Conférence internationale sur le fédéralisme Mont-Tremblant, octobre 1999

Article de référence

MODÈLES DE PARTAGE DES POUVOIRS FÉDÉRAUX Richard L. Watts

Professeur émérite de science politique à l'Institut de relations intergouvernementales de l'Université Queen's

1. INTRODUCTION : GÉRER LA DIVERSITÉ

La modernisation des transports, des communications sociales, de la technologie et de l’organisation industrielle a engendré des pressions qui visent à la fois à l’élargissement et à la réduction de la taille des organisations politiques. La pression en vue d’établir de plus grandes unités politiques découle des objectifs que partagent aujourd’hui la plupart des sociétés occidentales et non occidentales, soit un désir de progrès, un niveau de vie plus élevé, la justice sociale et une influence sur la scène mondiale dans une ère où les technologies de pointe rendent possibles autant la construction que la destruction massives. Le désir d’instaurer des unités politiques plus petites et autonomes est né du souhait d’accroître la responsabilité des gouvernements à l’égard de chaque citoyen, et de se montrer lié aux groupes fondamentaux – liens linguistiques et culturels, affinités religieuses, traditions historiques et pratiques sociales – qui constituent l’assise particulière du sentiment d’identité d’une communauté et de son aspiration à l’autodétermination. Étant donné que ces deux pressions s’exercent en même temps dans le monde entier, il n’est pas surprenant qu’un nombre croissant de personnes en soient venues à considérer qu’une forme de système politique fédéral, combinant un gouvernement partagé pour la poursuite de certains objectifs communs précis et une action autonome par les gouvernements des unités constituantes dans le but de préserver leur caractère régional distinctif, permet aux institutions de se rapprocher le plus de la réalité multinationale du monde d’aujourd’hui. Dans ce contexte, les systèmes politiques fédéraux n’ont pas pour objectif d’éliminer la diversité, mais visent plutôt à intégrer, concilier et gérer les différences sociales au sein d’une entité politique globale.

Le besoin d’une telle conciliation s’est accentué à la fin du vingtième siècle du fait de la mondialisation de l’économie, laquelle a elle-même libéré des forces économiques et politiques qui ont renforcé les pressions supranationales et locales aux dépens de l’Étatnation traditionnel. Les communications et la société de consommation à l’échelle planétaire éveillent dans les villages les plus petits et les plus éloignés de tout l’univers un désir d’accès au marché mondial des produits et services. Par conséquent, les gouvernements font de plus en plus souvent face à des administrés qui aspirent à être en même temps des consommateurs à l’échelle globale et des citoyens à l’échelon local. Tom Courchene a baptisé cette tendance «glocalisation». L’État-nation proprement dit s’est donc avéré simultanément trop petit et trop grand pour répondre à toutes les aspirations de ses citoyens. En raison de l’expansion de l’économie de marché dans le monde, on reconnaît en général que l’autosuffisance de l’État-nation est impossible, et que la souveraineté nominale est peu attrayante si elle signifie qu’en réalité les citoyens exercent moins d’autorité sur les décisions qui touchent leurs intérêts essentiels. En même temps, les États-nations se sont trop éloignés de leurs citoyens pour leur donner un sentiment de contrôle démocratique direct, et répondre clairement à leurs préoccupations et à leurs préférences particulières. Dans ce contexte, le fédéralisme doté de ses divers paliers de gouvernement offre un compromis entre les préférences globales et locales des citoyens.

L’intérêt croissant actuel pour le fédéralisme, qui découle de cette évolution, se reflète dans l’augmentation du nombre de journaux et organisations universitaires consacrés à son étude. Il y a vingt-cinq ans, il n’y avait au monde qu’un seul journal et deux centres de recherches sur le fédéralisme. Il existe aujourd’hui plusieurs journaux, et l’Association internationale des centres d’études du fédéralisme, qui se réunit chaque année, compte 23 centres et instituts dans 15 pays répartis sur les cinq continents. En outre, l’Association internationale de science politique dispose depuis plus d’une décennie d’un comité de recherche en études comparées sur le fédéralisme et les fédérations. Ces organismes universitaires ont, entre autres, examiné les questions suivantes : les types et les degrés de diversité au sein des sociétés fédérales, les différences entre la diversité territoriale et non territoriale, l’effet distinctif du découpage et du renforcement cumulatif des clivages sociaux, l’incidence du nationalisme ethnique, les caractéristiques particulières des sociétés bipolaires, la tendance à conclure des accords asymétriques au sein des fédérations, le nombre croissant d’associations confédérales, les accords financiers fédéraux, et le rôle des partis politiques dans les systèmes fédéraux. Tous ces facteurs influencent les efforts que déploient les régimes politiques fédéraux pour intégrer la diversité sociale.

