Forum mondial de la démocratie Varsovie, Pologne 25-27 juin, 1999

L'Accord de Vancouver

Gouvernement à paliers multiples et partenariats communautaires

Table ronde « Fédéralisme, société multi-ethnique et démocratie » Forum mondial de la démocratie, Varsovie, 25-27 juin 2000

Judy Cavanagh

Sous-ministre responsable des priorités gouvernementales Gouvernement de la Colombie-Britannique Canada

Introduction

En mars 2000, le gouvernement du Canada, le gouvernement de la Colombie-Britannique et la Ville de Vancouver ont ratifié un accord d'une durée de cinq ans, le « Vancouver Agreement » (Accord de Vancouver). L'Accord établit la structure et les principes de coopération entre les trois gouvernements et les communautés de Vancouver, dans les limites de leurs compétences et de leur mandat, pour l'élaboration et la mise en place d'une stratégie concertée visant à promouvoir et à encourager un développement économique, social et communautaire viable. L'Accord touche d'abord à la zone englobant le « quartier est du centre-ville » [downtown eastside (DTES)] de Vancouver.

Ce document analyse les défis que doivent relever les trois gouvernements pour respecter l'Accord, en plus de souligner les obstacles que représente la participation des communautés au processus. Un survol de la documentation existante indique qu'on ne semble pas d'accord sur la définition de « société civile ». Dans cet exposé, j'emploierai le terme « communauté », qui comprend le secteur caritatif et les organismes à but non lucratif (ce que l'on désigne au Canada sous le vocable de « secteur bénévole »). De même, il faut tenir compte, dans une communauté, des intérêts de plusieurs groupes : peuples autochtones (indigènes), résidants et commerçants.

Le fédéralisme canadien

Monarchie constitutionnelle, le Canada est une fédération qui se compose de dix provinces et trois territoires. Son système parlementaire gouvernemental s'inspire du modèle britannique.

La Loi constitutionnelle de 1867, qui délimite les compétences fédérales et provinciales, constitue le cadre constitutionnel du régime fédéral. Les domaines nationaux et internationaux comme la défense, l'immigration, le commerce, le droit criminel et les banques relèvent de la juridiction fédérale. On retrouve, parmi les compétences provinciales, l'éducation, la santé et les ressources naturelles.

La législation municipale proclamée dans chaque province instaure un cadre légal et voit à ce que les administrations locales représentent les intérêts de leurs communautés et répondent à leurs besoins. Les administrations locales exercent certains pouvoirs au nom des provinces dans plusieurs secteurs comme le zonage, les taxes municipales, le maintien de l'ordre, les travaux publics, la collecte des ordures et le nettoyage des rues.

On pourrait croire que, grâce au partage des pouvoirs, les responsabilités et les rôles sont bien définis; mais en fait, ce partage vient compliquer l'administration des problèmes du DTES de Vancouver. Étant donné que les lois, les politiques et les programmes ne sont pas toujours bien coordonnés et bien intégrés, le partage marque des limites juridictionnelles, ce qui entraîne des écarts entre juridictions, et des zones grises à l'intérieur de celles-ci. Par exemple, le droit criminel relève du fédéral, l'administration de la justice, du provincial, et le maintien de l'ordre, de l'administration locale. Comme les intérêts juridictionnels en jeu sont multiples et les conséquences qu'entraîne l'amendement d'une politique nationale établie, très étendues, il est difficile de déterminer de quelle façon les approches courantes alimentent les problèmes existants.

La Colombie-Britannique

La Colombie-Britannique compte 4 millions d'habitants, et c'est la province canadienne la plus à l'ouest. Porte d'entrée du Canada en Asie-Pacifique, elle fait partie, économiquement et géographiquement, de la région nord-ouest de l'Amérique du Nord. Son économie concurrentielle, fondée sur l'exportation, permet à ses habitants de jouir d'un niveau de vie élevé. Les revenus d'exportation proviennent encore en grande partie de la foresterie et de l'exploitation minière, mais les secteurs fortement axés sur le savoir de la transformation secondaire et des services créent la plupart des nouveaux emplois reliés à l'exportation.

