. Et le commerce intérieur canadien? Le pays se prive de gains importants sur le plan de la prospérité économique et l’intégrité du pays en tant que nation est menacée (Chambre de Commerce du Canada, 1996). Imaginez, si une province se sépare du Canada et adhère à l’ALENA, ses échanges avec les provinces canadiennes seront plus libres que lorsqu’elle faisait partie du Canada! Des efforts ont été consentis depuis 1982 pour régler les problèmes constitutionnels du Canada. Le plus récent est une initiative provinciale (Canada West Foundation, 1998). Mais l’entente reste difficile à conclure, fort probablement à cause d’une méfiance qui perdure.

Faut-il gérer le gouvernement comme une entreprise? Ou seulement en faisant preuve de sens des affaires? Certains claironneraient le triomphe du capitalisme et, de là, toutes les fédérations suivraient le dictum et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. D’autres, tout aussi extrêmes, mais à l’opposé d’un point de vue philosophique, sont convaincus que seul le gouvernement peut s’occuper des affaires publiques, ce qui laisse au secteur privé les reliefs du banquet économique. Dans quel pays ces deux extrêmes ont-ils fonctionné?

Henry Mintzberg explique que, dès lors que la société réussit, c’est le triomphe de l’équilibre (Mintzberg, HBR; mai-juin 1996 & ROB Magazine, octobre 1996). Il nomme cinq modèles de gouvernement : le gouvernement-machine, le gouvernement-réseau, le gouvernement-contrôleur du rendement, le gouvernement virtuel et le gouvernement-normatif et contrôleur. Tous ne sont pas décrits ici, mais l’important est qu’il n’existe pas de modèle meilleur que les autres! Un gouvernement bien géré, fédéral ou pas, utilise chacun d’entre eux. La démocratie a pour objet de veiller sur la liberté des personnes, pas sur celle des institutions. Ce qu’il faut, c’est un mélange éclectique optimal des modèles, ou un équilibre entre eux, selon les circonstances. L’équilibre est essentiel entre les différents secteurs de la société, ce qui comprend un équilibre entre les intérêts commerciaux et non commerciaux. Cet équilibre délicat mais substantiel doit résister aux changements dynamiques, tout particulièrement en cette ère de mondialisation Le présent document préconise logiquement un autre équilibre similaire, entre les différents paliers des gouvernements fédérés. Un gouvernement trop centralisé a tendance à souffrir d’une durcissement des artères mentales et il présente des risques parce que les erreurs inévitables s’amplifient généralement avec le temps et la distance. Le Programme énergétique national du Canada en est un parfait exemple. Pourtant, les gouvernements très décentralisés (surtout s’ils sont également chaotiques) ont tendance à commettre des erreurs et à conférer des pouvoirs excessifs à des fiefs balkanisés capables de contrarier la volonté d’une majorité mue par le bon sens. Là encore, au Canada, l’intransigeance de la Colombie-Britannique par rapport au libre-échange interprovincial fournit un exemple regrettable.

Le secteur privé --

Dans ce qui précède, il est souligné que, dans les relations avec les entreprises, le gouvernement peut user de persuasion ou de réglementation comme instruments de politique pour atteindre certains objectifs. Il peut aussi nationaliser des entreprises. Le secteur privé, dans ses relations avec le gouvernement, peut lui aussi utiliser la persuasion. Il dispose de moins de choix que le gouvernement. Ainsi, même en ce qui concerne la (dé)réglementation ou la privatisation, il ne peut que chercher à influer sur le gouvernement. Le rapport de force n’est pas symétrique. Les structures, les politiques et les styles de gouvernement influent considérablement sur les chances de succès du secteur privé. Le fait qu’il soit dans un état fédéré ou pas a son importance. Comme nous le faisions remarquer plus haut, aux fins du présent document, on part du principe qu’il s’agit d’une fédération.

Que veulent les entreprises du secteur privé lorsqu’elles ont affaire au gouvernement? Des ouvrages entiers sont consacrés à cette question, mais trois réponses seront proposées ici. Premièrement, les entreprises demandent que les politiques gouvernementales soient claires. Quelle est la politique et qui (y compris quels paliers dans une fédération) est chargé de quoi? Fait essentiel, les chevauchements peuvent avoir pour conséquence que les entreprises se trouvent prises dans le feu croisé destructeur des batailles de compétences intergouvernementales. La plupart des fédérations ont probablement du mal à fournir, au sujet des politiques, des réponses claires et cohérentes qui permettent au secteur privé de fonctionner efficacement. Deuxièmement, les consultations sont essentielles. Dans les deux sens. La gouvernance est meilleure lorsque les entreprises sont consultées ouvertement et franchement, et les perspectives des entreprises sont améliorées quand elles s’efforcent de comprendre les gouvernements et de se tenir informées de la dynamique qui les animent et des pressions qu’ils subissent. Même si les entreprises ne sont pas d’accord avec une politique en particulier, les commentaires peuvent aider à en rationaliser le fonctionnement et permettre de “ limiter les dégâts ”. Troisièmement, la stabilité est cruciale. Ce qui signifie que les surprises sont à éviter. Le secteur privé peut organiser stratégiquement ses investissements et ses opérations autour de presque toutes les politiques gouvernementales, à condition d’avoir l’assurance qu’une politique donnée restera en place pendant un certain temps et qu’elle ne sera pas modifiée de manière intempestive. Le Programme énergétique national du Canada n’a respecté aucun de ces trois points.