2. PRINCIPAUX TYPES D’INSTITUTIONS FÉDÉRALES

Pour plus de clarté, on peut établir une distinction entre trois termes et expressions : «fédéralisme», «systèmes politiques fédéraux» et «fédérations».

«Fédéralisme» : il s’agit non pas d’un terme descriptif mais d’un concept normatif qui désigne la préconisation d’un gouvernement à niveaux multiples combinant des éléments de gouvernement partagé et de gouvernement régional autogéré. Le fédéralisme repose sur la valeur présumée que l’on attribue à la réalisation tant de l’unité que de la diversité grâce à l’intégration, à la préservation et à la promotion d’identités distinctes au sein d’une union politique plus vaste.

«Systèmes politiques fédéraux» : cette expression descriptive s’applique à une grande catégorie de systèmes politiques qui, contrairement à la source unique de pouvoir central dans les systèmes unitaires, comportent au moins deux paliers de gouvernement, et combinent des éléments de gouvernement partagé, par le truchement d’institutions communes, avec un gouvernement régional autogéré par le biais des unités constituantes. Cette vaste catégorie englobe toute une gamme de formes non unitaires plus particulières, notamment les «fédérations» et les «confédérations».

Dans l’éventail des systèmes politiques fédéraux, on peut dégager les modèles suivants qui comprennent des éléments de partage des pouvoirs fédéraux :

Unions : Il s’agit de systèmes politiques composés de façon à ce que les unités constituantes préservent leur intégrité essentiellement ou exclusivement grâce aux organes communs du gouvernement central plutôt que par l’intermédiaire de deux structures gouvernementales. Avant de devenir une fédération en 1993, la Belgique était un exemple d’union (lorsque les législateurs à l’échelon central remplissaient un double mandat en tant que conseillers régionaux ou communautaires), et le rôle que l’Écosse et le Pays de Galles ont joué au Royaume-Uni avant la dévolution des pouvoirs en était un autre. Ces systèmes reconnaissent la diversité mais n’offrent aucune possibilité d’autonomie régionale.

Unions constitutionnellement décentralisées : Ces systèmes ont une forme essentiellement unitaire dans le sens que le pouvoir constitutionnel ultime revient au gouvernement central, mais ils établissent des sous-unités de gouvernement dotées d’une certaine autonomie fonctionnelle protégées par la constitution. On en trouvera des exemples au tableau 1. Ces systèmes offrent une certaine autonomie régionale ou locale, mais ils sont en fin de compte sujets au pouvoir constitutionnel souverain du gouvernement central.

Fédérations : Il s’agit de groupements politiques qui combinent des unités constituantes solides et un gouvernement central fort; chaque unité possède des pouvoirs qui lui sont délégués par le peuple dans le cadre d’une constitution, est autorisée à traiter directement avec les citoyens dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs, administratifs et fiscaux, et est

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directement élue par ses citoyens et responsable devant eux. Il existe aujourd’hui quelque 24 pays (énumérés au tableau 1) qui satisfont aux critères de base d’une fédération, bien que les constitutions de l’Afrique du Sud et de l’Espagne n’aient pas adopté le nom de «fédération». Les fédérations permettent la coexistence d’un gouvernement central fort et de gouvernements régionaux puissants, chacun étant responsable directement devant ses citoyens, mais cette coexistence se réalise au prix de certaines tendances à la complexité et au légalisme.

Confédérations : Une confédération est créée lorsque des entités politiques s’associent afin de former un gouvernement partagé pour la réalisation de certains objectifs limités, notamment dans le domaine de la défense ou de l’économie, mais qui dépend des gouvernements constituants. Dans les confédérations, le gouvernement partagé ne dispose que d’une base électorale ou fiscale indirecte puisque les gouvernements membres servent d’intermédiaires entre lui et les citoyens. En exigeant que tous les gouvernements membres approuvent toutes les décisions importantes de politique commune, un tel système accorde à ses membres une autonomie plus grande que la fédération, mais il en résulte que le gouvernement partagé se trouve dans une position moins forte pour trancher les questions litigieuses ou redistribuer les ressources. L’histoire donne des exemples de confédérations, comme la Suisse pendant la majeure partie de la période de 1291 à 1847 et les États-Unis entre 1776 et 1789, qui ont toutes les deux été supplantées par des fédérations. Le tableau 1 présente des exemples de confédérations dans le monde d’aujourd’hui. L’Union européenne est essentiellement une confédération, bien qu’elle ait de plus en plus intégré certaines caractéristiques de fédération.