Vancouver, Colombie-Britannique

Vancouver, la plus grande ville de la province de la Colombie-Britannique, occupe le troisième rang sur l'échelle des plus grandes agglomérations canadiennes. Elle se trouve dans le sud-ouest canadien, à quelque 40 kilomètres au nord de la frontière de l'État de Washington (États-Unis). Elle est entourée d'eau sur trois côtés. Grâce à son emplacement stratégique, Vancouver occupe le premier rang au niveau du commerce et des affaires au Canada. Par avion, elle se trouve à égale distance de Londres et de Tokyo.

Sa population, qui se chiffre aux environs de 1,9 millions d'habitants, est très diverse puisqu'on y trouve des gens d'origine anglaise, asiatique et européenne, de même que des peuples autochtones.

Le quartier est du centre-ville de Vancouver (DTES)

Coeur historique de Vancouver, le DTES compte sur son territoire 17 sites patrimoniaux de Vancouver. Il se trouve à côté du quartier des affaires et de la région touristique de Vancouver. Sa tradition est bien développée, et il a mis sur pied un réseau de soutien pour les personnes à faible revenu et les personnes désavantagées. Toutefois, au cours des dernières années, le DTES a dû faire face aux mêmes difficultés complexes que d'autres quartiers urbains dans les grandes agglomérations; c'est en fait la région urbaine la plus pauvre au Canada.

Près de 17 000 personnes peuplent cette région géographique de 30 blocs carrés. Le résidant typique y est de sexe masculin, anglophone et d'âge moyen. La population est constituée à 63 p.100 d'hommes et à 37 p.100 de femmes. Soixante-huit pour cent des résidants gagnent un faible revenu, alors que ce pourcentage chute à 31 p.100 pour l'ensemble de la ville. La drogue y circule ouvertement, la cocaïne et l'héroïne étant les drogues de choix. En 1998, de toutes les arrestations de la ville associées à la drogue, 74 p.100 ont eu lieu au DTES, qui a aussi été le théâtre d'un nombre important de mortalités dues à une surdose. La drogue, en plus d'un marché sexuel actif, constitue une source constante d'inquiétude et de nuisance pour les citoyens et une menace permanente pour les touristes; on dirait que cette région est un aimant qui attire vers elle les gens de passage.

Le DTES abrite aussi 18 p.100 des personnes de la ville souffrant de déficience mentale. Mille huit cents à trois milles personnes sont séropositives; 85 à 90 p.100 de ces personnes ne se font pas soigner. L'hépatite A touche quatre fois plus de personnes que la moyenne nationale. On croit que plus de 90 p.100 des personnes qui se livrent à des injections de drogue souffrent d'hépatite C.

Le DTES était jadis une région économique animée. Aujourd'hui, les commerçants légitimes désertent les lieux : on dénotait, en 1998, 27 p.100 de magasins vacants le long d'une artère principale. De plus en plus de devantures de magasins sont condamnées, ce qui rend l'endroit propice à la consommation et au trafic de drogues de même qu'à la perpétration d'autres crimes. Les commerçants sont déçus parce que les gouvernements semblent incapables de combattre ce fléau.

Services offerts au DTES

On estime que, collectivement, les trois gouvernements dépensent quotidiennement près d'un million de dollars sur les services offerts au DTES en matière de santé, de sécurité, de prévention contre le crime, de services sociaux et de logement. Malgré tout, les besoins des citoyens ne sont pas comblés; au milieu de l'abondance, c'est la misère. Il faut agir autrement.

Une centaine d'organismes communautaires, principalement financés par le gouvernement, ainsi que des bénévoles et des travailleurs des trois niveaux de gouvernement élaborent des programmes ou offrent des services au DTES : services pour contrer l'abus d'alcool et autres substances, services d'aide à l'emploi, services de consultation, services à l'intention des immigrants et des réfugiés, des familles, des enfants, services d'aide sociale, services juridiques et services de développement économique. Chaque organisme communautaire possède ses propres personnel, conseil d'administration et frais administratifs, ce qui constitue un problème pour les trois gouvernements : avec qui les gouvernements doivent-ils travailler? Qui représente la communauté? Si plus de 100 organismes offrent un programme pour contrer l'abus d'alcool et autres substances, ont-ils intérêt à opter pour le statut quo?

De plus, les gouvernements eux-mêmes détiennent trois bureaux indépendants, ce qui amène plus de 25 ministères à s'occuper des programmes touchant au DTES; et ces ministères ont chacun une culture, une philosophie et des modes de financement qui leur sont propres. Bien souvent, si les différents paliers de gouvernement sont amenés à coopérer, c'est grâce à la motivation de fonctionnaires individuels.

