Les nationalités multiples au cœur du défi éthiopien

PAR HASHIM TEWFIK MOHAMMED

est en train de franchir les En plus de réorganiser le gouvernement représentants du gouvernement central.

dures étapes qui la mèneront à la démocratie. Simultanément, elle cherche à instaurer une sorte de « fédéralisme ethnique » qui accorderait à toutes les régions et à tous les groupes du pays leur juste part d’autonomie et de pouvoirs réels.

Entre 1976 et 1990, l’Éthiopie a été littéralement déchiquetée par une succession de guerres régionales. La junte dirigeante du Colonel Mengitsu s’est battue contre le Front de libération d’Érythrée en Érythrée ; le Front populaire de libération du Tigré dans la région du Tigré ; le Front de libération d’Oromo dans les régions de l’Harargay orientale et du Wolega ; le Front de libération d’Afar dans la région d’Afar ; et le Front de libération de la Somalie occidentale dans la région d’Ogaden.

Au mois de mai 1991, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien a renversé le régime dictatorial et l’Érythrée est devenue un pays indépendant (même si elle a dû attendre jusqu’à l’an 2000 pour signer un traité de paix avec l’Éthiopie). Dès lors, le nouveau gouvernement éthiopien s’est employé à établir les assises d’un régime fédéral pleinement axé sur les régions ethniques.

En route vers une nouvelle constitution

La première étape consistait à adopter une « charte provisoire » rédigée par les représentants de divers mouvements de libération et groupes ethniques, ainsi que par des personnalités en vue.

La charte a permis d’établir un gouvernement transitoire formé d’un conseil des représentants et d’un conseil des ministres. Le conseil des représentants, qui regroupait les représentants de mouvements de libération nationale (ethnique), d’autres organisations politiques, ainsi que diverses personnalités, devait assumer les tâches législatives et de direction.

central, la charte visait l’adoption d’une loi pour établir des conseils locaux et régionaux chargés de l’administration locale, de même que la formation d’une commission constitutionnelle par le conseil des représentants, et ayant pour mandat de rédiger la première ébauche de la constitution.

La reconnaissance des « nationalités »

Quatorze administrations régionales autonomes ont été établies et soixante-cinq collectivités ethniques, habitant ces territoires, ont été identifiées. Quarante-huit d’entre elles ont eu la permission d’établir une administration autonome au niveau du « Woreda » (ou du district). Les dix-sept autres, considérées comme des ethnies minoritaires, n’ont obtenu que l’assurance d’une représentation adéquate au sein d’un conseil du Woreda.

On a aussi donné le droit aux administrations autonomes « des nations, des groupes ethniques et des peuples » des régions avoisinantes de conclure des ententes conjointes. Celles-ci leur permettent de se greffer à une administration autonome plus large et d’établir les unités administratives autonomes intermédiaires nécessaires entre le Woreda et les échelons régionaux. Au sud du pays, cinq régions ont conclu une même entente. Elles ont établi une seule administration régionale autonome du sud qui permet à chaque groupe ethnolinguistique de conserver son administration locale autonome tout en étant représenté au niveau régional.

Par conséquent, le nombre d’administrations nationales et régionales autonomes est passé de quatorze à neuf.

Aux yeux de la loi, les conseils des gouvernements régionaux n’étaient pas uniquement redevables aux habitants des régions qui les avaient élus. Ils se rapportaient également au conseil des Sur le plan financier, ils n’auraient pas pu accomplir la plupart de leurs tâches sans l’apport monétaire du gouvernement central.

On a attribué aux administrations autonomes, à l’intérieur de leurs zones géographiques, la pleine autorité sur tous les secteurs qui ne relevaient pas du gouvernement central.

Les champs de compétences du gouvernement central comprenaient la défense, les affaires extérieures, les politiques économiques et fiscales, la citoyenneté, la déclaration des états d’urgence, de même que la construction et la gestion des projets de développement majeurs et des grands réseaux de communication.

Pour leur part, les administrations autonomes ont obtenu le pouvoir de gérer des dossiers comme la langue, la culture, la santé, les services de police et de sécurité, ainsi que les activités sociales et de développement économique. On leur a également permis d’établir, dans leurs régions respectives, des tribunaux habilités à rendre justice dans tous les secteurs hormis ceux attribués aux tribunaux du gouvernement central.

Après une période transitoire de quatre ans, on a consolidé l’organisation des pouvoirs étatiques fondée sur des « collectivités ethniques » et on lui a accordé un statut constitutionnel.