Associations fédératives : Ces groupements se forment lorsqu’une grande unité s’associe à au moins une unité plus petite; cette dernière conserve toutefois une autonomie importante, mais joue un rôle minimal dans le gouvernement de l’unité plus grande, et l’association ne peut être dissoute que d’un commun accord. Les relations entre Porto Rico et les États-Unis illustrent ce type d’associations. Le tableau 1 donne d’autres exemples. Ces ententes assurent un haut niveau d’autonomie à l’unité plus petite, mais l’empêchent d’exercer une influence considérable sur la politique de l’unité plus grande.

États associés : Ces groupes ressemblent aux associations fédératives, mais ils peuvent être dissouts par l’une ou l’autre des unités agissant unilatéralement selon des modalités convenues au préalable. Leur stabilité est donc plus précaire. Le tableau 1 donne des exemples.

Condominiums : Dans un condominium, une unité politique est gouvernée conjointement par au moins deux autres États de telle sorte que les habitants disposent d’un niveau élevé d’autogestion interne. Andorre, qui était placée sous l’autorité commune de la France et de l’Espagne de 1278 à 1993, est un exemple de condominium.

Ligues : Il s’agit d’associations d’entités politiquement indépendantes qui poursuivent des objectifs précis; elles sont gérées par un secrétariat commun plutôt que par un gouvernement et leurs membres peuvent se retirer unilatéralement. Le tableau 1 donne des exemples de ligues, entre autres celui de l’OTAN.

Services fonctionnels communs : Il s’agit d’organismes établis par au moins deux entités politiques afin d’exécuter en commun une ou plusieurs tâches. L’Organisation des pêches de l’Atlantique nord-ouest (OPANO), l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et l’Organisation internationale du travail en sont trois exemples parmi bien d’autres. Ces services communs peuvent également revêtir la forme d’organisations transfrontalières établies par des gouvernements infranationaux limitrophes, comme l’association interétatique pour l’expansion économique, créée en 1978, qui comprend quatre régions de l’Italie, quatre « Länder » de l’Autriche, deux républiques yougoslaves et un État de l’ancienne Allemagne de l’Ouest, ou encore le groupe interétatique «Regio Basiliensis» qui vise la coopération entre la Suisse, l’Allemagne et la France dans la région de Bâle.

Systèmes hybrides : Certains systèmes politiques combinent les caractères de divers modèles. On désigne parfois sous le nom de «quasi-fédérations» ceux qui sont principalement des fédérations dans leur structure et leur fonctionnement constitutionnels, tout en étant dotés de certains pouvoirs fédéraux souverains plus typiques d’un système unitaire. À titre d’exemple, le Canada était à l’origine, en 1867, essentiellement une fédération qui possédait toutefois certains pouvoirs centraux souverains, pouvoirs qui sont d’ailleurs tombés en désuétude au vingtième siècle. L’Inde, le Pakistan et la Malaisie sont surtout des fédérations, mais leurs constitutions comprennent l’attribution au gouvernement central de pouvoirs souverains en cas d’urgence. À titre d’exemple plus récent, la Constitution sud-africaine de 1996 présente la plupart des caractéristiques d’une fédération, tout en conservant certains traits d’un système unitaire. Une entité qui combine les caractéristiques d’une confédération et d’une fédération constitue une autre forme de système hybride. L’Union européenne d’après le Traité de Maastricht en est un excellent exemple; il s’agit d’une fédération qui présente toutefois certains caractères d’une confédération. Depuis 1949, l’Allemagne est surtout une fédération, bien que sa seconde chambre fédérale, le Bundesrat, représente un élément confédéral. Il existe des systèmes hybrides parce que les dirigeants s’intéressent plus aux solutions politiques pragmatiques qu’à la pureté des modèles théoriques.

Le choix d’un modèle dépend des conditions particulières à chaque cas. Les facteurs à prendre en compte comprennent la nature et la solidité des raisons d’une action commune et d’un gouvernement partagé, ainsi que l’intensité et la répartition des pressions et des motifs qui incitent les unités constituantes à formuler des politiques autonomes, et qui les poussent à l’autogestion.