Démarche : Jeter les bases

Mai - novembre 1999

Au printemps 1999, on a demandé aux fonctionnaires de rédiger l'ébauche d'un accord témoignant de la volonté de collaboration des trois gouvernements, dans les limites de leurs compétences et de leur mandat. Vers la mi-juillet 1999, les gouvernements ont ratifié l'ébauche, intitulée le « Vancouver Agreement » [Accord de Vancouver] ou « Agreement » [Accord]. L'Accord exposait les grandes lignes des responsabilités des trois gouvernements dans trois secteurs : santé et sécurité de la communauté, développement économique et social, et aptitude à bâtir la communauté. Jusque-là, il n'y a pas eu de commentaires de la part de la communauté.

Au cours de l'automne 1999, la tenue de réunions publiques et de réunions de représentants communautaires a permis d'obtenir des commentaires sur l'ébauche de l'Accord. Des fonctionnaires des trois gouvernements étaient présents à toutes les réunions.

Tout au long des consultations, les gens ont souligné que le DTES est un quartier unique et qu'il fallait vraiment créer une communauté saine et viable. Toutefois, on a senti que la population était quelque peu déçue du fait que les différents paliers de gouvernement ne font qu'offrir des séances de consultation au lieu d'agir. Elle avait aussi l'impression que l'Accord visait davantage à améliorer la collaboration intergouvernementale qu'à satisfaire les besoins de la communauté. Les organisations communautaires s'inquiétaient quant à elle du fait que leur financement actuel pourrait être compromis, que les gouvernements pourraient remettre en question la viabilité de maintenir plusieurs organisations offrant des services, ou que l'administration de l'Accord absorberait tout nouveau financement.

Les trois gouvernements ne se sont pas engagés à verser des fonds supplémentaires dans le cadre de cet Accord; on s'attendait à ce que la collaboration intergouvernementale maximise les ressources dans les domaines existants. La communauté a toutefois affirmé à l'unanimité que, sans fonds supplémentaires, on ne pourrait pas résoudre les problèmes.

Les opinions divergeaient grandement quant à l'orientation que devrait prendre le développement économique et social. Quelques membres de la communauté étaient d'avis qu'il fallait se concentrer sur l'amélioration du niveau de vie des résidants à faible revenu pour leur permettre de participer à la main-d'oeuvre. Ils ont suggéré d'augmenter l'aide sociale, les logements sociaux et la formation d'emploi pour que les résidants puissent se permettre un meilleur logement et une meilleure alimentation, et pour qu'ils soient prêts à combler les postes vacants. Ils ont aussi suggéré d'augmenter le financement des programmes destinés aux familles monoparentales, aux peuples autochtones et aux individus aux prises avec des problèmes d'alcool ou autres substances.

D'autres ont fait valoir que la concentration de logements et de services pour les personnes à faible revenu attirait les gens des quatre coins de la province, contribuant ainsi à la détérioration des conditions de la rue. Ils sont d'avis que les gouvernements devraient redistribuer les ressources aux autres parties de la ville. Ils ont aussi demandé à ce que l'on impose une politique d'intransigeance pour le crime et les drogues, et que l'on encourage les placements publics et les mesures incitatives pour préserver les ressources patrimoniales de la région. Ils considèrent que ces mesures sont nécessaires pour bâtir une vision économique à long terme, implantant par la même occasion une communauté aux revenus plus diversifiés.

Novembre 1999 - mars 2000

Suite aux consultations, les trois gouvernements ont analysé financement et programmes actuels article par article, identifié les problèmes dans les programmes, évalué les demandes qu'a formulées la communauté lors des consultations précédentes, et déterminé la façon de procéder lors des prochains débats.

On a mis en place six sous-comités intergouvernementaux : (1) soins de santé de base, (2) stratégie complète contre l'abus de substances, (3) sécurité et justice, (4) logement, (5) formation, développement des aptitudes et emploi, (6) développement économique et social. Ces sous-comités se sont chargés d'entreprendre le travail décrit au paragraphe précédent. De plus, chaque gouvernement disposait de comités indépendants qui s'affairaient au même type de travail avant de se réunir lors des débats intergouvernementaux.

