Conférence internationale sur le fédéralisme Mont-Tremblant, octobre 1999 Article de référence

LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE RÉGIONAL : CRÉER DES PARTENARIATS OU DES DÉPENDANCES?

James Bickerton Professeur de science politique à l’Université St-Francis Xavier

Le développement économique régional et le fédéralisme soulèvent toute une série de questions d'ordre théorique, politique et administratif. Depuis 40 ans, le développement régional constitue un secteur de dépenses qui ne connaît guère de « succès », qu’il s’agisse d’atteindre des objectifs clairement énoncés, ou même de réaliser, ce qui est plus difficile à mesurer, des progrès réguliers et croissants vers l'atteinte de ces objectifs. Ces derniers, autant que les attentes qu'ils ont suscitées parmi la population, ont apparemment été peu réalistes. Souvent, la politique s'est fondée sur des principes et des rapports économiques mal compris, inspirés de théories mal conçues et n'ayant pas fait leurs preuves. À cela se sont ajoutés des problèmes de mise en vigueur de politiques timides ou mal gérées, de fréquentes modifications aux programmes et aux organismes d'exécution, des tensions entre les gouvernements, et des litiges quant aux rôles et aux compétences revenant à chacun; à l'occasion, il y avait aussi une « politisation » excessive due au clientélisme et au népotisme.

Pour ces raisons et pour d'autres, le développement régional a généralement fait l'objet de contestations, de mépris, de ressentiments et de doutes, tant au sein des bureaucraties centrales que régionales, habituées à une approche sectorielle plutôt que géographique du processus décisionnaire et de l'administration. Cette activité a été reléguée au second plan dans le programme politique et l'attribution des deniers publics. Au cours des brèves périodes où l’on y a accordé plus d’attention au niveau politique, et affecté plus de ressources, cela a suscité une réaction négative du point de vue politique, et des objections de la part des représentants élus des régions qui n'en ont pas profité. Tout cela a contribué à un recul de la politique de développement régional par rapport à la belle époque des années 60 et 70 où on la considérait, sous sa forme idéalisée, comme un moyen viable de détourner une partie de la croissance économique et industrielle dont jouissaient les centres urbains industrialisés, surpeuplés et sujets à l'inflation, vers des régions isolées ou dans le marasme qui connaissaient un déclin ou un manque de développement sur le plan industriel. Cette politique visait à promouvoir un développement mieux équilibré du point de vue géographique, et donc, à réduire les disparités régionales dans le domaine de l'emploi, des revenus et des taux de croissance.

Les caractéristiques économiques du développement régional

Les politiques de développement régional se fondaient sur certaines justifications économiques, notamment, réduire le coût de l'encombrement et des tensions sur les marchés du logement dans les régions prospères, et s'attaquer aux problèmes liés à la pollution et à l'inflation, tout en exploitant l'espace et les ressources disponibles dans les régions dans le marasme. Dans les régimes fédéraux, la concurrence entre les provinces ou les États désireux d'attirer l'investissement et de stimuler la croissance a également nui à l'efficacité économique, en débouchant sur des initiatives économiques « protectionnistes » et des obstacles au commerce interprovincial (comme les politiques discriminatoires d’approvisionnement et de marchés) qui finissent par coûter cher à toutes les provinces tout en sapant l'efficacité au niveau national. On pensait alors qu'une politique nationale de développement régional pourrait aider à mettre fin à ce genre de concurrence interrégionale, qui est destructrice pour les investissements, ou du moins à la restreindre. Enfin, dans la mesure où l’on stimulerait l'activité économique régionale, la politique de développement régional pourrait alléger le fardeau financier que représentait pour l'État-providence le nombre élevé de chômeurs et de travailleurs sous-employés dans les régions défavorisées.

Malgré l’optimisme initial, il y a, de toute évidence, des limites quant à la redistribution, sur le plan géographique, de l'activité économique industrielle. L’effet d’agglomération renforce l'expansion économique soutenue des régions déjà fortement industrialisées, à taux de croissance élevé, lesquelles représentent un aimant puissant qui attire les capitaux et la main-d'oeuvre des autres régions. Les entreprises porteuses, qui devraient être le moteur du développement économique régional, se sont en général installées près d’autres entreprises connexes ou de leurs fournisseurs et marchés. Il s'est révélé extrêmement difficile, voire impossible, de créer un « pôle de croissance » de ces secteurs d'activité dans des endroits tout à fait nouveaux, ce qui a souvent donné lieu au syndrome des « cathédrales dans le désert » (très peu de retombées économiques ou de développement corrélatif), ou à des activités à court terme, « vouées à l'échec », qui ponctionnent les trésors publics et offrent très peu d'avantages à long terme pour la région visée.