3. DIFFÉRENCES ENTRE LES FÉDÉRATIONS

Dans l’éventail des modèles que l’on peut désigner sous la rubrique précitée des «systèmes politiques fédéraux», les fédérations représentent un modèle particulier. Les caractéristiques déterminantes de ce modèle sont que dans une fédération, ni les organes fédéraux, ni les unités constituantes ne sont constitutionnellement subordonnés les uns aux autres. Chaque palier de gouvernement est investi de pouvoirs souverains définis par la constitution plutôt que par un autre échelon de gouvernement; chaque niveau est autorisé à traiter directement avec ses citoyens dans l’exercice de ses pouvoirs législatifs, exécutifs et fiscaux, et il est directement élu par ses citoyens et responsable devant eux.

En règle générale, les caractéristiques structurelles communes des fédérations sont les suivantes :

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partagés ou se chevauchent fatalement.

La mesure dans laquelle une fédération est le modèle qui convient pour intégrer et gérer la diversité dans une situation particulière dépendra du point jusqu’où la diversité sociale peut s’adapter aux caractéristiques institutionnelles des fédérations telles que décrites plus haut.

L’applicabilité de la fédération comme solution politique peut également dépendre de la forme particulière de fédération qui est adoptée. Dans le cadre général des caractéristiques définies plus haut comme traits communs des fédérations, les formes peuvent varier considérablement, comme en témoignent les différences entre les fédérations. Ces divergences comprennent : les différences dans le nombre et la superficie ainsi que dans la population et la richesse relatives des unités régionales constituantes; les degrés divers d’homogénéité ethnique entre les unités régionales et au sein de chacune d’entre elles; les degrés variables de centralisation, décentralisation et non-centralisation des pouvoirs et responsabilités qu’exercent les différents paliers de gouvernement et des ressources qui leur sont attribuées; le degré variable de symétrie ou d’asymétrie dans le partage des compétences ou des ressources entre les unités constituantes; le caractère différent des institutions fédérales, notamment leur forme présidentielle, collégiale ou parlementaire, et des mesures prévues pour le choix des membres, la composition et la détermination des pouvoirs de la chambre basse fédérale; les différences dans la structure et la portée de l’appareil judiciaire ainsi que le rôle de l’examen judiciaire; et la diversité des institutions et des processus qui permettent de faciliter les consultations et la collaboration intergouvernementales. Il faut donc admettre que même au sein des fédérations il n’existe pas de modèle unique pur ou idéal. Il existe beaucoup de variantes, et la forme particulière qui convient dans une situation donnée peut varier selon la nature et l’ampleur de la diversité sociale à intégrer.

4. QUESTIONS RELIES À LA CONCEPTION DES FÉDÉRATIONS QUI INFLUENCENT LEUR ADMINISTRATION

Nombre et caractère des unités constituantes : Le nombre et la superficie, la population et la richesse relatives des unités constituantes par rapport à chacune des autres unités au sein de la fédération a un effet considérable sur son administration. Lorsque le nombre des unités est relativement important, par exemple 89 dans la fédération russe ou 50 aux États-Unis, le pouvoir politique relatif et l’influence de chaque unité constituante risquent d’être beaucoup moins marqués que dans une fédération de six unités (comme en Australie et en Belgique) ou de dix provinces (comme au Canada). De plus, celles qui sont composées de deux unités seulement (comme le Pakistan et la Tchécoslovaquie avant le partage) semblent créer une bipolarisation marquée, source fréquente d’instabilité. Les grandes différences de superficie et de population entre les unités constituantes peuvent susciter des dissensions au sujet de l’influence relative de régions particulières sur la prise de décision fédérale. Dans certains cas, plus particulièrement en Inde et au Nigeria, on a modifié des frontières régionales afin de réduire ces disparités et faire coïncider plus étroitement les unités régionales avec les concentrations linguistiques et ethniques. Les différences de richesse entre les unités régionales, qui nuisent à la prestation de services comparables aux citoyens, peuvent avoir un effet corrosif sur la solidarité au sein de la fédération, ce qui explique que tant de fédérations ont découvert l’avantage considérable que représente une forme de péréquation financière.