Défis auxquels font face les trois gouvernements :

L'intégration horizontale des programmes et du financement :

• La nécessité de lancer des stratégies intergouvernementales et interministérielles.
• La nécessité d'étudier les responsabilités intergouvernementales et interministérielles en matière de programmes et de financement.
• La nécessité d'aborder la répartition constitutionnelle des pouvoirs de façon à satisfaire aux besoins des citoyens.
• La nécessité d'un processus transparent propre à gagner la confiance des fonctionnaires qui administrent les programmes ou financent les services sous-traités.

Mars - juillet 2000

Il faut, au cours de cette période, préparer un calendrier d'activités, de programmes et d'initiatives, qui recevra ensuite l'approbation de la communauté et des trois gouvernements. On prévoit que services offerts et partenariats se rejoindront grâce aux services municipaux d'hygiène, aux agences à but non lucratif, aux commerces locaux, aux agences de développement économique et grâce à la participation directe du gouvernement.

En arriver à un consensus sur l'élaboration du calendrier d'activités, de programmes et d'initiatives a soulevé une foule de questions lors des consultations de l'automne 1999. Certains ont déclaré qu'il était primordial que les citoyens participent directement au processus de prise de décisions. Des organismes ont exprimé le désir de faire partie du groupe consultatif, arguant qu'ils représentaient un plus grand nombre de personnes dans la communauté. En réaction au fait que l'Accord ne reconnaît guère la participation de la communauté aux décisions dont elle fait l'objet, il fut question d'associer la communauté à l'Accord en tant que quatrième partenaire. Par ailleurs, les organismes représentant les peuples autochtones ont rappelé qu'ils voulaient voir leurs problèmes traités de gouvernement à gouvernement.

Défis auxquels font face les trois gouvernements :

Le modèle de gouvernance :

• La certitude que les gouvernements ont reçu des commentaires de citoyens représentatifs des résidants de la communauté.
• La capacité d'équilibrer les intérêts et les philosophies divergentes des secteurs caritatif et commercial et des organismes à but non lucratif. Il faut aussi tenir compte de la diversité des intérêts.
• La capacité de créer des partenariats de façon à ce que tous les secteurs de la société aient une part de responsabilité dans la résolution des problèmes sociaux et économiques complexes afférents au DTES.

Je serai en mesure, à la Conférence, de vous communiquer les résultats de cette étape.

Conclusion

L'Accord de Vancouver est une initiative qui vise à coordonner et à cibler les ressources de juridictions multiples aux programmes et services multiples, conjointement avec des organismes communautaires multiples. Ce projet illustre que, pour être en mesure de créer des partenariats avec les communautés, les gouvernements doivent se comprendre et instaurer un climat de confiance. Grâce à cet Accord, les gouvernements participeront à la viabilité des communautés. Seul l'avenir nous dira si cette démarche est efficace.

Questions pour orienter le débat :

• La gouvernance à paliers multiples est-elle assez souple pour que prospèrent les partenariats? Comment les partenariats sont-ils définis? Comment administrer ce qui touche à l'élaboration de politiques, aux compétences et au partage des ressources? Le rôle de l'État tel que l'exercent les trois gouvernements s'en trouverait-il réduit/modifié?
• Qui représente les citoyens pauvres qui ne parlent pas en leur nom? Comment les gouvernements s'assurent-ils que les résidants s'engagent à définir et à identifier les initiatives nécessaires à la construction d'une communauté viable?
• L'Accord de Vancouver constitue-t-il un modèle approprié pour aider le gouvernement à paliers multiples et les partenariats communautaires à être socialement plus responsables lorsqu'ils font face à des responsabilités et à des obligations fiduciaires? Ou est-il seulement aussi durable que ceux qui s'engagent à le faire fonctionner?

Judy Cavanagh

jcavanagh@pacificcoast.net Colombie-Britannique, Canada juin 2000

Notes :

1. The Vancouver Agreement and Community Review, novembre 1999 http://www.city.vancouver.bc.ca/commsvcs/planning/dtes/dtehome.htm

2. Les statistiques sur la Colombie-Britannique, la Ville de Vancouver et le centre-ville est proviennent du site Web mentionné ci-dessus, et de BC Vital Statistics, province de la Colombie-Britannique.

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