Les échecs répétés des grandes théories régionales, qui, chaque fois qu’elles ont été appliquées à des régions sous-développées, n'ont pas donné les résultats escomptés, n'ont guère augmenté le niveau de confiance ou d'appui des hauts fonctionnaires peu habitués à l'élaboration ou à la mise en oeuvre de politiques économiques et industrielles axées sur des régions. En conséquence, la réticence des fonctionnaires à la politique de développement régional a été de plus en plus forte. Cette réticence et cette opposition se manifestent de diverses façons : la perpétuation et la confirmation de stéréotypes d'ordre culturel et régional au sein des bureaucraties centrales, les critiques répétées et assidues à l'égard des méthodes, objectifs et but principal de la politique régionale, l'application inflexible (et même néfaste) de directives et d'exigences strictes en matière de dépenses et de programmes, la réticence à l'égard de la coordination des politiques et des programmes, le simple manque de collaboration avec les décideurs régionaux, et l'application continuelle de politiques et de programmes qui torpillent, de façon directe ou indirecte, les objectifs du développement régional.

Les justifications politiques du développement régional

Malgré son économie douteuse et la vive et continuelle opposition des fonctionnaires au développement régional, il y a toujours eu un incitatif politique puissant pour donner de l’emploi aux travailleurs des régions dans le marasme. Il en va toujours ainsi pour les responsables politiques régionaux, et cela devient parfois impératif du point de vue politique pour les gouvernements (national ou provinciaux) dont l'avenir repose sur l'appui de ces régions. On peut justifier la participation de l'État à une politique de développement régional en invoquant un argument de principe d’ordre politique, moral et même juridique, à savoir que la citoyenneté dans de nombreux pays englobe désormais un élément important d'égalité sociale, puisque dans la mesure du possible, les citoyens doivent s'attendre à jouir d'un niveau de vie équivalent ou à recevoir les mêmes services collectifs, quel que soit l'endroit où ils habitent. Certains pays fédéraux ont même pris des engagements sur le plan constitutionnel ou juridique en vue de réduire les disparités régionales. Il a été clairement prouvé que l'existence continuelle de disparités régionales profondes qui, loin de s'atténuer, ne font que s'accroître, donnera lieu à un mécontentement et à des ressentiments politiques dans les régions défavorisées ou les éléments constituants d'une fédération, ce qui créera des tensions croissantes et nuira éventuellement à l'unité nationale. La politique de développement régional (de concert avec d'autres formes de transferts interrégionaux ou intergouvernementaux) est devenue un moyen important d'améliorer la situation en créant et en maintenant un sentiment d'unité nationale fondé sur une solidarité sociale nationale. Cela est donc favorable à l'intégration sociale et politique au niveau national, tout en empêchant la marginalisation totale de certains groupes et localités.

Même en l’absence de dispositions constitutionnelles, d’arguments moraux ou d’attentes des citoyens en matière de « droits sociaux », il est peu probable que les élus qui représentent les régions défavorisées acceptent un jour les disparités régionales profondes et chroniques comme une situation économique « normale » et inéluctable. Il continuera d'exister une forme quelconque d'ingérence gouvernementale en vue de régler le problème (même si les résultats de la politique sont très médiocres), et ce domaine ne sera jamais à l'abri des problèmes politiques. Parmi ces derniers, mentionnons l'effet perturbateur, et parfois, l’omniprésence du népotisme politique et du clientélisme, la présence constante de jalousies et de ressentiments au niveau régional (d’où des pressions en vue d'« égaliser » le traitement des régions, grâce à une expansion éventuelle des initiatives de développement régional), l'effet de distorsion des autres objectifs de politiques ou de programmes sur la politique de développement régional (et notamment les dépenses), de sorte que le développement régional se trouve souvent intégré à d'autres projets et objectifs politiques, ainsi que le désir bien compréhensible et permanent des élus de donner l'impression de « faire quelque chose » pour remédier au problème régional, ce qui entraîne une certaine impatience et des promesses politiques (et souvent des mesures néfastes) fondées sur le principe du « changement pour le plaisir du changement ». Cela peut aboutir au remaniement presque continuel des organismes et des politiques de développement régional.