L’encadrement constitutionnel des identités ethniques

La nouvelle constitution fédérale a établi un parlement à deux chambres au niveau fédéral, ainsi que des parlements à une chambre, appelés conseils d’État, à l’échelle des états. Le parlement fédéral réunit les représentants de la Chambre des peuples et de la Chambre de la fédération. Les représentants de la Chambre des peuples forment la législature fédérale. La Chambre de la fédération, qui regroupe « des membres des nations, des groupes ethniques et des peuples », constitue l’autre assemblée représentative fédérale. Elle jouit de pouvoirs

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001

particuliers, y compris le pouvoir ultime « d’interpréter la constitution » et de « décider des enjeux afférents au droit des nations, des groupes ethniques et des peuples à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession ».

On a intégré les neuf administrations autonomes nationales et régionales établies au cours de la période transitoire à la nouvelle constitution. Ces dernières sont devenues les régions de la fédération éthiopienne.

La constitution fédérale exige que chaque état membre accorde suffisamment de pouvoirs aux gouvernements locaux pour susciter la participation à la vie politique des instances de base. Dans les faits, elle oblige les entités fédérales et les états membres à respecter et à garantir les droits « des nations, des groupes ethniques et des peuples ».

En effet, la constitution de l’Éthiopie considère les collectivités ethniques comme les unités constituantes essentielles de la fédération, proclamant dès le départ que : « Nous, les nations, les groupes ethniques et les peuples de l’Éthiopie…avons ratifié la Constitution de la République fédérale démocratique d’Éthiopie ». Dans ce document, il est précisé qu’il s’agit « d’un groupe de personnes qui possèdent ou partagent, dans une large mesure, une culture ou des coutumes communes, une intelligibilité linguistique mutuelle, une croyance en des identités communes ou connexes, et qui habitent majoritairement un territoire limitrophe identifiable ».

La constitution de l’Éthiopie a donné naissance à un régime politique fédéral fondé sur la reconnaissance du droit à l’autodétermination des collectivités ethniques. Ce droit intègre trois composantes et divers volets :

  • la sauvegarde et la promotion de la diversité linguistique et culturelle ;

  • le droit de chaque collectivité ethnique d’accéder à l’autonomie politique et de participer au processus décisionnel fédéral;

  • le droit à la sécession.

Le volet du droit à l’autodétermination lié à la diversité linguistique et culturelle intègre le droit de chaque collectivité ethnique d’utiliser et de développer sa langue propre, d’exprimer et de promouvoir sa culture, et de sauvegarder son histoire.

Le volet du droit à l’autodétermination lié à l’autonomie et à la participation confirme le droit de toutes les collectivités ethniques à l’autonomie gouvernementale et à une représentation proportionnelle au sein des états régionaux et fédéraux. Cet aspect de l’autodétermination vise à garantir la destitution des pouvoirs de l’État aux collectivités ethniques territoriales et à empêcher la concentration de tous les pouvoirs entre les mains d’un petit groupe. Il vise également à établir une identité commune et un sentiment d’unité entre les diverses collectivités ethniques.

Néanmoins, c’est le droit à la sécession qui constitue l’aspect le plus complexe et le plus controversé du droit à l’autodétermination garanti dans la constitution éthiopienne. Certains continuent de s’y opposer, alléguant qu’un tel droit revient exclusivement aux nations sous domination coloniale et que sa reconnaissance pourrait entraîner la fragmentation du pays. D’autres estiment que la reconnaissance constitutionnelle du droit à la sécession ne sert pas uniquement à garantir le respect des droits « des nations, des groupes ethniques et des peuples », mais aussi à affermir le caractère consensuel de l’union fédérale.

L’histoire politique de l’Éthiopie a démontré que la seule façon de créer un sentiment d’unité entre ses nombreux peuples consiste à obtenir leur consentement mutuel à vivre ensemble et à cultiver des intérêts communs. La coercition ne saurait cimenter pendant très longtemps une unité fondée sur le rejet du droit à l’autodétermination. Au lieu d’établir un esprit d’unité véritable et viable, elle attiserait les dissensions ethniques et les tentatives de sécession et entraînerait, à long terme, la guerre civile.

La décision de l’Éthiopie de rejeter la méthode violente pour établir l’unité de ses peuples et les efforts déployés en vue d’obtenir l’unité consensuelle par la dévolution des pouvoirs politiques aux unités constituantes est certes ambitieuse. Mais il s’agit plus encore d’une démarche courageuse visant à apprivoiser les forces centrifuges qui cherchent à faire éclater le pays.

Fédérations volume 1, numéro 5, été 2001