Un examen de la nature des unités constituantes fait ressortir deux autres éléments. Traditionnellement, les fédérations, en tant que forme d’organisation politique territoriale, sont d’autant plus pertinentes que les diversités sont concentrées sur une base territoriale de sorte que des groupes distincts peuvent exercer leur autonomie dans des unités régionales autonomes. Le partage du pouvoir entre des groupes non territoriaux séparés (répartis dans tout le pays plutôt que concentrés dans des régions) est souvent associé à une forme d’organisation politique dans laquelle les différents groupes exercent essentiellement leur influence politique par le biais de leurs représentants au gouvernement central. Mais, lorsqu’elle est devenue une fédération en 1993, la Belgique a

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mis en place un nouveau système intéressant, dans lequel trois régions territoriales et trois communautés non territoriales constituent des unités autonomes au sein de la fédération.

Il y a lieu de noter qu’un certain nombre de fédérations sont récemment devenues ellesmêmes les unités constituantes d’une organisation fédérale ou confédérale plus large, créant ainsi une organisation fédérale à plusieurs niveaux. L’exemple le plus marquant est celui de l’Union européenne, qui comprend parmi ses membres quatre fédérations véritables : l’Autriche, la Belgique, l’Allemagne et l’Espagne. Les rôles relatifs des gouvernements fédéraux et locaux au sein de chacune de ces fédérations s’en sont trouvé modifiés. Il existe aussi une autre tendance qui contribue à l’évolution vers des systèmes fédéraux à plusieurs niveaux, et c’est l’importance croissante accordée aux gouvernements locaux, qui peut aller jusqu’à constitutionnaliser leur rôle, comme en Allemagne et en Inde.

Répartition des pouvoirs législatifs et exécutifs : La répartition constitutionnelle des pouvoirs législatifs et exécutifs et des ressources financières est une caractéristique fondamentale des fédérations, mais la forme et la portée de la répartition des pouvoirs peuvent varier énormément. Dans certaines, comme le Canada et la Belgique, le pouvoir exclusif de chaque palier de gouvernement est défini dans la constitution, alors que dans d’autres, comme les États-Unis, l’Australie, l’Allemagne et les fédérations d’Amérique latine, des domaines importants ont été attribués par la constitution à des compétences concurrentes. Dans certaines fédérations comme les États-Unis, le Canada et l’Australie, la responsabilité exécutive d’une question particulière est généralement attribuée au même palier de gouvernement qui détient le pouvoir législatif sur cette question. Dans bon nombre de fédérations européennes par contre, surtout en Allemagne, en Autriche et en Suisse, la constitution prévoit qu’une bonne partie de la législation fédérale est administrée par les états membres. Ainsi, l’Allemagne est beaucoup plus centralisée que le Canada en matière de compétences législatives, mais plus décentralisée sur le plan administratif.

Il existe également des différences entre les fédérations en ce qui concerne l’attribution des pouvoirs fiscaux et les sources de recettes. De plus, il existe des variantes dans l’utilisation des transferts financiers visant à aider les unités constituantes, et dans la mesure où ces transferts sont conditionnels ou non, influençant ainsi la dépendance relative des unités constituantes à l’égard du gouvernement fédéral. (Ces aspects financiers seront traités plus en profondeur au cours des séances thématiques de la conférence sur le fédéralisme économique et budgétaire.)

En dehors de ces importantes différences dans la forme de répartition des pouvoirs législatifs et exécutifs et des ressources, on constate également de grandes divergences dans la portée réelle des responsabilités particulières attribuées à chaque palier de gouvernement. C’est ainsi que l’on voit des différences très marquées entre les fédérations dans le degré de centralisation ou de non-centralisation. Il est impossible de faire ici une comparaison complète, mais on notera, pour illustrer les écarts de centralisation, que, dans un groupe représentatif de fédérations, le pourcentage des dépenses gouvernementales totales (fédéral, état, local) revenant au gouvernement fédéral (après transferts), était le suivant en 1996 : Malaisie 85,6; Autriche 68,6; Espagne 68,5; États-Unis 61,2; Inde 54,8; Australie 53; Allemagne 41,2; Canada 40,6; Suisse 36,7; Union européenne 2,5 (Source : R. L. Watts, The Spending Power in Federal Systems: A Comparative Study, 1999, p. 53).