Le fédéralisme et le développement régional

Le développement régional représente donc un enjeu politique permanent pour tous les États. Les régimes fédéraux, toutefois, se heurtent à d'autres problèmes précis. Un des problèmes propres aux régimes fédéraux – peut-être le plus important – est la question de la compétence et des rôles respectifs du gouvernement central par rapport aux gouvernements des provinces ou des États. En général, le développement économique est un secteur de dépenses à compétence partagée, auquel participent activement les deux ordres de gouvernement, et où certains secteurs d'activité économique relèvent plus directement de la compétence de la province ou de l'État tandis que d'autres sont assujettis à la réglementation et à l'ingérence du gouvernement national. Le partage précis des responsabilités varie d'une fédération à l'autre, et souvent, la distinction n'est pas très nette en raison du chevauchement des activités gouvernementales, qui, selon le cas, sont concertées, concurrentielles ou carrément superflues. Les frictions et les litiges intergouvernementaux qui en découlent inévitablement peuvent poser un grave problème pour la gestion des affaires publiques; cette situation peut exister uniquement pendant certaines périodes ou dans certaines circonstances, ou bien durer des décennies. Les tribunaux ont un rôle à jouer pour définir les compétences et les responsabilités respectives de chacun; en dernier ressort, toutefois, un engagement permanent à l'égard de la collaboration et de la coordination, et ce, de façon institutionnelle plutôt que ponctuelle, est généralement nécessaire dans les régimes fédéraux pour gérer ou résoudre les litiges en matière de compétence ou les cas de responsabilité et d'activité réciproques ou partagées.

Les problèmes fédéraux de coordination et de collaboration prennent encore de l'ampleur lorsque deux ordres de gouvernement ne réussissent pas (ou tout simplement ne cherchent pas) à s'entendre sur l'optique, l'approche et le cadre qui conviennent à une politique de développement régional. Cela donne lieu ensuite à des différends précis quant à la définition pertinente ou fonctionnelle de la région, qui sert à la détermination des mesures d'aide, aux instruments politiques les plus susceptibles de produire des résultats (ou au contraire, les moins susceptibles de créer un préjudice économique), ainsi qu'aux résultats proprement dits (c.-à-d., les objectifs et la finalité des politiques et programmes). Les ententes intergouvernementales de coopération aux fins du développement régional, lesquelles sont des ententes cadres de portée très générale et ouvertes (document habilitant), constituent une stratégie en vue de résoudre ce problème. Bien souvent, ce genre d'ententes ne contribuent pas à favoriser et à appuyer les approches stratégiques. Au contraire, les ententes deviennent, en général, une décharge « universelle » pour les initiatives de développement économique financées conjointement (par le gouvernement fédéral et la province ou l'État), où les intérêts ministériels et sectoriels des bureaucrates et les intérêts tactiques à court terme des politiques passent avant le reste. Par contre, les ententes intergouvernementales ont parfois pour effet de créer des cadres politiques rigides et officiels qui assujettissent les initiatives régionales à de strictes mesures de contrôle centralisées, à des instruments politiques extrêmement précis et à des critères d'admissibilité restreints, conformément à des lignes directrices de planification et d'administration rigoureuses et descendantes. Ce genre d'ententes intergouvernementales est plus susceptible d'exister dans les régimes fédéraux ou à des moments de l'histoire où les pouvoirs centraux sont dominants ou fortement influencés par des modèles technocratiques de planification et d'ingérence étatiques. Ces deux sortes d'ententes cadres de collaboration intergouvernementale n'ont pas permis d'élaborer et de mettre en oeuvre des politiques et programmes qui se révèlent efficaces pour atténuer les disparités régionales ou favoriser les activités autonomes de développement régional.