La réglementation d’origine gouvernementale, qu’elle soit économique ou autre, constitue un fardeau plus lourd que la plupart des citoyens ne l’imaginent. Ce que l’on voit, c’est la partie émergée de l’iceberg, car, pour l’essentiel, la réglementation est loin d’être entièrement transparente et elle constitue un “ gouvernement indirect ” (Economist, 27 juillet 1996). Elle peut donc se révéler insidieuse et présenter une résistance au changement, autrement dit, s’accrocher au statu quo. Les règlements se prolongent souvent, comme les politiques, au-delà de leur utilité. De plus, les coûts d’observation sont élevés. Le secteur privé peut légitimement demander au gouvernement “ si un règlement donné n’existait pas déjà, prendriez-vous l’initiative de le mettre en place aujourd’hui? ” Si la réponse est non, le règlement devrait être supprimé. Il existe des règlements et des programmes, financés par les contribuables, qui en fait sont nuisibles (McMahon, p. 37-41, 1996). Il existe également des coûts pécuniaires directs pour le public et des coûts indirects reliés aux réglementations néfastes.

Quatre réformes ou innovations sont proposées ici sur le plan de la réglementation (Taylor/Warrack/Baetz, p. 162-163, 1999). Elles s’appliquent à un domaine de compétence gouvernemental particulier ou à l’ensemble des gouvernements qui composent un système fédéral. La première se résume à un exercice de “ tri ”, autrement dit, d’établissement des priorités. Cette entreprise permettrait d’avoir une vision générale et organisée des règlements, que l’on ne verrait plus alors isolément. Il serait plus sensé de prendre des décisions en fonction des priorités. Chaque ministère soumettrait son ensemble de projets de règlement et de règlements modifiés ou allégés, avec la perspective de refaire la même chose l’année suivante. Il s’agirait d’engager un processus planifié au niveau ministériel et gouvernemental. Cet exercice devrait déboucher sur des mesures plus importantes, tout en mettant en veilleuse les priorités de moindre importance. La deuxième innovation consisterait à tenir compte de l’analyse de l’incidence des règlements dans le processus décisionnel. Une analyse coûts-avantages est vivement recommandée. Trop souvent, les règlements sont pris sans orientation analytique claire. Or, sans analyse approfondie, les avantages sont trop facilement tenus pour acquis et les coûts, trop facilement ignorés.

La troisième proposition de réforme vise l’opportunité, dont le préavis est un aspect. Il y a aussi la nécessité d’une décision rapide, afin de réduire la durée du processus d’approbation des règlements. Il est essentiel de réduire les risques en assurant la stabilité et la constance du processus. Si un investissement majeur est en jeu, de longs délais peuvent équivaloir à une décision négative. La quatrième innovation concerne la révision systématique et l’évaluation de tous les programmes de réglementation dans un cycle continu, peut-être de sept ans. Cette réévaluation périodique permettrait de repérer les règlements devenus inutiles ou dépassés, de manière que seuls ceux qui restent nécessaires et pertinents soient maintenus.

Bien que le fédéralisme complique encore un processus déjà complexe, la coordination et l’harmonisation intergouvernementales se déroulent avec succès dans plusieurs domaines de réglementation. Au Canada, on en trouve des exemples en environnement, dans les poids et mesures, et dans les transports routiers interprovinciaux. En Australie, on rationalise en ce moment les normes ferroviaires.

Deux éléments sont à la base de toutes les relations fructueuses entre les entreprises et les gouvernements. L’un est le repérage des cibles les plus influentes; l’autre est le choix des tactiques les plus efficaces pour aborder ces cibles et influer sur elles (Taylor/Warrack/Baetz, p. 178, 1999). La tâche est plus aisée dans une structure de gouvernement unitaire. Mais les risques sont plus élevés parce que l’“ erreur ” est moins permise. Les permutations de cibles et de tactiques sont bien plus complexes dans un système de gouvernement fédéré, mais les risques sont moindres parce qu’il y a plus de possibilités d’exercer une influence ou de faire appel, et (pour certaines questions ou certains investissements), le choix est plus vaste. Le secteur privé tend à penser dans une seule optique, mais les gouvernements doivent penser et pensent en faisant le tour de toutes les éventualités (ibid., p. 202). Si le premier a l’avantage de fonctionner généralement dans un système économique déterministe, le second ne peut réussir qu’en fonctionnant efficacement dans un système social à la fois complexe et fluide.