Symétrie ou asymétrie dans l’attribution des pouvoirs aux unités constituantes : Dans la plupart des fédérations, l’attribution officielle des compétences aux unités constituantes est symétrique. Mais, dans certaines fédérations où l’intensité des pressions qui s’exercent en faveur de l’autonomie gouvernementale est plus forte dans certaines unités constituantes que dans d’autres, on a adopté des modalités ou des pratiques constitutionnelles asymétriques; c’est le cas du Canada, de l’Inde, de la Malaisie, de la Belgique, de l’Espagne, des fédérations russes et de l’Union européenne. On peut distinguer deux types d’asymétrie constitutionnelle. L’une consiste à prévoir une asymétrie permanente entre les unités à part entière d’une fédération. C’est ce qui s’est produit au Canada, en Inde, en Malaisie et en Belgique. Dans d’autres cas, comme en Espagne et dans l’Union européenne, on adopte des dispositions asymétriques de façon temporaire en attendant d’en arriver finalement à une autonomie plus uniforme, mais à des rythmes différents. L’analyse des divers exemples d’asymétrie montre que ces dispositions asymétriques peuvent devenir complexes et litigieuses, comme en témoignent les efforts déployés depuis trois décennies pour fortifier l’autonomie du Québec au Canada. Mais l’expérience montre que, dans certains cas, l’asymétrie constitutionnelle est la seule façon de résoudre des différences marquées, lorsqu’il existe une plus grande volonté de noncentralisation dans certaines régions que dans d’autres au sein du système fédéral.

Nature des institutions fédérales communes : Bien que la création par la constitution d’unités régionales dotées d’un gouvernement autonome soit un élément essentiel des fédérations afin de tenir compte de la diversité, la façon dont les pouvoirs sont représentés et partagés au sein des institutions fédérales constitue également un aspect important de la capacité des fédérations à gérer et à concilier la diversité. Une des différences essentielles est la relation entre le parlement et l’exécutif dans le cadre des institutions communes. Les différentes formes que prennent ces liens - illustrées par la séparation des pouvoirs dans la structure président-Congrès aux Etats-Unis et dans la plupart des fédérations latino-américaines, l’exécutif collégial à mandat limité en Suisse, la fusion de l’exécutif et du législatif assortie de cabinets parlementaires responsables au Canada, en Australie, en Allemagne (avec certaines modifications), en Inde, en Malaisie, en Belgique et en Espagne, et le système parlementaire et présidentiel mixte en Russie - façonnent la nature de la politique et de l’administration ainsi que le rôle des partis politiques dans la création des coalitions et l’établissement d’un consensus au sein des institutions communes de ces fédérations. Elles influencent également la nature des relations intergouvernementales. Au sein des fédérations parlementaires, par exemple, la tendance générale à la domination des cabinets a donné lieu à un fédéralisme exécutif dans lequel la plupart des négociations se déroulent entre les exécutifs des gouvernements au sein de la fédération.

Il est important de savoir quelles sont les dispositions particulières adoptées pour assurer la représentation proportionnelle des divers groupes dans l’exécutif fédéral, l’assemblée législative (en particulier les chambres basses), la fonction publique et les organismes. En ce qui concerne les chambres basses fédérales, les unités constituantes sont représentées équitablement dans certaines fédérations, alors que dans d’autres, il n’existe pas d’égalité stricte mais une pondération pour favoriser les petites unités (afin de corriger leur faible représentation dans la chambre élue au suffrage populaire). Aux États-Unis, en Suisse et en Australie par exemple, les membres de la seconde chambre fédérale sont élus directement; ailleurs, comme en Inde et en Autriche, ils sont élus par les parlements d’état. En Allemagne, le Bundesrat comprend des délégués des gouvernements d’état, et ailleurs, comme en Belgique, en Espagne et en Malaisie, il existe une forme mixte de sélection. Les pouvoirs relatifs des secondes chambres fédérales varient également : ils sont moins marqués dans les fédérations parlementaires où les cabinets sont responsables devant la chambre élue au suffrage populaire.

Quand on compare les fédérations aux confédérations, il est intéressant de noter que dans les premières, où le parlement fédéral et le gouvernement sont directement élus par l’électorat et responsables devant lui, les gouvernements fédéraux ont moins de difficulté à obtenir le soutien des citoyens. Mais dans les confédérations comme l’Union européenne, en raison du caractère intergouvernemental des institutions communes et de leur relation indirectes avec l’électorat , on a pu parler de déficit démocratique. En effet, les pressions qui s’exercent au sein de l’Union européenne pour réduire le déficit démocratique en renforçant le rôle du Parlement européen et en augmentant l’importance du vote majoritaire au sein du Conseil marquent une orientation vers une Union européenne moins confédérale et plus fédérale. Cette expérience soulève la question de savoir si, compte tenu de la prépondérance contemporaine des idéaux démocratiques, les systèmes confédéraux ne risquent pas d’être transitoires plutôt que permanents.