Sur une note un peu plus positive, les régimes fédéraux disposent peut-être de grandes possibilités, sur le plan des institutions et de la société, pour répondre aux besoins et aux exigences liés au développement régional. Étant donné que les fédérations prévoient, dans leur constitution et dans leurs institutions, le partage des pouvoirs entre les autorités centrales et régionales, elles servent également de base fonctionnelle à une organisation et une action régionales efficaces, parallèlement à des cultures politique et bureaucratique sensibles au besoin de concertation, de consultation et de coordination entre les ordres de gouvernement. Les fédérations peuvent également alléger le « déficit démocratique » qui peut aller de pair avec la régionalisation du processus décisionnaire lorsqu'on veut élaborer et mettre en oeuvre une politique régionale, en prévoyant des mécanismes établis pour une représentation politique décentralisée.

Jusqu'ici, nous avons invoqué bon nombre de raisons pour justifier le recul relatif du développement régional en tant que priorité de dépenses et domaine politique (les échecs sur le plan des principes et des programmes, une politisation excessive, les conflits entre gouvernements, la réticence des fonctionnaires, etc.). Parallèlement, depuis une quarantaine d'années, d'autres programmes sociaux et transferts fiscaux visant à garantir des normes nationales minimales en matière d'avantages et de services collectifs ont permis de « combler l'écart » en nous rapprochant considérablement de l'objectif d'une plus grande égalité régionale. Il ne faut toutefois pas en déduire que le besoin socio-économique ou la demande politique du maintien de l'ingérence gouvernementale dans le développement régional a diminué ou même disparu; et, depuis au moins le milieu des années 80, l'évolution sur les plans économique et politique n'a fait qu'accroître les préoccupations quant à l'avenir économique des régions périphériques ou moins développées.

Le nouveau régionalisme et la nouvelle institutionnalisation

Qu'est-ce qui constitue la nouvelle menace pour les emplois actuels dans les régions reculées, périphériques et dans le marasme, ainsi que pour les mesures de soutien des économies de ces régions prévues dans les programmes établis? Cette menace découle des changements d'ordre économique, technologique et politique qui ont été associés aux processus économiques et politiques connexes d'internationalisation, de mondialisation et de création de marchés. Le « revers de la médaille », toutefois, c'est que de nouvelles possibilités économiques sont apparues pour les régions qui, autrefois, étaient marginalisées au sein de systèmes essentiellement nationaux de production et de distribution. Cela s'est produit en raison de l'évolution de la concurrence économique, elle-même le fruit des changements survenus au niveau de la technologie, des méthodes de production, de l'organisation des entreprises et de la levée des restrictions visant le commerce international et l'investissement, ainsi que l'accès à un plus vaste éventail de marchés exigeant une gamme plus variée de produits et services « de qualité ». Il s’en est suivi un « nouveau régionalisme » qui marchait de pair avec le nouvel « impératif concurrentiel » qui façonne et nuance de plus en plus les politiques nationales, et surtout celles en rapport avec le développement socioéconomique. Pour être plus précis, les changements survenus dans les méthodes de production, la technologie et les tendances des échanges commerciaux ont modifié les fondements du développement économique (et donc régional) et de la concurrence, de sorte que l'impératif concurrentiel est désormais non seulement plus grand et plus immédiat pour toutes les économies régionales (lesquelles sont plus exposées aux forces économiques et aux marchés internationaux), mais également différent de par les limites et les possibilités qu'il offre aux régions, ainsi que les facteurs et les ressources (économiques et financières, sociales et organisationnelles, culturelles et politiques) qui sont directement en rapport avec la compétitivité régionale à long terme.