Trop souvent, le secteur privé aborde le gouvernement en geignant (en se plaignant constamment et en ayant une attitude négative). Les entreprises ont tendance à se plaindre après coup, c’est-à-dire après avoir laissé passer la chance d’exercer une influence au bon endroit, au bon moment. Peu de gens d’affaires, le ministre des Finances du Canada, à l’exception notable de M. Paul Martin, sont prêts à accepter les tracas personnels et familiaux et le salaire plus modeste qui vont de pair avec l’entrée dans l’arène politique et gouvernementale. Quel que soit le palier de gouvernement, le secteur privé doit mieux comprendre la complexité et la diversité sociales auxquelles les gouvernements modernes sont confrontés. Il doit aussi faire preuve de plus de dynamisme et s’exprimer avant que les décisions de politique gouvernementale soient prises. Il est beaucoup plus difficile de revenir sur ces décisions que d’influer sur le processus décisionnel. Surtout dans les régimes fédéraux, le secteur privé obtiendra de meilleurs résultats en prenant l’initiative de communiquer son point de vue aux divers paliers de gouvernement. Il est très important de bien choisir le palier de gouvernement à qui l’on va s’adresser. Il n’est pas forcément bon de viser les plus hauts échelons. Pourquoi? Parce que c’est une mauvaise stratégie de déranger ceux qui sont au sommet pour des questions que d’autres peuvent régler, de se mettre à dos ceux qui, plus bas dans l’organisation, pourraient vous aider si vous les laissiez le faire, et vous éviter d’aller plus tard en appel. Il est important de se montrer “ malin ” dans ses rapports avec toute organisation, y compris les gouvernements fédérés.

VI. CONCLUSION

Le présent document s’applique aux structures de gouvernement fédérales. Nous espérons que son contenu est utile pour les pays “ modernes ” et “ post-modernes ” décrits plus haut. Il ne prétend pas s’adresser aux pays dits “ pré-modernes ”.

Il s’applique à des démocraties responsables. En fait, sa contribution se fait par rapport à une notion élémentaire de la démocratie, à savoir la doctrine du consentement. Cette doctrine se divise en deux parties : les gouvernants gouvernent avec le consentement des gouvernés, et il incombe aux gouvernés de participer au processus de gouvernement. Cela vaut pour toutes les personnes et toutes les entités du secteur privé, de même que pour toutes les composantes individuelles et collectives de la fédération gouvernementale. Chaque personne devrait se demander dans quelle mesure elle respecte les principes de la doctrine. Les entreprises aussi, à titre individuel, et le secteur des entreprises, à titre collectif. Ignorer le gouvernement conduit à être ignoré parce que l’on devient beaucoup moins visible et crédible. De plus, une participation insuffisante invite à l’abus du système et du processus démocratiques négligés. Pour citer l’homme d’état britannique Edmund Burke, “ La seule chose nécessaire pour triompher du mal, c’est que les hommes (personnes) de bien ne fassent rien ”. Lorsque le secteur privé ne participe pas pleinement et de façon dynamique, il aide le gouvernement à échouer Fait étrange les entreprises se plaignent ensuite amèrement et cyniquement du gouvernement!

À l’instar de notre manuel Business and Government in Canada: Partners for the Future, ce document de travail souscrit vivement aux approches de O'Toole et Mintzberg. Tous deux préconisent vigoureusement un équilibre entre gouvernement et entreprises fondé sur le bon sens, ou l’optimisation des contraintes. Ici, cette solution est interprétée comme visant les gouvernements qui composent une fédération. Une solution unique ne convient pas à tous les cas. La stratégie clé du secteur privé doit reposer sur une coopération et des consultations dynamiques qui permettent de cerner des solutions bonnes tant pour le secteur privé que pour les gouvernements.

Il revient aux citoyens informés et actifs de chaque fédération de décider de leur propre destinée démocratique, mais deux opinions primordiales sont offertes en conclusion. Tout d’abord, l’avenir sera mieux servi par l’équilibre qui consiste à s’orienter vers des fédérations plus souples et plus décentralisées; les peuples ont le droit à l’autodétermination, autrement dit et notamment, de commettre leurs propres erreurs et d’en accepter les conséquences. Ensuite, le monde de plus en plus mondialisé évolue parallèlement à des nœuds économiques technologiques infranationaux; les réussites économiques du secteur privé et ses contributions à la société seront rendues possibles par des politiques publiques souples qui sont plus probables dans des structures fédérales décentralisées. Tout gouvernement légitime a pour tâche fondamentale de garantir “ la bonne société ” à ses citoyens et au monde, aujourd’hui et à mesure que sa mondialisation progressera.

RÉFÉRENCES

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