Rôle des tribunaux : À l’exception de la Suisse, où le référendum législatif joue un rôle décisionnel important dans la définition des limites de la compétence fédérale, la plupart des fédérations, de même que l’Union européenne, confient aux tribunaux le principal rôle d’arbitrage dans l’interprétation de la constitution et son adaptation aux circonstances. Mais là encore, il existe des différences. Dans certaines fédérations, surtout aux États-Unis, mais aussi au Canada, en Australie, en Inde et en Malaisie, ainsi que certaines fédérations d’Amérique latine, la Cour suprême est l’instance définitive en matière législative. Dans d’autres pays, il existe une cour constitutionnelle fédérale spécialisée dans l’interprétation de la constitution, en Allemagne, en Belgique et en Espagne, par exemple. Dans la plupart des cas, on s’efforce manifestement de mettre la cour suprême ou constitutionnelle à l’abri des influences, et, dans plusieurs autres, on essaie, par des dispositions constitutionnelles ou dans la pratique, d’assurer une mesure de représentativité régionale à la Cour suprême.

Droits constitutionnels : Les fédérations sont essentiellement une forme territoriale d’organisation politique. Ainsi, on arrive à préserver des groupes distincts de minorités lorsque les groupes et les minorités sont géographiquement concentrés de façon à constituer une majorité gouvernementale au sein d’une unité régionale de gouvernement. Mais, dans la pratique, les populations sont rarement réparties dans des régions bien délimitées. Dans presque toutes les fédérations, on retrouve fatalement certaines minorités au sein des unités régionales. Dans les cas de minorités internes importantes, on a eu recours à trois types de solution. La première consiste à redéfinir les frontières des unités constituantes pour qu’elles coïncident plus étroitement avec les groupes linguistiques et ethniques. Par exemple, la création du canton du Jura en Suisse, la réorganisation des frontières des États en Inde à partir de 1956, et l’évolution progressive du Nigéria de trois régions à 36 états. L’autre solution consiste à attribuer au gouvernement fédéral la responsabilité particulière de garantir la protection des minorités intrarégionales contre toute répression possible par une majorité régionale. Ces dispositions existent dans un certain nombre de fédérations, en particulier par rapport aux populations indigènes ou autochtones.

La troisième solution, la plus communément adoptée pour protéger les minorités intrarégionales, consiste à incorporer dans la constitution un ensemble complet de droits fondamentaux des citoyens qui doivent être appliqués par les tribunaux. C’est le genre de solution que l’on trouve maintenant dans la plupart des fédérations, sauf en Australie et en Autriche. Les conséquences de ces droits du citoyen et du rôle des tribunaux dans ce contexte seront traitées plus en profondeur dans un document d’analyse distinct et lors d’une séance thématique sur la citoyenneté et la diversité sociale.

Relations intergouvernementales : Au sein des fédérations, il est inévitable que se produisent des chevauchements et des interdépendances dans l’exercice des pouvoirs constitutionnels des gouvernements, ce qui exige généralement des consultations, une coopération et une coordination intergouvernementales considérables. Ces processus servent deux fonctions importantes : résoudre les conflits et fournir un moyen d’adaptation pragmatique à de nouvelles circonstances. Les institutions et les processus liés à ces interactions sont traités plus en détail dans le cadre d’une série distincte de séances sur le thème des relations intergouvernementales. Ce sujet est simplement mentionné dans le présent exposé pour montrer qu’il existe des différences entre les fédérations en ce qui concerne ces processus intergouvernementaux, en particulier pour ce qui est du fédéralisme exécutif qui est typique de la plupart des fédérations parlementaires et du caractère plus diversifié des relations intergouvernementales dans les fédérations où les pouvoirs entre l’exécutif et le législatif sont séparés au sein de chaque gouvernement. Ces dispositions différentes influent sur la mesure dans laquelle les unités régionales de gouvernement participent elles-mêmes efficacement au partage des pouvoirs fédéraux.

CONCLUSIONS

Les réussites et les échecs des fédérations depuis un demi-siècle font ressortir cinq grands éléments qui ont un rôle à jouer sur la capacité des fédérations et des systèmes fédéraux en général à concilier et à gérer la diversité sociale.