Ce nouveau contexte, dans lequel s'inscrit le développement régional, ainsi que l'importance croissante et l'évolution de la compétitivité régionale dans l'économie mondiale moderne, influe à la fois sur la théorie et la pratique du développement régional. On commence à percevoir, au niveau des « régions », une « nouvelle institutionnalisation »; c’est ainsi parce que les pays fédérés et ceux qui ne le sont pas ont jugé utile de s'adapter à ce nouveau contexte en appuyant de nouvelles méthodes de régionalisation des processus d'élaboration et de mise en oeuvre des politiques. Ils y arrivent grâce à des partenariats entre trois ordres de gouvernement (national, régional et local), ainsi que le secteur privé et les principales parties prenantes de la société civile, en vue de créer un cadre politique régional axé sur la collaboration. Cela s'est accompagné d'une nouvelle définition – ou du moins d'une nouvelle liste de priorités – des principaux facteurs du développement régional, et l'on accorde désormais beaucoup d'attention et d'importance aux fameux « facteurs secondaires » du développement économique : des services de santé et d'éducation de qualité supérieure, la formation en gestion et en entreprenariat, les réseaux d'information et d'innovation, ainsi que les mesures d'aide à la commercialisation, au transfert de technologie et au lancement d'entreprises. Certains incitatifs d'ordre financier et industriel et l'infrastructure matérielle (comme les liens de transport) continuent de représenter un élément important de la « boîte à outils » du développement régional que les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent (et doivent) utiliser, mais l'orientation principale de la politique de développement régional a changé. Par le passé, les gouvernements abordaient généralement le problème du développement régional en partant du principe qu'il leur faudrait importer le développement dans les régions sous-développées au moyen de programmes, d'incitatifs et même de directives visant à acheter, attirer, influencer ou forcer les entreprises à déménager une partie de leurs installations de production actuelles, ou alors, à investir dans des régions jusque-là négligées ou laissées pour compte. Il ne faut pas croire que cet investissement de l'extérieur ne soit plus nécessaire ou souhaitable dans le contexte actuel; bien au contraire, il reste un objectif important et un résultat escompté des initiatives de développement régional. Toutefois, de plus en plus, l'orientation ainsi que la vision et l'objectif à long terme de la politique de développement régional visent désormais à créer les conditions propices, aides à l'appui, à un processus de développement durable et essentiellement local, fondé sur la nature et la qualité des ressources humaines et sociales d'une région.

Le nouveau contexte du développement régional favorise également la participation d'un plus grand nombre d'intervenants et la mise en place d'une plus large gamme de politiques et de stratégies davantage axées sur la région, adaptées aux besoins, aux circonstances et aux possibilités au niveau local. Cela, en retour, exige la décentralisation et la régionalisation du processus d'élaboration et de mise en oeuvre des politiques; il doit également exister une collaboration plus intensive et plus systématique que par le passé entre les divers ordres de gouvernement, et la participation au niveau régional d'un éventail de parties prenantes au sein d'un réseau de collaboration, dont la composition exacte variera d'une région à l'autre. De plus en plus, les analystes du développement régional considèrent la mise en place de ce réseau institutionnel central comme l'un des principaux éléments de la politique de développement économique régional, un acte d'« édification régionale » partant du principe qu'un solide réseau d'intervenants régionaux (des secteurs public et privé), regroupés en fonction d'une même identité territoriale et d'un intérêt direct pour la destinée économique de la communauté régionale, sera plus susceptible de déboucher sur des politiques et décisions pertinentes qui favoriseront un processus de développement régional durable. Ces « coalitions pour le développement » se sont révélées en mesure de soutenir des partenariats régionaux concertés fondés sur la coopération et l'échange au cours de longues périodes. Il peut y avoir une mobilisation à cette fin aux niveaux des villes, des villes-régions, d'autres régions délimitées du point de vue fonctionnel, ou même de petites entités fédérales (États ou provinces). Toutefois, tous ne serviront pas de façon aussi naturelle ou efficace de base territoriale et institutionnelle pour la création d'une coalition pour le développement. Cela dépend d'un certain nombre de facteurs, et notamment de la situation et de l'héritage historiques de chaque région, comme son identité et ses tendances de relations sociales antérieures. En conséquence, certaines régions seront mieux à même que d'autres de gérer les exigences et les conséquences du besoin de créer et de maintenir les conditions propices à une compétitivité durable au niveau des régions.

