PAR CARLOS ARAÚJO LEONETTI

miné le fédéralisme fiscal et a
Les états et les villes ont
gouvernements. Si le président brésilien, Luís Ignacio ( « Lula » ) da Silva, découvre le moyen de nourrir tous les pauvres du Brésil, il lui faudra tout de même surmonter un autre immense obstacle : le défraiement du nouveau programme d’alimentation.
Aux termes de la Constitution de 1988, et tel qu’il est structuré au Brésil, le fisc ne peut même pas supporter le niveau actuel de services gouvernementaux, encore moins un programme de suppression de la faim. En vérité, si le gouvernement brésilien ne parvient pas à augmenter ses revenus fiscaux, il fera sûrement face à des déficits insurmontables et à la perte de l’appui du FMI.
À l’aube de l’année 2003, l’édifice brésilien d’imposition a subi des
pressions considérables. Au plan politique, le régime de taxes a l’impression d’avoir les
encouragé la « guerre fiscale » entre les ordres de gouvernement ; au plan économique, il a pénalisé la production et le commerce avec l’étranger. Ce sont là quelques contraintes fiscales avec lesquelles Lula devra se colleter pour pouvoir alimenter les pauvres du Brésil.
Contraintes constitutionnelles
Contrairement à bien des pays, la Constitution du Brésil établit clairement les limites des pouvoirs d’imposition du gouvernement fédéral ( dit de « l’Union » ), des états et des villes. Elle précise même ceux du District fédéral de Brasilia. L’Union est habilitée à imposer le commerce avec l’étranger, les revenus, les propriétés rurales, les produits industriels, les opérations de crédit, le change monétaire, l’assurance et les instruments financiers. Les états sont autorisés à imposer les véhicules à moteur, les héritages, les dons et les ventes en général. Les villes sont autorisées à imposer l’immeuble, les ventes et les services en général. L’Union, les états et les villes peuvent aussi exiger des honoraires pour les services publics – dont la mise en vigueur des lois.
Seule l’Union est autorisée à percevoir d’autres taxes, appelées « emprunts forcés », pour couvrir des dépenses exceptionnelles occasionnées par la guerre ou par d’autres calamités, ou encore pour appuyer des projets publics urgents. Après un délai établi par la loi, toutefois, le gouvernement fédéral est tenu de
Carlos Araújo Leonetti enseigne le droit à l’Université fédérale de Santa Catarina (UFSC) à Florianopolis au Brésil et travaille en qualité d’avocat financier national pour le ministère des Finances du Brésil.
rembourser toutes les sommes ainsi touchées. En revanche, les « contributions spéciales » sont des taxes fédérales perçues pour aider à financer la sécurité sociale et d’autres dépenses publiques. Enfin, seule l’Union peut imposer des taxes non prévues nommément par la Constitution.
Parce qu’ils ne peuvent que percevoir les taxes que leur confie la Constitution, les états et les villes se sentent souvent les mains liées. Étant donné cette contrainte, ils n’ont pas, d’habitude, la capacité financière d’honorer leurs engagements politiques. De
surcroît, la loi de 2001 sur la responsabilité fiscale impose des pénalités onéreuses à toutes les autorités qui accusent un déficit budgétaire ou qui encourent des dépenses sur des programmes non prévus par le budget annuel. Ainsi, cette ordonnance limite encore davantage la liberté d’action fiscale des
Deux aspects majeurs de la structure fiscale du
Brésil méritent une attention toute
particulière : la taxe de valeur ajoutée et les
« contributions spéciales ». La taxe de valeur
ajoutée, ou « ICMS » – sigle de son appellation
portugaise, « taxe sur le roulement des biens et
des services » – est perçue par les états et non
par le gouvernement central selon la pratique courante au Canada et dans la plupart des pays d’Europe. Cette différence donne à chaque état le pouvoir de fixer ses propres règles pour l’ICMS, situation qui contribue à une « guerre de taxes » entre états. L’application de l’ICMS aux ventes entre états donne lieu à un autre problème : en s’évertuant à respecter les réglementations des états, souvent contradictoires, les compagnies faisant affaires à l’échelle du pays encourent des dépenses importantes.
Faut-il « fédéraliser » la taxe de valeur ajoutée ?
On peut soutenir que la solution idéale serait de transformer l’ICMS en taxe fédérale. Ceci comporterait le déplacement des états vers l’Union du pouvoir de légiférer à ce chapitre, tout en laissant aux états les responsabilités de la mise en œuvre et de la perception. On éviterait ainsi la guerre fiscale entre les divers ordres de gouvernement et l’on réduirait les frais des compagnies faisant affaires dans plusieurs états. Une telle innovation exigerait cependant un amendement à la Constitution, exploit peu commode étant donné l’exigence du consentement des trois cinquièmes des membres de chaque Chambre du Congrès– c’est-à-dire de la Chambre des députés et du Sénat fédéral. Une telle modification menacerait aussi l’autonomie fiscale des états car, de la façon dont elle fonctionne, l’ICMS est la source la plus importante de revenus pour la majorité d’entre eux.