Premièrement, dans le contexte mondial contemporain, les fédérations qui associent le gouvernement partagé et l’autogestion offrent effectivement un moyen pratique d’associer les effets de l’unité et de la diversité grâce à des institutions représentatives. Il ne s’agit toutefois pas du remède à tous les maux politiques de l’humanité, et l’on a vu des échecs importants, en particulier la fragmentation de la fédération des Antilles, la Rhodésie et le Nyasaland, le Pakistan, l’URSS et la Tchécoslovaquie, dont il faut tenir compte.

Deuxièmement, l’efficacité affichée par les fédérations dépend de la mesure dans laquelle la population accepte largement la nécessité de respecter les normes et les structures constitutionnelles et la primauté du droit.

Troisièmement, l’évolution vers une confiance mutuelle entre les différents groupes d’une fédération et l’insistance sur l’esprit de tolérance et de compromis sont tout aussi importantes pour l’administration efficace des fédérations.

Quatrièmement, les exemples de sécession ou de fragmentation dans la fédération des Antilles, la Rhodésie et le Nyasaland, le Pakistan, l’URSS et la Tchécoslovaquie ont fait dire à certains critiques que les fédérations sont vulnérables à l’instabilité et à la sécession. Mais il faut souligner que tous ces cas d’échec se sont produits là où les institutions démocratiques étaient faibles ou inexistantes. On peut dont attribuer davantage leur échec à leur caractère non démocratique qu’à leur caractère fédéral. En fait, il n’existe pas encore de fédération réellement démocratique, quelle qu’en soit la diversité, qui se soit désintégrée. Il semble donc que les processus pleinement démocratiques soient une condition fondamentale de la réussite d’une fédération.

Cinquièmement, la mesure dans laquelle une fédération peut intégrer la diversité politique dépend souvent non seulement de l’adoption de dispositions fédérales mais également du choix d’une variante particulière de fédération qui permette d’exprimer suffisamment les désirs et les besoins de la société en question. Comme on l’a souligné tout au long de ce document, il existe de nombreuses variantes dans l’application de l’idée fédérale en général, ou même dans la catégorie plus particulière des fédérations. En fin de compte, l’application du fédéralisme implique l’adoption d’une approche pragmatique et prudente, et son applicabilité dans des circonstances différentes ou évolutives au vingt et unième siècle dépendra sans doute de nouvelles innovations à cet égard.

Tableau 1: Exemples de diverses organisations fédérales

* L'Afrique du Sud et l'Espagne, quoiqu'étant essentiellement des fédérations de par leur organisation et leurs usages, n'ont pas adopté l'appellation « fédération » dans leur constitution.

TABLEAU 1 : EXEMPLES DE DIVERSES ORGANISATIONS FÉDÉRALES

UNION FÉDÉRATION CONFÉDÉRATION ÉTAT FÉDÉRÉ ÉTAT ASSOCIÉ CONDOMINIUM LIGUE
DÉCENTRALISÉE
Antigua-et-Barbuda Cameroun Chine Colombie Italie Japon Pays-Bas Papouasie/ Nouvelle-Guinée Îles Salomon Soudan Tanzanie Ukraine Royaume-Uni Vanuatu Argentine Australie Autriche Belgique Brésil Canada Comores Éthiopie Allemagne Inde Malaisie Mexique Micronésie Nigéria Pakistan Russie Afrique du Sud* Espagne* Saint-Kittset-Nevis Suisse Émirats arabes unis États-Unis Venezuela Yougoslavie Union économique Benelux Communauté des Caraïbes (CARICOM) Communauté des États indépendants Union européenne Îles FéroëDanemark Åland-Finlande Cachemire-Inde Açores-Portugal Madère-Portugal Guernsey-R.-U. Jersey-R.-U. Man-R.-U. Iles Mariannes du NordÉ.-U. Porto-Rico-É.-U. Monaco-France Bhoutan-Inde Saint-MarinItalie Antilles néerlandaisesPays-Bas Îles Cook NouvelleZélande Îles NiouéNouvelleZélande LiechtensteinSuisse Andorre-France et Espagne (1278-1993) Ligue arabe Association des nations d'Asie du Sud-Est (ANASE) Assemblée balte Commonwealth des Nations Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) Conseil nordique Association sudasiatique de coopération régionale (ASACR)

* Même si l'Afrique du Sud et l'Espagne ont essentiellement adopté la forme et la pratique du fédéralisme, le terme « fédération » ne fait pas partie de leur vocabulaire constitutionnel.