L'évolution du contexte économique et politique du développement régional, l'apparition d'un nouveau régionalisme qui s’ensuit et la « nouvelle institutionnalisation » qui découle des initiatives intergouvernementales vers un processus d'élaboration et de mise en oeuvre des politiques plus régionalisées et globales, ont également d'autres répercussions. Notamment, la façon dont la « région » (c.-à-d., la région dans le contexte de la politique du développement régional) est définie (ou redéfinie), le sens et la teneur du processus de développement régional, les buts et objectifs de la politique et, enfin, les attentes des politiciens, des planificateurs et des parties prenantes quant aux résultats à court et à long terme. Au lieu de se concentrer principalement, voire exclusivement, sur la diminution des disparités régionales sur le plan des revenus et du chômage – les objectifs politiques initiaux du développement régional qui se sont révélés depuis peu réalistes (impossibles à atteindre) ainsi que des indicateurs médiocres de la santé et du dynamisme de l'économie des régions – les objectifs de la politique devraient être précis, plus réalistes et plus propres à une région donnée. Ils devraient tenir compte des objectifs d’une plus grande compétitivité au niveau régional, en premier lieu grâce au maintien ou à l'expansion des mesures d'aide gouvernementale à l'intention des institutions, des programmes et des services nécessaires pour produire le capital social dont dépend un processus de développement régional entrepris au niveau local, et en second lieu, grâce à des initiatives stratégiques (prises au niveau régional par les coalitions pour le développement) qui favorisent la croissance et la vitalité des principaux secteurs et activités économiques.

Vus sous cet angle, les facteurs d'ordre social, culturel et environnemental font désormais partie intégrante de toute évaluation des possibilités économiques d'une région, en plus d'être des facteurs importants à prendre en ligne de compte lors de la planification régionale et du processus décisionnaire. Lorsqu'on tient compte de façon plus générale des divers éléments essentiels à la santé économique d'une région, on se doit d'adopter un plus vaste éventail de politiques et programmes gouvernementaux directement liés au développement régional et à un processus de régionalisation couronné de succès. Il s'ensuit également une augmentation du nombre et du genre d'intervenants sociaux et d'intérêts qui devraient être représentés au sein des coalitions pour le développement auxquelles sont de plus en plus confiées les décisions relatives aux initiatives de développement régional. Tous les niveaux de gouvernements doivent collaborer à cette fin, et offrir conjointement les mesures d'aide nécessaires à la production continuelle de capital social, tout en évitant un contrôle hiérarchique vers le bas à l'égard de la politique et des décisions relatives au développement économique régional. Dans la mesure du possible, ce contrôle devrait être délégué à des coalitions de développement régional axées sur des relations concertées entre le gouvernement, le secteur privé et les intervenants de la société civile. Les gouvernements devraient transférer les activités de planification et le processus décisionnaire au niveau régional, où l'aptitude à la négociation et l'esprit d'entreprise l'emportent sur la fonction de réglementation et de répartition à laquelle les États sont habitués. En un mot, les gouvernements fédéral et provinciaux devraient renoncer à certains de leurs pouvoirs (en matière de contrôle), tout en offrant aux régions des ressources et d'autres formes d'aide. Le fait de ne plus exercer ces mesures de contrôle ne signifie pas renoncer à toute responsabilité à l'égard du développement économique régional.

La discussion qui précède a soulevé certaines questions (dont la liste est loin d'être exhaustive) au sujet du développement économique régional. Les voici présentées sous forme résumée :