Une autre réforme possible des règlements de l’ICMS entraînerait la réforme du principe qui réglemente l’imposition
Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003

de ventes entre états. Selon le « principe de l’origine » en vigueur aujourd’hui, les revenus de l’ICMS sur ces ventes reviennent à l’état du vendeur. Cette méthode avantage les juridictions plus riches, où sont situées la plupart des industries, au détriment des plus pauvres. Le remplacement du principe de l’origine par celui de la destination augmenterait les revenus de l’ICMS pour les états non industrialisés
et, de ce fait, pourrait accroître l’équité du
trois ordres de gouvernement.
En revanche, les autorités étatiques et
régime fiscal dans son ensemble.
L’autre grande question au sujet de la
locales se révèlent souvent incapables
réforme fiscale brésilienne est celle des
Étant donné que les gouvernements
inférieurs au gouvernement national
rendent la plupart des services dont
dépendent la majorité des citoyens, il est
juste de dire que le statu quo fiscal est
impliquant le même produit, sans égard pour les taxes perçues sur les transactions antérieures. Ce régime, qui gonfle les prix des biens et services, impose un fardeau aux consommateurs.
Les conséquences sont peut-être encore plus dures lorsque les contributions spéciales frappent les exportations : en effet, à cause d’elles, les produits du Brésil sont moins compétitifs sur les marchés internationaux. L’Union a toujours résisté à l’idée toute simple de les abolir à cause des revenus importants qu’elles génèrent. L’administration de Lula pourrait modifier leur profil pour les rendre non cumulatives, et ainsi alléger le fardeau des exportateurs et des consommateurs. Une telle réforme n’exigerait pas d’amendement constitutionnel mais une simple loi du Congrès.
Impôt sur le revenu non progressif
De nombreux Brésiliens exigent aussi la réforme d’autres aspects du régime fiscal. Ils portent, entre autres, une attention particulière à l’impôt sur le revenu personnel, que seul le gouvernement fédéral est autorisé à percevoir. Au Brésil, où il n’y a que deux tranches d’imposition, l’impôt sur le revenu personnel n’est que modérément progressif : les revenus annuels de plus de 12 684 reals ( environ 3960 $ US ) sont frappés au taux de 15 %, ceux de plus de 25 753 reals ( environ 8040 $ US ) au taux de 25,7 %. En comparaison avec bien des pays, la liste détaillée des déductions permises est très courte. Aussi de nombreux citoyens demandent-ils qu’on leur accorde de nouvelles déductions.
Une autre question importante, étroitement liée à la réforme fiscale, est celle de la répartition constitutionnelle des compétences. Tout en répartissant le pouvoir d’imposition parmi les autorités fédérales, étatiques et locales, la Constitution ménage pour l’Union la plus grande souplesse : seul le Congrès
fédéral peut imposer des taxes qui n’ont
pas encore été réservées pour l’un des
lourdement pondéré à l’avantage des classes sociales privilégiées.
La répartition des pouvoirs
Étant donné les liens intimes entre la réforme fiscale et la répartition des pouvoirs, il faudrait, idéalement, discuter des deux en même temps. Par les temps qui courent, les autorités étatiques et municipales ont coutume de s’envoler vers Brasilia, la capitale fédérale, pour y quérir de l’aide financière. Une réforme fiscale efficace et responsable pourrait bien réduire, voire éliminer de telles demandes, formulées presque en mendiant. D’ailleurs, il est possible de prétendre que la décision du président Lula da Silva d’établir un ministère de la Ville responsable des affaires municipales fait preuve, une fois de plus, d’un effort concerté pour renforcer les institutions de réforme fiscale.
La réforme fiscale a constitué un élément majeur de la plateforme électorale de Lula bien que, à cet égard, ses propositions soient restées plutôt vagues. L’essentiel de son discours sur les finances publiques a porté sur la notion du déplacement du fardeau fiscal de la production vers les revenus et les héritages. En revanche, Lula ne peut pas couper les revenus fédéraux sans risquer de compromettre une de ses plus importantes promesses électorales, soit de supprimer la faim au Brésil.
Le défi de Lula est clair : il lui faut réaliser un nouvel équilibre fiscal dans la fédération brésilienne afin que celle-ci puisse
honorer ses engagements politiques.
Fédérations vol. 3, no. 1, février-mars 2003