La théorie par rapport à la pratique : En général, les théories du développement régional ne se sont pas révélées efficaces sur le plan pratique, ou parce que les principes eux-mêmes n'ont pas été mis à l'essai, ou qu'ils étaient incomplets et ne répondaient pas aux besoins, ou parce qu'ils n'étaient pas adaptés aux conditions socio-économiques précises auxquelles on les appliquait, ou encore, parce que l'on a omis d'attribuer les ressources ou l'aide nécessaires pour mettre pleinement en vigueur ou à l'essai les principaux éléments de cette théorie, ou enfin, parce que des objectifs politiques ou sectaires à court terme ont sapé la mise en pratique de ces théories. De toute façon, on remet désormais fortement en cause l'utilité de théories officielles pour mettre en oeuvre des mesures concrètes sur le plan du développement régional; à tout le moins, il semble évident qu'il faille adopter une démarche plus « clinique » et souple, qui tienne davantage compte des caractéristiques de chaque région et permette de s'y adapter.
Les disparités par opposition au développement : Les gouvernements devraient modifier les objectifs de la politique de développement régional et la définition pratique de la « région » utilisée aux fins d'élaboration et de mise en vigueur de la politique. Il faudrait reconcevoir la santé économique des régions comme un ensemble de critères socio-économiques, en donnant pour objectifs à la politique les mesures de la qualité de la vie et la compétitivité et le dynamisme économique (fondé sur le changement structurel et la participation régionale à des secteurs de croissance dynamiques), au lieu de tenir compte de la réduction des écarts sur le plan des revenus et de l'emploi entre le centre et les régions périphériques. La région qui intéresse les responsables de la politique de développement régional ne devrait pas être définie à partir de limites politiques (États ou provinces) sauf si ces dernières comprennent une « région » naturelle fondée sur des critères économiques, sociaux et culturels. Autrement, aux fins de la planification et de l'élaboration des politiques, les régions devraient être délimitées conformément aux différentes communautés socio-économiques et culturelles au sein des limites territoriales de chaque province ou État.
Facteurs socio-culturels : Dans l'économie internationale actuelle, la compétitivité régionale se fonde de moins en moins sur la main-d'oeuvre bon marché ou l'accès aux matières premières à moindre coût, mais plutôt sur les points forts d'une région : esprit d'entreprise, technologie, activités sociales et culturelles. La cohésion au sein d'une communauté régionale est liée aux niveaux d'adhésion sociale et d'intégrité culturelle dans cette collectivité, ce qui, en retour, favorise la capacité d'organisation et de planification de la collectivité. Souvent, une région présente des points forts qui lui sont propres et qui servent de point de départ à l'adoption de stratégies économiques. Il faut que de telles régions obtiennent la reconnaissance, l'appui et le soutien des gouvernements, qui peuvent offrir diverses formes d'aide sur le plan social, organisationnel et économique, et collaborer avec les intervenants de la région dans les domaines économique, social et culturel, en vue de créer une coalition pour le développement qui soit viable. Des régions qui sont fortes du point de vue social et culturel seront beaucoup mieux à même de s'adapter aux enjeux et possibilités économiques et d'en profiter.
Collaboration intergouvernementale et entre les secteurs public et privé : Le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités doivent être prêts à laisser de côté les questions de compétence afin de collaborer au processus d'édification régionale dans le cadre du développement économique. Il faut également avoir le même esprit de collaboration à l'égard du secteur privé de la société civile dans le cadre d'un processus d'établissement d'institutions au niveau régional. On disposera ainsi d'une base institutionnelle sur laquelle se fondera un réseau de collaboration susceptible de déterminer les points forts des régions et de concevoir des stratégies visant à tirer parti de ces points forts et à surmonter les lacunes. Cela permettra également de restreindre l'incidence néfaste sur le développement régional des politiques sectaires et du népotisme, ou, au contraire, de l'hostilité et du manque de souplesse des bureaucrates. La solution pour y parvenir, toutefois, consiste à appliquer le principe de la subsidiarité afin de déléguer au niveau régional les ressources nécessaires et les pouvoirs décisionnaires.
L'organisation gouvernementale et les organismes spécialisés : Les gouvernements ont procédé à de nombreuses réorganisations dans l'intérêt du développement régional, mais, trop souvent, ces remaniements n'ont pas changé grand-chose; ils ont plutôt eu pour effet de perturber des relations bien établies. Dans les bureaucraties centrales, et souvent même provinciales, les organismes de développement régional ont eu une existence secondaire, tant par rapport à leurs ressources qu'à leur influence politique, ce qui en a fait des organismes de décision et d'exécution inefficaces et assujettis à des limites administratives et financières. Après de nombreux faux départs, la tendance a été à la création d'organismes spécialisés relativement autonomes qui ont des méthodes et des directives plus souples et une organisation et des activités régionales. Ces organismes spécialisés sont également mieux à même de collaborer avec d'autres parties prenantes au niveau régional et fonctionnent davantage comme une entreprise que comme une bureaucratie. Certaines tendances et pressions continuent toutefois de s'exercer aux niveaux politique et bureaucratique en vue de réassujettir ces organismes à un contrôle centralisé ou de restreindre par d'autres moyens leur autonomie. Une fois établie, l'existence d'une solide coalition pour le développement, laquelle repose sur la concertation et la collaboration, permettra de battre en brèche ces pressions. Il va sans dire que les gouvernements et leurs ministères hiérarchiques traditionnels devraient continuer de participer au développement régional, surtout en ce qui a trait à l'administration des subventions régionales et des stimulants fiscaux.

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